Marie Davidson et Pierre Guerineau produisent une musique électronique particulièrement novatrice, sublimée par une prose 'voice-over' déclamée ou chantée. Leurs créations s'articulent autour de deux projets : celui solo de Marie Davidson et le duo Essaie Pas. Leur univers musical évolue entre ‘ambient’ introspective et ‘minimal synth’, tout en affichant un côté ‘clubbing’ nu-disco/techno. Le caractère onirique est omniprésent, un peu comme si on écoutait la bande-son sensuelle d'un film imaginaire.
Le duo avait déjà accordé une interview à Musiczine, lors de son passage à Bruxelles, en 2013 (voir ici). Il était donc judicieux de profiter du concert, accordé le 20 août dernier, dans le club La Villaine, à Bruxelles, pour retrouver les deux musiciens et débattre de leurs nouvelles productions. Mais abordons d’abord le projet solo de Marie Davidson.
Tu as publié un nouvel opus cette année : « Un Autre Voyage ». Comment pourrais-tu décrire son évolution, par rapport au précédent ?
Marie Davidson (MD) : C'est de la musique électronique sur laquelle on pose des textes souvent parlés, parfois chantés. En outre, je me suis familiarisée avec mon nouveau matériel pour réaliser ce disque. Il est plus performant. Pour la prod, j'ai travaillé en compagnie de Pierre (NDR : Guerineau). En général, je compose tout moi-même, y compris la musique ; puis j'enregistre. Par contre pour « Un Autre Voyage », on a bossé ensemble sur la production. Pierre a amené ses idées. Je ne me sers pas d’un ordinateur, alors que Pierre utilise un Pro-Tools ; ce qui a permis de raffiner certains sons et de développer différentes perspectives. En résumé, la progression est naturelle ; elle repose sur l'approfondissement d'une esthétique de travail et reflète l’expérimentation d’une personne qui apprend au fil du temps.
N’as-tu pas l'impression d’y privilégier le côté davantage dansant, un peu plus 'techno' ?
MD : Pas vraiment sur l'album, mais il y a une certaine mutation vers la techno sur certains morceaux. Ils ne sont pas encore sortis, mais je les joue en concert. Cependant, je conserve l'influence italo-disco, déjà palpable sur « Perte d'Identité » comme pour le titre « Shaky Leg » et son remix. Cette approche a toujours été présente, mais depuis la parution d’« Un Autre Voyage », la direction est franchement plus dance-floor.
Est-ce parce que vous résidez maintenant à Berlin ?
MD : Les styles de musique, je les aime tous ; enfin presque tous. J'apprécie le jazz, la musique contemporaine, la pop, le rock. Les Doors sont toujours une des mes influences majeures. Mais auparavant, je n'étais pas capable de créer de la musique 'dance-floor'. Ce n’est pas une musique facile, car elle exige beaucoup de travail et une bonne synchronisation mentale. Il faut être capable de synthétiser ses idées, de structurer ses chansons pour trouver le groove, le conserver, et susciter l'intérêt des gens pour qu'ils continuent à danser. Mais il est clair que je composerai toujours de la musique 'ambient'. Berlin, c'est une chouette ville. Elle inspire la techno ; mais de la dance, il y en a partout.
Au cours du concert, tu as interprété un nouveau titre, « I Dedicate My Life ». Il y en a d'autres ?
MD : Oui, un instrumental intitulé « D1 » ; et puis, un morceau qui n'a pas encore de titre. Il a été composé à Berlin et s’appuie sur un bpm (NDR : beats par minute) très élevé : 260 !
Pierre Guerineau (PG) : C'est comme un 130bpm mais en doubles croches... C'est très...
Frénétique ?
PG : Oui !
Pierre, venons-en à votre duo, Essaie Pas, responsable récemment d’un single baptisé « Danse Sociale »...
PG : Oui, c'est un 7 pouces, que l'on a sorti sur le label franco-belge Teenage Menopause...
De notre ami Elzo Durt...
PG : Et François. C'est un très chouette objet. La pochette est originale. Elle bénéficie d’une trame visuelle animée. C’est lui et un ami qui l’ont conçue…
Et le label envisage de publier une série de singles qui adoptent ce concept visuel, je crois ?
