Pour sa seizième édition, Dour aura de nouveau bien rempli sa mission de « festival le plus alternatif » de notre plat pays. Comme d'habitude on aura fait pas mal de découvertes, et vécu de grands moments… 120.000 visiteurs (15.000 de plus que l'année dernière), 200 groupes, 25° à l'ombre : autant d'ingrédients qui auront participé à faire de ce seizième Dour une bonne édition, à défaut de véritables têtes d'affiche et de la présence (encore) renforcée des forces de police.
C'est qu'à peine sorti de l'autoroute, le festivalier lambda se voyait contrôlé par une horde de flicailles en quête d'un peu d'herbe à se mettre sous le museau. Ce n'est pas nouveau : Dour, ce serait le festival des drogués, une plate-forme franco-belge des dealers de ganja et d'ecstasy, un paradis de la défonce sur fond de rock, d'électro, de hip hop et de reggae… Ce serait oublier l'essentiel : la musique. Parce que si on croise à Dour quelques arrachés de la vie, n'occultons pas le fait qu'il s'agit d'abord d'un festival rock (au sens large), où on vient pour voir des artistes confirmés ou en plein essor. Il y en aura toujours à Dour qui s'en tapent éperdument, de voir Quannum, ! ! !, les Bérus ou The Skatalites… Le camping leur suffit, et bien qu'ils y restent. En ce qui nous concerne, il y avait fort à faire dès jeudi soir, avec pour bien débuter le festival, le concert de la Canadienne Feist, la nouvelle petite protégée de Gonzales. Son premier album (« Let It Die »), sorti l'année dernière, est une petite merveille de folk-pop-disco-cabaret. Sur scène, c'est tout autre chose : seule avec sa guitare, Feist ranime ses chansons à la lumière du blues le plus écorché. A tel point qu'à certains moments, on croirait voir PJ Harvey en goguette, chantant des berceuses (des « bersuces ? », comme elle prononce) en plein bayou.
Belle entrée en matière (le public est encore frais et dispos), juste avant Laetitia Sherrif, qui pourrait elle aussi être comparée à la PJ du Dorset… Originaire de Lille, la chanteuse-bassiste propose un rock bien secoué mais guère original. A noter la présence d'Olivier Mellano à la guitare (ex-Miossec, Mobiil, etc.).
Sous la Magic Tent (et son plancher !), les furibards de Zeke nous conviaient en même temps à leur trip sous acides, tendance Motörhead en plus punk (gasp). Ca tronçonne déjà sec, et il est 17h à peine.
Mieux vaut réserver ses forces au Français Avril, qui lui n'a rien du type white trash : au contraire on croirait avoir en face de nous un jeune cadre en plein pétage de câble… On croyait aussi qu'Avril était plutôt un bidouilleur de laptop : ce soir, c'était pourtant guitares. En plus des beats certifiés F Com et d'un batteur en grande forme, on a donc eu droit à de l'électro-rock limite « rinôçérôse ». Parfois franchement pelant, Avril sait aussi s'improviser furieux entertainer : sur le tubesque « Be Yourself », c'était donc la fête dans l'Eclectik Dance Hall, l'un des premiers grands moments de ce festival.
