Direction Durbuy, plus précisément Bomal-sur-Ourthe, en province de Luxembourg, afin d’assister à la dix-neuvième édition du Durbuy Rock Festival, un des premiers festivals à tendance Metal et Hardcore de cet été. Après avoir parcouru de nombreuses rues zigzagantes au cœur des vallées de la région, je finis par arriver à un hall sportif, transformé pour l’occasion en terrain festivalier. Ici, pas de champs ou de terres désertes, nous sommes au cœur du village. Une fois passé les contrôles de sécurité (assez poussés, n’espérez pas introduire sur le site, boisson ou nourriture), on pénètre de suite dans l’espace où trône le podium principal du hall, dotée à sa gauche de tables pour le merchandising des groupes et à sa droite d’un long bar, histoire d’étancher la soif de ces fans de décibels. Une porte permet sur la droite d’accéder à l’extérieur, où est installée une estrade de taille plus modeste, entourée de part et d’autre de stands nourriture ou autres t-shirts. Vu l’affiche de ce premier jour, on peut dire que les cheveux longs (s’il en reste) et les vestes en cuir gagnent la mise. Principalement orientée Heavy-Thrash et Black Metal, la fin d’après-midi de ce vendredi a apparemment attiré un public de trentenaires. Les amplis sont branchés, les pompes a bière ronronnent et les saucisses commencent à griller : le festival peut commencer.
C’est aux Liégeois de Doganov qu’il revient la tâche d’ouvrir les hostilités. Il faut tout d’abord savoir que le Durbuy Rock organise quatre rencontres ponctuelles au cours de l’année. Baptisées tremplins, elles sont le théâtre d’une compétition entre groupes. Les vainqueurs sont alors sélectionnés pour participer au festival. Vous l’avez compris, Doganov est un des lauréats. Et il se produit sur la ‘stage’ extérieure. Le trio propose un mélange sombre de Metal et d’électro. Certes répétitif, il a permis aux cervicales des quelques personnes de se décoincer. Certaines esquissent même quelques pas de danse, histoire de se plonger dans l’ambiance.
Cette dernière va monter de quelques degrés quand Sublind, second vainqueur d’un tremplin, va nous balancer son Thrash rentre-dedans. ‘Eh les gars, on vient du Luxembourg et on fait du Thrash Metal alcoolique’ avance l’imposant Luca T., perfecto sur le dos et bière à la main. Teintée d’humour et de bonne humeur mais souffrant d’une certaine linéarité dans le ton, la musique de ces amoureux du houblon a cependant permis à l’assistance, d’atteindre un premier palier dans l’extrémité sonore promise en ce jour.
Mais restons dans l’humour potache afin de voir ce que les Ardenne Heavy ont dans le ventre. S’affichant comme joueurs de Heavy à la sauce ardennaise, les Bastognards font dans le lourd. Tant sur le plan musical qu’humoristique. ‘Et voici une chanson qui parle de licornes et de petites libellules’, lâche Simon, guitariste/chanteur du groupe, avant d’envoyer une flopée de leurs cds au parterre devant eux. C’est ensuite torse nu qu’il descend du podium pour aller jouer au milieu de ses fans. Le combo ne révolutionne certes pas le genre, mais le moins qu’on puisse dire, c’est qu’il met l’ambiance !
Après cet échauffement d’un peu plus d’une heure et demie, les choses sérieuses peuvent à présent débuter. Rendez-vous sur le podium principal afin d’accueillir, comme il se doit, le premier des trois groupes étiquetés Black Metal de la soirée. Après avoir brûlé les planches pendant plus de dix ans, Carach Angren est considéré comme une des valeurs montantes du style. C’est le visage grimé en blanc et noir, tradition black-metalienne oblige, que le trio néerlandais prend d’assaut la scène. Vêtu d’un t-shirt gothique et d’un pantalon en latex noir, Seregor libère toute sa rage et sa hargne. A sa droite, Ardek, vêtu d’une tunique bordeaux en velours, insuffle, à l’aide de son clavier, le cachet ‘horreur et grandiloquence’ de leur musique. Muet tout le long du set, l’inquiétant Aradek ne cesse de fixer le public, roulant de temps à autre les yeux en arrière lors de passages endiablés. Puissant et précis dans l’exécution de ses morceaux, Carach Angren devrait certainement encore faire parler de lui, dans les années à venir.
