Niché à l’ombre des coteaux depuis 2010, le Micro Festival, fêtait donc cette année, sa dixième édition. Suite à quelques modifications stratégiques, le site de l’Espace 51, remodelé au cœur d’un des quartiers les plus populaires et sympathiques de l’entité principautaire, accueillait donc de nouveau la foule, à l’ombre d’un chapiteau où pendant trois jours allaient se succéder une multitude de groupes ou artistes aux styles variés afin de la plonger dans des ambiances différentes. Jouant depuis le début la carte de l’éclectisme, le festival chapeauté par le label JauneOrange misait une fois de plus sur la curiosité d’un public majoritairement local, venu en masse, comme à chaque fois, pour cette ‘garden party’ annuelle dont l’affiche audacieuse et en général bien pointue suscite toujours débat. Souvent de bon goût, expérimentale, trash, drôle ou émouvante, la programmation –même si au cours de la décennie certains concerts n’ont pas laissé un souvenir impérissable– a néanmoins forgé l’identité d’un festival, petit dans ses dimensions, modeste dans ses ambitions mais incontournable pour beaucoup. Retour sur cet événement hors format en compagnie d’un chroniqueur aux oreilles bienveillantes.
Entrée en matière idéale pour cette seconde journée, puisque les premières mesures du folk psyché/folk –aux références californiennes– des Liégeois de Ode To Space Hassle (ou OSH en abréviations subtiles) cadence le pied léger de votre serviteur qui foule l’herbe tendre la conduisant jusqu’à eux….
Légères et croustillantes comme des gaufrettes, les plages qui figurent sur l’Ep « Love Won’t Find A Way » ne casseraient pas trois pattes à un canard, mais il faut bien reconnaître l’efficacité de ces compos agréables et exécutées habilement qui doivent autant à Allah Las qu’à nombre de bands issus des nineties. Le combo ne cherche pas l’originalité, rechigne à faire mal là où certains titres s’envoleraient volontiers et se contente de les interpréter le plus fidèlement possible. Entamant le dernier un poil trop tôt, le guitariste se fait charrier par ses acolytes ; et c’est dans la bonne humeur que s’achève (gentiment) ce premier volet.
Un set de DJ Smith vachement revigorant plus tard et nous sommes réunis sous la tente pour un moment de détente en compagnie d’un ensemble qui souffre d’une carence affligeante en originalité. Lewsberg n’étant ni plus ni moins qu’une sérigraphie de ce facétieux Andy Warhol.
Inutile de citer le groupe à l’origine des compositions de ces Hollandais qui s’échinent à calquer (certes fort bien) leur modèle. Voix, tempo, arpèges et fulgurances dissonantes, tout est minutieusement décliné en répliques fidèles, qui sans être des plagiats, n’en demeurent pas moins une belle escroquerie. Amusant et certainement plus agréable qu’un concert de Mister Cover, le set de ces Bataves aura au moins instauré une ambiance décontractée. Mais sur le coup de 17H25, elle prend un fameux coup de fouet par l’entremise du DJ set dispensé par le duo Mark it Zero. Au dehors, il embrase les brins d’herbe qui tantôt me chatouillaient les pieds.
Excellente initiative du reste car il faut à présent prêter toute son attention à ce qui va rester LA révélation de cette édition 2019.
Les petites frimousses à peine sorties de la puberté des petits écoliers de Black Country, New Road ne paient pas de mine, mais rayon musique, ils vont mettre tout le monde d’accord.
Si leur attitude fragile et intimidée laisse craindre le pire, les premières notes ont tôt fait de révéler un potentiel remarquable. De fait, quelque part entre post punk, free jazz et pop intelligente (ce terme abscons est adorable !), les Britons n’en font qu’à leur tête. Autant guidé que perdu par un saxophoniste épatant (et arborant une vareuse d’un club de foot très local), la concentration rebondit de thème en thème, de titre en titre, de surprise en surprise.
