La rébellion de Jewly…

Auteure-compositrice engagée, Jewly est investie d’une mission : celle qui la pousse à écrire pour ouvrir les consciences et les libérer grâce à des vibrations rock salvatrices pour les uns ou salutaires pour les autres. « Rébellion » est un concept album…

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Le Yam 421 ou le 5 000 pour Bright Eyes ?

Bright Eyes sortira son nouvel elpee, « Five Dice, All Threes », ce 20 septembre. Ce sera son 10ème. Lors des sessions, Conor Oberst, Mike Mogis et Nate Walcott ont reçu le concours de plusieurs invités dont Cat Power, Matt Berninger de The National et Alex…

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Pierre Vangilbergen

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dimanche, 07 octobre 2018 11:31

The Body and the Earth

Laissez tomber ce que vous faites. Octroyez-vous quarante minutes, le temps de partir en voyage strictement instrumental en compagnie de Thisquietarmy. Sur vos papiers de vol figure « The Body and the Earth », la mystérieuse thématique accompagnant ce trajet. Aux manettes, Eric Quach, un Canadien qui compte pas moins de 50 albums au compteur. L’homme, qui a l’habitude de naviguer seul, s’est ici adjoint l’aide de Charly Buss (à la basse et à la trompette) et de Marc-Olivier Germain (aux synthés et à la batterie). L’itinéraire a prévu quatre escales, le tout sous les auspices d’airs psychés, de drone, d’électro, de post-rock et peut-être encore d’autres appellations mais qu’il serait vain ici d’énoncer. En effet, cet opus est signé chez Consouling Sounds, un label qui se refuse de voir ses artistes étriqués dans un style musical bien particulier. Il suffit peut-être de se mettre en condition afin de vous lancer dans une exploration contemplative.

Démarrage en douceur par « Cometh » sous un ronronnement de drone, de grincements électro et de quelques notes de trompettes perdues au loin, conférant à la composition un air vaguement oriental. Une lourde basse s’invite sur la pointe des pieds avant d’être rejointe par une batterie palpitante et des distos de guitare. Passage de l’intime obscurité vers l’éclatante lumière, totalement à nu, survolant le paysage. Retranchée, la trompette marque davantage de sa présence « Sixth Mass », poursuivant le sillon laissé par huit notes hypnotiques perdues dans un flou lointain, telle l’annonce dans l’aube glaciale d’une bataille sanglante la nuit précédente. L’âme se noie dans la mélancolie, avant de se remettre sur pied et affronter « Seismic Waves ». Face à de rapides notes de basse saturant l’air, la trompette joue une fois de plus son rôle de phare dans l’océan, où la première partie contemplative de la composition fait ensuite place à une réelle lutte acharnée ; un malstrom psyché d’émotions niché entre le spleen et l’utopie. L’exploration tend doucement vers sa destination finale : « Algal Bloom » (NDR : efflorescence algale en français, à savoir ce phénomène qui voit en un lieu particulier apparaître une rapide concentration d’algues). Un morceau particulièrement long (NDR : un peu plus de dix minutes quand même !) et peut-être le plus atmosphérique de cet LP. Tel un engin propulsé, il traverse graduellement les différentes couches de l’atmosphère pour en définitive atteindre l’infini de l’exosphère. Et imploser !

 

mercredi, 03 octobre 2018 08:36

Memoria Sylvarum (reissue)

C’est par un air allègre, dispensé à la guitare sèche, que Darkenhold démarre (et clôt) son 4ème opus studio, « Memoria Sylvarum ». Une pluie de blasts vient ensuite placer délicatement ce disque sous les auspices d’un Black Metal mélodique bien que laissant un petit arrière-goût à la Emperor. Affichant en guise d’indice évocateur une pochette réalisée par l’artiste Claudine Vrac, à qui le groupe français confie son artwork depuis ses débuts, Darkenhold poursuit son exploration dans les méandres de l’époque médiévale. Il apparaît assez rapidement que la formation est attachée aux traditions, autant celles évoquées dans les paroles exprimées dans un français plutôt fleuri que dans l’exécution des morceaux, collant aux standards du Pagan Black Metal, à travers ses chœurs discrets, ses respirations à la guitare sèche ou encore ses légères notes burzumesques au synthé, en fin de parcours. Neuf titres, dont un acoustique (« La Grotte de la Chèvre d’Or »), pour un peu moins de quarante-cinq minutes au cours desquelles la bande à Aldébaran et Cervantes rallume des temps anciens, sous une brume épaisse, l’épée à la main. Autoproduit avant d’être réédité par le label Les Acteurs de l’Ombre, cet album transpire le DIY, mais dans le sens noble du terme, où le côté brut de décoffrage et authentique fournit à cet effort un relief plutôt savoureux.

 

jeudi, 20 septembre 2018 13:36

Au-Dessus (reissue)

