L’édition 2019 du festival Sonic City était particulièrement alléchante. Sous la houlette des curateurs Cate le Bon et de Shame, elle va proposer une quarantaine de groupes pendant 3 jours. Un bon millier de personnes a répondu présent le dimanche et un peu moins le samedi. Votre serviteur y était ces deux jours. Compte-rendu.
Priests avait accordé un excellent concert au Botanique en mai dernier. On espérait donc voir confirmer cette prestation dans le cadre du Sonic City. Le set s’ouvre par le single « Jesus’ son ». Belle entrée en matière ! GL Jaguar, le guitariste, est coiffé d’un chapeau de cow-boy comanche. Cheveux blond platine, chaussée de grandes lunettes de soleil, Katie Alice Greer a enfilé un top de couleur lilas aux reflets scintillants, une salopette blanc/beige dont elle laisse les bretelles retomber pour exhiber son nombril. De teinte orange, mais en latex, le top de la drummeuse, Daniele Daniele, est particulièrement sexy. Légèrement transparent, il dévoile de jolis mamelons… Mais passons au concert. Si la voix de Katie est toujours aussi radieuse, empruntant parfois les inflexions à Siouxsie Sioux voire Kate Pierson, et les envolées de gratte dispensées par GL Jaguar évoquent celles immortalisées par Tristan Garel-Funk chez Sad Lovers & Giants, les balances sont trop approximatives ; et puis le son est trop fort. En outre, les musicos semblent précipités ; et à trois reprises, la préposée aux fûts doit reprendre les morceaux au bout de quelques secondes. Cette dernière vient chanter deux titres, dont « I’m clean », un long morceau coincé entre disco et funk, pas vraiment convaincant. Et si les harmonies vocales échangées entre les deux vocalistes sont très susceptibles de rappeler les B52’s voire les Slits, on regrettera amèrement que le quatuor ne soit pas parvenu à canaliser son énergie furieuse, comme au Bota. Dommage !
Koichi Yamanoha, c’est l’ex-chanteur/bassiste du groupe japonais Screaming Tea Party. Etabli à Londres, il s’est lancé dans un nouveau projet qu’il a baptisé Grimm Grimm. Seul sur le podium, assis sur un siège, il se sert d’une gratte semi-acoustique et de bidouillages électroniques, pour dispenser un acid folk baroque, futuriste et surtout expérimental. Pourtant, ses mélodies sont soignées et les harmonies vocales sous reverb’ et dédoublées réveillent le souvenir des Beatles. C’est très agréable à écouter, éthéré dans l’esprit de Mercury Rev voire de Perfume Garden, mais au bout d’un bon quart d’heure, les compos commencent à toutes se ressembler. Pour info, sachez que cet artiste a été signé par le nouveau label de Kevin Shields (My Bloody Valentine).
En juillet dernier, Whispering Sons s’était produit dans le cadre du festival Cactus et avait laissé une impression mi-figue mi-raisin, ne parvenant pas à entraîner l’auditoire au cœur de son univers, sans doute à cause d’un environnement un peu trop mainstream. Chemisier blanc sur pantalon beige, qui contraste avec les vêtements de couleur noire des autres musicos, Fenne Kuppens, la chanteuse, ne tient pas en place tout au long du set. Elle s’agite comme un pantin désarticulé. Parfois on a même l’impression qu’elle entame un jogging. Si certaines sonorités de guitare semblent héritées de Danse Society, le spectre de Sisters of Mercy rôde régulièrement, la voix de Fenne semblant refouler sa colère, campant même le pendant féminin de celle d’Andrew Eldritch. Mais bonne surprise, les claviers infiltrent judicieusement la solution sonore et le light show colle parfaitement au climat sombre entretenu par le band. Manifestement, le post punk de Whispering Sons s’exprime beaucoup mieux en salle qu’en plein air… Anecdote, lors du dernier morceau l’alarme incendie s’est déclenchée ; ce qui a fait bien rire Fenne…
Cate Le Bon était une des curatrices de l’édition 2019 du Sonic City. Une Galloise qui compte quand même 5 albums à son actif, dont le dernier, « Reward », est paru en mai dernier. Sur scène, elle est soutenue par cinq excellents musicos, dont un drummer et quatre multi-instrumentistes qui se partagent saxophones, claviers, marimba, basse et guitares. Mais ce qui frappe d’abord, c’est la voix de Cate ; vulnérable, cristallin, son soprano évoque parfois celui de Kate Bush. Elle ne se consacre cependant pas uniquement au micro, se consacrant également et régulièrement à la gratte. Entre certains titres, elle interroge l’auditoire avec un regard noir et une expression stoïque. Et quand elle chante ‘I love you, I love you, I love you’, tout au long de « You don’t love me », on dirait qu’elle parle dans le vide. Multiforme, tour à tour minimaliste ou luxuriante, joyeusement excentrique ou furieusement irrésistible, oscillant entre folk, dub, pop, r&b, jazz, cabaret et post punk (NDR : la ligne de basse, surtout !), la musique emprunte même des accents prog réminiscents du Van Der Graaf Generator (deux saxos, cependant), et tout particulièrement lors de « Wonderful ».
