Pour sa 11ème édition, le festival Rock en Seine proposait une affiche variée de quelque 56 groupes ou artistes, dont plus de la moitié venaient présenter un premier Ep ou album. A l’instar des années précédentes, il investit le vaste domaine de Saint-Cloud, au sud-ouest de Paris. En constante progression depuis sa création, le festival a, une fois de plus, battu son record de fréquentation, alignant deux jours à guichets fermés (vendredi et samedi), soit 40 000 personnes à chaque fois, plus de 38 000 personnes le dimanche, soit un nombre total de 118 000 visiteurs. A l'affiche du samedi, une belle brochette de formations confirmées (Phoenix, Vitalic et surtout Nine Inch Nails, dont c'est le grand retour), mais également quelques unes très prometteuses, qui opèrent leurs quasi-débuts dans un festival de cette envergure.
C'est le cas pour le premier combo auquel nous nous sommes intéressés, In the Valley Below. Ce duo américain, réunissant Angela Gail et Jeffrey Jacob, doit son nom à une chanson de Bob Dylan ("One More Cup of Coffee") et ne compte à son actif qu'un Ep et un single. Mais il manifeste déjà une belle maîtrise. Il pratique une ‘dream pop’ psychédélique, un peu mélancolique, comparable à celle de The Beach House. Sur le podium ‘Pression’, une petite scène 'découverte' lovée à flanc de colline, le couple va séduire un public venu déjà nombreux à quatre heures de l'après-midi. C'est bien entendu la belle Angela qui attire les regards. Dans sa robe en dentelle, couleur blanc cassé, elle remue tout en douceur et grâce ; et sa voix un peu grave fascine. Elle et Jeffrey Jacob se partagent les parties vocales. Et son attitude vis-à-vis de son compagnon est plutôt aguichante. Elle le caresse ainsi sensuellement dans le cou. Après un premier inédit, "Stand Up", très convaincant, la setlist fait la part belle à l’Ep "Hymnal", notamment à "Palm Tree Fire" mais surtout "Last Soul", ma chanson préférée, une petite merveille acidulée, qui évoque bien sûr The Beach House, mais aussi Bat For Lashes, Ladyhawke, voire même Cock Robin. Le son est un peu déséquilibré. Les basses synthés de Jeremy Grant et la batterie de Joshua Clair accaparent trop l'espace sonore, au détriment des très belles harmonies vocales. Pour "Devil", un autre nouveau titre, Angela se fait diabolique, utilisant des chaînes comme élément de percussion. ‘C'est notre premier show en France’, précise-t-elle ensuite, avant d'entamer le très beau "Lover". Puis, place à la chanson la plus connue, "Peaches" ; et le public, assez passif jusqu'alors, se met à taper dans les mains et chanter le refrain. La setlist se referme par un dernier inédit, "Neverminders" et la formation se retire. Un concert en tous points prometteur, qui laisse augurer un premier album de très grande qualité. Je suis devenu fan! Ne les ratez pas en première partie des White Lies fin novembre à l'AB!
Regardez ici l'interprétation de "Peaches": http://youtu.be/nWJ4qOCBkJA
(Setlist: Stand Up, Last Soul, Palm Tree Fire, Devil, Lover, Dove, Peaches, Neverminders.)
Plus tard, sur la ‘Cascade’, la 2ème plus grande scène du festival, située au centre du domaine, c'est l'effervescence car c’est un ensemble français qui va s’y produire : La Femme. Ce combo créé au départ à Biarritz cultive le mystère. Ses membres sont à peine âgés de 20 ans, mais ils ont déjà écumé les salles et publié un 1er album, "Psycho Tropical Berlin". Ils se présentent comme une bande de six potes, juste là pour le plaisir de jouer... et pour boire des bières! Leur expression sonore est le fruit d’un mélange de surf/punk et de pop électro à la française. On pense à Indochine, Taxi Girl, Jacno, Lescop, Daho ou Marie Et Les Garçons, mais en plus déjanté, en plus festif. Live, on est frappés par les trois claviers Nord qui sont alignés au devant de l’estrade. Le leader de la formation, Marlon Magnée, est un chanteur à belle gueule et un excellent claviériste, qui déborde d'énergie. A ses côtés, Clémence Quelennec, également aux voix et aux claviers, apparait comme ‘La Femme’ typiquement française et très attachante. Coiffée d’un petit béret, elle dessine des déhanchements façon 'Twist à Saint-Tropez". Le concert démarre sur les chapeaux de roues par "Amour Dans le Motu" et "Packshot". Chez La Femme, pas d'ordis, pas de séquenceurs : tout est en direct. Même les basses super rapides à l'octave sont réalisées aux synthés par Sam Lefèvre. Dans "Nous Etions Deux", le second single du combo, le rythme est plus lent et on a droit à un slow archétypique, voire même kitsch. Magnée n'hésite pas à fourguer un son d'orgue de foire : ça marche ! Leur morceau éponyme, "La Femme", évoque la musique de Pulp Fiction et le public danse avec délectation. Sacha Got, multi-instrumentiste de talent, exécute ensuite une démonstration au thérémine (NDR : créé en 1919 par le Russe Léon Theremine, cet instrument étrange est constitué d'une antenne verticale). Dans le morceau "Sur La Planche", il démontre également son aptitude au... surf en surfant sur une planche au sein du public : un stage-diving original! Au final, un concert plein d'une saine énergie, un peu fourre-tout mais ce n'est pas grave : on a passé un excellent moment!
