C’était en 1989. Votre serviteur venait de fêter ses 16 printemps ; et il foulait la plaine du premier festival de Dour. A l’époque, une seule scène, une poignée d’artistes, mais déjà une tête d’affiche de qualité en la personne de Bernard Lavilliers.
De festivalier lambda, votre serviteur est donc chargé de vous imprégner de cette ambiance que l’on ne retrouve nulle part ailleurs. Le Belgique n’est-elle pas perçue comme le terrain du surréalisme par excellence ?
Les événements ont bien changé depuis. S’il y a 35 ans, on bricolait comme on pouvait, le festival de Dour est devenu une véritable machine industrielle se déroulant pendant cinq jours, sur huit scènes, accueillant 230 artistes et attirant 250 000 personnes. Sans oublier ces géantes éoliennes disséminées un peu partout qui, à défaut de procurer de l’ombre, amusent le peuple.
On vient à Dour, plus pour la rigolade et la bonne humeur, que pour ses têtes d’affiches. La découverte est le leitmotiv du DF. Et si depuis quelque temps, on couvrait davantage la musique électronique, le hip hop et le rap, les organisateurs, sous l’impulsion de vieux briscards, ont remis en œuvre une scène dédiée au rock, dans son prisme le plus obtus. Ce lieu, devenu emblématique, est le bien nommé ‘Garage’.
Outre ‘The Last Arena’, la plus grande scène qui peut accueillir 20 000 âmes, ‘De Balzaal’ consacrée à la musique électronique, la ‘Boombox’, qui fait la part belle au hip-hop, à la musique soul, au r’n’b et au swing, il reste ‘La Petite Maison dans la Prairie’ destinée aux fans de musique indie. On a fait le tour du propriétaire…
Hormis la main stage, pratiquement toutes les autres sont couvertes. Et comme la Belgique est un pays de drache nationale, chacun y trouvera son compte.
Alors que votre serviteur couvrait le LaSemo, la semaine dernière, un festival où il était de bon ton de croiser des enfants, un conseil : laissez-les à la maison ou confiez-les à votre baby-sitter, sans quoi ils risquent d’être traumatisés à la vue des festivaliers de Dour, qui sont, à quelques exceptions près (comme votre serviteur), le plus souvent exubérants.
Le festival a réellement commencé la veille, mais dans une version light, les artistes se cantonnant seulement à divers endroits. Avez-vous déjà vu un cycliste se décarcasser au Tour de France dès les premiers coups de pédale ? Non ! Ici, c’est pareil, mollo-mollo !
Pas de quoi laisser de souvenirs inoubliables, ce jeudi. Tel un aventurier, sac à dos, gourde à portée de main et chaussures de marche aux pieds, votre serviteur vogue de scènes en scène tout en s’exclamant Douuuurreuuuhhhhhh, seul comme un con. Un passage obligé, sans quoi il risquerait de passer pour un marginal.
Le festival doit vivre et survivre. Mais les prix affichés sont exagérés. Une pinte, c’est 3,50€. Et pourtant, elle a le goût de la pisse. Même chose pour la bouffe. Autant se mettre à quatre pattes et brouter l’herbe, il y en a à foison. Même si ça ne durera pas !
Première tour de piste avec Dinos. Il se produit sur la main stage. C’est un rappeur. Le black est bâti comme une armoire à glace et possède des paluches impressionnantes. On dirait des péniches.
Né Jules Jomby, il originaire de La Courneuve, en Seine-Saint-Denis.
A seulement 21 berges, il possède déjà toute l’assurance requise des grands noms. Grâce à son premier projet, Thumbs Up, monté en 2011, il commence à se faire un nom dans la famille des rappeurs.
Pas certain que le gars chante très juste, sa voix empruntant les effets de l’autotune, un plugin correcteur de hauteur sonore (son, note) permettant de faire croire que l’on chante juste. Ce branquignole baratine son monde. Pour la petite histoire, en novembre 1998, la chanteuse américaine Cher s’illustre par une utilisation spectaculaire de l'autotune, appliqué à sa voix sur la chanson « Believe ». Mais, Cher avait naturellement de la voix…
A l’aide de titres percutants (on sait maintenant pourquoi Dinos s’est longtemps appelé ‘Punchlinovic’) comme ce « Placebo, une chanson dans laquelle il se convainc de s’être soigné d’un amour déchu, tout en cachant son chagrin, le gamin assure comme un chef.
Bravant sa « Paranoïaque », il balance pléthore d’insultes au public (NDR : dont ‘fils de pute’). Mais, c’est pour la bonne cause. On le pardonne donc. Et puis aussi, quelque part, ça fait partie du jeu !
On retiendra les spectaculaires colonnes de feu dispersées de part et d’autre de l’estrade et des compos, quelquefois hasardeuses, mais sincères à l’image de « No Love » ou encore du touchant « Helsinki ».
Dinos, un artiste en or (DinosOr) ?
Au Garage, au loin, retentit le bruit d’une caisse claire. Fallait quasiment une boussole pour s’y rendre, le site ayant été revu à la hausse par rapport à son antédiluvien qui le précédait. Avant, il y avait des repères, comme ces arbres au niveau de l’étranglement de deux sites, mais ici rien, si ce n’est un horizon sans fin. En chemin, un spectateur portant un t-shirt à l’effigie d’Arctic Monkeys se presse. Plus de doute, c’est la bonne direction.
