L’édition 2019 du festival Sonic City était particulièrement alléchante. Sous la houlette des curateurs Cate le Bon et de Shame, elle va proposer une quarantaine de groupes pendant 3 jours. Un bon millier de personnes a répondu présent le dimanche et un peu moins le samedi. Votre serviteur y était ces deux jours. Compte-rendu.
On débarque juste avant le concert de Squids (NDR : traduisez calamars !) Bonne initiative de la part de l’attaché de presse chez PiaS d’avoir transmis l’Ep de cette formation issue de Brighton, sans quoi on manquait un des meilleurs moments du festival. Squids, c’est un quintet réunissant deux gratteurs dont un gaucher, un bassiste qui double à la trompette, un claviériste (NDR : encore que ces musicos sont capables de changer d’instrument en cours de parcours) et un drummer qui se charge également du lead vocal. Un fait assez rare pour le souligner, d’autant plus que ce Ollie Judge assure parfaitement les deux rôles. C’est même lui qui sert de chef d’orchestre chez le combo. Son chanté/parlé évoque tour à tour feu Mark E. Smith (The Fall), David Byrne (Talking Heads) ou encore Fred Schneider (B52’s), alors que capricieuse mais joyeuse, mais aussi envoûtante ou frénétique, voire atmosphérique et tentaculaire (?!?!?), la musique de Squids puise ses sources aussi bien dans le post punk, le jazz, la soul que le funk blanc. Et le résultat est aussi rafraîchissant qu’original. Et puis certaines interventions à la trompette s’évadent à la manière d’un Steven Brown (Tuxedomoon). Ollie vient interpréter un morceau plus paisible sans frapper sur ses fûts, mais simplement sur une cymbale, pour accélérer le tempo. Une belle salve d’applaudissements va ponctuer cette prestation particulièrement convaincante.
The Murder Capital est un autre band dublinois, responsable d’un premier album. Baptisé « When I have fears », il est paru en août dernier, un elpee chroniqué dans nos colonnes ici. Le quintet monte sur le podium : deux guitaristes, un bassiste, un batteur et le chanteur James McGovern. Le show s’ouvre par les deux versions de « Slowdance », deux morceaux relativement indolents et monochromes. McGovern secoue un tambourin, s’en sert même comme un éventail avant de la balancer dans les mains d’un roadie prêt à le recevoir en coulisses. Cheveux coupés assez courts, il a une tête plutôt patibulaire voire inquiétante. Les mains dans le dos, il regarde le sol. Quoique caverneuse, sa voix passe bien la rampe. Le bassiste, Gabriel Paschal Blake ne tient déjà pas en place et se contorsionne d’un air menaçant en exhibant son instrument. Et sa ligne de basse palpite comme un cœur atteint de tachycardie. Gémissements et crépitements de cordes alimentent « Love, Love, Love ». Le drumming de Diarmuid Brennan est aussi syncopé que celui de Stephen Morris (Joy Division). Et « For everything » trahit bien des références aux Young Gods, comme sur le long playing. « Green & blue » constitue un monolithe post punk imposant, taillé par un riff de basse puissant. Le show monte encore en crescendo tout au long de « For everything ». Mais à partir de « Don’t cling to life », la fièvre va s’emparer du band. Des mouvements de danse, puis des pogos se propagent dans la foule. Mais aussi le crowdsurfing. Le leader ouvre alors la fosse à partir de « More is less », et saute dedans pendant le final « Feeding faces ». Paradoxalement, si au fil du set les titres proposés sont devenus plus durs, ils sont restés mélodieux. D’ailleurs, de nombreux spectateurs ont repris les paroles des chansons en chœur. Un des points culminants du festival !
Setlist : Slow Dance I, Slowdance II, Love, Love, Love, Green & Blue, For everything, Don’t cling to life, More and less, Feeling faces
Corridor se produit à l’étage. Un quintet montréalais signé chez Sub Pop. Rien d’extraordinaire jusque-là, sauf que les compos sont interprétées en français. Une première pour le label ! Maintenant, en ‘live’, il faut bien reconnaître que les paroles sont un peu noyées sous le flux des instruments. Le line up réunit deux guitaristes, un drummer, un percussionniste/claviériste et le bassiste/chanteur Dominic Berthiaume ; Jonathan Robert, l’un des deux gratteurs assurant la seconde voix. Et c’est sans doute au niveau des harmonies vocales et de l’intensité des cordes électriques que reposent toute la force de ce band qui doit probablement puiser certaines de ses influences majeures chez Big Star et les Byrds. Malheureusement, les compos manquent cruellement de relief et on a parfois l’impression que tout est dispensé sur un même ton… post punk. Dommage, car ce Corridor mérite de sortir du couloir de l’anonymat…
Deerhunter est né en 2001. Issu d’Atlanta, il est considéré comme un des groupes les plus brillants de sa génération. A son compteur, 8 albums dont le dernier, “Why Hasn’t Everything Already Disappeared?”, est paru au début de l’année. Bradford Cox en est le leader. Grand, filiforme, ce n’est pas vraiment un top model. D’ailleurs, il pourrait incarner facilement un rôle dans un film de zombies. Ce soir, il porte un blouson d’aviateur, des bottillons rouges et est chaussé de lunettes de soleil roses. Elégance ne rime pas nécessairement avec décadence. Un blouson qu’il va ôter assez rapidement, tout comme ses lunettes. Il est épaulé par un claviériste/saxophoniste, un drummer, un bassiste et un guitariste. Suivant les chansons, Cox se consacre exclusivement au micro ou au chant et à la guitare. Des grattes qui peuvent vraiment se charger d’une belle intensité quand un max d’effets est injecté dans des couches délavées, pétillantes, atmosphériques, bringuebalantes ou bourdonnantes. Il dédie « Plains » à son amie Cate Le Bon, une compo qu’ils jouent d’ailleurs ensemble régulièrement. Mais pas ce soir. Il croone aussi sur les morceaux les plus lents, comme lorsqu’il s’assied un moment sur le bord de l’estrade du batteur, pour une composition acoustique, avant que cette valse accélère sous une forme, à nouveau, bien électrique. Le temps d’un morceau, le claviériste empoigne et souffle dans son saxophone, en démontrant toute sa virtuosité sur son instrument. Tout le backing group est d’ailleurs constitué d’excellents instrumentistes. Et puis, un violoniste vient se joindre au band lors d’un final dantesque, propice à la distorsion et au feedback, lors de « He would whave laughed », un hommage au regretté Jay Reatard. 1h20, finalement, c’était vraiment trop court, car le concert était vraiment remarquable.
