Pour la troisième année consécutive, votre serviteur avait choisi de couvrir le ‘Roots & Roses’, festival convivial, dont les concerts se déroulent sous deux chapiteaux. Heureusement, car à cette époque de l’année, le temps peut rapidement se dégrader. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit en fin d’après-midi…
Nous débarquons à 16 heures pile, soit juste au moment où Rusty Roots entame son set. Il revenait à la formation belge de remplacer The Excitements, qui avait déclaré forfait, suite au décès de la maman du leader. Le quatuor limbourgeois vient d’enregistrer son quatrième opus, sous la houlette du drummer de Triggerfinger, Mario Goossens. Et compte déjà plus de 10 années d’existence. Sur les planches, on se rend compte que les musicos sont de bons instrumentistes. Mais hormis le chanteur/guitariste, ils manquent manifestement de charisme. Un vocaliste dont la voix fait immédiatement penser à John Forgety de Creedence Clearwater Revival. Musicalement, leurs compos baignent dans un blues/rock légèrement teinté de pop. Et le band de bénéficier d’une audience record, puisque dehors, l’orage fait rage (?!?!), libérant des vannes d’eau tout au long de leur set. Une aubaine, puisque personne (ou presque) n’a eu envie de vider les lieux avant la fin de leur prestation, final au cours duquel, une choriste viendra poser timidement sa voix...
En sortant du chapiteau, la pluie a cessé, mais le site est gorgé d’eau. Et au fil des heures, il va devenir de plus en plus boueux. Pas encore comme le célèbre cloaque de Dour, mais s’il encaissait une seconde averse, c’était le marécage. Davantage dans l’esprit du swamp que du grunge, même si les plus proches crocodiles étaient quand même recensés à un peu plus de 20 km.
Place ensuite à Dream Syndicate, que Steve Wynn a eu le bon goût de reformer. Au départ pour se produire ponctuellement, et en particulier, au cours du mois de décembre 2013, dans le cadre de 3 concerts réunissant des figures de proue du mouvement Paisley Underground, dont The Rain Parade, The Bangles et Three o’Clock. Puis la mayonnaise a repris, et le quatuor s’est lancé dans une tournée mondiale. Très électrique, le set m’a néanmoins paru manqué de constance. D’abord, ce sont les compos les plus mélodieuses qui ont vraiment fait la différence. Car si je suis friand d’envolées psychédéliques, je les apprécie beaucoup moins lorsqu’elles massacrent les tympans. Et lorsque les boules-Quiès s’imposent, il faut alors reconnaître que le mélomane perd les tonalités les plus aigues et surtout les plus les subtiles. Et pas seulement parce que le band californien nous réserve quelques morceaux plus garage/punk. En fin de parcours, le combo immortalise un surprenant arrêt sur image qui va se prolonger une bonne minute, avant qu’il ne reprenne le fil du concert. Il va également adresser un clin d’œil au « Who do you love » de Bo Diddley, en insérant ce thème au beau milieu d’une des dernières compos…
Fred Lani a donc reformé ses Healers, même si sa section rythmique implique deux nouveaux musicos. Il sont tous les trois de noir vêtus, même si le bassiste, chauve (NDR : ou la tête rasée, si vous préférez) porte une curieuse chemise, sous sa veste (NDR : qu’il enlèvera au milieu du set), dont les motifs affichent des roses et des têtes de mort. Pourquoi pas ? Non seulement Fred possède une technique irréprochable, mais les notes qu’il dispense libèrent un fantastique feeling. Et à la slide, il maîtrise parfaitement son sujet. Après quelques minutes, je ne peux m’empêcher de penser au légendaire Rory Gallagher, disparu en 1995. Peut-être même de sa période Taste. La setlist privilégie les morceaux du dernier elpee de Fred & The Healers, au titre alambiqué « Hammerbeatmatic », dont le fameux « Roots & Roses », composé pour le festival. Une chanson au cours de laquelle Fred fait participer le public en lui demandant de reprendre en chœur le refrain, de taper dans les mains ou carrément de pogoter. Lors de « Lover's boogie », inévitable boogie, il démontre qu’il a tout appris de John Lee Hooker. Probablement le meilleur concert du festival, même si je regretterai une nouvelle fois cette démesure dans le son, qui finalement ne sert pas le groupe.