Rétropédalage dans le temps aux écuries des Acteurs de l’Ombre. Après avoir publié un très bon et prometteur « End of Chapter », le label propose de (re)découvrir les premiers pas du groupe lithuanien en délivrant une réédition remasterisée de son premier effort, paru en 2015. Force est de constater que les ingrédients destinés à transformer « End of Chapter » en album ample et profond de Post-Black Metal sont déjà bien présents. On sent néanmoins les hommes de Vilnius encore un peu prudents quant à leur prise de distance vis-à-vis des codes musicaux du Black Metal, une tendance qui va s’affirmer par la suite. L’ambiance apocalyptique est par contre déjà bien maîtrisée. Le son est parfois lourd, lent et opaque, dévoilant des racines puisant dans le Sludge, comme en témoigne particulièrement le morceau « IV » (NDR : le quatuor ne s’est, jusqu’à présent, jamais soucié de donner de titre à ses compositions). Particularité de ce remastering : chaque morceau est suivi d’un interlude qui, il faut bien le reconnaître, n’apporte pas grand-chose à l’ensemble ; des intermèdes très susceptibles de nuire à l’ambiance sale et malsaine de l’opus. Quoique parfois encore un peu timoré, Au-Dessus laisse ici entrevoir des moments de génie, à l’instar de « III », une plage qui se révèle d’une incroyable richesse. Déboulant sur les chapeaux de roue, nourrie d’un riff glacial, elle se mue en version atmosphérique avant qu’une ligne de basse groovy totalement inattendue, ne vienne intelligemment s’immiscer, procurant à la compo, une singularité et un relief particuliers. Preuve en est que les artistes maîtrisent les codes du Hardcore, du Sludge et du Black Metal, pour ensuite les tordre, les mélanger et les recracher habilement à leur sauce. Il n’est peut-être pas conseillé de commencer par cet LP si vous désirez découvrir l’univers froid et possédé d’Au-Dessus, au risque d’être décontenancé par un manque de cohésion entre les titres et un arrière-goût de trop peu dans la recherche des morceaux. Il est par contre tout à fait conseillé à celles et ceux qui se seraient déjà cognés l’âme sur « End of Chapter », de ce frotter à cette œuvre. Ils prendront sans aucun doute un malin plaisir à goûter, sur ce premier Ep, aux semences alors arrivées à maturation de leur second album.

 

dimanche, 05 août 2018 12:00

Fugue

Deux ans après avoir publié un prometteur « Pillars of Detest », Moonreich nous propose son nouvel LP, sobrement intitulé « Fugue ». Force est de constater que du chemin a depuis lors été parcouru. Alors que le précédent album studio restait dans les clous, réservant un Black Metal certes efficace mais plutôt classique et linéaire, les premières minutes de ce dernier effort laisse d’entrée de jeu révéler une plus grande liberté d’écriture. La thématique de la fugue y est déclinée en deux compositions : « Every Time She Passes Away » et « Every Time the Earth Slips Away ». Un même riff froid et corrosif, particulièrement efficient, donne le ‘la’ des deux morceaux. Le premier titre, plus rapide et plus brutal, est particulièrement carré et ravageur. De quoi être agrippé par le col et trainé dans la boue sans avoir pu vous rendre compte de ce qui se produisait. Chargée de colère et de haine la voix de L. dégaine ses paroles, telles des rafales d’AK47. L’expression sonore est sale et graveleuse. D’ailleurs, on ne peut s’empêcher de penser aux prouesses vocales de Mortuus, qui milite chez Marduk et Funeral Mist. La démonstration de force passée, la seconde déclinaison de « Fugue » sonde davantage le Black Metal ambiant. Le temps est étiré en longueur (plus de 180 secondes de plus que le premier morceau) ; et on retrouve ce même riff exploité à l’envi. Les lyrics son prononcés d’abord de manière quasi-robotique, avant de recouvrer, de longues minutes plus tard, vigueur et amertume.

Le reste de l’opus est empreint de cette nouvelle rage fougueuse qui alimente la première piste, lorgnant de temps à autre vers le Brutal Black Metal. Le climat se révèle tour à tour oppressant, apocalyptique ou suffocant. Et les compos sont habillement charpentées afin de ne jamais lasser. Les quelques instants plus paisibles sont immédiatement compensés par une rafale de blast. Tout est constamment réglé pour se servir des antagonismes : des instants calmes mais flanqués d’une double pédale, des riffs qui pourraient paraître joyeux mais bien vite souillés par les éruptions malsaines de L., la permission de reprendre son souffle avant d’être une fois de plus roué de coups. Il s’agit là certainement d’une des forces de cet LP : entretenir une tension permanente entre des opposés. ‘Breath in – til your lungs detonate, bring the poisoned air in every particles, breath out – til your heart is stone-shaped’, phrase qui figure sur le morceau « Rarefaction », reflète le climat géneral de cet opus. Un long combat entre les pulsions de vie et celles de mort, où la grande faucheuse finira inéluctablement par l’emporter. L’évolution du band est ici remarquable et lui confère une identité, autant visuelle (quel artwork !) que musicale. A suivre de près.

vendredi, 20 juillet 2018 03:00

Replacer l’humain au centre de la terre…

1918-2018 : cent ans que les ultimes balles de la Première Guerre mondiale ont cessé d’arracher des vies. Pour la circonstance, la province de Flandre-Occidentale a planifié ‘GoneWest’, un événement culturel commémoratif programmé à Poperinge, Furnes, Nieuport, Dranouter et Diksmude. C’est dans cette dernière ville, sur la Grand-place, qu’Amenra a imaginé un specacle tout à fait atypique. Compositions originales écrites pour l’occasion, projection de clichés sélectionnés par le photographe Dirk Braeckman et la sculptrice Tine Guns, sans oublier une démonstration de Buto, danse mystique japonaise, interprétée d’une main de maître par Imre Thormann. Tentative de mise en mots d’une puissante expérience sensorielle.