PG : Oui, dont The Horrorist, et quelques autres.
« Danse Sociale » est, comme son nom l'indique, très 'dance'. La production est très directe et intègre peu d'effets. On a l'impression que le son de la boîte à rythmes est super 'dry'.
PG : Il y a un peu de distorsion et de réverbération sur l'ensemble. C'est différent de ce qu'on faisait avant. Essaie Pas essaie d’explorer de nouveaux horizons, de nouveaux sons et cherche à éviter la redite...
Par contre, la face B, « Ausgang », creuse davantage une veine cinématographique.
MD : C'est un morceau expérimental composé à Berlin, il y a 2 ans.
PG : C'est une improvisation préparée, une compo qu'on aimait, mais qui n'avait pas trouvé sa place sur nos disques. Et c'était sans doute le moment idéal de le sortir. Sur le single, les deux morceaux sont très différents ; ils représentent deux facettes de ce que l'on apprécie.
Les textes abordés sur le dernier elpee de Marie Davidson, « Un Autre Voyage », reposent logiquement sur le voyage. Chaque chanson correspond-t-elle à un moment particulier de vos périples ?
MD : Il n'y a pas nécessairement de moment précis, mais chaque chanson est inspirée par des événements que j'ai vécus, des gens rencontrés, des idées ou des impressions échangées.
« Boulevard Taschereau », par exemple ?
MD : C'est un endroit qui existe vraiment. Il est situé dans la banlieue de Montréal, du côté de la rive sud. On y est allé, il y a deux ans.
Donc, on peut espérer un jour une chanson intitulée « La Villaine » ou « Place Flagey » ? (rires)
MD : Non, il faut que ce soit un peu plus onirique. Je pourrais composer une chanson consacrée au nom d'un bar ; mais il faudrait qu'il s’y produise un événement mémorable. Il y a de l'humour dans mon écriture, mais elle est toujours authentique. Par contre, je n’y exprime pas de dérision…
PG : Si tu voyais le Boulevard Taschereau, tu serais déçu. L’endroit n’est pas particulièrement intéressant.
MD : C'est un échangeur d'autoroutes, entouré de motels, de centres commerciaux...
PG : C'est un 'non-lieu', un endroit de passage...
MD : ... qui laisse beaucoup de place à l'imagination. On y croise de drôles d'individus ; dont celui qu’on a rencontré et qui nous a raconté son vécu…
Votre musique affiche manifestement un aspect cinématographique ; avez-vous envisagé de composer des B.O. de films ?
MD : On a réalisé celle d'un documentaire. Mais en effet, c'est un rêve pour nous. En fait, un de nos vieux morceaux, une reprise de Jacno, « Anne cherchait l'amour », a servi au premier court-métrage de Larissa Corriveau et Fernando Lopez, « Le Fugitif ». C’est une fiction.
PG : Mais la chanson n'avait pas été enregistrée dans ce but.
Marie, tu prévois la parution d’un nouvel LP ?
MD : Je ne sais pas. Je vais prendre mon temps.
Et une date a-t-elle été fixée pour celui d'Essaie Pas ?
PG : Au mois de janvier. Sur DFA. On est très excités de le voir sortir sur ce label new-yorkais.
DFA est un label notoire !
PG : Il était connu pour le dance-punk, un mélange entre la musique très dansante et en même temps un peu foutraque. Il hébergeait surtout des projets comme LCD Soundsystem, Hot Chip... C'est un peu disco-punk, funk, no-wave, voire noise. Black Dice, Eric Copeland y sont aussi signés. Puis Factory Floor, qui a marché pas mal l'année passée. C'est en assurant la première partie de Factory Floor, à Montréal, qu'on est entrés en contact avec DFA.
C’est un long playing ? Vinyle et CD ?
PG : Oui, vinyle et CD. Il est fini, masterisé. La pochette a été conceptualisée. Il n'y a plus qu'à attendre la sortie.
Quel est son titre?
MD : « Demain est une autre nuit ». Il comporte 8 plages.
