Chaque année, le Brussels Summer Festival consacre une soirée aux courants musicaux sombres : New-Wave, EBM, Minimal Synth, ... Après avoir accueilli Neon Judgement et Karl Bartos l'année dernière, le directeur de la programmation, Denis Gérardy, a opté cette fois pour Tuxedomoon et Front 242. Une excellente sélection, sans grand risque en ce qui concerne Front 242 car on connaît leur capacité à électriser les foules. Par contre, pour Tuxedomoon, le choix est plus audacieux car les Californiens pratiquent une musique expérimentale, très intimiste, qui, a priori, n'a pas sa place dans un festival, disons rock-pop.
Dès 19 heures, c'est à une formation bruxelloise, Guilt Monkey, que revient la tâche de chauffer l’ambiance. Emmené par le chanteur/guitariste Brin Addison, ce ‘power trio’ propose un rock grunge inspiré par les 90’s. Pensez à Nirvana, Pearl Jam et autre Soundgarden. La musique est plaisante et les musicos compétents ; mais le problème, c'est qu'on ne perçoit pas bien l'identité propre de la formation. Un titre comme “World On A Thread”, par exemple, fait beaucoup trop penser au “Black Hole Sun” de Soundgarden. En tout cas, le concert se déroule dans l'indifférence générale et après un (trop) long rappel, le band quitte le podium. Pour être franc, on aurait préféré qu’un groupe régional plus en phase avec le genre 'sombre', comme par exemple Organic ou Luminance, donne le coup d’envoi...
Mais il est maintenant temps pour Tuxedomoon de monter sur le podium. Et Tuxedomoon, c'est du lourd, du très lourd. Formé en 1977, à San Francisco, il s'est taillé une place enviable sur la scène musicale, tout d'abord comme pionniers du post punk et de la new-wave. Leur single “No Tears” remonte à 1978. Un classique du genre qui a influencé nombre d'artistes (dont un certain Brendan Perry de Dead Can Dance). Dans les années 80, ils se sont exilés en Europe, s’établissant même un bon bout de temps à Bruxelles, et ont étendu la palette de leur son en créant une forme d'art-rock hybride foncièrement originale. La décrire relèverait de la gageure. Il faut imaginer une ambiance jazzy, cinématique, basée sur des lignes de basse très new-wave et une rythmique minimaliste et obsédante, au-dessus desquels viennent se graver des voix et d'envoûtantes arabesques de saxophone, de trompette ou de violon. Un peu comme si Velvet Underground se payait un improbable bœuf en compagnie de Chet Baker, Roxy Music, Frank Zappa et Death In June.
C'est précisément par un titre parfaitement représentatif de cette ambiance filmique que la formation entame son show. “Torreador del Amor” est tiré de leur dernier opus, “Pink Narcissus”, où l'on retrouve la musique qu'ils ont composée comme bande sonore pour la projection du film éponyme à Paris, en 2011. On est immédiatement plongé dans un univers riche et empreint de nostalgie ; le tout sublimé par la projection d'images de ce long métrage étonnant, qui, pour rappel, met en scène les pérégrinations d'un jeune prostitué homosexuel.
Sur l’estrade, on retrouve, pour notre plus grande satisfaction, les trois membres fondateurs : Blaine L. Reininger, Steven Brown et Peter Principle. Si Principle se concentre exclusivement sur sa basse Epiphone Gibson SG, les deux autres se révèlent, par contre, d'étonnants multi-instrumentistes. Steven Brown alterne les voix, le piano ainsi que le saxophone et Blaine L. Reiniger chante et joue du violon ou de la guitare. Le trio est complété par Luc Van Lieshout, qui a rejoint le line up en 1983. Il souffle dans sa trompette ou dans son harmonica et se charge des machines. Sans oublier Bruce Geduldig, qui mixe les images vidéo et interprète le rôle de savant fou en tenue blanche...
La musique magique produite par le combo génère une ambiance très étrange, quasi surréaliste, sur le Mont des Arts. La foule est maintenant compacte. Un dénominateur commun : sa couleur sombre. En parlant de couleurs, les touches de guitare et de saxo dispensées tout au long de “Muchos Colores” semblent extraites d'un film de David Lynch. Plus rythmé, “Everything You Want” est marqué par des beats électroniques et la voix très 'devo-esque' de Steven Brown. Retour ensuite à l'ambient grâce à “Cagli Five-0”, issu de Cabin In The Sky (2004), où dominent de lents arpèges de piano et une trompette assourdie.