On ne pouvait pas en dire autant du concert de Mellow, qui pourtant a sorti il y a quelques mois un deuxième album schizopop des plus recommandés (« Perfect Colors »). Dans une configuration identique à celle de leur compatriote Avril (musiciens live), les deux Français n'auront pas réussi à contenter un public clairsemé. « Fantastic », déclare l'une de leurs chansons : peut-être, mais surtout sur disque. De toute façon, on avait un peu la tête ailleurs…
Déjà tournée vers la Red Frequency Stage, où dans quelques minutes allait débuter le concert tant attendu des Californiens de ! ! ! (prononcez « Tchik Tchik Tchik »), sans doute LA révélation de l'année. Quoique… Déjà l'année dernière était sorti chez Warp leur excellent single « Me and Giuliani… », et avant ça un premier album, passé malheureusement totalement inaperçu. Mais cette année semble être leur année, grâce à un nouvel album, le déjà fameux « Louden Up Now », une claque disco-post-punk qui ne cesse de tourner sur nos platines. Pour beaucoup de fans de musique, le concert des ! ! ! était donc l'affaire du jour, le truc à voir pour le croire, le must absolu qu'il ne fallait pas rater sous peine de passer pour un idiot. Ils sont sept, et s'agitent dans tous les sens. Nic Offer, le chanteur, harangue la foule tel un Axl Rose de la cause trash-dance (pardonnez-moi cette comparaison stupide). Tels des diablotins sortis de leur boîte multicolore, ces types portent décidément bien leur nom : « ! ! ! », c'est la réaction du quidam qui pour la première fois se prend cette musique en pleine tronche. Démentielle, groovy à mort : on n'avait plus dansé comme ça (= avec le sourire, les bras en l'air et le cul parcouru de spasmes) depuis le dernier Radio 4. Le set débute par « Pardon My Freedom », le single qui tue. Les premiers rangs s'extasient. La machine tourne à plein régime, même si le son reste brouillon, en cause trop d'instruments (batterie, basse, guitares, percus, cuivres, séquenceur) et de folie – ces types n'ont pas peur de partir en vrille, et c'est ça qui rend leur musique essentielle. « They don't give a fuck » : une philosophie qui sied bien à l'ambiance nonchalante de Dour, à son public détendu, venu ici pour faire la fête pendant quatre jours, voire perdre la tête. Et ça continue : « Hello, Is This Thing On ? », « Shit Scheisse Merde », « Me and Giuliani… »,… John Pugh, le batteur, se joint au chant, tandis que derrière les autres se contorsionnent. « Tell the FBI put me on the list/coz Lennon wasn't this dangerous » : ces mecs font peur tellement leur son est bon. Ovation, délire. Comme le dit le dicton : ‘Si tu ne danses pas sur ! ! !, c'est que t'es mort’. Ajoutez donc ce disque sur votre liste de fin d'année, parce que c'est déjà un classique.
Après ça, difficile de croire qu'en ce jeudi estival, on verra à Dour d'autres concerts encore meilleurs... Surtout qu'il est 21h, et que les premiers DJ-sets débutent un peu partout : Matthew Herbert (un set plutôt house, plutôt mou), Richard X (comme prévu, électro eighties),…
Puis ce sont les Audiobullys et leur « hooligan house » : efficace mais répétitif, en fin de compte anecdotique. D'autant que les deux Anglais n'auront même pas joué leur tube « We Don't Care », une grosse déception. Autre constatation : l'utilisation pour un rap du « Rocker » d'Alter Ego, sans doute le morceau techno le plus mixé de ce festival (avec le « Drop The Pressure » de Mylo). Les 2 Many DJ's, Magnus, James Murphy,… : tous les ont insérés dans leur mix, hymnes de l'été oblige…
Et il fait chaud à Dour, surtout dans les tentes : tandis que Dr. Lektroluv nous refait le coup du Fantômas EBM (masque vert, lunettes noires), une autre surprise nous attend à la Petite Maison dans la Prairie : le duo Dead Combo. Des types de Scandinavie, signés sur Output (Playgroup, The Rapture, Colder, Blackstrobe,…), et qui se prennent pour Suicide : perfecto noir, morgue rock'n'roll, l'un au synthé et au chant, l'autre à la guitare… C'est drôle un moment, mais très vite ça lasse.
Pareil pour Vitalic, qui s'il est l'auteur du fameux « La Rock 01 » (tube techno impitoyable), n'est pas à l'abri de la 'beaufitude' de type « Apaches à La Bush, un vendredi soir dans le Tournaisis ». Traduction : avec l'Ukrainien ça tabasse, mais c'est tout sauf subtil.
Mieux vaut aller jeter un coup d'œil (et de hanche) au set de James Murphy, Mr. LCD Soundsystem, moitié de la paire DFA, à qui on doit le son à la fois groovy et punky de Radio 4 et de The Rapture. Avant son mix avec les 2 Many DJ's samedi, l'Américain s'est donc fendu de deux heures de pousse-disques éclectiques, à défaut d'être fédératrices. C'est qu'il n'y avait pas grand monde pour apprécier les talents d'un des DJs les plus branchés du circuit : dommage, parce que Murphy a le mérite de proposer des mixes fourre-tout et jouissifs, loin des canons du genre (pouet pouet).
A croire que les festivaliers préféraient voir Ghinzu… Un bon concert, paraît-il. On les a déjà vus (cfr reviews AB et Nuits Bota). On les verra encore. Et puis le jeudi à Dour, c'est fait pour danser, non ?