Ponctuels comme d’habitude, les musiciens prennent place. Les mines sont graves et concentrées. Une épaisse fumée enveloppe le podium. Le silence est de rigueur et est empreint d’autant de respect que de recueillement face à la prestation qui va se dérouler. Après un moment suspendu dans l’air, au cours duquel les artistes semblent s'accorder à l’unisson, sans pour autant se concerter, le mur de son s’élève et s’abat sur la foule. Vêtu de sa longue chemise noire à col Mao, Colin van Eeckhout rompt momentanément avec son habituelle chorégraphie en s’exécutant face à l’auditoire. Son corps n’est qu’un catalyseur de sentiments et de sensations : ses hurlements nouent l’estomac, ses chants clairs psalmodiés ou récités, mais toujours à fleur de peau, figent sur place. Les illustrations abstraites observées en arrière-plan –supports visuels pour entrer en transe– sont aujourd’hui accompagnées de photos de la Première Guerre mondiale, projetées sur des écrans géants, situées de part et d’autre de l’estrade. Les ressentis face à la musique, généralement refoulés au niveau de l’inconscient, sont ici cristallisés par des fragments de mémoire, froidement concrets. Des hommes envoyés au front, des tranchées, des masques à gaz défiant une mort certaine, des regards dévorés par la peur, des instants de fraternité, clope à la main, avant d’expirer un dernier souffle sur le champ de bataille. Les compositions sont lourdes, les corps se balancent frénétiquement d’avant en arrière. Il se produit quelque chose, au-delà des mots.

Puis du côté gauche de la scène apparaît une forme courbée, qu’on devine humaine. Vêtu uniquement d’une ample couverture beige, les mains liées dans le dos, le danseur Imre Thormann s’avance lentement, à pas saccadés, vers l’avant du podium. Le crâne entièrement rasé et maculé d’une substance blanchâtre, les yeux perdus dans le vague, l’artiste déforme son visage au gré des émotions qui le traversent. Un accoutrement qui ne peut que faire penser aux prisonniers de guerre. Il parvient finalement à se détacher les bras, puis enlève sa couverture. Seul un léger pagne lui recouvre l’entrejambe. Son corps –qui n’est que peau, muscle et os– est transpercé par la peur, la joie, l’excitation, la tristesse, le désespoir ou encore l’abandon. Certains gestes défient la gravité. Il tombe, se relève, est à nouveau happé par le sol. Ses épaules claquent sur les planches. Si certains spectateurs avaient osé un trait d’humour ou un petit cri blagueur à son arrivée, toutes et tous ont à présent adopté le lourd silence. La tension est palpable. On ne peut s’empêcher de penser à toutes ces émotions qu’ont dû vivre ces hommes et ces femmes en 14-18. À celles et ceux qui sont tombés là, à l’endroit même où on assiste à ce concert, cent ans plus tard.

La guitare et la basse accompagnent les mouvements étirés de l’interprète ; ses pas sont guidés par des impacts de batterie. À l’arrière de l’estrade, le vocaliste psalmodie, joue de sa voix tel un instrument, participe à l'ambiance macabre. Une transe ‘pluriaristique’ s’opère entre les artistes. Soudain, le rythme s’emballe. Amenra retrouve la violence de ses compositions. Imre Thormann est frappé de plein fouet. La démence se lit désormais sur son visage. Cette forme de folie lorsque tout est perdu, qu’il n’y a absolument plus rien à espérer. Le fil est rompu, la plongée dans le vide est inéluctable. Il s’empare de la corde qui retenait la couverture à sa taille et l’enroule autour de son visage. Violement, avec force et détermination. Les liens lacèrent ses joues, son cou, son front, ses yeux. La folie de la Grande Guerre a finalement eu raison de lui, comme l’ont été des milliers d’autres personnes. Après avoir exécuté cette Danse des Ténèbres (autre nom de la danse Buto), pendant une grosse demi-heure Imre vide les lieux en chancelant (pour les photos, c'est ).

Seconde partie du set. Place au répertoire classique du band. Colin van Eeckhout s’agenouille sur les planches, inondé par un faisceau de lumière. Série de deux coups métalliques. Les aficionados savent qu’il s’agit de l’intro du « Boden », issue de l’album « Mass V ». En lettres dorées, apparaissent en fond : ‘To all people from the colonized countries, who died protecting their homeland’. La commémoration se poursuit. Alors que les écrans latéraux diffusent en discontinu des clichés d’archive immortalisés sous l’occupation, l’arrière-plan devient le théâtre de l’injustice mondiale actuelle : des images de bateaux de migrants pleins à craquer, prêts à tout pour sauver leur peau, des familles palestiniennes chassées de leurs propres terres, des enfants enlevés à leurs parents, dont un père embrasse pour la dernière fois son fils. La puissance de la musique d’Amenra devient dénonciatrice de cette justice bafouée aux quatre coins du monde. Les applaudissements du public résonnent désormais comme des actes de résistance.

C’est sur « Diaken », issu de son dernier LP, « Mass VI », que le band courtraisien prend finalement congé de son audience. Un par un défilent les noms des personnes dont la vie a été soufflée pendant ce premier conflit mondial, à Diksmude. Malgré l’aspect atypique de ce show, les musiciens se retirent, suivant le même rituel, dès que le dernier morceau est achevé. Les acclamations sont nourries. L’auditoire semble conscient d’avoir assisté à une prestation hors du commun, aussi unique que poignante. Les mines sont hagardes. Certains regards sont perplexes, d’autres pensifs ou encore émus. Le genre d’expérience qui remue, provoque un tourment intérieur qui nécessitera quelques jours avant de pouvoir être maîtrisé. Chacun en tirera une leçon, une pièce du puzzle à ajouter sur la table. Désormais, malgré l’hétérogénéité du public présent, toutes et tous seront reliés de manière invisible grâce à ce vécu au-delà des mots d’une heure et demie. C’est pourtant loin de ses principes, mais Amenra s'est, ce soir, engagé politiquement, au sens noble du terme, en replaçant avec force et vigueur l’humain au centre de la terre… Pour les photos, c'est ici

La formation aversoise Flying Horseman assurait le supporting act ; pour en découvrir le reportage photo, c'est

(Organisation : 4AD + GoneWest)

