Pas vraiment de tête d’affiche au Grand Salon du Botanique ce mardi soir. Deux configurations à l’identique, piano (jardin) et cordes (cour) plantés au centre d’un décor sobre illuminé de lumières blanches mettant en relief les deux colonnes de pierre du salon. Un écrin douillet en configuration assise confrontant toutefois deux univers différents. Tout d’abord, celui du duo danois rigoureux de Broken Twin, entre mélancolie et colère. Ensuite, celui du duo français emmené par le charme délicieusement moqueur d’Emily Loizeau.
La chaleur anormalement élevée s’est glissée subrepticement dans toutes les salles du Botanique. 26° C au thermomètre. Température idéale pour plonger dans l’océan polaire et hautement mélancolique des deux jeunes Scandinaves. Une transition thermique rondement menée par la talentueuse chanteuse/pianiste Majke Voss Romme accompagnée de son impassible Broken Twin au violon, Nils Gröndahl.
Inconnues du grand public, ces deux jeunes femmes d’à peine 25 ans ont déjà assuré les premières parties de l’excellent groupe britannique Daughter, en 2013, et font déjà partie des rares privilégiés (premiers artistes scandinaves) à rejoindre les rangs du prestigieux label ANTI- (Beth Orton, Tom Waits, Wilco).
Et, dès les premières notes de « Sun Has Gone », en ouverture, un microclimat s’installe : froideur et spleen profond. Les deux virtuoses nous confirment très vite qu’elles ne sont pas venues à Bruxelles pour plaisanter : une voix magnifique, des compositions habitées, un univers d’une mélancolie abyssale fidèle à la musique scandinave contemporaine. Une chanteuse du crépuscule dans la lignée danoise d’Agnes Obel et de Mi & L’Au qui vire au cauchemar et à l’angoisse sur « In Dreams ». Quelques pizzicati crispants en guise d’entrée, des murmures menaçants dans un parlophone évoquant des hurlements issus d’une forêt lointaine, ce sont les rêves crispants dont se berce Majke Voss Romme.
Ensuite, la tension redescend sur « River Raining », un morceau sur lequel les deux musiciennes s’échangent les instruments. Nils passe sagement au piano et Majke prend la guitare électrique pour nous offrir un nébuleux pop-folk venu du Nord.
Hormis quelques ‘shuuut’ épars, le public est cloué par cette poésie venue d’ailleurs. Une poésie mélancolique mettant en scène deux enfants saisis d’un désespoir tranquille, perdus dans l’immensité d’un monde anxiogène.
Une sublime collection de chansons minimalistes et intimistes sans âge à découvrir sur leur premier album « May ».
Extrait : http://youtu.be/cNemKX1jF88
Changement de décor et d’atmosphère pour la nouvelle création acoustique d’Emily Loizeau. Un concert intimiste composé de 24 plages issues de ses trois albums configuré autour de son piano, sa voix pétillante, sa poésie originale, son humour noir contagieux et du stupéfiant violoncelle d’Olivier Koundouno. Un répertoire réorchestré, présenté dans un contexte de musique de chambre lui conférant une toute autre dimension. Tout un programme !
Un show complet entre rires et larmes qui voyage dans le temps et dans l’espace.
Il a suffi de trois morceaux pour que le piano cède sur « London Town ». Pas besoin de backliner, l’artisan accordeur Loizeau le répare seule en toute décontraction. Déconcertant ! S’emparant naturellement de l’incident pour entrer dans un long dialogue avec son public et se lancer dans une savoureuse improvisation pleine d’humour. Un humour irrésistible et une autodérision qui chauffe rapidement la salle. Accords et désaccords aussitôt réparés, l’artiste française se lance et relance « London Town » et « Coconut Madam ». Deux morceaux jazz blues endiablés sur un piano désaccordé qui ne sont pas sans rappeler les cafés concerts de la belle époque ou encore les music-halls des années folles.
Un spectacle qui joue avec les sentiments des spectateurs et échoue sans alerte sur la profonde tristesse de « Cet Enfant » ou, assise sur l’avant-scène, sur le folk mélancolique de « In Our Dreams », proche de l’univers de Moriarty ou Herman Düne.
Trêve de mélancolie, la chanteuse française, constamment en interaction avec son public, change de costume et se lance dans un vrai jeu d’acteur et de conteur sur la surprenante reprise de « Gigi L’Amoroso » de Dalida. Une cover qu’elle vit intensément, face à un public qui ne reste pas de marbre.
Emily Loizeau possède un talent indéniable pour composer au piano de belles chansons françaises (ou anglaises) et écrire des textes bien troussés. Exercice qu’elle illustre à la perfection en affichant une douce excentricité sur « Boby Chéri » et « Je ne sais pas choisir ». Deux titres dignes d’un grand Thomas Fersen !