Vient ensuite un des chefs-d'oeuvre de Tuxedomoon: “In The Name Of Talent (Italian Western Two)”, paru en 1981 sur “Desire”. Ici à nouveau, on retrouve ce style unique de no-wave avantgardiste, caractérisée par une rythmique hypnotique et la voix cinglante.
Bref, ce concert a été magique. Seul bémol, la sono était bien trop faiblarde ; mais dans l'ensemble, le spectacle est une belle réussite.
Evidemment, la toute grosse majorité du public est venue pour applaudir Front 242, le groupe ‘culte’ belge qui peut s'enorgueillir d'avoir créé un style musical à lui tout seul : l'EBM ou Electronic Body Music, dans les années 80. L'EBM a été imaginée en combinant la musique électronique des Cabaret Voltaire, Suicide et autre Kraftwerk à une rythmique et des voix très énergiques (d'où le terme ‘Body’) et une imagerie pseudo-militaire, traitée au second degré (ce que bon nombre de détracteurs n’ont jamais compris, malheureusement). On se souvient de leur hit “Headhunter”, qui passait en boucle sur MTV, et surtout de la superbe vidéo qu’Anton Corbijn lui avait consacrée.
Au moment où ils vont monter sur la scène du BSF, on fait le voeu qu'ils ne rencontrent pas les problèmes techniques qui les ont forcés à interrompre leur show, au festival Amphi à Cologne, le mois dernier. Heureusement, il ne souffrira d’aucune anicroche ; et dès les premières notes de “Moldavia”, Jean-Luc De Meyer et Richard ‘23’ Jonckheere déboulent sur les planches pour prendre d'assaut une foule conquise d'avance. Ils sont soutenus par Patrick Codenys (claviers) et Tim Kroker (batterie), tandis que Daniel Bressanutti se charge du mix dans la tente de contrôle. Ils portent tous les costumes de scène spécialement dessinés pour eux par notre amie Valeria Pesci.
C’est devenu un rituel, les shows de Front 242 se limitent à leurs plus grands hits, vu qu'ils ne proposent plus d'enregistrements nouveaux depuis “Pulse” (2003). En 2013, la rumeur avait laissé espérer la sortie d’un nouvel opus. En fait, un long playing était bien en cours d'élaboration ; mais finalement le projet a avorté, les musicos estimant que les démos ne répondaient pas à leurs exigences (très élevées) de qualité.
Mais revenons au BSF, où “Body To Body”, “No Shuffle” et “Don't Crash” provoquent des réactions enthousiastes du public. Le groupe dédie ensuite “7Rain” à Phil Baheux, de Channel Zero, disparu il y a juste un an et “Take One” à Annik Honoré, qui nous a quittés le 3 juillet dernier, et dont le sourire éclatant nous manque tant.
Après deux morceaux un peu plus calmes, “Triple X Girlfriend” et “Quite Unusual”, Front remet le turbo et clôture par une salve de titres imparables comme “U-Men”, “Headhunter”, “Kunkhadafi” et “Welcome To Paradise”. Les fans ne manquent pas de hurler pour rappeler leurs idoles, qui reviennent pour un ultime et très technoïde “Punish Your Machine”.
En un mot comme en cent, Front 242 reste une formation incontournable sur les planches libérant une énergie hautement communicative. A chaque fois, c'est comme si on revoyait des anciens amis, d'autant que ce sont en plus des gars vraiment sympas quand on les rencontre.
En conclusion, on peut décréter que la soirée était agréablement équilibrée ; amorcée par un aspect intellectuel et très 'arty', elle a ensuite permis un défoulement jubilatoire. En quittant le Mont des Arts, on ne peut s'empêcher de chantonner: ‘One you lock the target, Two you bait the line, Three you slowly spread the net and Four you catch the Man...’