Fallait les voir ! Ils sont neuf sur les planches, la plupart arborant un collier de gris-gris autour du cou, dont un claviériste (au Hammond ?), un guitariste, un bassiste, un percussionniste, un drummer qui ressemble étrangement à Robert Wyatt, et une section de 3 cuivres qui ont endossé une cape plutôt kitsch. Et puis King Khan, qui après une intro dispensée par son backing group, débarque coiffé d’un chapeau de plumes aztèque (NDR : ou maya ?) Il a également revêtu une cape qui laisse apparaître un bedon et puis surtout un tatouage de serpent sur la poitrine. Il se sert également régulièrement d’une six cordes ; mais c’est surtout sa voix et son show qui impressionnent. Une voix qui campe un hybride entre BB King et James Brown, et qu’il ponctue régulièrement petits cris perçants. Le set démarre sur les chapeaux de roue et le public se délecte des frasques de Khan. Qu’elles soient gestuelles ou orales. Parfois, il me fait penser à Screamin’ Jay Hawkins. En plus dérangé, c’est dire ! Le collectif a l’air de bien se marrer, et la foule semble apprécier le spectacle, puisqu’elle se met à réagir et même à danser sur ce mélange de r&b, de funk et de garage, opéré dans un esprit autant vaudou que burlesque. Mais sur l’estrade, c’est carrément le bordel. Tant chorégraphiquement (?!?!) que musicalement. Le guitariste décide de sauter dans la foule et manque de se prendre une pelle magistrale. Et le claviériste va même monter sur les haut-parleurs ! Ben manifestement, les musicos n’ont pas bu de l’eau bénite avant leur prestation. Ce qui ne va pas empêcher King Khan & The Shrines d’aller jusqu’au bout de son parcours et même de se voir réclamer un rappel. Le boss revient alors en calebar, mais a pris soin de remettre sa coiffe. Un peu de décence quand même… Un grand moment de spectacle, assurément, mais pour la musique…
Pokey Lafarge, c’est le nouveau protégé de Jack White. Vêtu d’un costard trois pièces, il reflète l’image de sa musique très années 30. Il est soutenu par un backing group constitué de véritables virtuoses. Un guitariste à la dextérité impressionnante qui n’hésite pas à jouer en surf et un percussionniste au matos minimaliste (une caisse claire, deux mini-cymbales et une cloche), également préposé à l’harmonica (un souffleur exceptionnel !) et à la planche à lessiver. Ces deux personnages très filmiques, coiffés de superbes chapeaux de cow-boys, auraient d’ailleurs pu figurer dans un épisode de ‘La petite maison de la prairie’. Puis un contrebassiste, un trompettiste, tiré à quatre épingles, une casquette vissée sur la tête, qui joue à l’aide d’une sourdine, et une clarinettiste/saxophoniste de petite taille, une fleur plantée dans les cheveux et vêtue d’une longue robe aux motifs colorés. Leur mélange de western swing, de folk, de country, de jump blues, de be-bop et de dixieland tient parfaitement la route. Et on se rend compte que le problème de son ne provient pas de la table de mixage, mais bien des artistes qui ne parviennent pas à s’adapter aux conditions du ‘live’. Car pour Pokey Lafarge et sa troupe, il est vraiment nickel. Pokey possède une très belle voix, légèrement chevrotante, versatile, un peu comme Jeff Buckley, mais sans en avoir l’amplitude. Et au cours de ce show particulièrement agréable à écouter, même si un peu trop à la mode ‘vintage’, Dom Flemons va venir rejoindre la troupe sur l’estrade pour y jouer des claves.
Nous étions quand même curieux de voir ce qu’un groupe constitué de vétérans comme les Sonics avait encore dans le ventre. Il ne faut pas oublier que fondée en 1960, la formation compte trois membres originels dont l’âge doit approcher les 70 balais ! Dont le claviériste Gerry Roslie, le saxophoniste Rob Lind et le guitariste Larry Parypa. Qui assurent également le chant à tour de rôle. Et les deux autres musicos ne dénotent certainement pas dans l’ensemble, puisque présent au sein du line up depuis 2012, le drummer Dusty Watson a notamment milité au sein du backing group de Dick Dale, alors que le bassiste Freddie Dennis, a sévi chez Freddie and The Screamers et les Kingsmen. Ce dernier participe également aux vocaux. Il possède d’ailleurs une voix impressionnante, qui évoque à la fois Little Richard, dont le combo reprend l’un ou l’autre titre, et Jello Biafra (Dead Kennedys). Et ce quintet d’hommes aux cheveux gris a toujours la pêche. Bien sûr, les membres ne bougent plus tellement sur les planches. Mais leur musique est puissante et sauvage, sans pour autant casser les tympans. Leur setlist va alterner ancien répertoire, reprises (dont celle du « Louie Louie » de Richard Berry, popularisée –tiens tiens– par les Kingsmen en 1955 !) et nouvelles compos. Finalement, il faut féliciter les organisateurs d’être parvenus à programmer une telle légende, toujours vivante, mais pour combien de temps encore… Je comprends mieux aujourd’hui pourquoi Jack White, Rudi Protudi (Fuzztones), Peter Zaremba (Fleshtones), Joss Homme (Eagles of Death Metal), Nicholaus Arson (The Hives) et bien d’autres sans oublier les défunts Kurt Cobain, Lux Interior (The Cramps) et Seve Bators (Dead Boys) considèrent ou considéraient les Sonics comme une influence majeure…
(Organisation Roots & Roses)
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