NB : les photos figurent sur la partie néerlandophone de Musiczine (ici pour le show d'Amenra, pour une sélection avec Imre Thormann)

lundi, 23 juillet 2018 18:21

Serpentine

Alors que certaines formations de Black Metal sont très prolifiques, d’autres prennent plus de temps à immortaliser leurs morceaux. Hyrgal appartient à cette seconde catégorie. Dix ans qu’il a fallu attendre pour que ce trio français, originaire du Var, vienne à bout de « Serpentine », son premier opus studio ! Le premier contact avec le groupe s’opère par la pochette, une photo saturée en noir et blanc de Fabrice Flandrois, illustrant ce qui pourrait être la devanture d’un chalet, où un drap blanc repose sur une chaise. La personnification de l’absence. Une sensation qui sert également de trame fond à « L’appel », lente et mélancolique introduction de cet LP d’une trentaine de minutes. Une mise à mort, dont chaque pas est rythmé par un claquement de batterie. L’appel vers ce qui bientôt ne sera plus. Les coups s’arrêtent, le temps est suspendu. La ligne est désormais franchie, vous voici de l’autre côté. « Mouroir » ouvre abruptement les hostilités, laissant la place à un Black Metal froid, cru et rapide. Un flot glacé de guitares lancinantes, supporté par un martèlement de batterie qui cogne à en perte haleine et surplombé par de longs râles vindicatifs et écorchés. Les amateurs de la langue de Molière ne pourront qu’être ravis : non seulement les chants sont en français, mais ils sont également correctement et clairement prononcés. Ce qui, il faut l’avouer, n’est pas toujours une gageure dans ce style musical. Le groupe semble d’ailleurs accorder une importance particulière aux lyrics, autant dès lors s’y intéresser. Nul doute, les Français du Sud sont nostalgiques d’un passé à leurs yeux révolus, une transformation dont les conséquences se font aujourd’hui subir. Un substrat tiré de « Till », troisième titre de cet LP : ‘Nous somme les nouvelles chimères/Survivalistes de l’oubli, sous les glaces, en sommeil/à la fonte, restera l’essentiel/Le sang des communs dans la fange et les selles’. Bien qu’atmosphérique, ce premier effort se veut moins un voyage au cœur d’un univers que d’une déclinaison en sept actes d’une thématique qu’est l’incarnation de l’absence, de ce qui n’est désormais plus. Certes classique dans sa forme et ne sortant pas nécessairement des chemins battus, Hyrgal propose ici un Black Metal efficace, hargneux, parsemé de quelques moments épiques et délicieusement cyniques. Autant l’introduction que la sixième piste, « Interlude », démontre une certaine maîtrise de l’atmosphère froide et malsaine, ce qui pourrait peut-être laisser présager pour le futur la création d’un univers davantage personnel, l’instauration d’un décor aseptisé où la vindicte pourrait profondément et pour toujours s’immiscer. 

Paru à l’origine ce 28 octobre 2017, ce long playing a été réédité ce 1er juin 2018, par le label,  Les Acteurs de l’Ombre…

 

C’est ce vendredi 20 juillet que sortira "The Sacrament of Sin", le septième album studio de Powerwolf. Après un "Blessed and Possessed" paru en 2015 et généralement bien reçu par les critiques (disque d’or en République Tchèque !), ce nouvel LP devra faire face à une barre hautement placée.
 
Histoire de faire patienter leurs fans, le quintet de Power Metal allemand à la voix de ténor et amateur de chants liturgiques en latin, a d’ores et déjà proposé en vidéo trois des onze morceaux que contient ce nouvel album (Fire and Forgive , Demons Are A Girl’s Best Friend et Incense and Iron ).
 
Curieux de voir ce que ça donne sur scène ? Après un passage par le Graspop Metal Meeting, le 22 juin dernier, Powerwolf sera de retour cet automne (28 octobre) à l’Ancienne Belgique, accompagné d’Amaranthe et Kissin Dynamite.
 
Tracklisting
1. Fire & Forgiv
2. Demons Are A Girl‘s Best Friend
3. Killers With The Cross
4. Incense And Iron
5. Where The Wild Wolves Have Gone
6. Stossgebet
7. Nightside Of Siberia
8. The Sacrament Of Sin
9. Venom Of Venus
10. Nighttime Rebel
11. Fist By Fist (Sacralize Or Strike)
 

Les adeptes de la Church of Ra –en l’occurrence, les formations qui gravitent autour du groupe AmenRa– n’avaient sûrement pas manqué de bloquer ce jeudi 25 mai dans leur agenda paroissial. Et pour cause, Wiegedood (mot néerlandais qui signifie mort du nourrisson), emmené par Levy Seynnaeve (bassiste d’Amenra), fêtait ce soir à Courtrai la sortie du troisième tome de son opus, « De Doden Hebben het Goed ». Afin de marquer l’évènement d’une pierre blanche, la formation gantoise avait donc décidé de jouer l’intégralité de ses trois albums. Dans la foulée, sans pause. Tout ce que Wiegedood a pu produire en trois années, il va le jeter en pâture en deux heures intenses de show (sold out). Enfilez vos bottes, on va se promener dans les bois.

C’est à 20h30 pétantes que le trio de Black Metal a fixé rendez-vous à son public afin de voyager dans le temps, au fil de ses trois long playings. Il est un peu moins de vingt minutes avant le début des hostilités et la petite salle De Kreun, d’une capacité estimée à cinq cent âmes, commence petit à petit à accueillir la faune du jour. Un public certes typé du sceau de la communauté Metal, mais néanmoins très hétérogène : le jean côtoie le cuir, le t-shirt n’est pas loin de la chemise, les longs cheveux sont voisins de la calvitie. Un constat à l’image de la musicalité de la Church of Ra, où les codes des communautés musicales sont fréquemment brisés. Côté scène, une machine à fumée emplit doucement et de manière continue l’espace d’un brouillard blanc. Deux longs drapeaux noirs frappés du logo du groupe –un enchevêtrement mystico-païen de branches au sein duquel on peut y déchiffrer chacune des lettres de ‘Wiegedood’– sont disposés de part et d’autre du podium, accrochés aux amplis. Chaque retour est peuplé d’une demi-douzaine de bières et autres petites bouteilles d’eau. La prestation atypique de ce soir n’est pas loin de relever du marathon.

