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Bernard Dagnies

Bernard Dagnies

Daniel Lorca est né à Madrid, mais a vécu presque toute son enfance à New York, où il est allé à l'école française, en compagnie de son ami de toujours, Matthew Caws. Vous ne serez donc pas étonnés d'apprendre qu'ils manient très bien la langue de Molière. Ce qui est assez exceptionnel pour des Américains. Ira Elliot, le troisième larron, est un New-yorkais de pure souche. Plus âgé que ses deux autres compères, il s'est forgé une solide réputation de drummer au cours des eighties. En jouant au sein de tas de formations de garage rock. Et notamment des légendaires Fuzztones. Le groupe vient d'enregistrer son deuxième album, " The proximity efect ". Mais, rien à faire, lorsqu'on évoque Nada Surf, on ne peut s'empêcher de penser à leur formidable hit, décroché en 1996, " Popular ". Et pourtant, cette popularité ne leur est pas monté à la tête, car Ira, Matthew et Daniel sont demeurés très simples, disponibles, tout en acceptant d'aborder des sujets parfois difficiles. Des types vraiment sympas !

Pourquoi avoir confié la production de votre deuxième album à Fred Maher ? N'étiez-vous pas satisfait des services de Ric Ocasek ?

D. : Il n'existe pas de raison bien particulière. Nous souhaitions tenter notre chance avec quelqu'un d'autre. Nous avions établi une liste de producteurs, auxquels nous aurions pu faire appel. Mais nous avons d'abord rencontré Fred. Il a écouté notre cassette et s'est montré très intéressé. Mais nous avons surtout opté pour lui, parce que le courant était bien passé entre nous, lors de notre première rencontre. En fait, nous voulions collaborer avec quelqu'un qui soit très proche de nous, quelqu'un avec lequel on puisse être capable de cohabiter en studio, pendant trois mois, sans se rentrer dedans. Et je crois que nous avons fait le bon choix. Parce qu'il est ouvert à toutes les alternatives. Que ce soit les loops, l'électronique, l'informatique ou le traitement des sonorités acoustiques.

M. : (en terminant son plat de pâtes). Il est très cool dans tous les styles, et il est même parvenu à nous faire admettre des trucs qu'on croyait ne pas être notre tasse de thé. Il ne faut pas oublier qu'il était membre de Scritti Politti, qu'il a produit l'album parfait de Matthew Sweet, et surtout de Lou Reed, avec lequel il a d'ailleurs joué. Et tout ce qu'il fait, il le fait à fond. Aussi, nous avons beaucoup de respect pour lui...

Y a-t-il une manière fondamentale de travailler entre Ric et Fred ?

M. : Oui, Ric est beaucoup plus rapide, tandis que Fred est plus soigné.

Donc Maher vous a coûté plus cher !

M. : (rires) Absolument ! Normal, puisque nous avons passé beaucoup plus de temps en studio pour mettre en forme " The proximity effect ". L'enregistrement de " High/low ", n'a pas été trop onéreux. Parce que Ric n'est pas obnubilé par le fric. Lorsqu'il nous a demandé de produire notre premier album, il nous a simplement dit de ne pas trop nous tracasser pour la facture. L'argent n'est pas au centre de ses préoccupations, pourvu qu'il en ait assez pour vivre. Produire est vraiment sa passion…

D. : On a ainsi compris, au fil des interviews, pourquoi Ric était souvent sollicité pour produire le premier album des nouveaux groupes…

Il paraît que le job d'ingénieur du son, n'est pas vraiment le truc de Matthew ?

M. : Tout a fait ! Parce que je suis loin d'être doué dans ce domaine. A vrai dire, après avoir végété au sein de plusieurs groupes sans récolter le moindre succès, j'ai commencé à me poser des questions. Qu'est ce que j'allais devenir dans cette putain d'existence. J'étais alors âgé de 25-26 ans, et j'étais pourtant bien contaminé par le virus de la musique. Alors, j'ai pensé devenir ingénieur du son, producteur. Un beau métier qui allait enfin m'ouvrir de nouvelles perspectives. J'ai donc suivi des cours, au sein d'une école spécialisée. Qui était, je m'en rends compte aujourd'hui, complètement nulle. Je suis alors entré comme stagiaire au sein d'un studio d'enregistrement. Et je me suis royalement planté. Parce que je n'avais pas les compétences techniques. Lorsqu'un appareil ne fonctionnait plus, j'en réclamais un autre. J'étais incapable de réparer la moindre panne, aussi bénigne fut elle. Déjà que je n'étais pas doué en maths et en physique à l'école, mais là, alors, je me suis senti nul, nul, nul. Pour quelqu'un qui aime écouter des disques, j'ai vraiment manqué ma cible. Ingénieur du son, c'était vraiment trop fort pour moi…

En signant chez Warner, étiez-vous conscients que, quelque part, vous devriez accepter des compromis ?

