Courtrai était en ébullition ce week-end du 12 et 13 août. Et pour cause : l’Alcatraz Festival fêtait ses dix ans d’existence. L’occasion de proposer une affiche particulièrement intéressante, faisant la part belle à de grands noms du Heavy et du Thrash Metal. Immersion au cœur de ce festival à taille humaine, préférant définitivement mettre l’accent sur la qualité plutôt que la quantité.
Premier constat : le Dieu Helios semble avoir décidé de bouder la petite sauterie de ce week-end en laissant la place aux nuages grisâtres et à la pluie. Les lunettes de soleil sont donc troquées contre un k-way. A proximité du campus sportif, théâtre des opérations maléfique de ce week-end, encore peu fréquenté à cette heure matinale de la journée, deux files d’attente se sont formées pour entrer sur la plaine ; et celle des hommes est considérablement plus courte que celle des femmes. Il est décidément temps que les services de sécurité comprennent que ce genre de rencontre n’attire pas seulement le genre masculin et qu’il serait opportun de prévoir davantage d’effectifs féminins. Le sol est boueux et glisse ; ça promet d’être fun !
Après avoir longé une série d’échoppes prêtes à ravitailler en nourriture les âmes affamées, votre serviteur débouche face à la Prison Stage, la scène principale, où Rage, qui à ce jour ne compte qu’un seul LP à son actif, démarre à l’instant même les hostilités. Timing parfait ! Son Heavy Metal est doublé d’une bonne humeur communicative. Les musiciens ne jouent que devant quelques badauds, mais ne semblent pas trop affectés pour autant. Ni pa la pluie qui tombe à présent dru sur la plaine et encore moins pour la corde de la basse à Peavy qui lâche en fin de morceau, obligeant l’artiste à s’absenter quelques instants en backstage. ‘Merci pour le gars qui m’a prêté sa basse, c’est sympa, même si je ne sais pas qui c’est’, s’exclame-t-il en se marrant. C’est sur le puissant « Higher Than the Sky », entrecoupé au beau milieu d’une reprise de « Holy Diver » de Dio, que le trio allemand met fin à ses quarante-cinq minutes de show. Car c’est aussi ça l’Alcatraz : pas question de n’accorder qu’une poignée de minutes aux formations qui ouvrent le bal. Une marque de respect à l’égard des artistes qui est très appréciée. Vous en voulez une autre ? Les concerts ne se chevauchent pas ; vous avez donc la possibilité, si le cœur et les jambes vous en disent, d’assister à toutes les prestations !
Quelques mètres plus loin, King Hiss inaugure la Swamp Stage en proposant un Rock Stoner hypnotique. Il s’agit, pour le combo flamand, de la première date de sa tournée qui va sillonner la Belgique, l’Allemagne et les Pays-Bas et s’achever par une première partie de tous les concerts de Channel Zero, fer de lance du Metal en Belgique, prévus pour la fin de l’année. Le show de cette fin de matinée n’est certes pas une grande découverte, mais permet néanmoins de passer un bon moment rock’n’rollesque.
Place à présent à Sweet Savage, un band fondé à la fin des seventies. Originaire d’Irlande du Nord, il est considéré comme un des précurseurs de la New Wave of British Heavy Metal (au même titre que Saxon, Iron Maiden ou encore Motörhead), mais dont le parcours chaotique et le manque de succès commercial ne lui a pas permis de prendre son envol à l’époque, mais bien… trente ans plus tard. ‘Ce morceau-ci, Kirk Hammet, le guitariste de Metallica, m’a un jour confié que c’était selon lui le meilleur morceau de Heavy Metal qu’on avait pu écrire…’ proclame, un peu goguenard, Ray Haller, le bassiste/vocaliste originel, avant que ne démarre le vitaminé « Eye of the Storm ». Bien que la formation semble parfois hasardeuse sur les morceaux à jouer, le trio va livrer un set rentre-dedans, où les 50 minutes laissent au final un petit goût de trop peu. Il est à noter que le guitariste Vivian Campbell, également membre fondateur du Sweet Ravage, assiste à ce show depuis le backstage (NDR : il milite aujourd’hui chez Last in Line, dont on reparlera un peu plus tard…) On aurait pu espérer qu’il rejoigne ses ex-partenaires, en cours de route, mais il ne s’est pas décidé… Le combo quitte le podium après avoir accordé une délicieuse reprise du « Whiskey in the Jar » de Thin Lizzy, laissant derrière lui ce refrain si entêtant…
Du côté de la Swamp stage, les musiciens de Monkey3 ont pris possession des lieux. En quelques morceaux de prog/rock mélodique, strictement instrumental, le groupe helvète parvient à constituer une bulle dans le temps, dont l’aura part progressivement de la scène pour petit à petit englober tout le chapiteau. Le set se révèle à la fois poétique et émouvant, bien que le décalage soit un peu brutal par rapport au reste de l’affiche. L’expression sonore de Monkey3 nécessite une mise en condition au préalable et il est peut-être un peu dur d’apprécier un set exclusivement orchestral, dans le cadre d’un festival.
