Jour J, jour de final(e).
Retransmise dans la salle Aquarium réservée à cet effet, la grande messe du football n’allait en rien éclipser la prestation fantastique de Massive Attack, au sommet de son art.
Agrémentée d’une découverte merveilleuse, cette dernière journée va sonner la fin de cette neuvième édition de fort belle manière.
À l’heure des bilans, nouveau succès d’estime pour ces Ardentes encore et toujours grandissantes.
Et coup de chapeau spécial à l’organisation irréprochable de boue en boue.
Massive Attack en apothéose, c’est un peu comme un couscous royal après quatre jours à manger des tartines enduites de margarine.
Allemands et Argentins se chargeant à l’autre bout du monde de retarder l’heure du feu d’artifice, le public s’amasse sous un ciel bien plus clément qu’initialement prévu.
Une météo qui a eu la décence de nous épargner ce dimanche, choisissant la prestation la plus mièvre pour abattre quelques hallebardes sur des ponchos cirés.
La petite Banks dispose certainement d’un joli minois, d’un ventre plat et d’un organe vocal chaleureux, mais pour le reste, difficile de comprendre l’engouement autour de sa petite personne.
Proclamée étoile montante, son aura paraît bien faible, malgré la noirceur des cieux chargés de nuages, qui tout comme elle, pleurnichent dans un effort vain.
Maniérée, agaçante dans ces interventions du bout des lèvres colportant des messages ornés d’une tranche d’humanité (sans doute pour mieux faire passer la soupe populaire qu’elle nous sert), la jeune fille au regard triste semble plus absente que plongée dans ses états d’âme.
Finalement, le single « Warm Water » définit assez bien sa musique : soit une mélasse faussement chaudasse, dans laquelle elle s’embourbe avec une mine toute déconfite et une pathos de tragi comédienne débutante.
Soit à l’exact opposé du spectre émotionnel où par pur bonheur, quelques heures plus tôt, Benjamin Clementine nous a pris par la main.
Absolue révélation de ces Ardentes, millésime 2014, ce chanteur anglais d’origine ghanéenne possède pour tout bagage une voix divine et des doigts d’ivoire, qu’il appose ci et là sur des pianos de passage.
Pourtant, ce qui au départ amène à froncer les sourcils, à savoir une biographie courte relatant les énièmes pérégrinations d’un jeune étranger ayant quitté sa mère patrie anglaise pour tenter l’aventure dans les souterrains parisiens, où par chance, son extraordinaire talent lui a permis de subsister, s’avère être un simple accident de parcours.
Car bien loin des clichés misérabilistes et des contes de fées marketing, l’histoire vécue par ce Benjamin tient simplement de celle d’un homme. Un homme sachant raconter des histoires, en se penchant sur la sienne.
Propulsé dans les étoiles dès son décollage du tremplin des Trans Musicales de Rennes (ou d’autres avant lui, dont un certain Stromae, ont appris à caresser le soleil), le jeune homme a des reflets d’ébène, mais plus que la couleur de sa peau, c’est de son âme dont il est question ici.
Transformant une recette de base piano/voix en cantique sacré, c’est le regard habité et les cordes vocales solidement amarrées qu’il trace son chemin jusqu’au cœur d’une assistante quasi à genoux.
Un de ces rares instantanés où tous ceux présents ressentent à fleur de peau l’intensité d’un moment fort qui se matérialise comme par enchantement.
Le jeune homme qui cite William Blake comme référence, possède ce quelque chose d’un peu sorcier, ce don inné qui lui permet d’aller puiser au plus profond de lui-même, de s’isoler totalement dans sa musique, quel que soit l’endroit, et de restituer ses émotions de façon tellement palpable, qu’il serait presque possible de les voir s’échapper de son âme pour venir se déposer sur nos poils frémissants.
Et si d’aventure, vous me demandiez dans quel genre le classer je vous répondrais que cette démarche est impossible si on ne redéfinit pas le mot Soul music rien que pour lui.
En terme d’émotions, mes oreilles de rechange me soufflent que Cascadeur s’est chargé d’en distiller un certain ratio dès le début de la journée.
Soutenu par un line up de fort jolie facture (on aura reconnu la voix de notre Sharko national sous le masque de catcheur), le Français affublé de son inséparable casque accorde un concert, certes prévisible, mais à la hauteur des attentes du public.
Les morceaux un peu plus enlevés retenant les attentions distraites occupées à s’échapper du HF6.
