Ce dimanche, c'est le dernier jour du W-Festival et également l'heure du bilan. Dans l'ensemble, cette 3ème édition peut être créditée d’un franc succès. Plus de 30 000 visiteurs, venus de Belgique mais aussi de France, d'Allemagne, d'Angleterre et des Pays-Bas ont envahi la plaine d'Orroir, provoquant une véritable vague noire (NDR : ou presque !) Comme si, fêtant ses 40 ans cette année, la new-wave se la jouait couguar pour se refaire une nouvelle jeunesse…
Hormis le jeudi soir, gâché par un orage dantesque, le temps a été idéal et le soleil généreux. L’évaluation du festival est globalement positive ; son organisation, le site, les chapiteaux, la logistique, l'accueil, le son et les lumières (excellents!), la mise en place, le respect des horaires, les écrans vidéo, le catering, les boissons, le camping, le prix des tickets et les tarifs en général.
A améliorer pour l'année prochaine : un restaurant moins onéreux et un plus grand choix de bières. On est en Belgique, quand même ; et supprimer la blanche, alors qu’au départ elle était prévue sur les affichettes réservées aux tarifs a suscité une réaction normale d’incompréhension ! Côté programmation, il serait judicieux d’accorder davantage de place aux groupes internationaux de la nouvelle génération post-2000. Elle est extrêmement vivace, et pourrait réduire l'empreinte, omniprésente et légèrement nécrophile, des 'vieilles gloires' des années 80. Enfin, le gros point noir : l’accès au site. Personne n'a compris pourquoi on imposait aux festivaliers un détour interminable (25 minutes de marche) alors que l'entrée principale était en fait à quelques mètres seulement de la rue principale.
Mais revenons à la journée de dimanche. C'est le 4ème jour (le 5ème pour celles et ceux qui ont débarqué mercredi) et la fatigue commence à éprouver les organismes. Ce qui explique pourquoi de nombreux spectateurs ont déclaré forfait ou arrivent tardivement. Mais comme le dit l’adage, les absents ont tort car sous le coup de 13h40, Captain Sensible s’empare de la scène Synth. Et, en dépit de ses 64 balais, le capitaine à bord, Raymond Ian Burns de son vrai nom, a conservé son look éternel et traditionnel : il a enfilé une chemise en jeans sans manches et customisée, est coiffé d’un béret rouge, arbore une chevelure blonde et est chaussé de lunettes de soleil extravagantes. Le début du set est plutôt punk. Il faut dire que Raymond milite, depuis plus de 40 ans, au sein du mythique The Damned. Il est soutenu par les membres de Fifty Foot Combo : son bassiste, et la toujours sexy claviériste. Des musiciens que le leader prendra le temps de présenter, avant que le guitariste ne lui rende hommage en décrétant ‘Without him, the band couldn’t exist’. Après un début de set très punk donc, il opère un écart dans le rock psychédélique, ‘parce que le rock actuel est malade’, signale le Capitaine. Avant de se lancer dans son tube indémodable « Wot » (NDR : mais si, vous connaissez le refrain ‘He said me Captain, I said Wot’). Le chanteur n’hésite pas à préciser à la fin ‘It’s the most stupid song I’ve written ! But it saved me for working hard the rest of my life’. C’est de l’humour très british, of course! Le show est ponctué par son premier single, datant de 1978, une reprise de « Ca plane pour moi » dans une version plus punk intitulée « Jet Boy, Jet Girl ». Et dans la langue de Shakespeare, s'il vous plaît ; excepté lors du refrain, que le public reprend en chœur. Un bon moment propice à la bonne humeur ; et il est impressionnant de constater à quel point un rockeur qui a roulé sa bosse à travers le monde, et a côtoyé des légendes comme Lemmy Kiliminster ou Malcom McLaren, prend encore autant de plaisir devant quelques centaines de spectateurs. (**)