M. : Nous en sommes conscients. D'ailleurs, nous avons réfléchi longuement avant de prendre cette décision. Parce que cette situation n'était pas prévue. C'est à dire que depuis que nous jouons ensemble, nous en sommes à notre troisième groupe. En outre, celui-ci est celui pour lequel nous avions le moins d'ambitions. On espérait, quand même, finir par décrocher un contrat. Au sein d'un petit label indépendant, par exemple. Mais lorsque nous avons reçu une proposition d'un major, on s'est demandé ce qui nous arrivait. On ne s'y attendait vraiment pas !…

D. : On n'y pensait même pas ! On s'est cassé la tête pensant plusieurs mois avant de prendre une décision. Nous n'en dormions plus. Nous voulions protéger la formation, car nous savions qu'en acceptant cette proposition, nous prenions des risques. En fait, sur dix groupes signés par un major, je crois qu'au moins six d'entre eux sont obligés de splitter. A cause du contrat. Parce que lorsqu'on ne vend pas assez de disques, la seule raison de survivre, c'est de casser le groupe. C'est l'unique solution pour gommer la dette que te lie à ce type de label…

M. : Une telle aventure est toujours périlleuse. D'abord, parce nous aimons ce que nous faisons ; ensuite, parce que nous sommes très soucieux de préserver le capital confiance qui s'est instauré entre le public et nous-mêmes. C'était sans doute la seule raison de ne pas signer. Au bout du compte, on s'est dit que nos disques pouvaient se retrouver dans tous les bacs des disquaires. Que ce serait bien, car c'est une raison pour laquelle on se produit en concert. Evidemment, signer pour une grande firme, ce n'est pas très cool. Mais prendre des décisions à cause de quelque chose qui est cool ou pas cool, ce n'est pas très cool… (rires). Dans ces conditions, nous n'avions pas de raison de refuser cette offre.

Léonard Cohen, est-ce un symbole pour Nada Surf ?

M. : Si on veut. Nous apprécions beaucoup ses textes, sa voix, sa manière de jouer de la guitare. Mais surtout ses textes, souvent pervers et un peu sadiques. Et les mélodies également. Des mélodies folk méditerranéennes (NDR : difficile à prononcer pour un anglophone !)

D. : Ses lyrics sont tellement beaux et soignés. Il raconte des histoires personnelles ou des choses embarrassantes avec une facilité inouïe. Nous, lorsque nous écrivons une chanson, il nous arrive de rencontrer d'énormes difficultés pour la terminer. Parce que si je ressens au fond de moi-même ce que je souhaite exprimer, traduire cette sensation, sans trop relater des sentiments personnels ou trop embarrassants, m'est assez difficile. Je n'ai terminé ma chanson que lorsque je suis parvenu à cracher ce que j'ai vraiment à dire. Chez lui, il le fait si naturellement. Il est vraiment fantastique...

M. : J'ai récemment lu " Beautiful loser ", son roman. Il est très beau. Il explore, de la même manière que dans ses chansons, les coins les plus cachés des relations intimes, des relations charnelles. Il pousse très loin l'idée du désir, de la jalousie. Du désir amoureux, et du désir le plus intense. Et c'est très bien écrit…

L'autorité parentale, c'est une idée de l'éducation que vous contestez. Pourquoi ? Défendez-vous votre propre concept de l'éducation des enfants ou est-ce simplement le résultat de conflits rencontrés au cours de votre enfance ?

D. : Ma propre expérience vécue au cours de mon enfance se traduit aujourd'hui par un certain ressentiment à l'égard du monde adulte, en général. Entre 14 et 17 ans, j'ai passé des moments pénibles. Tout ceux qui m'entouraient, profs, parents, adultes, me tenaient le même discours. M'imposant une ligne de conduite pour devenir heureux dans la vie. Un mode de vie complètement absurde que j'ai dû chasser de mon esprit pour retrouver mon équilibre. Ma crise d'adolescence, je l'ai vécue à 16 ans. Pendant deux ans, j'ai souffert d'une grosse déprime. J'étais même complètement flippé. A cause de ces valeurs qu'on avait inculqué et que je ne parvenais pas à éliminer. Je ne voulais pas croire que le bonheur se résumait à trouver du boulot, gagner du fric, avoir une belle bagnole, se marier, avoir des enfants et un chien, divorcer, et bla bla bla… J'imaginais la vie autrement. Et pour corser le tout, je suis né catholique. Tu peux donc imaginer que ma conscience était moulée dans ce dogme religieux, avec toute cette merde qu'il charrie. Dieu est mort pour moi, le jour de ma confirmation. Lorsque je me suis confessé au prêtre, j'ai été incapable de lui cacher la vérité. Je lui ai donc avoué avoir menti à mes parents, me masturber… des actes tout à fait normaux, lorsqu'on est âgé de 14 ans. Alors, il m'a infligé 40 'notre père' et 60 'ave Maria'. Et pendant que je récitais toutes ces prières, dans l'église, à une vitesse supersonique, j'entendais mes copains qui jouaient dehors. Et je voulais les rejoindre. Eux, n'avaient pas dit toute la vérité, et quelque part, ils avaient été récompensés… Puis j'ai commencé à me poser des questions. Ce n'était pas possible que Dieu écoute des prières débitées à une telle cadence. C'était vraiment n'importe quoi. Quelle connerie ! J'en ai donc conclu que si je pouvais encore croire en Dieu, il me serait impossible d'encore faire confiance à l'Eglise. La religion travestit la vérité. Plus tard, je suis passé par le même type de crise, mais avec mes parents… là, j'ai vraiment trop parlé...