Deux caméras sont braquées vers les backstages, guettant l’arrivée des artistes. L’air sombre et concentré, ils finissent par débouler et prendre position. Pendant que Wim Coopers (qui milite également chez Oathbreaker) fixe les toms, baguettes à la main, de sa batterie, Gilles et Levy (…autre homme fort d’Oathbreaker) achèvent d’accorder leur guitare, tapis dans l’obscurité. Derrière eux, l’intrigant logo du groupe est projeté sur fond noir. Plus les secondes passent, plus la tension est palpable. Soudain Wim entrechoque ses baguettes et donne le coup de départ de cette épopée musicale. « Svanesang » démarre à du deux cent à l’heure. Un véritable coup de poing dans l’estomac. Une impression de vertige vous envahit pendant quelques secondes, le temps de se remettre de ce déferlement de décibels, tel un passage abrupt sous un rouleau compresseur. C’est à présent l’artwork du premier LP qui est projeté sur cette énorme toile blanche tapissant tout l’arrière de la scène. Ses longs cheveux blonds lui barrant le visage, Gilles joue du poignet d’un geste aussi rapide que chirurgical. Aucune émotion ne se lit sur son visage, tellement il est focalisé sur ses cordes. A quelques mètres de lui, vêtu d’un sobre t-shirt noir sans manches, Levy –dont l’épaisse tignasse ondule en pagaille– martyrise tout autant son manche. Il finit par se diriger vers son pied de micro, lève la tête et expulse de sa cage thoracique ce hurlement lancinant et empli de spleen qui mettra l’âme en péril de chacun et chacune pendant ces deux heures de set. Derrière eux, en véritable chef d’orchestre, Wim cogne dur et sec sur son kit de batterie tout en arrosant copieusement la salle de ses blasts dévastateurs. Une moissonneuse batteuse lancée à plein régime.

Wiegedood, c’est l’incarnation autant visuelle que musicale de déclinaisons autour d’un même thème : la perte et la tristesse qui en émane. Si ce combo a d’ailleurs vu le jour, c’est  suite à la disparition d’un très bon ami du drummer. Ce dernier et les deux autres membres ont voulu lui rendre hommage et exorciser leurs griefs par la note. Chaque elpee lui est depuis lors dédié. La continuité, c’est aussi une notion intentionnelle à tous points de vue. Il suffit de voir les trois artworks de leurs albums pour s’en rendre compte : une plaine désolée, grise et froide, sur laquelle est planté un emblème fait de branches entrelacées, tel un totem ou un emblème vaudou. Un exorcisme qui se répète encore et toujours. Il en va de même musicalement : chacun des trois opus recèle quatre titres, dont les structures sont généralement les mêmes, à savoir un déferlement brutal et chaotique de sonorités, brisé net par un souffle d’un calme létal, avant d’être à nouveau emporté par un tourbillon de riffs et de blasts. Le tout sans cesse nourri par des nappes vocales lugubres et hypnotiques en arrière-plan. Un mandala dont les couleurs sont toujours identiques, mais dont les agencements, les formes et les contours offrent sans cesse une perspective nouvelle, une énième déclinaison du manque et du déchirement ressentis suite à la disparition d’un être cher. Il va de soi que la traduction en ‘live’ répond donc à la même logique. Chaque musicien est enfermé dans sa bulle, dès le premier pied posé sur les planches jusqu’au moment de la quitter. Pas de contact avec le public, une pure interprétation des morceaux, sans avoir de réel jeu de scène. Les émotions jaillissent malgré eux, la magie opère avec le public sans qu’il soit pourtant invité. Tout est implicite, l’intellect est mis de côté et les sensations prennent entièrement le contrôle.

Les morceaux s’enchaînent. Seuls des applaudissements viennent ponctuer les différentes compositions. Quand les lumières blanches et rouges ne viennent pas balayer l’estrade au rythme effréné de la batterie, c’est un large faisceau blanc qui met en exergue l’un des deux guitaristes, et plus précisément lors des moments de respirations plus intimes. A la fin de l’exécution d’un LP, l’arrière de la scène redevient noir, le logo du band réapparaît et les applaudissements deviennent franchement nourris. Le groupe, quant à lui, reste impassible. N’y voyez pas une quelconque forme de condescendance, mais bien un haut degré de concentration afin de pouvoir déballer tout ce que les musicos ont dans les tripes.

Ce show, unique en son genre dans l’histoire du combo, a permis le temps d’un concert de pouvoir ressentir l’évolution de sa musique en trois années de temps, une complexification progressive dans l’écriture des morceaux, une audace de plus en plus marquée, tout en enrobant un même noyau dur de différentes couches aux couleurs et saveurs différentes. Le tout, délivré de manière chirurgicale ; des pans de murs musicaux s’abattant sur une fosse pour le moins envoûtée. L’occasion pour les Gantois de démontrer qu’ils étaient capables de capter l’essence du Black Metal sans pour autant s’y laisser emprisonner. Bien qu’il devienne de plus en plus connu et reconnu, Wiedgedood a déjà laissé sous-entendre qu’il pourrait s’agir là de son dernier opus. Si tel est le cas, nul doute que la saga « De Dodden Hebben het Goed I, II et III » restera comme un projet riche, polysémique ainsi qu’une incroyable exploitation par la violence de la tristesse humaine. Autant en studio que sur les planches…

Plus qu’un concert, une expérience dont on ressort l’âme à vif.

