Il aura donc fallu attendre presqu'une année pour voir sortir le premier véritable album d'Experimental Tropic Blues Band. Pourtant, Dirty Wolf (alias Psycho Tiger) et Boogie Snake prévoyaient sa parution vers le mois de mai. Apparemment, les événements ne se sont pas déroulés comme ils l'imaginaient. Vous le constaterez vous-même à la lecture de cet entretien que les deux chanteurs/guitaristes avaient accordée lors de la dernière édition du festival d'Hiver Rock. Une interview au cours de laquelle, on ne pouvait, non plus, passer sous silence les différents projets parallèles menés par les différents membres de l'E.T.B.B.
Quand on parle de l'Experimental Tropic Blues Band, on évoque d'abord ses prestations 'live'. C'est sur les planches qu'il a bâti sa réputation. Peut-on affirmer que c'est l'endroit qui vous motive le plus ? Le moteur du groupe en quelque sorte ?
Dirty Wolf : Effectivement, c'est sur la scène qu'on s'exprime le mieux. Pour l'instant, nous sommes en studio pour terminer notre album. En fait, on s'est rendu compte que lors de l'enregistrement de nos deux précédents disques, nous n'étions pas parvenus à y communiquer ce feeling 'live'. C'est ce qu'on va essayer de faire sur cd. Mais c'est très difficile à concrétiser…
Lorsque vous êtes sur les planches, Dirty Wolf baragouine en anglais entre les morceaux. Est-ce le reflet d'un l'attitude ?
D.W. : Ouais, c'est l'attitude ! Parfois, j'ai du mal à parler en français. Surtout quand on joue une musique comme la nôtre. Tu m'imagines balancer : 'Allez les gars' ou 'Est-ce que vous voulez du sale rock ?'. C'est ridicule… 'Come on' ou 'Do you wanna dirty rock', ce n'est pas pareil ! Maintenant, je ne sais pas trop pourquoi, mais on a toujours fait ainsi. Cependant, lors de certains concerts, je parle quand même dans ma langue natale. Notamment, lorsqu'il se produit un événement assez marrant. Finalement, j'aime bien les groupes qui parlent en anglais. Ca me dépayse un peu. Même si je parle très mal l'anglais. Surtout moi…
Lors de vos sets, il arrive régulièrement que vous vous laissez porter par le public. Lors de l'édition du festival de Dour 2005, je pense que c'était Boogie Snake.
Boogie Snake : (s'adressant à Dirty Wolf) Oui, mais tu l'as fait aussi !
D.W. : Ouais, ouais…
Pas trop les boules, quand même ?
B.S. : Il y avait tellement de monde, qu'il n'était pas possible de tomber. Et de se casser quelque chose.
D.W. : Il aime ça, hein !
B.S. : J'adore le snake diving !
Sais-tu que dans le passé, Peter Gabriel était coutumier du fait ?
B.S. : Non ! Je pensais plutôt à Iggy Pop ou des gens comme lui.
D.W. : C'est vraiment une sensation étrange.
B.S. : Physique.
D.W. Etrange aussi, car c'est incroyable de voler au-dessus de la foule. Tu vois leurs têtes de près. Et cette situation te communique une énergie incroyable.
B.S. : Alors qu'ils prennent des godasses dans la tronche.
D.W. : Ou alors, ils te tirent le froc. Ou encore tu finis par tomber…
Et des tas de filles crient à poils ?
D.W. : Non, là alors, je suis trop fatigué (rires)
Pour jouer une musique comme la vôtre, il faut adorer le blues et le rock'n roll. Mais qu'est ce qui vous a poussé à fonder un groupe semblable ?
B. S. : Notre admiration pour des artistes comme Elvis, Bo Diddley, Bob Log, John Spencer, etc.
D.W. : Les Cramps…
B.S. : R.L. Burnside, Skip James, Blind Willie Johnson, Otis Rush, et puis toute l'écurie du label Fat Possum…
Ce qui explique pourquoi on vous décrit parfois comme les héritiers naturels des Cramps et du Jon Spencer Blues Explosion ?