Une heure trente et trois rappels plus tard, l’artiste protéiforme rend un hommage musical (« Assum Blanco »), à l’actrice-chanteuse-poétesse brésilienne Renata Rosa avec laquelle elle prépare une tournée au Brésil et clôture son spectacle par ces simples mots : ‘Je pars à l’autre bout du monde…’
Bon voyage l’artiste !
Eric Ferrante
Extrait : http://youtu.be/vUUe788wnAo
(Organisation : Botanique)
Emily Loizeau + Broken Twin
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Triple affiche alléchante ce mardi soir sous le Chapiteau trônant fièrement dans les jardins du Bota… Une soirée placée sous un simple moto qui aurait pu faire un beau titre pour une production spaghetti de Sergio Leone : ‘La Découverte, La Confirmation et Le Retour…’
La Découverte : Moodoïd. Il revenait donc à cette jeune formation française, drivée par Pablo Padovani (guitariste de Melody’s Echo Chamber et fils du jazzman Jean-Paul Padovani), de fouler en premier lieu, les planches du chapiteau. Elle est venue défendre son premier Ep qui s’ouvre par l’élégant single psyché « Je Suis la Montagne ». Bien entendu, vu l’heure et la température estivale qui règne à l’extérieur, l’assistance est plus que clairsemée. Bref, il y a peu de monde pour découvrir les compositions alambiquées du quatuor parisien. Pour entretenir un certain mystère, Pablo s’est maquillé d’un masque étoilé. Mais il a surtout de la chance d’être soutenu par trois charmantes demoiselles. Clémence Lasme aux drums, et puis deux Lucie, Droga aux claviers et Antunes à la basse. Il éprouve parfois des difficultés à assurer sa voix sur les parties instrumentales, pourtant efficaces, rappelant l’univers vaporeux de Connan Mockasin, mais en plus rock et moins sensuel. Mais en y réfléchissant un peu, c’est plutôt du côté de Tame Impala qu’il faudrait aller chercher, les références. Une intéressante découverte qui me laisse toutefois un peu sur ma faim…
La Confirmation : François & The Atlas Mountains. Plus la peine de revenir sur le succès critique récolté par la bande hexagonale depuis la sortie de son second album, « Piano Ombre », il y a quelques semaines… Mais c’est un public, déjà plus conséquent, qui accueille la troupe, deux ans après leur passage, aux mêmes Nuits, dans la plus intimiste Rotonde. Dès les premières notes, le ton est donné : le set sera énergique, intense et dansant ! Le groupe puise parmi les plus belles pépites de son répertoire qu’il chante tantôt dans la langue de Shakespeare, tantôt dans celle de Molière. Outre la présence de singles en puissance (« La Vérité »), certaines compos bénéficient d’envolées ‘africanisantes’. François & The Atlas Mountains incarnerait une sorte de Vampire Weekend qui afficherait sans honte son faible pour la variété française tout en assouvissant son appétit à propager des salves indie-rock très susceptibles de virer au psychédélisme. Annoncé légèrement dépressif, François Marry semble avoir remonté la pente et manifeste beaucoup de dynamisme à côté de ses Atlas Mountains qui, eux, prouvent et confirment à nouveau leur réputation, leur talent et leur parfaite cohésion ! Une évidente confirmation qui me le laisse rêveur quant au potentiel futur du groupe…
Le Retour : Hercules & The Love Affair. Après avoir pondu un 1er elpee éponyme, en 2008, disque qui leur avait permis de percer sur la scène new-yorkaise, la bande emmenée par l’iconique Andy Butler a ensuite traversé un long passage à vide, défaillance ponctuée par la publication d’un deuxième long playing plutôt décevant. Toujours aussi fantasque, le combo yankee nous revient sous un nouveau line up resserré entre les bidouilleurs Andy Butler et Mark Pistel ainsi que les deux vocalistes Gustaph et Rouge Mary. Gustaph est néanmoins belge, et son registre est proche de celui de Jimmy Somerville. Quant à Rouge, c’est un Ch’ti (et oui…) D’origine algérienne, ce personnage charismatique possède une voix profonde. La house d’Hercules est destinée à chauffer l’ambiance. Et ses beats sont capables de remuer les spectateurs les plus stoïques. Les choristes ainsi que le très Cousteau Butler (coiffé d’un bonnet rouge) se décarcassent pour faire danser d’auditoire et se donnent les moyens pour y parvenir, malgré une certaine monotonie de ton ! Le public se trémousse et en redemande ! On se croirait transporté dans un Club berlinois plutôt qu’au beau milieu de l’austère capitale européenne. Franchement euphorisant, le set d’Hercules prône l’amour et l’ouverture à un auditoire qui n’attendait que ces messages… Il fallait bien que la foule se réchauffe avant d’affronter le déluge qui s’est abattu sur Bruxelles, dès la fin du concert ! Un retour pimpant et mouillé qui m’a littéralement lessivé, avant d’entamer la rédaction de mon article…
(Organisation Botanique)
Taï
Hercules & the Love Affair + François & The Atlas Mountains + Moodoïd