C’est DITZ, un band issu de Brighton, qui s’y produit. Le lieu est jonché de sable au sol, ce qui lui donne un petit côté (f)estival. Une sacrée bonne idée. De nombreux spectateurs s’y sont allongés, non pas le cigare en main, mais une tigette moins épaisse dégageant cette odeur caractéristique de sapin.
Après quelques minutes, deux certitudes. D’abord sous un angle musical, aucune révolution au programme. La seconde, et c’est sans doute la raison pour laquelle on est tenté de rester, chope à la main, c’est le bordel monstre que le combo fout.
Son truc, c’est le rock post-punk avant-gardiste influencé par le post-hardcore et le noise rock des années 80 et 90. Et en agissant un max sur les pédales d’effets,
Le leader, visage androgyne, porte un petit top et une jupette. Un genre qui permet de voir de belles guibolles épilées. Le drummer frappe ses fûts frénétiquement. A chaque levée de bras, une odeur nauséabonde se propage dans les narines de ceux pressés au crash.
La combinaison basse/batterie permet aux compositions d’embrasser de belles couleurs. Le vocaliste surjoue parfois, mais l’esprit est tel, que ses singeries sont bien accueillies dans le public.
La filiation avec ses homologues britanniques Psychotic Monks n’est pas fortuite. Après avoir assuré les premières parties de Turnstile et d’IDLES, on se souviendra longtemps de l’énergie dégagée par le chanteur, où, debout, soutenu par les mains du public, il saute au sein de la foule, telle une gazelle, fuyant le lion dans la savane.
Avez-vous déjà eu cette sensation de faim qui vous tenaille et devoir ingurgiter quelque chose que vous n’aimiez pas ? Une métaphore qui colle bien à Caballero & JeanJass.
Le plus grand des deux a enfilé une tenue rouge ressemblant à celle d’un Playmobil. Ou plutôt d’un Playmo(débile).
Le temps de cerner ces porte-drapeaux de la scène hip-hop noir-jaune-rouge, que le public s’est pressé en masse miraculeusement. Il y a des Belges évidemment, mais aussi autant de représentants d’outre-Quiévrain. Les deux gusses ont une sacrée tchatche.
Leur différence de taille fait penser à Laurel et Hardy. Et comme eux, l’humeur communicative est au rendez-vous.
Le DJ aux platines, un compagnon de route, s’amuse visiblement. Il est chargé d’insuffler les bandes-son, à charge pour les autres de les habiller avec un flot de paroles, pas toujours compréhensibles. L’ambiance y est. Même le gars planté en chaise roulante depuis près de 30 minutes, s’est levé d’un coup sec pour danser. Dire qu’il y en a qui perdent leur temps à Lourdes dans l’espoir d’un miracle. Lourdes et Dour, même combat !
On ne peut pas dire que le combo s’essaie dans la prose poétique, à l’instar de Verlaine ou de Rimbaud, dans son « Dégeulasse » (‘Est-c'que tout l'monde a vu c'que j'ai vu aux infos ?/Ouais, c'est dégueulasse. C'est qui le connard qu'a pissé sur la planche ?/Ouais, c'est dégueulasse/Si c'est toi, j'espère que tu t'es lavé les mains/Sinon c'est dégueulasse/Attends mais quand j'y pense, tu m'as serré la pince/Et ça c'est dégueulasse’). Magnifique, non ?
Pour clôturer cette première salve, le tour music de votre serviteur s’arrête à la Main stage. La boucle est ainsi bouclée.
James Blake s’y présente aux côtés de deux autres comparses. Il se plante à droite du podium. Pour la circonstance, il est chargé de bercer les morceaux de sa voix d’outre-tombe. A l’extrême gauche, un autre préposé s’est posté derrière des claviers et machines en tous genres, alors que le centre est réservé au percussionniste, entouré de ses cymbales aussi diverses que variées.
JB produit une musique tentée d’électronique à partir de seuls instruments organiques. D’où la curiosité de bon nombre.
Né en 1988 à Londres, Blake est un auteur-compositeur-interprète, multi-instrumentiste et producteur britannique. Au cours de sa carrière, il a contribué au travail de production d'artistes tels que Kendrick Lamar, Beyoncé, Jay-Z, Rosalía, Frank Ocean ou Travis Scott. Il a également remporté un Mercury Prize après deux nominations, un Grammy Award après sept nominations, et a été cité à trois reprises aux Brit Awards.
Affublé d’une veste au col Mao, sombre, il assène, de ses ivoires, une musique qui pourrait s’apparenter à la bande son d’un film spaghetti. La Fender, quant à elle, et ses effets, lui assène un côté chill, alors que le drummer insuffle cette dose d’énergie salvatrice. Bref, un mélange osé, mais cohérent et surtout qui tient sur la route.
Alors que « Say What You Will » tient ses promesses, le set prend doucement des allures de fin. Une prestation impeccable et digne de ce nom.
Au terme d’une première journée marquée par la chaleur, cette nouvelle édition du festival de Dour, commence sous des auspices audacieux qui attisent la curiosité.
Le soleil, lui aussi, tire doucement sa révérence. La lune s’est invitée sur le plateau. Les étoiles brillent par milliers, tout comme celles présentes dans les yeux des aficionados…
A demain !
(Organisation : Dour festival)