L’invité surprise de cette édition 2013 restera indiscutablement le soleil de plomb cognant sur le site de ses 40 degrés. Une chaleur caniculaire invitant à la sieste et au farniente. Fort heureusement, l’île richement boisée nous réserve une multitude de zones d’ombres et de repos. Zones sur lesquelles les szitizens profitent de moments de pause indispensables avant d’affronter les parterres des scènes où le soleil darde sans répit ses rayons. Une solution ingénieuse avait été trouvée par les organisateurs pour lutter contre cette vague de chaleur infernale sur les deux Main Stage (pop-rock et world). Une solution consistant à tirer des tubes de refroidissement de la régie jusqu’à la scène projetant de la vapeur d’eau qui retombe sur le public pour rendre l’atmosphère plus supportable. Par contre, les chapiteaux, transformés en vivarium pendant la journée, étaient à la limite du fréquentable.
Le soir tombé, les festivaliers, passant d’un podium à l’autre, profiteront de la fraîcheur de l’île pour se perdre sur les chemins et allées sur lesquels ils croiseront des créatures et des personnages sortis d’univers improbables. Pas le temps de laisser respirer ses sens. Moment où ils tomberont nez-à-nez avec les troupes du Théâtre de Rue Géant venues d’Australie, d’Inde, de Chine, d’Europe ou d’ailleurs. Lesquelles mettront en scène des productions interactives monumentales et émouvantes. La nuit tombée, les rues d’Óbuda se transforment alors en un monde parallèle et passent dans une réalité alternative, étrange et poétique. Le monde du théâtre envahit l’espace et sublime l’ordinaire.
Autre acteur majeur et féérique de cette vingtième édition : la lumière ! Omniprésente, celle-ci occupe 20 hectares de forêt et se transforme en art. Lampions, arbres illuminés, le Disco Park et le Freak Park éclairent la nature avec des lumières d’ambiance, des stroboscopes et des machines à fumée créant une atmosphère fantastique en plein milieu de la forêt. Le Luminarum, le Tarot Labyrinth, le Cökxpon, la rue des Lampions et les théâtres de rue offrent au Sziget une ambiance unique. Un vrai régal pour les yeux !
Démonstration en image : http://www.youtube.com/watch?v=GsL_GX1kOOw#at=67
Toute une mise en scène extraordinaire qui en ferait presque oublier l’essentiel, la musique. Témoignage de l’éclectisme du festival : nous commençons la journée par Regina Spektor et l’achevons par une séquence de clowns, après le concert de Bad Religion.
La chanteuse américaine Regina Spektor est née à Moscou et réside à New-York. La bande sonore de « 500 Days Of Summer » lui a servi de tremplin pour se faire connaître dans le monde entier. Son engagement au sein d’organisations militant pour les droits des gays, lesbiennes ou transsexuels ainsi que sa prise de position en faveur du Tibet et sa défense de causes diverses lui confèrent forcément un statut d’artiste clairement engagée. Une licence et une aisance qui lui permettent de faire à peu près ce qu’elle veut sans perdre de son flegme. Son concert sera correct. Sans plus. Á vaincre sans péril, on triomphe sans gloire. Parfait pour sonoriser un bon repas et passer un agréable moment à table.
Dizzee Rascal nous a plongés dans un moment de folie. Son mélange de hip-hop, UK garage, R’n’B et de tout ce qu’il faut pour que le public s’abandonne corps et âme dans la chaleur ardente et étouffante, a fait sensation. Quelle ferveur ! Oubliées les températures torrides… Tout baigne dans l’huile effervescente. L’assistance vibre aux accents du chanteur londonien. Sans rien qui pose ou se soucie de l’apparence. Les festivaliers sont uniquement là pour faire la fête et le reste s’efface.
Ska-P. Qu’en est-il de Ska-P? Existe-t-il seulement encore? Il nous en reste de vagues souvenirs adolescents. Un groupe anarchiste qui s’est battu sur tous les fronts et a vécu son heure de gloire. Et puis s’est estompé ou effacé de la mémoire. Nous ignorons tout de son succès en Europe. Une scène principale et un horaire préférentiel, celui de la plus haute audience, dans le festival sans doute le plus prestigieux d’Europe, ce n’est pas donné au commun des mortels. Leur succès, ils le doivent à l’Italie et à l’Europe Centrale. Ils y sont bien plus connus que dans leur propre pays. Quelque chose comme une version espagnole de Mireille Mathieu ou de Charles Aznavour en son temps. Il ne manquait plus que ça. Son concert m’a fait une impression étrange et paradoxale de souvenirs d’adolescence transférés au présent en un lieu improbable, hors contexte, côtoyant un public totalement étranger à ce passé. Bref, pour des festivaliers venus essentiellement participer à la fête, les moments consacrés à la parole et à la sensibilisation politique…, quel ennui ! Sans compter une pointe de provocation gratuite et du plus mauvais goût qui n’a pas manqué d’offusquer une partie de l’audience, contrairement à d’autres styles musicaux apparemment plus éclairés et plus révolutionnaires. Passons !
Même les plus âgés des ‘locaux’ ne se souviennent pas d’avoir assisté à une représentation de Rachid Taha. Serein, l’Algérien peut encore squatter dignement les planches pendant 90 minutes et livrer un concert plus que correct, soutenu, il est vrai, par un groupe qui lui épargne bien de faux pas pendant la durée du show. Armé d’un répertoire plus proche du rock que par le passé mais non exempt du raï de ses racines algériennes et méditerranéennes et d’un luthier spectaculaire, il parvient à faire danser le public sur les accents orientaux de son Rock El Casbah.
Et pour clore la soirée, Bad Religion. Un groupe de légende. La mémoire vive et vivante du punk. L’un des concerts les plus attendus de la journée. Puissant, spectaculaire, le combo a livré un concert sans fausse note et n’a pas démérité. C’était clean. Le son était parfait, la mise en scène soignée et techniquement irréprochable. Mais… est-ce vraiment ce que l’on attend d’un concert punk ? Chacun se fera son opinion.
Cependant, deux prestations ont tout naturellement attiré notre attention : le stoner rock des Anversois de Triggerfinger dont les échos ont été majoritairement positifs (un concert qui, malheureusement, se déroulait en même temps que celui de Regina Spektor) et la pop éthérée des délicieux Courtraisiens de Balthazar. Ces derniers se produisaient sous une Party Arena noire de monde où de nombreux drapeaux noir/jaune/rouge témoignaient de la présence massive de Belges sur le site. Une pop de très haute voltige, balisée par des harmonies vocales d’une limpide luminosité qui extasie le public. Tous les éléments concourent, convergent pour créer une symbiose extatique. Et la nature elle-même s’en mêle : les éclairs glissant sur la toile, mêlés, mixés à la musique et à la voix du groupe électrisent la foule. Une ambiance irréelle, sur le fil létal de la haute fréquence. Tout juste sublime : à la limite vertigineuse de l’extase, sur la ligne de clivage hautement improbable du beau et du terrible. Un grand frisson qui nous parcourt encore l’échine.
L’île de la Liberté : un excellent tremplin pour projeter ces deux groupes sur les scènes internationales.
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