Après avoir avalé un hamburger sur le pouce (NDR : il faut reconnaître que les différents stands ‘food’ servent de la nourriture dont la qualité est supérieure aux autres festivals : elle coûte toujours un bras, mais au moins c’est bon !), Death Angel, le premier groupe de Thrash Metal de la journée, va entamer son set. Il est d’ailleurs quelque peu surprenant qu’il se produise si tôt. Et pour cause, il s’agit d’un des pionniers du style. En outre, il a permis au Thrash de naître au cœur du berceau californien, début des années ’80, aux côtés notamment de Slayer, Megadeth, Metallica ou encore Exodus. Mark Osegueda monte sur les planches, une bouteille de Bombay Sapphire à la main (bon… ce sera plus pour la forme qu’autre chose, le vocaliste n’y buvant que quelques gorgées pendant le show). Bien que la formation privilégie son dernier LP, « The Evil Divide », gravé l’an dernier, elle n’oublie pas pour autant ses fans d’hier, en entamant sa prestation par le morceau éponyme de « The Ultra-Violence », une composition qui remonte à 1987. En cinquante-cinq minutes, les musicos de Death Angel vont donner tout ce qu’ils ont dans le ventre, délivrant un concert condensé et sans concession, emmené par un Mark Osegueda à la puissance vocale vraiment impressionnante.
Deux bières plus tard et retour au Heavy. Et pas n’importe qui : Last in Line, dont le line up un peu particulier réunit d’anciens membres de Dio, groupe culte de Heavy Metal sous le lead de Ronnie James Dio. La motivation de ce band est simple : ressusciter les heures de gloire de Dio, dissous en 2010, suite au décès de son iconique chanteur. Le quintet a exhumé pour le plus grand plaisir de la foule, des morceaux devenus des hymnes, tels que « Stand Up and Shout », « Holy Diver » ou encore « Rainbow in the Dark ». Bon, évidemment, le pauvre Andrew Freeman, qui a la lourde tâche de reprendre le micro, n’a pas le coffre de Ronnie James Dio (NDR : est-ce mission impossible de le remplacer ?), mais on ne va néanmoins pas bouder sa joie de revivre ces titres interprétés par les musiciens d’origine. Faut-il préciser que l’auditoire a évidemment donné de la voix pendant un peu moins d’une heure (45 minutes pour être précis, car la formation s’est arrêtée dix minutes plus tôt, que prévu…) ? Ce genre de formation, c’est en fait un pari gagné d’avance. Mais qu’importe… du moment qu’on prend son pied !
Toujours dans la veine du Heavy Metal, Iced Earth se singularise en injectant dans sa solution sonore une dose de Power Metal, une autre de fantasy ainsi que l’une ou l’autre référence historique belliqueuse. Manifestement, le combo américano-canadien jouit d’une grosse popularité en Belgique, car la fosse est devenue de plus en plus compacte. Les musicos débarquent un à un sur l’intro de « Great Heathen Army » avant que le cri aigu (et si typiquement Heavy) de Stu Block ne vienne déchirer la plaine courtraisienne. Malgré un nouvel opus, « Incorruptible », publié il y a un peu moins de deux mois, la bande à Jon Schaffer n’en interprète que deux extraits, préférant puiser, ça et là, des titres issus de « Dark Saga », tels que « I Died for You », « The Hunter », « Vengeance Is Mine ». Iced Earth est typiquement du genre à rendre sa superpuissance contagieuse. Chaque morceau est un combat, une victoire arrachée, une ruée courageuse vers l’ennemi. On arrive en soldat, on repart en chevalier. Une fois de plus, l’exemple démontre que l’Alcatraz n’a pioché que des grosses pointures pour fêter sa décennie d’existence. C’est par l’épique, mais néanmoins émouvant « Watching Over Me », que le groupe tire sa révérence, largement acclamé par la foule.