Setlist : Moldavia – Body to body – No Shuffle – 7rain – Together – Take One – Don’t Crash – Triple X Girlfriend – Quite Unusual – U-men – Commando Mix – Im Rhythmus Bleiben – Headhunter – Funkhadafi – Welcome To Paradise
Rappel : Punish Your Machine
Philippe Blackmarquis
Guilt Monkey + Tuxedo Moon + Front 242 (Place des Palais)
Programmé en 2014, du 8 au 17 août, le B.S.F. se déroule sur trois sites : la Place des Palais (les quatre premiers jours) au Mont des Arts ainsi qu’au Magic Mirrors, installé Place des Musées, toute la durée du festival. Le Magic Mirrors est une sorte de chapiteau à l’ancienne construit à l’aide de bois, toile et vitraux, au sein duquel l’acoustique est impeccable. Un endroit idéal pour les concerts intimistes. On peut y accueillir entre 350 à 400 personnes. Ce mardi 12 août, se déroule, pour la quatrième fois, une soirée baptisée ‘A la Française’, organisée par le département francophone d’Universal Music Belgium.
Cinq artistes de la structure bruxelloise de développement artistique Art Rythme Ethique Music sont donc à l’affiche, dont Pablo Andres, Inki et les Meridians ainsi que Cléo. Mais également Jali, venu présenter cinq nouvelles chansons de son second album qui devrait paraître début 2015. Sans oublier en tête d'affiche, la révélation de l’année 2014, Antoine Chance.
Votre serviteur avait un bon pressentiment : la soirée allait nous réserver d’excellentes surprises. En arrivant vers 18h00, je constate qu’une longue file d’attente s’est formée avant de pouvoir pénétrer dans l’enceinte. 30 minutes plus tard, les portes du Magic Mirrors s’ouvrent. Je me dégotte une place assise, et constate que le chapiteau se remplit très rapidement. Si bien que bon nombre de spectateurs devront rester à l’extérieur et regarder les concerts sur un écran géant, mais surtout se farcir une sonorisation pourrave. De quoi faire beaucoup de mécontents qui avaient acheté leur place et n’ont pu obtenir le moindre remboursement…
La première partie de la soirée va permettre aux artistes de la structure de développement bruxelloise @A.R.E Music (à laquelle appartiennent Jali et Veence Hanao) de défiler pendant 1h30. Et tout d’abord Pablo Andres. Déguisé en agent Verhaegen, le ketje brusselleer a pour mission de dérider zygomatiques.
Mais le premier musico à monter sur les planches, c’est Inki. Né en Belgique, il est d’origine rwandaise. Ses parents sont musiciens et chanteurs. Son avenir était donc tout tracé… Armé d’une sèche, il interprète trois chansons : « Temps perdu », « Musique pour ne pas penser » et « Vue sur mer ». Il a une belle voix. Ses textes tiennent bien la route. Mais difficile de donner un avis sur une prestation de 10 minutes. Il serait intéressant de le revoir, lors d’un set un peu plus long. En supporting act d'un spectacle de Jali, par exemple, l’an prochain
The Meridians est un quatuor qui réunit Benoît Leclercq (guitare, synthétiseur, voix), Quentin Joris (drums), Julien Joris (basse et voix) ainsi que Maxime Honhon (guitare et voix). Au départ, leurs chansons étaient écrites dans la langue de Shakespeare. Désormais, elles le seront dans celle de Molière. Ce soir, le line up est réduit à un duo. Soit Benoît et Julien. Et le concert sera ‘unplugged’. J'avais découvert ce groupe, au Botanique, en première partie de The Boxer Rebellion, en 2011 ; et leur prestation m’avait procuré de bonnes sensations. « Héréditaire », « En visant la lune » et « Je me défile » constituent certainement les meilleurs titres de leur nouveau répertoire, au sein duquel figurent également « Si un jour », « J'avance », « Le verre de trop » et « La fin du monde ». Lors d’un set acoustique, on voit immédiatement ce qu’un artiste a dans le ventre. Et le tandem se débrouille plutôt bien, même si j’aimerais revoir le combo au complet, et en version électrique.
Cléo possède une voix soul chaude et puissante. Elle chante en français, bien sûr, et est flanquée de deux musicos, dont un la sèche et l’autre à la gratte électrique ainsi qu’aux claviers. Elle interprète son inévitable « Lady L », un titre issu de la plume de Jali. Et va nous dispenser un show particulièrement bien balancé. Une chouette découverte.