Dans la tente « Wave », après Struggler, le désistement de dernière minute de Fär permet à Lizard Smile de participer à la fête. Etabli à Anvers, ce groupe réunit le bassiste Albi (Albert Van Onckelen), le guitariste Strobo (Bart Van Laeken) et le chanteur (également préposé aux visuels, beats et synths) Beatnick (Nico Van Aerde). Son 4ème opus, « Wandering in Mirrors », est paru récemment chez Wool-e-Discs. Devant quelque 150 spectateurs, le trio dispense un cocktail ‘gothic-electro-rock’ très mélodique et, ma foi, fort séduisant. Et si on pense tour à tour à The Mission, The Cure, Sisters & Fields, la signature est propre…
Un crochet rapide par la Synth-Scene permet ensuite d'entrevoir le set d’Animotion, la formation américaine responsable, en 84, de la célèbre version synth d'« Obsession », le hit de H. Knight et M. Des Barres, bien que les 'Wavers' apprécient surtout celle, sublime, de Kirlian Camera et Dive, datant de 1998. Le duo se produit pour la première fois en Belgique. Malgré un son plutôt brouillon et une voix féminine nasillarde, voire agaçante, le set satisfait sa fan base…
Changement de scène pour Dole, une formation issue d'Athus, près d'Arlon, qui compte près de 40 ans de carrière. Elle peut se targuer d'avoir bénéficié du concours de la production du regretté Adrian Borland (The Sound) et d’être la première signature sur le label belge PiaS. Et bien, franchement, les musiciens ne font pas leur âge et restent pimpants en ‘live’. Leur 'dark pop' lorgne vers The Cure et les Smiths, époque « The head on the door » et reste, ma foi, très agréable à entendre. A l’instar de « Walking on Air », « The Dream » ainsi que « Snowflakes », une nouvelle compo plus electro, au cours de laquelle le groupe adresse un clin d'oeil appuyé au « Blue Monday » de New Order. Fun !
Autre formation belge, Red Zebra met le feu à un chapiteau ‘Synth’ plein à craquer. Les chouchous du public flamand ont accompagné le W-Fest depuis les débuts et, après quelques séparations et dissensions diverses, le groupe brugeois fête ses 40 ans d’existence et se montre plus fort que jamais. Son punk pop est toujours aussi énergique et communicatif, que ce soit à travers « Spit on the City » ou « Shadows of Doubt ». Lors de ce dernier morceau, Peter Slabbynck glisse son allusion habituelle à « This is not a love song », soulignant l'évidence filiation avec P.I.L. Et le hit « I can't live in a living room » constitue, bien entendu, le point d’orgue de cette excellente prestation.
Chouette découverte live, ensuite, sous la tente ‘Wave’. Antipole est le projet du Norvégien Karl Morten Dahl et propose un post punk froid, éthéré et mélodique. Un croisement entre The Cure période « Faith » et Interpol. En tout cas, il est soutenu par un backing group au complet, au sein duquel figurent la chanteuse Eirene et le chanteur Paris Alexander, tout deux originaires de Brighton. La setlist s’appuie sur le superbe premier opus, « Northern Flux », publié l'année passée par notre ami Pedro, d'Unknown Pleasures Records. Parmi les moments forts, on épinglera « Someday 45 », un morceau caractérisé par son excellent riff de basse, « Part Deux » et, en final, « Please Let Me Sleep » puis « Narcissus ». Nice job, guys !
A 17h40, en raison d'un changement d'horaire de dernière minute, c'est le premier 'schedule clash' du festival. Il faut en effet choisir entre Shriekback sous la tente Synth et Trisomie 21 dans l'autre. Heureusement, les deux correspondants se répartissent la tâche.