Organisation : Wilde Westen

Avril 2016. Alors qu’EyeHateGod s’apprête à partir en tournée, le vocaliste Mike IX Williams est retrouvé inconscient dans sa chambre d’hôtel. Le verdict tombe : après des années d’excès d’alcool et de drogues, le foie de l’artiste est en piteux état. Six mois plus tard, il est à nouveau admis aux urgences. Il vomit du sang, son foie et ses reins ne fonctionnent quasi-plus. Il ne peut dès lors plus quitter l’hôpital, au risque d’y laisser la vie. Pris à la gorge face aux coûts faramineux en soins de santé, sa femme et lui lancent un appel au crowdfunding afin de les aider pour faire face à la cirrhose qui le ronge. Contre toute attente, la mobilisation est massive : plus de 70 000 dollars sont récoltés et permettent au chanteur de recevoir un nouveau foie. Deux ans plus tard, EyeHateGod est de retour en terres belges et a choisi Anvers pour fêter ses trente ans d’existence.

Non loin du port anversois, face à un chancre de plusieurs dizaines de mètres de long –tout en boue, béton et autres tranchées– quelques personnes sombrement vêtues sirotent une pression et bravent la pluie. En pénétrant dans la pénombre du ‘Het Bos’, dont les murs sont recouverts de posters, collages et graffitis, on est plongé dans une ambiance underground similaire à celle du Magasin 4, à Bruxelles. Petit passage par l’étal marchandising de la tête d’affiche du jour. À côté des t-shirts frappés de l’imagerie du groupe, un papier scotché au mur attire l’attention : ‘Weed donations, also adderall or opiates’ (Trad : dons d’herbe, adderall [une forme d’amphétamines]ou opium). Le cadre est planté.

D’une capacité de deux cents personnes, la salle commence peu à peu à se remplir. En guise d’éclairage, seuls deux petits néons portables sont posés sur des amplis, de chaque côté du podium, conférant au lieu une lumière blanchâtre, stérile et froide.

Alkerdeel grimpe sur les planches et donne directement le ton : du primitif aux sonorités old-school, de la colère glacée et de la puissance grinçante. Originaire de Zomelgem, le band milite dans un registre difficile à cerner : alors que le début du set déploie les étendards d’un raw Black Metal darkthronien teinté d’accents punks, les morceaux évoluent ensuite vers un sludge hypnotique, alors que la rythmique hardcore se révèle totalement déconcertante. Lorsqu’il ne psalmodie pas, Pede est traversé par un chant rageur et étouffé, agrippé à son pied de micro. Du moins lorsqu’il est branché… un spectateur proche de la scène n’hésite en effet pas à lui tendre une fiche déconnectée par inadvertance quelques secondes plus tôt. La fosse accompagne la formation de la tête, si pas du corps, dans des mouvements quasi-convulsés. Celles et ceux qui n’attendaient pas le combo semblent pour le moins convaincus par cette généreuse prestation de cinquante minutes, délicieusement poisseuse et ‘crissante’, telle une poignée de sable mise en bouche de force. Une fois de plus, il semble que le label belge Consouling Sounds ait eu du flair en signant ce groupe aux sonorités riches et décloisonnées. Plus qu’un opening act, une véritable découverte…

En toute simplicité, Aaron Hill, batteur d’EyeHateGod, est le premier à fouler l’estrade. Il se place derrière son kit de batterie, ajustant au poil ses différents composants. Bonnet noir vissé sur la tête et t-shirt vert à l’effigie de la ville d’Hambourg, Jimmy Bower installe nonchalamment ses deux pédales d’effets et opère ses derniers réglages de guitare. Le bassiste, Gary Mader, en profite pour griller une clope sur le côté droit de la stage, l’air à moitié encore endormi derrière son épaisse chevelure bouclée lui cachant partiellement le visage. Le rescapé Mike Williams finit par débarquer sur scène, la tignasse en bataille et un gobelet en plastique à la main contenant, au premier abord, de l’eau. Il est 21 h 45, soit un quart d’heure avant le timing prévu, et le vocaliste empoigne le pied de micro avant de le faire voltiger dans les airs. ‘We are EyeHateGod’ clame-t-il, pour donner son habituel coup de départ des hostilités. Peu importe si on commence plus tôt, lorsque tout le monde est prêt, la machine peut démarrer. EyeHateGod célèbre ses trois décennies de carrière et ne change pour autant pas son attitude : rock’n’roll, anticonformiste et résolument grinçante. L’extrême n’est pas que musical, mais incarne un style de vie à part entière, sous toutes ses coutures.

Une fois sur les planches, Mike Williams se met à nu et dévoile une âme torturée. Comme l’affirmait Phil Anselmo (Down, Superjoint, Scour, Phil Anselmo & The Illegals et ex-vocaliste de Pantera), ‘Quand il chante, Mike a du fil barbelé en bouche’. Chaque mot est extirpé de son corps frêle, lancé violemment en pâture à la fosse tel un jet de vitriol. Auteur des paroles, il est parfois le seul à les comprendre tant elles lui sont propres et lui collent à la peau. Elles ne sont pas uniquement interprétées en ‘live’… elles sont vécues. Une haine et un dégoût cathartiques, qu’il expulse en balançant son pied de micro et en se martelant le visage. Au grand dam d’un des spectateurs qui en réclamait une à la fin du show, EyeHateGod s'exécute sans setlist. Chaque représentation est différente, que ce soit la liste des titres choisis ou l’ordre dans lequel ils sont interprétés. Bon, il y a évidemment des incontournables tels que « White Nigger », « Sister Fucker Pt.1 », « New Orleans is the New Vietnam » ou encore « Medicine Noose », issu du dernier elpee. Un éponyme. Mais le freestyle connaît aussi ses limites. Preuve en est lorsque Mike Williams s’adresse aux premiers rangs pour savoir ce qu’ils souhaiteraient entendre. Et quand un spectateur lui lâche « Take As Needed for Pain », le chanteur hoche la tête pour lui signifier son refus, en esquissant un sourire dissimulé et plutôt embarrassé. Faut pas déconner, non plus !

