Au début, rien ne laissait présager que la pluie, elle aussi, se mêlerait à la foule pour pimenter la fête. Non, rien de rien. Jour radieux. Ciel bleu éclatant. Pas l’ombre d’un nuage à l’horizon. Un soleil au beau fixe faisait grimper de nouveau le mercure qui affichait allégrement des températures supérieures à 35°C. C’est donc en toute sérénité que nous regagnons l’île, l’appétit en éveil. La programmation prestigieuse du 3ème jour nous met l’eau à la bouche. Nous nous frottons les mains d’avance. Le jour s’annonce gros de surprises. Carpe diem.
Et, pour commencer la journée en beauté, rien de tel que Skip & Die, le groupe sud-africain et néerlandais, fruit de la rencontre entre la chanteuse et vidéo-plasticienne sud-africaine Cata.Pirata et le musicien/arrangeur/producteur néerlandais Jori Collignon. Globetrotteuse notoire, Cata.Pirata a parcouru une bonne moitié du monde et séjourné dans de nombreux pays. Mêlant avec virtuosité electronica, rythmes tribaux et tropicalisme, la musique iconoclaste du groupe brise définitivement les frontières et transcende les étiquettes. Facile, dès lors, pour le combo de se produire sur les scènes de festivals aussi différents que Sonar, Pirineos Sur ou la prestigieuse A38 du Sziget devant un public conquis d’avance, dansant dans la lumière tellurique du son, transpirant le bonheur et suant sans complexe.
Et puis, pour prendre son pied, !!! devrait nous combler sur la grande scène. Quoi de mieux, franchement, … pour se remuer le derge ? Pour y parvenir, Nic Offer et ses comparses sont uniques, inégalables. Ses disques ne sont pas vraiment ma tasse de thé, mais, sur les planches, ça déchire. Généreux de sa personne, Nic ne s’épargne pas, descend dans la fosse, parmi le public pour le bonheur des photographes venus en nombre, tord son t-shirt mouillé, boit sa propre sueur. Santé Nic ! Ici rien ne se perd. Pas étonnant que le chanteur ait fait ses débuts dans le hardcore, car son attitude reste, somme toute, dans la même veine. En 2007, le combo était le grand hype de l’été. Tous les festivals du monde se l’arrachaient. A présent, !!! continue de s’y produire régulièrement. Il est sans doute meilleur qu’en 2007. Mais le vent a tourné.
Petit tour sous la chaleur étouffante du chapiteau ‘A38’. Les 40°C ne nous découragent pas d'aller voir et écouter Dry The River. Il confirme tout le bien que l'on pensait de son LP "Shallow bed". Le set est très varié. Le public n'est pas encore très nombreux mais applaudit... chaudement.
Quant à Seeed, il se place en tête des affiches de nombreux festivals. Pourtant, je le connais à peine. Le groupe de Reggae/Ragga (Dancehall / Dub) berlinois créé en 1998, nous déboussole un peu. Ses orientations musicales sont diverses, il mêle l’allemand à l’anglais dans ses textes et utilise des instruments comme le trombone ou le saxophone, qui sont en quelque sorte sa griffe musicale. Son expression sonore baigne au sein d’un univers hautement improbable, fait de hip-hop, rap, ska ou reggae que j'ai du mal à saisir ou dont j’ignore les clés. Pourtant, manifestement, la foule semble conquise et de nombreux fans squattent les premiers rangs. Il est vrai que le combo jouit d’une grande popularité en Allemagne.
Calexico était sans conteste l'un des grands moments de ce festival. Ou comment un groupe qui est heureux de jouer (leurs sourires et leur charisme en témoignent) se conjugue et s’harmonise parfaitement avec l'ambiance décontractée, bon enfant et les good vibes de la scène World. Encore un cas particulier. Leur musique, subtil dosage de rock, de blues, de jazz, de country et de mariachi, est indéfinissable. Loin des clichés du rock. Dès les premières notes, l’oreille est séduite, conquise par leur harmonie. Est-ce du rock encore que l’on entend ? Un rock soft s’il en est. Inclassable ! Il n’y a guère longtemps, graver, être produit ou simplement s’inspirer du son du groupe de Joey Burns et John Covertino, était un gage de qualité, un label de prestige. La presse était unanime. Même le « How It Ends » de DeVotchKa a été salué par la presse musicale comme l’album que Calexico aurait toujours voulu concocter. Mais le temps passe et, après l’orage, le ruissellement dépose des sédiments propices à des cultures nouvelles et peut-être plus riches. C’est sans doute dans cette perspective qu’il faut considérer la collaboration de Jairo Zavala. Le combo de Tucson et le guitariste espagnol se complètent à merveille, gagnent en maturité, atteignent leur apogée. Un concert agréable où l’on s’est délecté de chansons telles que « Minas de Cobre » ou encore de leur adaptation originale d’« Alone Again Or », une compo signée par l’inoubliable et jamais assez loué Love. Un concert parfait pour entamer le crépuscule.