Setlist : Death in Midsummer, No One's Sleeping, What Happens to People?, Revival, Desire Lines, Sailing, Take Care, Futurism, Plains, Coronado, Nocturne, Agoraphobia, He Would Have Laughed
Prévenu, votre serviteur prend du recul avant d’assister au show de Shame, un combo bien punk, dans la tradition des Sex Pistols. Issu du Sud de Londres, il a la réputation d’accorder des prestations incendiaires.
Les baffles crachent la musique du film ‘Les dents de la mer’. Le groupe débarque enfin sur les planches avec 10 minutes de retard. Charlie Steen, le chanteur, porte un costume en pied de poule, dont il va rapidement enlever la veste, puis le t-shirt, pour finir torse-nu. Mais dès les premiers accords, c’est le délire ! Les musiciens de The Murder Capital envahissent le podium depuis les coulisses et balancent bière et eau dans le public, gobelets et bouteilles en plastique, y compris. Et certains d’entre eux le rejoignent pour lancer la première série de crowdsurfing. Qui ne va d’ailleurs plus d’arrêter avant la fin du show. Certains spectateurs se hissent sur l’estrade et replongent aussitôt dans la fosse. Le bassiste court de gauche à droite quand il ne bondit pas comme un kangourou. Et les autres musicos se démènent presque autant. Seul le drummer (cheveux longs ?) se contente d’imprimer un tempo infernal. Puis avant « The lick », Charlie saute dans cette fosse pour déclarer l’ouverture des moshpits. Quand McGovern, le chanteur de The Murder Capital, réapparaît, c’est pour monter sur la scène et rouler un patin à Steen. Votre serviteur n’a pas pris assez de recul et doit se résigner à battre en retraite, car l’effervescence dans le public gagne du terrain. 2/3 de la foule est en ébullition. Faut dire que Charlie jette littéralement de l’huile sur le feu pour activer cet incendie sonore, en invitant notamment la foule à s’approcher du podium. Il porte son pied de micro sur les épaules comme un haltérophile. Un fameux showman ! Et pourtant, malgré cette sauvagerie, certaines compos sont tramées dans de savoureux échanges de grattes électriques. En 50 années de concerts, il faut avouer que votre serviteur a rarement connu un tel chaos. Mais dans une chouette ambiance. Car il n’a engendré aucune échauffourée et a permis aux festivaliers de manifester –sans doute spontanément– leur bonheur de vivre intensément le moment présent. Bon, il doit bien y a voir quelques bleus ou dents cassées à l’arrivée ; mais les intrépides qui se sont lancés dans la mêlée connaissaient les risques. D’ailleurs, à la fin du spectacle, Steen est revenu sur le podium pour s’inquiéter d’un iPhone perdu et de quelques objets trouvés.
Setlist : Another, Niigel Hitter, Concrete, The Lick, One Rizla, Cowboy Supreme, Tasteless, Human, for a Minute, March Day, Friction, Dust on Trial, Snowday, Gold Hole,
Bref, ce Sonic City était assurément d’un tout grand cru. Maintenant, impossible d’assister seul à tous les concerts. A minuit, ce dimanche, les jambes devenaient lourdes, très lourdes même ; raison pour laquelle entre les shows, il était important de se reposer dans la salle prévue à cet effet. Tiens petite anecdote, quelque temps après le show de The Murder Capital, James McGovern y est passé en catimini, vêtu d’un long manteau, un fichu sur la tête et chaussé de lunettes fumées. Enfin, il faut remercier les organisateurs pour leur accueil et leur sens de l’organisation. Presque tous les groupes ou artistes ont respecté le timing. Le prix des consommations était raisonnable et il y avait de la bière blanche. Epuisée, néanmoins, le dimanche à 22 heures. Seul bémol, le prix du parking. Et impossible d’éviter les emplacements payants, dans les artères adjacentes, sous peine d’amende. Et comme les transports en commun ne peuvent plus vous ramener plus ou moins près de chez vous en fin de festival, comment se passer de véhicule ?
A l’année prochaine !
(Organisation : Wilde Westen)
Squids + The Murder Capital + Corridor + Deerhunter + Shame