Je quitte les ténèbres pour revenir à la lumière du jour. Le temps de faire la file en vue d’estomper ma faim d’un pain/saucisse ketchup moutarde crudités, je remarque qu’un quintet intéressant (le programme promet un doom/sludge expérimental) se prépare sur la scène extérieure. Impliquant notamment deux violonistes, Sub Rosa amorce son set et… c’est la déception. Incontestablement, Rebecca Vernon chante faux. Du début à la fin. Un voisin, apparemment tout aussi déçu, me confie ‘ne pas comprendre ce qui se joue actuellement, n’ayant rien à voir avec la version sur cd’. C’est lourd, confus et dérangeant.
Raison de plus pour m’asseoir sur un des bancs à proximité des stands, finissant mon mets en prenant mon mal en patience. Nous sommes à présent en fin de soirée, le soleil fait ses valises et le point de rendez-vous est fixé face à la grande scène. Les festivaliers sont sur place et, visiblement, bon nombre ont accompli le déplacement pour applaudir Alestorm. Il y a maintenant plus de dix ans que les Ecossais pratiquent, selon leurs dires, du ‘True Scottish Pirate Metal’, autrement dit du Folk Metal largement inspiré par l’univers pirate, tant au niveau des sonorités que des lyrics et du visuel. Le tout dans un esprit second degré et, autant que possible, arrosé. Une chose est sûre : ils ne sont pas venus pour se prendre au sérieux mais bien pour faire la fête. Des festivités qui débutent avant le show, tant entre les artistes en backstage qu’au niveau de la fosse, reprenant à gorge déployée des airs du groupe. Christopher Bowes, chanteur du band, finit par débouler sur l’estrade, coiffé de son chapeau à la Jack Sparrow, armé de sa keytar (un synthé dont on se sert comme d’une guitare). Tel qu’on pourrait s’imaginer le stéréotype d’un corsaire brigand, Christopher puise régulièrement de l’énergie dans une bouteille de vin posée près des drums de Peter Alcorn. Au sein d’une ambiance surchauffée, Alestorm picore au sein de ses quatre elpees studio des morceaux sulfureux, tels que « Keelhauled », « The Sunk’n Norwegian », « Captain Morgan’s Revenge » ou encore « Shipwrecked ». Une heure de fête, que les membres du combo prolongeront ensuite en rejoignant le public, au plus grand plaisir de leurs aficionados.
Changement d’espace, changement d’atmosphère, changement de musique. La lune a désormais repris ses droits et le froid mordant de ce début de mois d’avril est de plus en plus palpable. Cinq Américains, à l’allure tout à fait banale et classique, veste ou pull de rigueur, casquette visée sur le front de Bryan Funck, chanteur du groupe Thou. Une allure générale en totale contradiction avec leur musique, un hybride de Sludge et de Black Metal atmosphérico-mélancolique. Le quintet semble sous influence. Le comportement de ses membres, altéré. Ils sont dans une bulle, une bulle à géométrie variable susceptible d’englober toute personne qui se laisserait happer par leur environnement expérimental. C’est lent, c’est lourd et les cris glacés et aseptisés de Bryan Funck, les yeux plantés vers un infini perdu, enrobent l’expression sonore des Américains d’une aura malsaine et dérangeante. Un ovni hors du temps, un virus contagieux qui attaque directement l’âme. Une petite heure de show, hors du temps et de l’espace, que rien ne pourra brusquer, même pas les joyeux lurons d’Alestorm désormais retournés dans leurs loges à côté de la scène extérieure, affichant joyeusement par la fenêtre leurs arrière-trains, certains mimant une sodomie à coups de micros. Ces moussaillons ont certainement dû avoir mal aux cheveux le lendemain.