D.W. : Surtout des Cramps ! (rires)
A l'instar de la bande à Lux Interior et de Poison Ivy, votre répertoire inclut des reprises (NDR : le premier elpee des Cramps était exclusivement constitué de covers). N'envisagez-vous pas, dans le futur, l'enregistrement d'un album exclusivement consacré à ce type d'exercice ?
B.S. : Non, je ne le pense pas. Ce type de projet pose trop de problèmes de droits d'auteurs. Et on ne sait pas trop comment s'y prendre pour aborder le sujet. Enfin, il faut aussi en payer un certain prix…
D.W. : Pour l'instant, on joue sur scène, une version du « Garbage man » des Cramps (NDR : elle est sur le nouvel album !). Une autre de Bo Diddley et aussi d'Alan Vega.
B.S. : D'André Williams également (rires)
Vu le style musical pratiqué, ne craignez-vous pas que dans un futur plus ou moins proche, vous aurez rapidement fait le tour du sujet ?
B.S. : A premier abord, cette musique paraît, assez limitée. Mais en vérité, elle offre bien plus d'alternatives qu'il n'y paraît. Dans l'univers du rock, il y a toujours moyen d'emprunter une direction différente.
D.W. : La question ne se pose même pas, car on joue de la musique pour se faire plaisir et on a envie de continuer pour cette même raison. Qu'on soit seul, à deux, à trois ou à quatre, on continuera à faire du Tropic. Et tant pis si ça ne marche plus. J'espère simplement que j'aurais toujours la force de continuer… J'en ai même la quasi-certitude. Mon avis peut paraître prétentieux, mais j'ai trop la flamme pour m'arrêter. Et je pense que mon acolyte blond partage mon opinion.
Revendiquez-vous d'autres legs ?
D.W. : Bien sûr, nous ne sommes pas seulement influencés par le blues et le rock'n roll. Nous apprécions également la musique très dure, directe. Celle où on sent que les musiciens mettent leurs tripes sur la table. Un don de soi. Et que l'on ressent au plus profond de soi-même.
B.S. : J'apprécie aussi la musique country. Pour l'instant j'écoute beaucoup Johnny Cash.
Arbitrairement, je vais considérer l'E.T.B.B. comme groupe fédérateur au sein d'une multitude de projets auxquels vous participez. Colonel Bastard, c'est un projet solo imaginé par Psycho Tiger ?
D.W. : (d'une voix caverneuse) Dirty Wolf…
Seasick implique Boogie Snake ?
D.W. : Il ne s'appelle pas Boogie Snake dans Seasick, mais JJ.
Et enfin il y a Two Star Hotel au sein duquel militent le guitariste et le bassiste de Seasick. C'est tout ?
D.W. : A peu près. Ce n'est déjà pas si mal non ? Ah oui, il y a aussi l'Electric Ladies Blues, un ensemble auquel participe la copine de Boogie Snake.
Je suppose que vous multipliez les projets pour élargir votre horizon musical ?
D.W. : Nous ne souhaitons pas élargir notre horizon musical, mais on a trop d'énergie à dépenser. Trop d'idées. Alors pourquoi se limiter à un seul projet ?
B.S. : Il n'est pas possible de se contenter d'un seul projet. Nous écrivons trop de chansons. Et puis, nous ne pouvons concevoir de ne se concentrer que sur un style de musique. Nous avons besoin d'autre chose. De ressentir d'autres vibrations.
D.W. : En vérité, ce n'est pas l'E.T.B.B. qui est fédérateur, mais Seasick. C'est notre premier groupe. Nous participons à son aventure depuis 11 ans.
B.S. : Quatorze ans !
C'est ce groupe qui a emporté le Concours-Circuit dans la catégorie métal, en 2004 ? Un résultat plutôt étonnant, non ?
D.W. : Ce prix a provoqué un véritable scandale !
