Balmorhea, un post-rock du XIXème siècle…
Pendant deux jours, le Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (BOZAR) avait affiché la ferme intention de redorer ses murs et d’élever la musique électronique au rang d’art contemporain. Que le genre musical et son artwork investissent des lieux prestigieux sur la carte de l’élite culturelle, n’est pas un fait nouveau. Ces manifestations pointues, à la frontière du fashion, nous démontrent constamment que la croissance exponentielle du genre s’immisce dans toutes les sphères artistiques et déplace une foule chaque jour plus nombreuse. En effet, le BOZAR affichait complet pour cette première édition du Bozar Electronic Weekend. Un merveilleux espace pluridisciplinaire art déco ouvrant les portes de ses six salles pour accueillir plus de quinze groupes aux horizons expérimentaux divergents. Au programme : des concerts, des soundscapes, des spectacles audiovisuels… Les ‘électromaniaques’ dirigeront spontanément leurs viseurs vers les imposantes têtes d’affiche venues présenter leurs dernières productions : Modeselektor, Plaid et Rustie. Quant à nous, notre choix sera plus modeste et échappera au très électro Hall Horta pour se diriger vers le post-rock intimiste de Balmorhea qui avait pris soin de poser ses guitares dans la confortable salle M. Concert assis !
Balmorhea (prononcez bal-mour-ay), ensemble instrumental minimaliste d’Austin, se cache sous le pseudonyme d’une ville située au beau milieu du désert texan. Le désert comme horizon, son immensité silencieuse comme inspiration expriment parfaitement les intentions artistiques du combo. Une musique solennelle aux volontés de fuites et des airs graves et austères pour l’incarner.
Un sextet voyageant sur des sables mouvants agités de violon, de contrebasse, de violoncelle et dont deux des membres passent incessamment de la guitare électrique, à la basse, au banjo et aux claviers. Un groupe aux influences éclatées mêlant les sons d’une musique classique minimaliste à un post-rock dynamique et silencieux. Un atmosphérique grandiose qui donne l’impression, même pendant les séquences les plus calmes, de s’élancer vers l’avant. Un tout distillant une musique pleine de ferveur et de douce ivresse.
Balmorhea est tout en sobriété et érudition et laisse le soin aux instruments de charmer, d’assoupir avant d’emballer et de prendre au piège. Les voix sont secondaires, elles s’allument et s’éteignent à l’image d’un réverbère usé par le temps. Elles s’entendent en écho, de loin, comme un gémissement désespéré qui surgirait d’infinies étendues désertiques, celles de leur Texas natal. Quelques murmures fantomatiques, qui renforcent les airs énigmatiques et accentuent le vertige infligé par les compositions, suffisent. Un climax fort et dense magistralement emmené par le pianiste/guitariste Rob Lowe.
Une forme d’expression qui tire ses influences d’univers musicaux hétéroclites : Ludovico Einaudi, The Six Parts Seven, Rachel’s, Max Richter, Arvo Pärt ou encore Debussy voire Beethoven. Un agglomérat improbable qui tient un propos identique : faire d’une musique instrumentale des chansons éloquentes sans être trop bavardes, des pièces élaborées, complexes mais à la beauté immédiate. Des petits morceaux d’histoire, des constructions qui s’emportent, parfois denses et, par endroits, saccadées, qui rythment des explorations anciennes.
Certains titres de l’album « All Is Wild, All Is Silent » sont d’ailleurs évocateurs (“March 4, 1831″ et « November 1, 1832″), comme une volonté de sculpter un temps révolu, de le figer dans le quartz des sables acoustiques, le dix-neuvième siècle ! Une époque qui demeure décidément gravée dans l’œuvre de Balmorhea.
Soulignons, finalement, la synchronisation quasi-chirurgicale entre le drama sonore et visuel. Un fond visuel N/B sous forme de documentaire qui retracerait les conditions de vie des travailleurs texans vivant dans le grand désert. Une photographie austère qui fusionne ingénieusement avec le son et résonne comme un hommage esthétisé et fervent à tous ces hommes oubliés par le temps. Une délicieuse démonstration de l’aptitude potentielle du groupe à réaliser des musiques de film.
Balmorhea, une musique de pionniers, de visionnaires du passé ; un ensemble musical qui ‘se souvient du futur’ et qui sait, en concert, nous conter de belles histoires intemporelles.
Balmorhea
(Organisation Bozar)