Bien que le show soit soldout, l’air ambiant reste tout à fait vivable, comparé à celui respiré lors son dernier concert belge où le Magasin 4 bruxellois s’était rapidement transformé en une fournaise tropicale. Quelques esprits s’échauffent de temps à autre (particulièrement sur le très énervé « Métamphétamine »), jouant des coudes et pratiquant la bousculade amicale. L’un ou l’autre gobelet de bière s’envole, baptisant des chevelures au passage avant de venir s’écraser au sol. Jimmy Bower, clope au bec, se plante à l’avant du podium, à quelques centimètres des premiers rangs. Entre la salle et la fosse, il n’y a aucun garde-fou. Non satisfait du volume sonore ambiant, le musicien se retourne, après quelques morceaux, pour pousser les décibels au maximum. Et d’un coup sec, adressant un clin d’œil amusé à son bassiste. Extrême, quand tu nous tiens. Profitant d’un break entre deux compos, Mike Williams se dirige vers les backstages et chuchote quelques mots à l’un des roadies, qui revient quelques minutes plus tard, avec une bouteille de vin blanc vide aux trois-quarts. Certains démons ont la dent dure et survivent aux expériences passées, quel qu’en soit le degré de gravité. Le chanteur pose la bouteille derrière lui, face à la batterie, et s’en remplit un généreux gobelet en saluant la fosse. Quelques morceaux plus tard, il empoigne son pied de micro et l’abat brutalement. Désormais vide, elle laisse un cadavre de tessons gisant sur les planches. Chacun y lira la métaphore qu’il souhaite.

C’est par une jam improvisée que les Néo-orléanais signent leur prestation. EyeHateGod est typiquement le genre de formations, pas spécialement connue par le ‘grand public’, mais reconnue par le milieu, qui a laissé son ADN chez une multitude de groupes. Trente années passées à écumer les bars, les espaces underground, les petites scènes sans pour autant se hisser sous les feux des projecteurs. Un statut qui ne les a jamais intéressés et qu’ils semblent même fuir. Et vu la prestation de ce soir, roots et résolument brute de décoffrage, on peut se dire que c’est tant mieux.

(Organisation : Ondergronds + Het Bos)

vendredi, 13 avril 2018 03:00

Au-delà des mots et des sens…

C’était à Charleroi qu’il fallait se rendre en cette douce soirée de printemps. Et pour cause, le combo courtraisien Amenra, auteur l’unanimement reconnu « Mass VI », s’apprête ébranler autant les murs de l’Eden que les âmes et les cœurs de près de 500 metalheads réunis pour l’occasion. Plus qu’un concert, on va assister à une expérimentation des sens où une myriade de pensées et de ressentis vous prennent à la gorge pendant un peu plus d’une heure. Ou quand la musique devient spirituelle.

Hormis quelques dates de plus en plus sporadiques programmées au Coliseum, Charleroi n’incarne pas, dans l’imaginaire collectif de l’amateur de musique lourde, la ville belge par excellence qui accueille le plus de concerts de Metal. En apprenant que le Centre Culturel de la ville, décide d’accueillir Amenra à l’Eden, on a donc le droit d’être étonné. Mais un étonnement qui vire rapidement à la satisfaction. Caractérisée par son esthétique raffinée –une élégante brasserie aux urinoirs à gueules de requin– cette salle à taille humaine peut accueillir jusqu’à 600 personnes tout en se prévalant d’une excellente acoustique. À peine le temps de savourer une ou deux pressions servies dans des gobelets frappés du logo des lieux que s’ouvrent les portes de l’arène du jour. Le Paradis va devoir remiser ses couleurs en coulisses et laisser place à la palette de gris.

Il revient à Fär d’immerger lentement le public dans l’obscurité. Originaires de Brakel, ce duo réunissant An-Sofie De Meyer au chant et Tim De Gieter au synthé et aux beats, est pour l’occasion flanqué, derrière son kit de batterie, de Sigfried Burroughs, échappé du groupe electro Onmens. De l’electro dark, c’est également ce que propose Fär. Ces trois lettres, à la graphie gothique, sont projetées en blanc sur l’écran géant tendu à l’arrière du podium. Face à elles, de noir vêtue et à la chevelure blonde tombant sur les épaules, An-Sofie envoûte le public de sa voix claire et robotique, portée par les nappes froides et aseptisées émanant des synthés de Tim, au t-shirt amplement déchiré sur les côtés et littéralement déchaîné sur ses instruments. Sigfried, penché sur ses fûts, contribue à la séance d’hypnose collective. Ce band originaire de Flandre-Orientale va nous accorder un généreux set d’un peu plus d’une demi-heure. Et son expression sonore procure un effet semblable à celui d’un bon verre de whisky : une progressive inhibition des sens et une mise à l’aise où l’environnement se transforme en chez soi. Un grain de folie aurait néanmoins permis au show de véritablement décoller, se contentant ici de garder pied alors qu’on aurait clairement pu planer.