La soirée commence à poindre le bout de son nez. J’y pointe d’ailleurs le mien sous la Swamp Stage pour y écouter quelques morceaux bien gras d’Obituary, un des pionniers du Death Metal. L’atmosphère est lourde, très lourde, et le combo figure parmi les incontournables. Mais comme votre serviteur a déjà assisté à un des ses concerts, il y a quelques mois ; et que l’estomac commence à crier famine, le ravitaillement s’impose avant d’accueillir un autre groupe mythique, mais qui milite dans l’univers du Thrash…
En l’occurrence, Testament. Né au début des années 80, à l’instar de nombreux bands du style, Testament (NDR : à l’origine il répondait au patronyme de Legacy), tourne depuis plus de trois décennies. Il parvient cependant encore à innover, à surprendre, tout en conservant sa propre identité. C’est par « Brotherhood of the Snakes », titre maître de son premier long playing, qu’il déterre la hache de guerre. C’est précis, c’est direct ; et on se prend un tas de riffs dans les dents. Et puis que serait ce band ynakee, sans sa figure emblématique, Chuck Billy ? Moitié Amérindien, moitié Mexicain, l’imposant vocaliste, quand il ne s’époumone pas derrière le micro, part alors dans d’impressionnants soli de pieds de micro (!) dont lui seul a le secret. Grâce à son impressionnante discographie, Testament est parvenu à faire vibrer les cordes vocales des fans d’aujourd’hui (« Dark Roots of Earth »), d’hier (« Low ») ou d’avant-hier (« Over the Wall »). Imitant de nombreux artistes programmés durant ce week-end, le frontman a tenté de chevaucher l’une des deux Harley Davidson trônant fièrement de chaque côté de la scène. Mais… personne n’a eu finalement l’audace de mettre son envie à exécution. Dommage !
La pluie est désormais loin et le soleil commence à montrer quelques traces de fatigue… N’est-ce donc pas le moment idéal pour accueillir les légendes de Venom ? Non pas un, non pas deux, mais bien trois backdrops tapissent le fond de la scène : la tête de bouc satanique reproduite sur la pochette de l’elpee, « Black Metal », est entourée de part et d’autre d’un pentagramme sur sa pointe. Pas de doute, Venom a toujours privilégié son inspiration satanique. C’est donc sur une introduction particulièrement machiavélique que les trois musicos opèrent leur entrée : le musclé Dante derrière ses fûts, aux cymbales avant exagérément hautes et inclinées à 90 degrés, le mystérieux guitariste La Rage, boule à zéro et bouc noir de rigueur, et finalement la figure de proue, le malsain chanteur et bassiste Cronos, au physique de gobelin habité depuis bien longtemps par le Malin. La basse est grasse et fortement mise en avant, la voix de Cronos est nasillarde et bourrue, les morceaux sont bien souvent primitifs et pourtant… l’alchimie est là et la sauce prend. Un concentré de puissance brute de décoffrage, sans aucun artifice. C’est la rencontre entre la hargne du punk, la puissance du Thrash et la mélodie du Heavy, le tout saupoudré d’une aura noire, pourrie et froidement satanique. Pas étonnant que ce band ait influencé bon nombre d’autres groupes, non pas spécialement pour les morceaux en eux-mêmes, mais pour ce qui en émane. Non seulement les pionniers du Thrash s’y réfèrent, mais également la scène Death Metal et, bien évidemment, la scène Black Metal qui empruntera son nom au second album du groupe. Old school jusqu’au bout des orteils, Venom était donc un des groupes à ne pas manquer ce samedi. A de nombreuses reprises, certains titres, tels que « Pandemonium », « Welcome to Hell », « Countess Bathory » ou encore « Black Metal » vont réveiller la part sombre de certains festivaliers. Un show magique et ensorcelé, démontrant que la puissance ne vient pas toujours de l’intensité des blasts, de la rapidité des riffs, de la hargne du chant ou d’une quelconque combine, mais qu’il faut aller la chercher… au-delà. Or, rares sont ceux qui sont parvenus à la trouver…