Votre serviteur prend en charge Shriekback, dont le concert est très attendu. La formation anglaise a marqué les années 80 grâce à une wave-fusion teintée de funk, sise à la croisée des chemins de A Certain Ratio, Talking Heads et Gang of Four. Face à un auditoire moins nombreux que prévu, un véritable big band épaule les deux chanteurs/compositeurs, Barry Andrews et Carl Marsh. Ils sont huit sur les planches ! « All Lined Up », « Black light trap » et « Underwaterboys » passent bien la rampe, mais il manque ce petit plus pour que le show décolle. Probablement la faute au mixage ; car la basse, qui constitue normalement le point focal, la moelle épinière des compos (NDR : pensez à « My Spine is the Bassline » !), est insuffisamment mise en exergue. Une belle prestation, donc, mais qui aurait pu s’avérer bien plus percutante, si les balances avaient été mieux réglées…
A même moment, la tout grande foule s’est massée sous la tente Wave pour le concert de Trisomie 21. Il faut dire que ces Français du Nord (Valenciennes) jouent presque à domicile, peu de temps après avoir foulé les planches des Nuits Secrètes d’Aulnoye. Et nombreux sont les fans ch’tis présents dans l’audience. Actif sur le label PiaS de 1985 à 1997, le band avait été lui-même surpris de son succès international, touchant même le Canada et l’Amérique du Sud. A sa tête, on retrouve toujours Philippe (au chant) et Hervé (à la guitare) Lomprez, secondés par un claviériste. La voix de Philippe ne semble pas avoir pris une ride, même s’il reste plutôt statique sur scène, et assez mal à l'aise dans ses rares chorégraphies. On aurait aimé aussi un peu moins de samplings et un vrai batteur en chair et en os ! Mais qu’importe puisque les mélodies de « Where Men Sit », « La fête triste » et bien sûr le tubesque « The last song » résonnent comme autant d'impérissables souvenirs de jeunesse... (**)
Pressés de faire une pause dans ce marathon, musical, nous zappons honteusement Clan of Xymox. Il est vrai que le combo batave est omniprésent, lors des festivals 'dark', depuis quelques années ; et après avoir les avoir vus une dizaine de fois en ‘live’, on commence à connaître la... musique.
Marc Almond, l'ex-chanteur du mythique Soft Cell, s’était également produit dans le cadre du festival, deux ans plus tôt, lors d’une prestation cinq étoiles. On ignore si le botox est le principal responsable, mais son visage est un peu bouffi. Mais son look de Peter Pan de la Wave est inaltérable et au cours d'un set passionnant, il régale son public grâce à une succession de hits incontournables, comme « Bedsitter » ou « The Torch ». Les versions sont malheureusement moins ‘minimal synth’ que les originales, vu la présence d'un véritable batteur ; cependant, l'ensemble sonne très bien. Pendant « Jacky », la reprise de « La Chanson de Jacky », de Jacques Brel, qu'Almond a publiée en 1991, le chanteur se saisit d'une photo de Brel, tendue par un fan, et la montre au public qui répond par une clameur : un bel hommage ! Le climax atteint, bien entendu, son sommet pendant « Tainted Love », la reprise de Gloria Jones qui avait propulsé Soft Cell au sommet des charts. La compo est enchaînée, comme d’habitude, par un « Where Did Our Love Go » jouissif à souhait. Pendant un des derniers titres, « Say Hello Goodbye », Almond réalise l'exploit de tenir une note aiguë pendant quasi 30 secondes. On a même eu peur qu'il s'étouffe !
Changement radical de style ensuite car on a rendez-vous de l'autre côté de la plaine pour le spectacle des pionniers de la ‘harsh electro-indus’, baptisée également ‘aggrotech’ : Suicide Commando. Créé par Johan van Roy en 1986, le projet inclut également, lors de ses live shows, Torben Schmidt aux claviers et Mario Vaerewijck aux drums. C'est revêtu d'une chasuble noire et coiffé d'un chapeau pointu que van Roy grimpe sur le podium, pendant que les notes de « The Gates of Oblivion » retentissent. Un look gothique solennel qui, combiné aux vidéos assez 'horror movies', communique une impression générale 'dark'... très 'dark'. Mais le chanteur reprend bien vite sont look habituel pour « My New Christ », signe avant-coureur d’un set intense, palpitant, imprimé sur des beats sataniques. Van Roy arpente la scène de gauche à droite (et inversement) ; et, en bon showman, vient titiller les fans des premiers rangs, qui éructent les paroles en même temps que lui. L'ambiance est infernale et monte encore d'un cran lors de « God Is In The Rain » et « Cause of death : Suicide ».
