Dave Clarke, DJ et producteur anglais, est devenu célèbre dans le monde entier grâce à la techno. Mais peu de monde sait qu'il s'intéresse à de nombreux courants musicaux, avouant une affinité particulière pour les styles wave, new-wave, post-punk, minimal wave, dark electronica, dark ambient, etc. Son dernier album, “The Desecretion of Desire”, sorti en 2017, reflète cet éclectisme musical. Lors de l'interview qu'il a accordée à Musiczine, Dave a expliqué les origines de cette passion pour le 'côté obscur' de la musique alternative.
Dave, d'où te vient cet intérêt pour les musiques dites 'dark alternative' ?
Souvent, la presse essaie de m'emprisonner dans la case 'techno' alors qu'en réalité, j'aime dire que je suis un être humain, pas un genre musical. Quand j'étais jeune et que je vivais à Brighton, l'Angleterre constituait une sorte de passerelle entre les USA et l'Europe; une sorte de 'melting pot', au sein duquel on trouvait aussi les musiques issues du Commonwealth; et notamment celles des Caraïbes et de la Jamaïque. J'ai grandi au cours d’une période intéressante, qui a vu l'émergence du disco, du punk, de la new-wave et du ska. Ensuite le hip-hop s’est révélé grâce à Grandmaster Flash mais aussi à Tackhead. Il y avait aussi une conscience politique, qui n’émanait pas de l'école mais de la musique. J'ai également travaillé dans un magasin de disques classiques pendant 2 ans. Mes goûts musicaux sont très larges !
Comment as-tu évolué de la musique techno au style plus 'indie' qui te caractérise aujourd'hui ?
J’étais conscient que, lorsque la technologie le permettrait, je pourrais faire évoluer ma musique. N'oubliez pas que je ne sais pas jouer d'instrument. Quand on coupe l'électricité, ma seule alternative en live, c'est de siffler (rires). Donc, dès que l'informatique musicale s'est développée, j'ai commencé à étendre le spectre de ma musique. Sur mon deuxième album, on trouvait déjà des touches de hip-hop. Le troisième est particulièrement varié et le prochain recèlera encore davantage de surprises ! En fait, j'écoute beaucoup de musique mais pas tellement de techno sauf, bien sûr, quand je bosse ! Ce n'est pas parce je n'aime plus la techno mais simplement parce qu’il y a 30 ans que je baigne dedans. Donc, j'en joue uniquement lors d’un DJ set ou à la radio. J'écoute aussi un peu d'électro en salle de fitness.
Qu’est-ce qui t’a poussé à écouter de la musique 'wave', lorsque tu étais jeune ?
A cette époque, je disposais d’un lecteur de disques vinyles et, en prenant mon bain, j'écoutais des albums comme “Metamatic”, le premier LP de John Foxx, “Freedom of Choice” de DEVO et “Me I disconnect from you”, le 12 pouces de Gary Numan. Bien sûr, avec le recul, cette attitude peut paraître branchée; mais il ne faut pas oublier qu'à l'époque, on écoutait aussi des trucs comme “The Devil went down to Georgia” de Charlie Daniels ! Mais oui, mes premiers coups de cœur new-wave furent pour John Foxx, Gary Numan et DEVO ; même si je ne considère pas John Foxx comme représentatif de la new-wave. Il pratiquait un style bien à lui. C'est un artiste intemporel !
Et le punk ?
Mon premier coup de cœur punk, je l’ai connu grâce à The Damned. La plupart des gens citent The Clash mais pour moi, c'est du psychobilly. Sauf, bien sûr, “London Calling”, qui est une merveille de post-punk. Mais donc oui, l'album “Machine Gun Etiquette” de The Damned a exercé une forte influence sur moi. C'est probablement celui que j'ai le plus écouté dans ma vie.
Et Kraftwerk ?
Je dois avouer que je serais passé totalement à côté de cette formation, si je n’avais pas vu le film “Breakdance” et tout particulièrement la scène où le personnage Turbo dance avec un balai sur la musique du “Tour de France” de Kraftwerk. Evidemment, je connaissais le single “The Model”. Mais, en fait, je préférais de loin la musique de John Foxx. John incarnait une forme d'affranchissement. A cause de l’aspect monochromatique et très anglais de son style. Son hit “Underpass”, que les enfants transformaient en “Underpants” (Trad : sous-vêtements), était un titre très urbain, comme si l'architecture urbaine explosait à l'intérieur de votre cerveau. Il y exprimait son point de vue, très subtil, sur la seconde guerre mondiale ; surtout les effets secondaires sociaux, apparus 20 ou 30 ans plus tard. C'était beaucoup plus intéressant pour moi, à l'âge de 10 ans, d'écouter ces paroles, de ne pas les comprendre complètement, mais de résonner avec elles. Kraftwerk a évidemment développé une influence énorme, notamment sur le hip-hop ; mais je n’étais pas réceptif à cette musique. John Foxx était mon Kraftwerk à moi.
A l’instar de The Hacker, Amélie Lens et la scène berlinoise, la techno semble de plus en plus influencée par la musique électronique des années 80. C’est également ton impression ?
The Hacker, de son vrai nom Michel Amato, a toujours réalisé ce type d'hybridation, tout comme Arnaud Rebotini. Ces artistes français comprennent qu'il faut respecter l'héritage culturel. Dans le Nord de la France, autour de Nantes et de Rennes, on rencontre beaucoup d'artistes qui évoluent dans ce genre de 'crossover'.
Et la Belgique ?