Mais c’est Jali qui va constituer la bonne surprise. Ce jeune Rwandais vit en Belgique depuis l'âge de 2 ans. J’avais eu l’occasion d’assister à son spectacle, deux ans plus tôt, au Magic Mirrors de Tour et Taxis, quelques mois avant la sortie de son premier album « Des jours et des lunes », devenu depuis disque d’or. Il s’était produit en acoustique. Puis dans le cadre de l’un ou l’autre festival. Et j’avoue qu’au fil du temps, j’apprécie de plus en plus cet artiste. Jali nous invite dans son univers visionnaire (« Espagnola », « Un jour ou l’autre ») où on peut y trouver la joie de vivre et une bonne humeur qu’il parvient à communiquer à son auditoire, malgré le drame vécu dans son beau pays aux Mille Collines…
Jali est venu nous présenter en exclusivité 5 nouvelles chansons de son second album, dont la sortie est prévue pour début 2015. Il nous confesse que ce concert constitue pour lui un test ; et espère que le public va réagir positivement à travers des sourires. Il ajoute que son nouvel opus comporte plus que cinq chansons. Il nous réserve donc « Ma génération », « Echappe » et le plus rock et électrique « Pars ». Puis « Dis le moi », une petite perle qui pourrait récolter un gros succès, et « Une idée ». Plus paisibles, cependant, ces deux compos s’inscrivent dans l’esprit du premier elpee. Bref, si une partie de la foule aurait souhaité entendre des plages issues de son premier opus, il faut reconnaître que les toutes fraîches on convaincu, même les plus sceptiques.
Place ensuite à la tête d’affiche : Antoine Chance. Il est sympa, souriant, bien dans sa peau et content de ce qui lui arrive : le succès. Le fils de Philippe Geluck (NDR : oui le créateur du Chat !) chante et s’accompagne à la guitare (électrique ou sèche) ou aux synthés. Il est soutenu par Yannick Dupont aux drums et Geoffrey Hautvas à la basse. Ce dernier est également le leader d'Electric Château et le nouveau guitariste des Vismets. Et bonne nouvelle pour l’acoustique, on retrouve derrière les manettes, Benoît, l'ingé-son de Puggy.
Antoine nous rappelle que l’an dernier, il assurait la première partie de la programmation ; et exprime toute sa satisfaction d’être passé en tête d’affiche. Il entame le concert par « Rejoins-moi » et « Elle danse », puis embraie par « Fou », le titre maître de son premier elpee, mais surtout la chanson qui est devenue un énorme succès. Et c'est évidemment, cette compo que le public attend et reprend en choeur. Antoine surfe sur l’ambiance qu’il vient de créer et attaque « Raté d'un rien » ainsi que « Bye Bye ». Puis nous balance une nouvelle compo, « Qu'est-ce qu’il nous faut ». L’auditoire apprécie. Et espère que le nouvel elpee ne paraîtra pas dans dix ans…
Antoine alterne entre six cordes acoustique, électrique et claviers ; ce n’est pas un homme-orchestre. Il n’oublie pas « La nuit a ses défauts », un des titres que je préfère. Geoffrey aime raconter des histoires drôles. A la demande d'Antoine, Geoffrey s'exécute pour le bonheur du public. La setlist aligne ensuite "Sur l'asphalte » et une autre nouveauté, « Les hommes s'abîment ». La cohésion du groupe est parfaite. Pour aborder la cover de Christophe, « Succès fou », Antoine siège derrière les claviers. Et sa cover tient parfaitement la route. « Qui sait » adresse un clin d’oeil à David Bowie. Le concert s’achève par « Parader en enfer ». Antoine nous confesse qu’il s’agira du second single extrait du futur long playing. En espérant que le disque suive le même chemin que « Fou ». D’ailleurs, lors du rappel, Antoine revient en solitaire, armé de sa sèche, et nous dispense une version très souple de son tube. Avant de terminer sa prestation en apothéose, par un troisième inédit intitulé « Comme la pierre ». Antoine se produira dans 15 jours, à Scene sur Sambre…
(Organisation : Brussels Summer Festival)
Didier Deroissart
Pabo Andres + Inki + The Meridians + Cléo + Jali + Antoine Chance (Place Des Musées - Magic Mirrors)
(Voir aussi notre section photos ici)