En final, le groupe va nous réserver une version percutante de « What’s not mine », Cate (NDR : qui a adopté une coupe de cheveux à la Jeanne d’Arc) en profitant pour étaler toute sa virtuosité sur ses six cordes. Et un petit millier de personne est tombé, ce soir, sous son charme…
Petit détour par le club où Mega Bog se produit. Il s’agit du groupe d’Erin Elizabeth Birgy, une Américaine dont le répertoire propose des chansons nerveuses qui naviguent quelque part entre jazz, folk et indie, mais dont les morceaux s’achèvent souvent de manière impromptue. Blonde, Erin possède une jolie voix, également susceptible de rappeler Kate Bush. Et curieux, le drummer tient presque constamment un stick et un maracca dans une de ses mains, pour frapper ses fûts. Mais trop synthétique, le clavier ne colle pas vraiment au style musical. Aussi, on en profite pour aller casser la croûte…
Après avoir assisté à deux remarquables concerts, dans le cadre du festival Cactus, il y avait de quoi être enthousiaste à retrouver le Thurston Moore Band sur les planches. Il vient cependant de publier « Spirit counsel », un elpee expérimental, pour lequel il a fait appel à des tas de collaborateurs (pour la plupart des amis) dont une douzaine de guitaristes. Et bien ce soir, Thurston va nous réserver deux extraits de cet opus, « Alice Moki Jane » et « 8 Spring street », lors d’un set qui va durer un peu plus d’une heure. Le premier morceau rend notamment hommage à Alice Coltrane, maîtresse de jazz spirituelle, Moki Cherry, artiste plasticien et musicien suédois, et la poète politique Jayne Cortez, trois femmes qui se sont sans doute forgé une identité artistique singulière, en marge de leurs maris célèbres (John Coltrane, Don Cherry et Ornette Coleman, respectivement). Enfin, « 8 Spring Street » tire son nom de l'ancien discours du compositeur Glenn Branca, mentor et guide spirituel de Moore dans l’underground.
Sur les planches, Thurston est soutenu par un second guitariste (NDR : ils jouent tous les deux de grattes à 12 cordes), en l’occurrence James Sedwards, la bassiste de My Bloody Valentine, Debbie Googe, et Pete Shelley, l’ex-drummer de Sonic Youth. Et dès le départ on est un peu décontenancé par la musique proposée qui sera exclusivement instrumentale. Pete (dont la grosse caisse porte le sigle ‘The Style Council’) joue très souvent debout en se concentrant sur les cymbales, alors que les deux gratteurs tissent de longues envolées atmosphériques, psychédéliques, bourdonnantes ou mystiques, des envolées qui montent et redescendent en crescendo en alimentant une forme d’ambient très électrique qui ne néglige ni le feedback ni les longues stridulations. Les deux guitaristes glissent même des sticks à travers leurs cordes pour produire des sonorités proches d’une boîte à musique.
En fin de parcours Moore tient sa guitare horizontalement au-dessus des têtes du public en laissant ses cordes vibrer et rugir frénétiquement.
Un set parfait, mais terriblement difficile à digérer si on n’a pas écouté l’album. En fait, Thurston est à nouveau en pleine phase expérimentale, dans la tradition la plus pure de la noisy, un peu comme aux débuts de Sonic Youth, mais aussi dans l’esprit de ses nombreuses collaborations ou aventures en solitaire. Le spectateur lambda, amateur de rock plus ou moins classique, a lui dû trouver le temps bien long…
A demain !
(Organisation : Wilde Westen)
Priests + Grimm Grimm + Whispering Sons + Cate le Bon + Mega Bog + Thurston Moore Band