Et comme d'habitude, vous y abordez différents styles musicaux ?
MD : Oui, par rapport au premier, il est très concis. Ce sont les mêmes instruments, les mêmes sons, mais la musique communique une forme d’urgence…
PG : Les rythmes sont relativement enlevés et les arrangements sont axés autour des séquences.
Grâce à DFA, vous aurez accès à une distribution et une promotion plus conséquentes…
MD : Oui, bien sûr !
PG : Ils travaillent avec PiaS en Europe.
Ah oui ? C'est un label belge à l'origine…
PG : Ah bon ? Je ne savais pas.
Oui, ils sont très bien. Ils distribuent des grands noms. Grâce à eux, vous pourrez progresser.
PG : C'est bien pour nous. On va toucher un public qui n’avait pas encore eu le loisir d’écouter ce qu'on fait. C’est une satisfaction.
Passons maintenant aux sélections. Je vous ai proposé de choisir quelques titres récents qui vous ont séduits.
MD : Je recommande d'écouter « Gold Mirror » de Night Musik. Cet artiste est originaire d'Ottawa. Il a vécu à Montréal et s’est aujourd’hui expatrié à Berlin. Il a sorti son premier album sur Mind Records à Paris. Il est excellent.
PG : J'ai choisi Ran May, un artiste montréalais. Il relève d’un jeune label, Neuromodulation. Il s’inscrit plutôt dans la veine techno-industrielle, mais très atmosphérique. La chanson s’intitule « Construction d'Agencements ». Sur cette firme de disques, militent également Harmaline, qui est de LA, mais également Ater Charta, Ginger Breaker, Vox Nihili. Ce sont tous de jeunes musiciens avec lesquels on a des affinités. Je les aide parfois pour des productions, des masterings.
MD : La 3ème sélection, c'est Symbol, le projet solo de Christopher Royal King. Egalement chez Holodeck Records. Il joue au sein d’une formation américaine qui jouit d’une solide réputation : This Will Destroy You. Son projet solo est magnifique. Il est 100% modulaire, ambient, cinématographique, intemporel. Une de mes parutions préférées de ces dernières années.
Je vous ai aussi proposé de choisir quelques titres qui ont été fondateurs de votre culture musicale au début de votre parcours ?
PG : Oui, pour moi, c'est une composition du chanteur français Christophe, « Voie Sans Issue ». Elle est parue en face B de « J'l'ai Pas Touchée ». Ce titre est incroyable, complètement électronique.
MD : Perso, il est difficile d'identifier des morceaux fondateurs, car la musique est un flot continu dans ma vie depuis l'enfance. Mais je peux citer quelques compos qui m'ont inspirée et ouvert des portes. Le « Alleys of your mind » de Cybotron m'a ainsi permis de découvrir la early-techno issue de Detroit. La formation a été influencée par Kraftwerk, le funk, l'electrofunk et la musique électronique avant-gardiste. Un artiste plus moderne qui m'a également marqué au cours des dernières années, c'est Function ; et tout particulièrement la chanson « Against The Wall ». Il est américain, mais vit à Berlin. Sinon, mes références oscillent entre la musique contemporaine, les musiques de film, l'italo-disco et le disco en général. Giorgio Moroder restera toujours une influence incontournable. Et certains producteurs comme Mike Mareen. Notamment son morceau Dancing In The Dark ».
Enfin, quelles impressions gardez-vous de la Belgique ?
PG : C'est la 3ème fois qu'on y vient et c'est toujours un plaisir. C'est ici qu'on a commencé la tournée et qu'on la finit. C'est symbolique : on a une amitié particulière avec Bruxelles, la Belgique.
MD : On apprécie s’y produire ; les gens sont ouverts d'esprit. Il y a toujours de bonnes soirées, de bons concerts et on y rencontre de bons amis. La culture musicale y est bonne.
PG : Et en plus, Bruxelles est une ville très cosmopolite et très agréable à fréquenter...
Pour écouter l'interview en audio sur Mixcloud dans le cadre de l'émission WΛVES (Radio Vibration), c’est ici
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