(Setlist (tbc): Amour dans le motu, Packshot, Nous étions deux, La Femme, Françoise, Hypsoline, Sur la planche, Télégraphe, Antitaxi, La cabane perchée, Welcome America, La femme ressort.)
Juste à côté, sur le podium ‘Industrie’, c'est un projet belge qui prend le relais : Kid Noize. Son membre principal entretient un mystère à la Daft Punk en apparaissant toujours masqué, tel un primate, échappé de la ‘Planète des Singes’. Mais les mélomanes perspicaces savent très bien qu'il s'agit du leader d'une formation pop-rock belge bien connue... Je n'en dirai pas plus... A ce jour, il ne compte à son actif que quelques mixtapes, des prestations remarquées et un Ep. Energique, son électro véhicule des accents dub. Son set est très dépouillé à la lumière du jour : juste le personnage et ses machines. Dommage qu’il ne soit pas soutenu par un show ou la projection de vidéos, car après quelques tracks, l'attention finit par retomber. Heureusement, la reprise d’"Eisbaer", en milieu de parcours, restitue un peu de punch à l'ensemble. En tout cas, pour les fans d'électro, massés devant la scène, ce sera un réel succès. En attendant Vitalic…
Plutôt que d'aller voir Wavves, nous décidons de camper au plus tôt devant la grande scène, dont Nine Inch Nails doit prendre possession à 20h40. Nine Inch Nails à Saint-Cloud, ça ne s'invente pas... (nail = clou) Pour celles et ceux qui ne connaissent pas, NIN (ou NIИ) est un groupe légendaire, crée en 1988, dont Trent Reznor est le leader et seul membre permanent. C’est un des pionniers du rock ‘industriel’ (tout comme Ministry) ; mais au fil des années, sa palette musicale s'est étendue pour inclure électro-rock, ambient, trance et synth-pop. En 2009, après avoir gravé 8 albums studio et vendu au total 30 millions de disques, Reznor a décidé de s’accorder une pause pour se consacrer à un nouveau projet en compagnie de sa femme, How To Destroy Angels. Il a coécrit des musiques de films, ce qui lui a valu de décrocher un Oscar, excusez du peu. Mais, en février dernier, à la surprise générale, Reznor ressuscite NIN et annonce rien moins qu'une tournée mondiale et un nouvel album, « Hesitation Marks », dont la sortie est prévue pour le 2 septembre.
Vu la réputation de ‘killer live act’ établie par Nine Inch Nails, les très nombreux fans rassemblés devant la grande scène manifestent leur impatience. Heureusement, il ne pleut pas et il fait déjà assez sombre, ce qui permettra de mettre en valeur le light show. C'est que Monsieur Reznor ne fait pas les choses à moitié : il a emmené sept énormes écrans LED amovibles, qui sont disposés à l'arrière du podium. Quand retentit l'intro de "Somewhat Damaged" dans un vacarme indescriptible, on découvre une toute nouvelle formation sur les planches. Reznor a recruté le bon vieux compère Robin Finck (guitare), Josh Eustis de Telefon Tel Aviv (basse), Alessandro Cortini (claviers) et Ilan Rubin (batterie). Le choix de cet 'opener' vient à propos : plutôt que d'ouvrir par "Copy of A", comme pour d'autres dates de la tournée, Reznor décide de frapper fort dès le début. Pas de chipotage électro, c'est d'emblée le coup de poing dans la gueule. ‘Too fucked up to care anymore!’, éructe Reznor sous un déluge de guitares saturées. On ne peut être plus clair. NIN est de retour et ça va chier!
Après "The Beginning of the End", le band embraie par un "Terrible Lie" lourd et violent. Reznor a l'air en pleine forme et plus énergique que jamais. Pendant "March of the Pigs", le public se lance dans un pogo d'enfer et quelques intrépides se font porter par la foule. Après "Piggy", le spectacle connait une très courte pause et l'énorme classique "Closer" entame la seconde partie, plus sophistiquée, du concert. C'est maintenant que les meilleurs effets lumineux de haute technicité se déploient sur les écrans LED. L'ambiance se calme de plus en plus et en particulier pour "Me, I'm Not" et surtout "Find My Way", le seul extrait du nouvel opus dans la setlist. On passe même à de l'ambient, lorsqu’est abordé "What If We Could?", un extrait de la bande originale de "The Girl With The Dragon Tatoo", suivi du très beau "The Way Out Is Through". Mais le final explosif de ce passage du double elpee culte "Fragile", marque la fin de la partie paisible et on repart plein pot dès "Wish", qui est une tuerie totale (http://youtu.be/luQWjWEKR5c). Les écrans LED répandent des éclairs de lumière éblouissants et toute la plaine de Saint-Cloud explose littéralement sous les hurlements de Trent Reznor.