B.S. : J'ai vu des gens pleurer de dépit, parce qu'on avait décroché la palme (rires). Enfin, plus exactement parce que leur groupe préféré n'avait rien gagné. Pitoyable !
A propos de Seasick, j'ai lu qu'ils reconnaissaient pour influences majeures la physique nucléaire et les expériences sur le conditionnent du cerveau humain par Milgram et Hasch. (fou rire général). Vous assumez ?
B.S. : Il fallait bien écrire quelque chose, non ?
D.W. : Ce n'est pas vrai ! C'est parce que Jean-Jacques et Ben sont influencés par tout ce qui se rapporte à l'univers gothique et romantique (rires) : Clyde Barker, les films de série B ou d'horreur, etc. Et je crois que ce sont ces caractéristiques qui sont reflétées chez Seasick. Vraiment ! C'est la raison pour laquelle on écrit des textes semblables. J'ai également lu qu'on écoutait Seasick comme on regarde un film de David Lynch. Et c'est une bonne comparaison. Parce que la musique est très violente et directe. Surtout dans la manière de la donner. Personnellement, j'estime qu'elle est plus punk que metal.
B.S. : C'est sans doute la raison pour laquelle nous avions été versés dans la catégorie métal, lors du Concours-Circuit.
D.W. : C'est dans la manière d'exprimer la musique.
B.S. : Qui libère une énergie parfois dure à encaisser…
On dit de Colonel Bastard qu'il pratique du karaoké-rock-théâtral au sein duquel il n'y a pas de réelle ligne conductrice, mais une improvisation constante…
D.W. : Du karaoké'n roll. Très exactement ! Non, attention, je tiens à mettre les points sur les 'i' (rires). Je reconnais que c'est assez improvisé. Pas les paroles, ni la musique. En fait, je glisse un cd dans le lecteur et je chante dessus. Il n'y a pas de groupe pour m'accompagner. J'apporte quand même mon propre compact disc. L'impro, c'est la mise en scène. Il faut imaginer que je suis seul sur scène. Je dois me donner à fond sur la musique, même si elle est 'nazze'. Sur de l'électro, par exemple. Or, je déteste l'électro. Enfin, il n'y a pas que de l'électro. Donc, je chante sur un support sonore. Qui importe peu, finalement. Je fais en quelque sorte du théâtre en musique. Dès que je monte sur scène, je cherche des endroits où je vais pouvoir me jeter. Où je vais pouvoir faire des trucs. Je ne prévois pas ce que je vais accomplir. Faut que ce soit du 'live' ! Et tant pis si je me casse la gueule ou si je me pète des doigts. C'est ainsi. Ces risques font partie du show… (il souffle)
L'album de Two Star Hotel est paru chez Sounds Of Subterrania! Et sa distribution a été confiée à Sonic RendezVous. Curieux non ?
B.S. : Il faut savoir qu'Al et Ben Plastic ont fondé un groupe qui a connu un certain succès au cours des années 80 : Hiatus. En Allemagne. Et dans le milieu 'crustcore'. La formation a même accompli une tournée mondiale. Jusqu'aux States. Et apparemment, ils ont conservé leurs contacts avec l'Allemagne. Notamment de cette époque. Ce qui explique pourquoi ils se sont retrouvés sur ce label.
On dit de Two Star Hotel, qu'il pratique du Plastic avant-rock ? Une explication ?
D.W. : Je pense qu'ils seraient plus aptes à répondre à ces questions. Parce qu'on risque de raconter des conneries…
Vous relevez du Collectif Jaune Orange. Etes-vous simplement groupe membre ou êtes-vous impliqués dans le conseil d'Administration ?
D.W. : Tout le monde a son mot à dire dans Jaune Orange. Les gens imaginent que c'est un gros bazar. Mais ce n'est pas du tout le cas. C'est une structure très familiale. Il n'y a qu'une ou deux personnes vraiment responsables. Finalement, cette association n'existe que par hasard. Et tous les gens qui en dépendent s'entendent bien. Tout roule parfaitement…
Qu'est-ce que vous a apporté ce collectif ?