L’esprit encore embrumé par la mélancolie de Thou, les metalheads sont à présent en condition afin de recevoir les salves d’un des groupes les plus attendus de ces deux jours, Satyricon. Véritable fer de lance du Black Metal, les Norvégiens ont annoncé ne faire qu’une tournée cette année. Il ne fallait donc pas manquer l’occasion. Un grand back-flag est hissé à l’arrière-plan, représentant un ciel gris parsemé d’oiseaux en vol. Un pied de micro trône au milieu de la stage, composée de grosses ronces métalliques. Il en va de même pour la structure entourant la batterie, totalement décentrée vers la droite. Satyricon peut aujourd’hui se résumer à deux hommes : Satyr au chant (et à la guitare occasionnellement) et Frost à la batterie. C’est le cœur noir du band, accompagné de musiciens de session lors des prestations live. Le groupe est également connu pour sans cesse repousser les limites de ses compositions et croiser le chemin d’autres styles ou d’autres sources d’inspiration. Il en va de même pour leur tenues en ‘live’ ; elles sont, certes, toujours noires, mais très sobres : on oublie les classiques ‘war paints’ blancs et noir du Black Metal. Le set débute par « The Rite of our Cross », issu de l’LP « Now, Diabolical ». Le son est puissant, percutant même, et la voix de Satyr est bien mise à l’avant-plan. Les vingt-quatre années d’existence de ces icônes sont passées en revue, incluant même « Walk the Path of Sorrow », extrait de leur premier long playing, dans la pure tradition du Black Metal norvégien originel. Un show qui s’achève en beauté, par leur morceau culte, « Mother North », grand classique du genre, suivi du teinté Heavy « Fuel for Hatred » et du péchu « K.I.N.G. ». L’ensemble vient finalement saluer l’auditoire, l’occasion enfin d’apercevoir leur énigmatique et notoire drummer, Frost. Ce dernier, fidèle à sa réputation antipathique, enverra balader l’assistant qui lui proposait d’envoyer ses baguettes dans la foule. Esprit Black Metal, quand tu nous tiens...
Un style musical dont les fers de lance ne se cantonnent pas qu’à la Norvège, notre pays recensant également quelques guerriers, dont les plus connus sont certainement incarnés par Enthroned. C’est donc impatient de voir ce que nos couleurs locales sont capables d’arborer, que je me dirige vers l’extérieur. Douche froide : le groupe, pour d’occultes raisons, n’est pas de la partie ce soir (le groupe annoncera plus tard, le dimanche, sur sa page Facebook, que leur chanteur a dû entrer d’urgence à l’hôpital, suite à des problèmes de nerf optique et du système sanguin).
Appelés in extremis, la formation liégeoise Lifers a courageusement accepté de les remplacer au pied levé. Comme il est également programmé le lendemain, je préfère me concentrer sur leur show du samedi, davantage ancré dans le Hardcore. Grand respect néanmoins pour ce band qui accepté de sauver les meubles, alors qu’il n’a été prévenu à peine une demi-heure avant le début du concert !
Les profondeurs de la nuit sont à présent tombées. Il est 1h du matin et les gars d’Eyehategod montent sur les planches, paisiblement, afin d’installer leur matos. Pas de roadies, pas de décor, malgré leurs vingt-sept ans d’expérience, les Américains ne se prennent pas au sérieux et sont uniquement là pour la musique. Considérés comme un des pionniers du Sludge Metal, Eyehategod ne découvre malheureusement devant lui qu’un parterre pour le moins clairsemé ; seul les plus combatifs sont encore sur pied. L’heure tardive de passage y est certainement la cause… Mais peu importe, le groupe ne s’en plaint pas et va servir un magnifique show, démontrant tout son savoir-faire en ne faisant que jouer, sans en remettre une couche, son talent transpirant naturellement. Mike Williams, frontman du groupe, semble être sur une autre planète, bredouillant maladroitement lorsqu’il ne hurle pas à pleins poumons pendant les morceaux. Faut-il rappeler qu’il avait été forcé de prendre du repos en début d’année, suite à une grosse fatigue mentale et physique. Jimmy Bower, surnommé le ‘Godfather of Southern Metal’, dû notamment à son statut de membre fondateur du combo, mais également de celui de Down, Crowbar et Superjoint Ritual, entraîne à l’aide de sa guitare, en toute simplicité, le reste de l’auditoire présent à l’aide de ses volutes musicales hypnotiques. La faible audience pouvait susciter deux réactions : soit le band est frustré et le manifeste, soit il joue le jeu et profite de la proximité du public. Et c’est immanquablement la deuxième solution qu’il a choisie, les membres d’Eyehategod plaisantant avec les spectateurs, se vannant mutuellement. En prenant un peu de recul, on a eu l’impression de vivre une jam entre amis. Une prestation qui restera certainement gravée dans l’esprit des metalheads encore éveillés ce soir là, certainement autant touchés par la puissance des maîtres du genre que par l’aspect humble de ces grands artistes. Gros coup de cœur. Il est à présent 2h30 et il est plus que temps de rejoindre les bras de Morphée…
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