Fort d’une petite réputation glanée par maintes écoutes sur Spotify, ostensible baromètre du succès de nos jours, le quintet impose son savoir-faire dans un registre personnel qui tantôt évoque Gorky’s Zygotic Mynci (mais sans l’accent gallois) ou encore Moonshake.
De bien belles références pour une bien belle promesse.
Contraste majeur comme un doigt de la main dressé, place à présent à un trio lyonnais : Decibelles. Ou la quasi-quintessence de tout ce qui m’horripile. Adoubés par Steve Albini (qui au passage, il ne serait pas inutile de le rappeler, n’a pas produit que des merveilles) et présentés comme la relève d’un certain rock hexagonal, ces trois jeunes gens ne font pas dans la dentelle.
Ce qui en soi est de bon augure, puisqu’il est question de battre le fer tant qu’il est chaud. Mais hélas ! De battre, il est bel et bien question. Sur les fûts autant que sur les nerfs. Chanteuse et drummeuse, Fanny Bouland tape, tape, tape, c’est sa façon d’aimer, ce rythme qui m’entraîne jusqu’au bout de l’ennui, réveille en moi un tourbillon de folie. Vous l’aurez compris, Decibelles sonne à mes tympans comme une armada d’ongles sur l’ardoise d’un tableau. Même de loin, les poils s’hérissent au son de crécelle de la voix. Si ce n’est pas ma came, il semble qu’un certain public, au séant très remuant, apprécie la prestation. On se préserve donc pour la suite.
Drahla, trio issu de Leeds, a lui tout pour séduire. Sur le papier du moins. Emprunté, le groupe va pourtant peiner à convaincre. Terriblement mal à l’aise sur les planches, comme intimidé par un public pourtant on ne peut plus conciliant, ces jeunes gens égrainent scolairement leur chapelet de chansons pourtant appelées à être abrasives. Les bases sont pourtant bien présentes et on ne peut nier le potentiel de ces Anglais dont le post punk a au fil du temps évolué en quelque chose de certes plus Arty, mais néanmoins toujours aussi primal. Une copie mitigée donc, mais qui demande assurément un examen de passage.
De spectacle, par contre, il va être question en compagnie des Nippons de Bo Ningen.
Cheveux tombant en cascades, le quatuor masculin (c’est sans doute une révélation pour certains d’entre vous qui étiez présents) s’adjuge espace et temps au détour d’un set sans concession.
Repéré en première partie de Savages, il y a quelques années, le combo emmené par le charismatique chanteur nommé Taigen démontre tout son potentiel. Redéfinissant le psych rock suivant son propre code, parfois un peu trop chargé à mon goût ; moulinettes et poses glam, déferlantes noisy, élucubrations susurrées et cris sauvages de chat émasculé, déflagrations soniques et kaléidoscope infernal se succèdent, se chevauchent, s’entremêlent et créent un magma hypnotique qui, bien entendu, a pour effet de stimuler l’entrain d’une foule qui n’attend qu’un tel moment pour s’exalter. La cadence est soutenue, voir haletante. Soudain, la silhouette de Taigen, jusqu’à présent drapée d’un pull orange à la trame transparente laissant deviner en filigrane la taille de guêpe du chanteur (Bo Ningen signifie quelque chose comme ‘bonhommes allumettes’) se pare d’un survêtement sportif, avant que le set ne s’oriente vers des contrées étonnamment hip hop. Un métissage improbable mais qui souligne la volonté du groupe de désorienter le public et de baliser son territoire au-delà des frontières d’un genre.
Brassant le feu, conjuguant les styles, Bo Ningen assume pleinement son statut de fer de lance d’un mouvement halluciné et hallucinant.
Un concert plein qui met l’auditoire sur les genoux et incite votre serviteur à jeter l’éponge en ce deuxième jour.
Traversé d’ondes magnétiques phosphorescentes, il franchit le portail de l’espace-temps et s’en va retrouver ses pénates.
Bisous, à demain, Micro Festival !
(Organisation : Micro Festival)
Ode To Space Hassle + DJ Smith + Lewsberg + Mark It Zero + Black Country, New Road + Decibelles + Drahla + Bo Ningen