D.W. : Enormément. Et d'ailleurs, on commence seulement à en recueillir les fruits. Parce que le collectif prend une ampleur de plus en plus importante et jouit de plus en plus d'une excellente notoriété. Les gens prennent, aujourd'hui, au sérieux, Jaune Orange.
Et Girls In Hawaii y est sans doute, un peu pour quelque chose ?
D.W. : C'est Jaune Orange qui a découvert Girls In Hawaii. Depuis, il a pris une toute autre dimension…
Que devient l'harmoniciste Lord Bernardo ? Il avait notamment participé à l'enregistrement du mini album « Dynamite Boogie ».
D.W. : On le voit de moins en moins. En fait, il a son propre groupe : Stinky Lou & Goon Mat, en compagnie duquel il tourne beaucoup, sans compter ses collaborations diverses. Mais pour nous, c'est plus un ami qu'un musicien. Il vient parfois encore nous rejoindre, mais quand il est libre. C'est-à-dire très épisodiquement…
Vous êtes actuellement en studio. Peut-on lever un coin du voile qui recouvre les sessions d'enregistrement ? Y a-t-il des invités ?
D.W. : John Roo est notre ingénieur du son. C'est un bosseur. En outre on partage la même philosophie en matière de musique. Et c'est devenu un pote. D'ailleurs, on ne peut pas travailler en compagnie de gens avec lesquels on ne s'entend pas. Et pour l'instant on ne travaille qu'avec des amis. Les sessions d'enregistrement se déroulent à Waimes… On n'a invité personne. Rien que nous trois et l'ingénieur du son. On a même emporté nos tartines.
B.S. : Et quelques bouteilles de whiskey…
Et pour la musique ?
D.W. : C'est du rock'n roll. Maintenant, il est difficile d'en dire davantage tant que tout n'est pas terminé. Notamment les parties vocales et le mixing. Mais on y est presque. On a voulu prendre une nouvelle direction, même s'il recèle beaucoup de boogie. Et puis il est très puissant, plus puissant que tout ce qu'on a enregistré jusqu'à présent.
Et la date de sortie de cet opus ?
D.W. : Il part au mastering le 27 avril, donc 3 semaines plus tard, il devrait être dans les bacs. Si tout va bien. Et pour ton info, il s'intitule « Gangrene blues » (rires). Parce que nous considérons que nous somme quelque part la gangrène du blues. (NDR : en définitive, il s'appelle « Hellelujah »)
(La suite de l'interview nous propulse le 26 janvier 2007. Juste pour obtenir quelques éclaircissements relatifs à l'entretien que vous venez de lire. Dirty Wolf nous répond par téléphone.) L'album devait sortir en mai 2006. Il compte huit mois de retard. Vous avez rencontré des contretemps majeurs ?
D.W. : Non, pas vraiment. En fait, ce retard est dû à la confection de la pochette. Tout simplement.
Lors de notre rencontre, vous m'aviez répondu, que lors des sessions d'enregistrement, vous n'aviez reçu le concours d'aucun invité. Ce qui est loin d'être le cas, puisque Arno est venu apporter son concours à l'harmonica, sur deux de vos chansons (« Twice blues » et « Dry whisky »).
D.W. : A cette époque, ta question nous avait pris de court. En fait, nous avions eu l'accord verbal d'Arno pour qu'il vienne jouer de l'harmonica sur l'une ou l'autre de nos chansons. Mais il n'était pas encore passé en studio. Et on s'est dit, merde alors, comment as-tu fait pour savoir ce que personne ne savait ? Et pour ne pas que l'affaire capote, on a préféré tout nier en bloc. On aurait eu l'air malin s'il avait décliné l'invitation. Pour le reste tu peux savoir que Lio qui joue au sein d'Electric Ladies Blues et dans Le Prince Harry nous accompagne au piano sur deux titres. Je te le signale, car on va bientôt parler de ces groupes. Et en bien !