La Belgique évoluait au sein de cette mouvance auparavant. Je citerai d'abord Front 242 et Neon Judgement, sans oublier la new-beat. La new-beat était d'ailleurs, d'une certaine manière, une adaptation de la new-wave. “Flesh” du groupe A Split Second constitue un bon exemple de new-wave, mais instrumentale… Aujourd'hui, je retiendrais peut-être Radical G. Mais, dans l'ensemble, la Belgique a un peu oublié son passé. Elle s'est intéressée davantage à la techno pure et aux projets plus commerciaux. Bien sûr, il existe des exceptions qui confirment la règle. Comme le Fuse, à Bruxelles, mon club préféré dans le monde ! Dans son histoire, le Fuse a toujours voué un grand respect pour la musique. A Anvers, l’Ampere excelle également dans le genre. La personne qui gère ce club est également très orientée 'wave'. Mais trop de clubs belges ont poussé la techno en direction du style Ibiza. Et c'est dommage car, dans les années 80, la Belgique était un berceau de musique wave novatrice, toujours pointue, sur le fil du rasoir. Prenez “TV Treated”, par exemple, le single de Neon Judgement. En face B, figurait “Fashion Party”, un morceau prophétique, car il annonçait, 20 ans à l'avance, la folie Instagram qui touche le monde du clubbing et des DJ. L'idée 'je fais l'amour avec moi-même', comme le conçoivent les DJ instagrammeurs.
Lors de l’enregistrement de ton dernier opus, tu as reçu le concours de Mark Lanegan, Gazelle Twin, Anika, Mount Sims et Louisahhh. Comment se sont déroulées ces collaborations ?
J’'ai composé les paroles de “Charcoal Eyes” pour Mark Lanegan. C'était la première fois que j'écrivais le texte d'une chanson et je lui ai transmis. Puis, j’ai commencé à appréhender sa réaction. Il a quand même fait partie des Queens of the Stone Age et de The Gutter Twins, sans oublier sa carrière solo. J'ai donc attendu 24 heures, en imaginant que s’il ne répondait pas, c’était parce que mon travail était de la merde. Mais finalement, il m'a contacté pour me dire qu'il aimait beaucoup les paroles. C'est par contre lui qui s’est chargé des paroles de “Monochrome Sun”, notre seconde collaboration. Matthew, alias Mount Sims, chante sur un titre dont il a rédigé 85% des lyrics. J'ai simplement un peu adapté le texte et ajouté une référence à l'écrivain français Rabelais. Et on entend ma voix tout à la fin du morceau. De quoi d'ailleurs faire le lien avec “Thunder”, un morceau plus ancien, dans lequel je fais également référence à l’écrivain français. Je voulais absolument travailler avec Matthew, parce j'avais adoré son dernier album. C’est un génie de l'univers 'leftfield', du monde alternatif. Sa pensée philosophique est très puissante. “Cover Up My Eyes" a été conçu en collaboration avec Gazelle Twin, qui a écrit les paroles et chanté.
Le morceau réalisé en compagnie de Mount Sims, “Frisson”, se réfère bien au mot en français ?
Oui, il se traduit par 'goosebumps' ou 'chicken skin' (chair de poule). Il exprime ce que je ressens quand je suis touché par la musique.
‘Un mix entre wave, power electronics, EBM, Industrial, dark ambient ou une rencontre entre Front 242, Nine Inch Nails et Nick Cave’. Que penses-tu de cette description pour ton elpee ?
Je suis assez d'accord ; par contre, au risque de déplaire à pas mal de monde, je ne suis pas un grand fan de NIN. Quand j'entends la voix de Trent Reznor, dans “Copy of A”, par exemple, j’ai l’impression de retrouver le chanteur Seal. Ils ont tous les deux cette tonalité 'midrange' hyper compressée. En plus, on n'a jamais vu les deux hommes dans la même pièce en même temps ; donc il est possible qu'il s'agisse en fait d’une seule et même personne (rires) !
Quels sont tes projets ?
J'ai pris pas mal de photos destinées, entre autres, à un magazine chinois et en vue d'une exposition, en France. J'ai réalisé une interview de John Foxx pour Sound on Sound. Dans le domaine de la musique, je bosse en compagnie de la violoniste française Mathilde Marsall. Ensemble, nous avions élaboré ‘Variations’, une création autour de la pièce “Les Planètes” de Gustav Holz. Mais également une adaptation de “Carmina Burrata” destinée à l'émission ‘Le Grand Echiquier’. Nous travaillons maintenant sur de nouvelles compositions. Il y en a déjà quatre. J’ignore ce qu’on va en penser, mais ce n’est pas la raison pour laquelle on fait de la musique, pas vrai ? Ce désir doit venir de quelque part à l'intérieur de soi. Quelques DJ sets se dérouleront sans doute, cette année, mais je ne tiens pas à aller trop vite en besogne. Je me concentre surtout sur 2022.
Et pour le prochain album ?
Une certitude, le prochain ne sera pas une suite de “The Desecretion of Desire”. Quand je disposerai de 5 ou 6 compositions, j'aurai une vue plus claire de la direction à prendre. Pour être complet, j'ai également réalisé des remixes, notamment pour un titre de Fontaines DC…
Le site de Dave Clarke : http://www.daveclarke.com/
Podcast sur la page de l'émission WAVES (Radio Vibration, à Bruxelles)
Pour écouter la première partie de l'interview c’est ici en français et là, en anglais. Et la seconde partie, ici en français et là en anglais
Merci à Dave Clarke, Ade Fenton, Radio Vibration et WAVES Radio Show.