Mais il est temps de quitter ce chapiteau pour rejoindre l’autre, car D:uel, le projet réunissant les ex-Propaganda Claudia Brücken et Suzanne Freytag, va bientôt grimper sur l’estrade. Rappelons que Propaganda était, à l'origine, un groupe allemand, formé en 1982 par Freytag, Ralf Dörper (Die Krupps) et Andreas Thein. Claudia Brücken rejoint le line up un an plus tard et le band signe alors sur fameux label de Trevor Horn et Paul Morley, ZTT Records. Cette année, profitant de la réédition de leur album culte, « A Secret Wish », les deux chanteuses rendent hommage à Propaganda dans une série de concerts exceptionnels. Sur le podium, la cinquantaine fringante, elles portent des vestes à paillettes et font une belle impression. « dr Mabuse » ne manque pas d’allure, mais dès « A Dream within a Dream », on décèle les premières lacunes et les séquences de solos réalisées à la guitare, à la batterie et aux claviers, sont un peu limite : il est clair qu'il manque Trevor Horn à la production. Confirmation, « Duel » vire carrément au massacre. Heureusement, le sublime « p:Machinery » remet les pendules à l'heure, même si le riff aux claviers est trop faible dans le mix. Un show émouvant, donc, très nostalgique, mais dont la mise en place a manqué de rigueur, voire de précision…
L'heure avance et la lassitude envahit progressivement les organismes. C'est sans doute la raison pour laquelle nous sommes restés complètement insensibles au show de Lords of Acid. Le projet de Praga Khan, lancé par le hit « I Sit on Acid » en 1988, livre des shows démentiels, puissants et agressifs mais l'ensemble ressemble plutôt à un cirque, un barnum, voire même un foutage de gueule. Le même sentiment éprouvé face aux lamentables spectacles de Marilyn Manson. La chanteuse, Marieke Bresseleers, est très sexy, se meut sur l’estrade comme une panthère en chaleur et chante comme une hard-rockeuse. Mais cette représentation navigue en permanence à la limite du mauvais goût, surtout quand apparaissent, sur l’estrade, une poupée gonflable et trois 'danseuses' proposant les plus gros clichés ‘kinky’ et ‘SM’ possibles et imaginables. Le groupe a néanmoins de (très) nombreux fans et l'ambiance est électrique. Comme quoi...
Quittons bien vite le chapiteau (de cirque) pour rejoindre une dernière fois la Synth-Scene. Le point d'orgue du festival est bien choisi : c'est Vive La Fête, le sympathique projet de Danny Mommens (ex-dEUS) et Els Pynoo. Formé en 1997, VLF est connu dans le monde entier grâce à sa pop electro-wave enjouée et irrésistible. Pour les festivaliers, les hits du groupe, que ce soit « Nuit Blanche », « La Vérité », « Maquillage » ou le nouveau « Toute la nuit », issu du nouvel LP, « Destination Amour », constituent les cerises sur le gâteau après 4 (ou 5) jours de folie. Tout le monde sourit, chante et danse et c'est donc sur une note ultra-positive que se referme le W-Festival.
Pour être tout à fait complet, ajoutons qu'Anne Clark présentait tout au long du festival un spectacle vidéo 360° ainsi qu'un showcase live dans une tente séparée en forme de dome installée au milieu de la plaine.
En conclusion, bravo aux organisateurs et aux artistes et... rendez-vous l'année prochaine pour la 4ème édition, dont l'affiche est déjà quasi-complète ! Sont annoncés The Human League, Killing Joke, The Stranglers, Alphaville, Nick Kershaw, Peter Hook & The Light, Tony Hadley (ex-Spandau Ballet), Time Bandits, China Crisis, Allez Allez, The Blow Monkeys, Toyan Schmutz, Monreal Biarritz, Johnny Hates Jazz, Rational Youth, Lavvi Ebbel, Fehlfarben, Psyche, Nitzer Ebb, VNV Nation, And One, She Wants Revenge, Blutengel, Mesh, Escape With Romeo, Merciful Nuns, Lebanon Hanover, Kowalski, The Cassandra Complex, Pink Turns Blue, Apoptygma Berzerk, Signal Aout 42, Whispering Sons, Apparaat, Desperate Journalist, Palais Ideal, Portion Control, Solar Fake, In Strict Confidence, Empathy Test, Rational Youth, Alphaville, Lebanon Hanover et Adam Ant, notamment.
Prévue au départ comme tête d'affiche, Blondie a publié un démenti sur les réseaux sociaux : une erreur commise par une agence de booking est à l’origine de ce petit couac.
(Organisation : W-Festival)
(**) Sébastien Leclercq