Le stand de merchandising, situé à l’arrière de la salle, est à présent pris d’assaut. Il faut dire qu’il est particulièrement achalandé : t-shirts, pulls, casquettes, bonnets, vinyles, cd’s, affiches, livres, calepins et autres raretés frappées de la touche artistique du band. De quoi amaigrir quelques portefeuilles. Un étal qui illustre parfaitement le concept incarné par la formation : Amenra est certes un groupe de musique, mais il se situe bien au-delà. C’est un univers, un vecteur de sentiments qui passe par l’oreille, la vue, l’esprit et son inconscient. Une lecture par la lorgnette d’une face plutôt sombre de la réalité et des sensations. Une expérience de l’obscurité.

Les lumières s’éteignent. Le logo est projeté sur un écran disposé à l’arrière du podium, une espèce de triskèle terminée par des serres de rapace. La fosse commence à s’emplir d’une envoûtante odeur d’encens. Une épaisse fumée blanche occupe l’espace. Les membres du groupe pénètrent silencieusement sur les planches, le visage fermé. Ils sont tapis dans l’obscurité, à l’exception de Colin H. Van Eeckhout, vocaliste de la formation. Il s’agenouille dans un faisceau de lumière, dos au public. Puis s’empare du long cylindre ainsi que de la barre métallique placés devant lui et les fait tinter par série de deux coups. Une fois, deux fois, trois fois… Le temps se dilate, plus un bruit ne s’échappe de l’auditoire. Un silence religieux. Les yeux perdus dans le vague et vêtu d’un t-shirt noir où figure comme seule inscription la marque de skateboard ‘AntiHero’, Matthieu Vandekerckhove commence à glisser son plectre sur les cordes de sa gratte. La tension monte. Levy Seynaeve et Lennart Bossu, respectivement bassiste et guitariste, quittent leur face-à-face avec leur ampli pour se planter au bord de l’estrade. Bjorn Lebon donne le la d’un gros coup de cymbale et « Boden » entame la Messe. Le son est assurément lourd, pesant et fort, mais pas saturé. Autant les murs de l’Eden que les cages thoraciques se mettent à vibrer. La voix hurlée, aiguë et plaintive de Colin déchire l’espace. La fosse, constituée majoritairement de trentenaires et de quadras, est soudainement prise d’un spasme, balançant la tête et même le haut du corps au rythme hypnotique de la batterie. La transe opère.

Une salve d’applaudissements clôture la fin du premier morceau, suivi d’un retour au silence arraché par quelques ‘chut’ de part et d’autre de la foule. Silence, le souffle se bloque. Le très mélancolique « Plus près de toi », issu du dernier LP d’Amenra, « Mass VI », poursuit l’office. Aucune fausse note, le set est carré, les extrémités en sont même ciselées. Autant les parties lourdes et violentes arrachent tout sur leur passage, autant les instants plus calmes sont d’une absolue fragilité, telle une feuille morte prête à s’envoler de l’arbre au premier coup de vent. Colin ôte sa chemise noire et dévoile son t-shirt tout en demeurant toujours de dos face à son audience. Une habitude du vocaliste. Plus les morceaux s’égrènent, plus il semble habité par les compositions. Les veines de ses bras deviennent de plus en plus apparentes, gonflées à bloc. Chaque hurlement lui est arraché, propulsant son corps vers l’avant. Ses mains acérées fendent l’espace, quand elles ne viennent pas agripper ses flancs ou son dos, dans une torsion de bras digne d’un envoûtement. Il faudra attendre la moitié du set pour finalement apercevoir son visage pendant quelques secondes, les yeux ulcérés et plongés dans l’horizon, comme s’il lui était vital de déverser sur son auditoire un trop-plein d’énergie accumulé depuis le début du concert. Retour ensuite dans sa bulle de violence intérieure, tel un métal en fusion qui s’écoule sans aucun filtre. L’homme finira par faire tomber le t-shirt, laissant apercevoir cette immense potence inversée en traits pleins lui recouvrant le dos.

Les autres musiciens demeurent, a contrario, dans la retenue, chacun enfermé sur lui-même, n’ayant pour échange avec le public que de rares contacts visuels. Une profonde introspection dont la somme de ces bulles, pourtant d’apparence hermétique, finit par englober chaque recoin de la salle. Un vaste mouvement circulaire, une tempête d’émotions à laquelle il devient impossible de résister. Les âmes sont également tantôt bercées, tantôt bousculées, si pas heurtées, par ces projections en noir et blanc de ruines, de visages, de paysages, de torrents d’eau ou encore d’animaux aux contrastes accentués. « Nowena », issu de « Mass V », permet à Levy Seynaeve, à la chevelure pour le moins ébouriffée, de s’approcher du pied de micro planté au milieu de l’estrade et d’imposer sa voix gutturale, conjointement à celle de Colin. Le temps n’est plus qu’une perception théorique ; il se dilate, se reforme sur lui-même, se détend à nouveau. « . Silver Needle. Golden Nail. » devient apocalyptique. Les sonorités se fondent les unes dans les autres puis s’arrêtent sans crier gare. Abruptement. Huit morceaux plus tard, le cérémonial prend fin. Les musiciens déposent leur instrument sans un mot et disparaissent en coulisses. Hébétée, la foule comprend petit à petit que le rituel est achevé. Les lumières se rallument dans la salle, toujours sans bruit. Les consciences se réactivent, retissent des liens avec la réalité. Un arrière-goût de trop peu envahit le corps, telle une sensation de manque après de longs mois d’abstinence. Quelle que soit la durée, l’âme de tout un chacun a été ensorcelée un moment par des sonorités, dont il serait vain d’essayer d’y apposer plus de mots que nécessaire. Une danse folle où la psyché a pris la main des sens et ont, ensemble, tournoyé diaboliquement pendant plus d’une heure.

(Organisation : Eden)

Setlist : “Boden”, “Plus Près De Toi (Closer To You)”, “Razoreater”, “Diaken”, “Nowena | 9.10”, “Terziele”, “Am Kreuz”, “Silver Needle. Golden Nail”

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