Un exemple de l’héritage laissé par Venom ? Abbath ! Et s’est sur la Swamp stage que le guitariste/vocaliste prend possession des lieux, entouré de l’énigmatique bassiste King et du drummer Raud. Aussi folklorique qu’insaisissable, Olve Eikemo incarne en même temps un des personnages mythiques du mouvement Black Metal. Il était la figure de proue d’Immortal, mais revêt aussi la caricature de ce que le Black Metal peut refléter (si vous n’en êtes pas encore convaincus, jetez un œil aux clips d’Immortal, vous comprendrez). Tête d’affiche de cette scène secondaire, Abbath est victime pourtant, d’entrée de jeu, d’un mauvais son. Beaucoup trop brouillon, il ne laisse que peu de place à la guitare. La situation finit heureusement par s’améliorer après quelques morceaux, tout comme l’abus de fumée sur scène. Un peu, c’est bien. Trop… on ne voit quasiment plus rien. Abbath n’a gravé pour l’instant qu’un seul long playing sous son pseudonyme ; moralité, l’éventail disponible dans le setlist est quelque peu réduit. Alors pas question de se compliquer les méninges : on aura droit à trois extraits de son nouvel elpee, un titre issu de son aventure intermédiaire vécue chez I, soit entre celle d’Immortal et d’Abbath, et six des meilleures plages d’Immortal. Encore une fois, la magie opère. Alors qu’Abbath ne peut s’empêcher de faire pitre entre chaque morceau, se lançant dans des diatribes que personne ne comprend, le set se révèle tout simplement dévastateur tout en nous réservant la quintessence du Black Metal. Une prestation qui aurait pu prendre l’eau, vu les problèmes techniques, mais qui finalement a été sauvée de justesse par la puissance des compos. Le maître fou a parlé.
Après quelques heures de décibels autant dans les oreilles que dans les jambes, cette journée d’Alcatraz marquée par un attachement aux valeurs traditionnelles, ne pouvait au final pas mieux se terminer que par la prestation de Saxon. La bande à Biff Byford émarge depuis plusieurs années au panthéon du Heavy Metal, et arbore fièrement le blason de la ‘New Wave of British Heavy Metal’. Il figure donc parmi ces groupes incontournables susceptibles de clôturer la journée de ce type de festival qui met bien en exergue les formations ‘old school’. Même le décor planté sur l’estrade rappelle la vieille école : un backdrop sur lequel est reproduit le logo du groupe et la pochette de leur denier LP « Battering Ram », un mur d’amplis Marshall séparé en son milieu par la batterie de Nigel Glockler, sous laquelle on retrouve à nouveau le logo du band. Punt.
Célébrant ses quarante ans d’existence ( !), Saxon se la joue résolument rétrospective en cette fraîche soirée estivale. Il faut dire que ce n’est pas le choix qui manque, vu les 21 albums studio ! Après avoir ouvert le bal par le dernier single en date, « Battering Ram », le combo anglais va nous inviter à nous balader dans le temps, d’une décennie à l’autre, au gré de sa discographie. Vêtu d’une longue veste noire cintrée sur laquelle vient reposer au niveau des épaules sa chevelure blanche, Biff arpente le podium de long en large, saute sans arrêt sur l’estrade qui sert à la batterie et n’est jamais à court d’anecdotes glanées pendant sa longue carrière. Réputé pour son franc-parler et sa détente facile, n’osez pas lui dire qu’il est un papy du rock en fin de carrière, au risque de vous faire botter le derrière en bonne et due forme. Tout comme le chanteur de Testament, Biff est attiré par les engins motorisés aux extrémités de la scène, lui servant de parfait alibi pour lancer « Motorcycle Man », issu de « Wheels of Steel », une compo qui remonte à 1981, suivi de « Power & The Glory », datant de 1983. Le band ne manque pas de rendre hommage à Lemmy Kilmister, chanteur/bassiste tant regretté de Motörhead, en rappelant les nombreuses tournées que les deux formations avaient accomplies ensemble et en lui dédiant « 20,000 Ft », une piste publiée en 80, sur l’album « Strong Arm of the Law »…
Choisir Saxon en tête d’affiche, c’était pour l’Alcatraz Festival une occasion de se faire plaisir (le band est plus généralement placé en début de soirée), mais surtout l’opportunité d’offrir à ses festivaliers un groupe taillé sur mesure pour eux, une valeur sûre, incontestable et incontestée du Heavy Metal. C’est finalement sur « Denim & Leather », une composition datant de 81 que les trentenaires, quadras et quinquagénaires, groupes d’âge largement majoritaires ce week-end, s’en iront rejoindre leurs pénates, le cœur et l’esprit plus que jamais emplis du précieux Metal.
(Organisation : Alcatraz + RockTribune)
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