La nuit est lourde de menaces. L’organisation du festival annonce l’arrivée de violents orages sur le site. Pas de quoi inquiéter ou décourager les nombreux fans d’Emir Kusturica and The No Smoking Orchestra. Le combo du génie multidisciplinaire né à Sarajevo a comblé, semble-t-il, les festivaliers. Sa prestation vertigineuse et virtuose a été à la hauteur des attentes du public. Tous ses grands succès ont répondu présent, tout comme les répliques pleines d’humour entre membres du groupe et les boutades. A plusieurs reprises, Emir invite de nombreuses jeunes filles du public sur le podium, invente avec elles des chorégraphies insensées. Ses musiciens rentrent aussi dans les délires d'impro qui fusent dans tous les sens (à l'image des bandes sons des films). Un vrai régal plein d’humour improvisé. Un état de grâce permanent. Le genre de moment à ne pas manquer au Sziget. Après le concert, Emir s’est même prêté à une conférence de presse au cours de laquelle il n’a pas manqué de répondre à chaque question posée. Il semblait cependant accuser une certaine fatigue, due probablement aux incessantes sollicitations propres aux stars de cette pointure.
Ces échos me parviennent de festivaliers enthousiastes, car Blur se produisait à la même heure. L’un d’entre eux me glisse : ‘Soyons sérieux, entre quelqu’un qui a joué au foot avec Dieu et quelqu’un qui ne l’a jamais fait, lequel choisirais-tu ?’ Voire. Votre serviteur, en tout cas, j’avais opté pour Blur.
Soulignons en passant cette faille dans le line-up sur lequel était programmé à la même heure : Blur, Emir Kusturica & The No Smoking Orchestra et Peter Bjorn & John. Dommage !
Blur devait certainement être le groupe le plus attendu sur la Pop-Rock Main Stage. On aurait pu s’attendre à voir un Damon Albarn éteint radotant sur des vieux titres usés par le temps. Pas le moins du monde. Bien au contraire, les légendes britpop n’ont pas tardé à bouter le feu au site. Toujours habité d’une énergie démentielle et d’une joie de jouer communicative, le quatuor londonien a magistralement distribué les notes pour son premier concert en Hongrie. La folie du leader charismatique demeure décidément contagieuse, ses performances face au public toujours en lisière de front stage (ou dans la fosse) comme s’il le provoquait sans cesse et l’invitait à le suivre dans sa démence rageuse font mouche. Une fausse arrogance qui fonctionne car le musicien anglais mouille son maillot et se défonce pendant tout le set. Une débauche d’énergie incroyable qui plait infailliblement au public. Ce phénomène de scène possède l’incroyable don de faire corps avec son auditoire et, une fois de plus, descendra dans l’arène pour chanter une chanson entière. Il aime son public et celui-ci le lui rend bien.
21h30, Albarn rentre sur scène, le poing tendu vers le ciel, en vociférant ‘first time’, suggérant que vous n’allez pas regretter sa première apparition en Hongrie. Clope au bec, short moulant et foulard rouge, Alex James donne le ton sur le tubesque « Girls & Boys ». Une ouverture habituelle qui fonctionne toujours à merveille et secoue d’emblée la foule.
Visage rouge brûlé par le soleil, Albarn pulvérise de l’eau sur les premier rangs avant d’entamer « There's No Other Way » et d’enchaîner par « Beetlebum », moment où il attrape sa guitare acoustique et vient frapper les drums à l’aide de ses pieds. Une vraie pile électrique, un gamin increvable.
Alors que le vent se lève et que la chaleur retombe, le public s’échaude crescendo sur « Trimm Trabb » chanté au parlophone. C’est au tour du guitariste Graham Coxon de faire le show et de prendre le micro sur « Coffee And TV ». Morceau durant lequel Albarn sautille sur scène armé de sa gratte acoustique et se lance dans une danse atypique en compagnie des choristes. Pas un moment de répit. Après « Tender » et « To The End » soutenus par une section de cuivres, le chanteur hyperactif rôde autour de la fosse, serre des mains et balance « Country House » avant de sauter par-dessus les barrières et continuer la fête dans la foule.
Le groupe termine le concert par « Parklife » et « End Of A Century ». Sans attendre, le leader revient sur l’estrade pour une interprétation solo de « Happy Birthday », joli clin d’œil destiné à un membre du staff du groupe. Rapidement rejoint sur le podium par ses camarades de jeu, Blur achève ce mémorable show par un généreux quadruple rappel : « Under The Westway », « For Tomorrow », moment où, subitement, Albarn s’arrête et scrute le nombre impressionnant de drapeaux témoignant de l’étonnante variété humaine qui se déploie, ici et maintenant, sur l’île de la Liberté. Un bel échantillon d’humanité. Le monde entier est là présent. Alors, le chanteur s’exlame, émerveillé: ‘There's a lot of people from a lot of different countries out there. That's a very positive thing’. Et il conclut logiquement par « The Universal » et « Song 2 ».
Dehors, les vents se déchaînent. La pluie est imminente. Impossible de rejoindre l’A38 où se produit Woodkid. Il est temps de se mettre à l’abri. Fin du marathon.
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