Moment très rare, à la fin de cette chanson, il remercie le public et les organisateurs : ‘It's nice to be with cool and civilized people’. On ne sait si la pique indirecte est adressée au public du Pukkelpop en Belgique (les fans d'Eminem avaient gâché le concert de NIN) ou aux organisateurs du festival de Reading (qui ont empêché NIN d'utiliser son propre light show). Ce light show fait d'ailleurs merveille sur "Only". Les images pixelisées suivent Reznor en fonction de ses déplacements sur scène. Une technologie signée Moment Factory. La suite, on la connaît : comme d’hab’, NIN termine ses prestations par les hits absolus que sont "The Hand That Feeds" et "Head Like A Hole" (http://youtu.be/nrdNz_jwbms).
L'ambiance atteint son paroxysme lorsque Reznor demande au public de taper dans les mains et qu'un océan de bras se tend devant lui. Un final impressionnant ! Après quelques minutes, NIN revient pour une interprétation inédite, très belle du chef-d’œuvre "Hurt", soutenue par une magnifique vidéo très 'organique'. On n’entend même pas une mouche voler quand Reznor murmure doucement les paroles, déchirantes... ‘I hurt myself today...’ Revivez ce moment magique ici
Un concert amplement réussi. Un nombre impressionnant de fans dans l’auditoire ont pu communier avec ce groupe hors du commun, que l'on est heureux de revoir comme un vieil ami. Une setlist presque parfaite, un best of imparable, dans lequel manquaient quand même un ou deux nouveaux morceaux ("Copy of A" et "Came Back Haunted"), pour éviter ce petit sentiment de nostalgie. On attend impatiemment l'album et une tournée comme tête d'affiche en 2014…
(Setlist: Somewhat Damaged, The Beginning Of The End, Terrible Lie, 1.000.000, March of the Pigs, Piggy, Closer, Gave Up, Help Me I'm In Hell, Me I'm Not, Find M Way, What If We Could?, The Way Out Is Through, Wish, Only, The Hand That Feeds, Head Like A Hole. Encore: Hurt.)
Après un tel orgasme sonore, nous nous sommes retirés quelque temps dans l'espace VIP pour nous reposer un peu et suivre sur les écrans la prestation de Pascal Arbez, alias Vitalic. Rien de bien particulier à signaler, sinon une succession bien rôdée de hits électro, soutenus par un light show gigantesque, pour le plus grand plaisir des nombreux 'electroheads' qui ont transformé la ‘Cascade’ en énorme nightclub. Au passage, on reconnaît les classiques "La Rock 01", "Terminateur Benelux" et "My Friend Dario". Ils alternent, plus ou moins judicieusement, avec des extraits de la dernière plaque du Dijonnais : "La Mort sur le dancefloor", "No Fun", "Rave Kids Go" et "Stamina".
Sur la grande scène, c'est Phoenix qui a la lourde tâche de succéder à Nine Inch Nails. Bien sûr, la formation versaillaise emmenée par Thomas Mars (le mari de Sophia Coppola) joue ‘à la maison’ et c'est donc devant un public conquis d'avance que se déroule ce concert, dans l'ensemble très réussi. Pour ceux que la voix nasillarde de Bruno Mars dérange, comme votre serviteur, cette expérience sera plus difficile à supporter ; mais les allers-retours entre le site principal et le bar VIP ont eu l'heur d'adoucir l’épreuve. Musicalement, Phoenix pratique une pop assez sophistiquée, combinant rythmiques compressées, guitares vintage, synthés glacés et cadences funk. Les fans se sont régalés à l’écoute de la succession de hits comme "Entertainment", qui évoque beaucoup M83, un autre projet hexagonal d'envergure mondiale, "Lasso", "Lisztomania” ou “Run run run”. Pendant la reprise finale de "Entertainment", Bruno Mars entreprend de surfer sur la foule jusqu'à la régie et de grimper sur l'échafaudage pour remercier ses aficionados. Une cascade qui apparait comme déplacée car Mars n'a ni le charisme ni l'énergie communicatrice d'un Bono! Enfin, à chaque génération ses héros...
Epuisés par cette longue soirée, nous n'avons plus le courage d’accomplir le très long déplacement à pied nécessaire pour assister au concert, très attendu, de Fauve. Il faut dire qu'ils sont programmés sur la petite scène ‘Pression’ à flanc de colline et je n'ose imaginer la cohue qui a dû se presser dans cet espace confiné afin de voir ces petits génies du 'slam' à la française. En plus, la pluie a décidé de faire son apparition et de voler la vedette au ... Blizzard... Une prochaine fois, certainement!
En conclusion, un excellent festival, très bien organisé, que nous recommandons chaudement. Seule ombre au tableau, les files interminables aux bars à houblon, qui ne servaient même pas de bière belge. Une lacune à combler l'année prochaine!
Nine Inch Nails + Phoenix + Vitalic + La Femme + Kid Noize + In The Valley Below
Organisation: Rock-en-Seine
Presse: agence Ephélide