HF6 qui alterne le bon et le meilleur, à l’exception du pire, au fil d’une affiche rachitique qui voit les festivaliers les plus courageux faire d’incessants allers-retours entre la main stage et le hangar.
Le meilleur ayant déjà été souligné, reste à surligner la prestation particulièrement convaincante de Daughter.
Si ce n’est pas une surprise, on épinglera tout de même leur set comme l’un des beaux moments de ces quatre jours.
Entre la douceur pastel d’Elena Tonra et les récifs sonores d’Igor Haefeli, le tout contrebalancé par une rythmique impeccable de bout en bout, les protégés du label 4AD vont offrir un spectacle serti de dizaines de carats aux fans et curieux rassemblés sous la coupole de leurs sonorités vaporeuses à souhait.
Le tout servi avec cœur et passion, le sourire aux lèvres.
Un sourire qui ne devait pas quitter les visages enchantés par la performance de Ben L’Oncle Soul, manifestement très en verve, et qui a séduit son public, mais aussi tous ceux ayant bravé leurs a priori. Ce que l’idiot de snob que je suis avait bien sûr omis…
En mon absence, restait de même à user de la présomption d’innocence envers Dany Brown, qui semblait après coup ramasser tous les suffrages au titre d’abomination du jour et supposer de la qualité indéniable des prestations de Leaf House, ainsi que du Magnus de Tom Barman et CJ Bolland, devant un parterre clairsemé.
Ces derniers proposant un set résolument Rock à l’heure où La coupe du monde hésitait encore à savoir dans quelles mains elles se déciderait à choir.
Celle-ci, après avoir choisi, comme tout le monde le sait à présent, les mimines teutonnes, s’éclipsait alors pour laisser la place à un autre final, bien plus sombre celui-là.
Avec vingt minutes de retard, le trophée footballistique enfin remis au valeureux capitaine allemand, les premières basses filtrent dans l’obscurité.
L’air se charge d’électricité ainsi que « Battlebox 001 » se répand sur la plaine.
Nouveau titre initialement conçu comme un nouveau projet par Robert Del Naja, fil conducteur au sein de Massive Attack, lançant idéalement le début de la fin et générant un enthousiasme croissant.
Habilement, sur une heure trente de concert, MA prouve une fois de plus sa théorie du chaos.
Basée sur une équation binaire (son et visuel) et une osmose parfaite entre ses membres.
Si Robert 3D semble le chef d’orchestre, les interventions successives de Martina Topley-Bird, lovée dans un col au plumes de couleur jais, Horace Andy, dont la voix et la classe intrinsèque restent de fabuleux laissez-passer pour le paradis, et la noirceur ténébreuse qui émane de la gorge de Daddy G, donnent tout trois corps à un univers à nul autre pareil.
Sans oublier les deux interventions de Deborah Miller, qui, si elle n’est pas la voix originale, donne substance, et ce depuis quelques années, au « Safe From Harm » et surtout au « Unfinished Sympathy » de l’album ‘cultissime’ « Blue Line ».
Le public exultant quand la voix se lâche dans un final exceptionnel donnant lieu à penser que ce groupe tient vraiment une place particulière dans la structure de l’univers.
Certains découvraient ainsi la puissance de feu du groupe de Bristol, tandis que pour les autres, ce n’était là que confirmation logique, mais néanmoins époustouflante, de la magie noire de ce collectif.
Reflétant les différents messages qui se succèdent sur les écrans d’un visuel remarquable, tous les yeux rivés scintillent d’admiration.
Ce qui n’empêche pas le groupe d’afficher ouvertement ses opinions politiques et prendre ouvertement parti contre l’hypocrisie militaire ou la surenchère médiatique.
Bref, loin d’être simplement divertissante, la machine pousse à la réflexion et son impact en est d’autant plus remarquable.
Au sortir de cette expérience, tous les avis convergent en un seul et même point, culminant loin au dessus du ciel, à la verticale du Parc Astrid.
Un point incandescent dont la lumière n’est que le reflet d’un instant qui vient de s’écouler, alors que 3D et ses compagnons de vol sont déjà à des années lumière.
Si cette année encore, les Ardentes ont attisé le feu de la critique, aucune voix ne pouvait s’élever contre cette apothéose magistrale.
Et comme au foot, à la fin, qu’importe la manière, c’est le résultat qui compte.
Rideau donc, sur cette neuvième édition.
Un cru certes pas exceptionnel, mais très bon tout de même et qui a drainé septante six mille personnes dans la boue sans les départir de leurs sourires et de leur bonne humeur.
Et on fait quoi maintenant ?
(Organisation Ardentes)
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