In Goth we trust
Difficile de ne pas appréhender ce type d’événement sans craindre d’être confronté à moult clichés du genre. Grand messe pour Geeks et vielles carcasses décharnées, tout festival gothique rallie immanquablement son lot d’étranges créatures qui y voient l’aubaine d’une exposition sous la lumière des projecteurs de leurs plus beaux ( ?) atours. Courtrai n’a, bien sûr, pas failli à la règle. Mais au final, de cette affiche étalée sur trois jours, peu de groupes portaient réellement l’étiquette de croque-la-mort. Oui, noir était la couleur prédominante, et oui, l’ambiance était crépusculaire. Mais au final, l’éclectisme était bel et bien de rigueur en ce week-end de fin juillet.
Alors que le temps oscillait tangiblement vers des températures plus automnales (et donc ‘halloweenesques’) qu’estivales, le public encore épars déambule sur les aires de l’immense bâtiment qui longe l’autoroute locale. Premier constat, l’endroit semble disproportionné au vu des spectateurs présents. Partagé entre deux entrepôts, ce vendredi soir, le lever de rideau n’a pas rameuté une armée entière de sombres silhouettes.
Prêtant une oreille plus que distraite aux Diary Of Dreams, dont l’artificielle parure cache mal un goût prononcé pour la tendance ‘Eurovision’ de type kitsch, mon regard balaie l’obscurité et s’attarde sur quelques créatures rescapées des rayons du soleil.
Derrière moi, dans les larges allées séparant les deux sites, flânent les esprits chagrins, au milieu d’échoppes diverses. Marchands de fringues et de disques, chapeaux hauts de forme et corsets sexy, t-shirts de groupes tailles bébé et autres accessoires sado-maso se mélangent dans un joyeux capharnaüm.
L’ambiance va s’électriser, quand monte sur les planches l’improbable Johan Van Roy, l’homme derrière Suicide Commando, groupe qui se revendique fièrement d’une Electro-Indus nationale dont les racines tortueuses étranglent sans concession les mœurs écœurantes d’un conformisme engoncé. Agitateur trublion, doublé d’un bouffon malin, le leader charismatique ne ménage pas ses peines et exalte le public au travers d’un set énergique et sans temps mort.
Imparables brûlots incendiaires, « Bend, Torture, Kill », « See you in hell » ou encore « We are the sinners” s’enchaînent avec en toile de fond les images crues et étrangement attirantes qui défilent à l’arrière du podium.
Foncièrement provocatrice et délibérément malsaine, l’imagerie SC qui entoure l’univers mutilateur de ce projet lie véritablement la musique à son propos. Et renforce sensiblement l’effet attraction-répulsion qui caractérise le tout.
L’un des moments forts de cette édition, qui pour le reste s’étendait paresseusement jusqu’à son apothéose de dimanche soir.
Ni les sets en demi-teinte (paradoxe gothique ?) de Fields of Nephilim, de Fixmer / Mc Carthy (Nitzer Ebb) ou encore la prestation tristement mollassonne des Cranes, dont l’aura se dilue comme la mémoire dans le temps, ne sont venus bouleverser mes états d’âme (maudite).
La surprise de ces trois jours a incontestablement été Clan Of Xymox, que le concert a largement sorti de l’oubli au sein duquel il était tombé depuis quelques années. On peut même affirmer que la musique du groupe n’a pas pris une ride. ‘We could be heroes, just for one day’, susurre gravement la voix de Ronny Moorings, sur le “Heroes” de Bowie. Paroles d’absolue vérité qui sied donc au combo batave.
Si auparavant, Vive La Fête avait imparablement mis le feu aux poudres, en dispensant comme d’habitude, un set puissant, énergique et bon-enfant, il semblait évident que l’événement attendu par tous était le retour de Peter Hook et ses musiciens pour cet hommage ultime (NDR : et qui d’autre de mieux que lui était le mieux placé pour le rendre ?) à Joy Division.
C’est que le retour du citoyen de Lancastre, au sein d’une formule ressassant un passé hanté par le spectre de Ian Curtis, amène fort logiquement à se poser des questions quant au bien fondé de l’entreprise.
Projet vénal ou réel désir de se faire plaisir tout en contentant deux générations orphelines d’un des plus grands groupes de l’histoire ?
Il allait nous en donner la réponse ce soir.
Peter Hook n’a rien perdu de sa hargne, de sa verve, ni de son envie d’en découdre. Lui qui assenait des coups de basses sur les coins de gueule dans l’ambiance surchauffée des salles acquises à sa cause, lui qui n’hésite pas à dégommer quelques bonnes vannes à l’encontre de ses anciens camarades de jeu, assure toujours avec autant de brio, du haut de ses cinquante-cinq ans.
Pourquoi bouder son plaisir ?
Une bonne reprise de Joy Division reste et restera toujours une reprise de Joy Division. Mais quand Hooky est derrière la basse, c’est quand même une part de l’âme de Joy Division que l’on peut tâter.
C’est vrai, New Order n’était pas avare sur ce plan. Mais ici, s’affiche la volonté de ressusciter l’espace d’un moment, l’esprit de cette époque, en piochant dans le répertoire du groupe de Manchester.
On ne reviendra jamais en arrière, et personne n’est là pour refaire l’histoire. Ce qui nous est offert ici est un instantané, dont le seul but est de rendre justice à une musique qui ne méritait pas de mourir si jeune.
En toute honnêteté, et sans artifice, Peter Hook and The Lights rejouent ce qui à nos oreilles, sonne comme un catalogue de classiques indémodables.
A l’heure ou la énième compilation des morceaux de JD (combinée à ceux de New Order) est tombée dans les bacs des disquaires, le Mancunien redonne l’illusion que l’histoire ne s’est pas arrêtée un dix-huit mai mille neuf cent quatre-vingt. Ou plutôt elle nous permet d’imaginer qu’il est possible de se replonger plus de vingt et un an en arrière.
C’est vrai que ce n’est pas Joy Division, quand Peter Hook chante, bien sûr, on ne peut s’empêcher de faire la comparaison, mais quand la basse résonne aux premières mesures de « Transmission », nul ne pourra jamais empêcher des centaines de poils de se hérisser sur la peau.
C’était écrit dans les paroles de Ian Curtis. La suite n’est qu’un vol suspendu dans l’air du temps. ‘A legacy so far removed, one day will be improved’ (extrait de “A means to an end”)
Au final, cette édition n’était peut-être pas la meilleure et le cadre peut-être pas le plus approprié, mais pour ces coups d’éclats, elle valait assurément le (large) détour.
(Organisation : Shadowplay coproduction Peek-A-Boo)