Non, non, c'est vraiment très intéressant…

I. : Pourtant, c'est déjà une vieille histoire (rires) !

Qu'est ce qui va si mal au sein de l'école supérieure américaine, pour la critiquer à ce point sur votre hit, " Popular " ?

I. : Je n'ai pas fréquenté les cours de l'école supérieure américaine. Mais j'aurais voulu y aller. Malheureusement, ma famille n'était pas dans une situation sociale favorable pour que je puisse y accéder. Aux States, des tas de gosses rencontrent ce type de frustration. En ce qui concerne " Popular ", nous ne visions pas tout particulièrement l'école supérieure, mais les gens en général. Leur comportement, leur conduite, les règles qu'ils ont édictées en matière d'éducation…

Pourtant, lorsque vous avez décroché un hit avec cette chanson, ne pensez-vous pas être passés à côté de votre objectif ? Lorsque le public chante des slogans engagés, sans se rendre compte de ce qu'il dit, n'est-ce pas manquer son but ?

M. : Je comprends ce que tu veux dire. Lorsqu'on écrit une chanson conceptuelle, on se dit que dans un monde parfait, elle deviendrait un tube énorme. Or le monde est loin d'être parfait. Ce qui explique pourquoi, on ne s'attendait pas que cette chanson devienne un hit. Mais je ne crois pas que nous ayons manqué notre cible. Parce que cette satire, en devenant un hit, a été portée à son degré le plus élevé.

D. : Et elle est devenue double. C'est très intéressant. Parce que ceux qui se sont rendu compte qu'il s'agissait d'une satire en ont fait leur hymne. Et un sujet de réflexion. Par contre les autres, qui ne sont attirés que par le confort, la banalité et le superficiel, en ont également fait leur hymne. Un peu comme cette pom pom girl de mon ancien lycée, qui imagine, chaque fois qu'elle entend la chanson, que c'est sa chanson. Et en tombe presque en pâmoison. Et là, on se marre tous. Et on a du mal à croire comment elle peut se laisser piéger ainsi. Tu comprends ainsi pourquoi je parle de double ironie…

Sur votre dernier album, deux de vos chansons " Mothers' day " et " Robert ", s'intéressent aux droits de la femme. Avez-vous quelques explications à fournir, au sujet de ce que je considère comme un message ?

M. : Il n'y a pas grand-chose de nouveau à ce niveau. Rien de révolutionnaire non plus. Mais on ne raconte pas n'importe quoi. Nous pensions qu'il était important de le dire, en tant que mecs, de groupe masculin. Parce que je pense que dans le monde, il y a encore des types qui sont aveuglés par leurs principes. Inutile de leur parler d'une manifestation réunissant des femmes, ils ne la voient pas, ils ne l'écoutent pas, ils ne l'entendent même pas. Pire, ils l'ignorent. Ils sont à côté de la plaque. Ils peuvent aimer leur mère, leur sœur, ou à la rigueur leur épouse, mais traitent la femme comme un objet quelconque. Nous sommes très sensibles à cette situation. Parce que je connais des femmes qui se sont fait violer. Et en particulier l'histoire d'une amie, qui m'a beaucoup marqué. Alors, tu comprends, pourquoi on s'est engagé personnellement dans cette lutte…

Ira, tu as joué au sein de plusieurs groupes avant de rejoindre Nada Surf. Notamment les Fuzztones. Une belle aventure ?

I. : Avec le recul, je reconnais que mon séjour chez les Fuzztones fut une belle aventure. Mais je dois avouer qu'au moment même, ce n'était pas toujours la joie. Il y avait une tension permanente entre les membres du groupe. M'enfin, c'est vrai que nous dégagions, surtout sur scène, énormément de fun. Cependant, le groupe au sein duquel j'ai connu les meilleurs moments demeure Dear of Discipline. Un petit combo new-yorkais, qui pratiquait un style à mi chemin entre les Cramps et ACDC, dont tu n'as sans doute jamais entendu parler…

Vous ne semblez pas très chauds de voir votre public s'adonner au stage-diving. Une raison ?

D. : Parce qu'on ne souhaite pas que nos concerts se soldent par des blessés. Nous nous soucions de l'intégrité physique de notre public. Nous avons ainsi un jour failli arrêter un concert, parce que de très jeunes ados se faisaient écraser contre les barrières de sécurité. Lorsque je vois quelqu'un qui se tord de douleur, je me sens responsable. Et je ne parviens plus à me concentrer, et encore moins à prendre mon pied. Maintenant, lorsque l'ambiance est positive, et que le public est capable d'autogestion, je ne suis pas opposé au stage-diving. J'en ai même fait à une certaine époque….

Version originale de l'interview parue dans le n° 69 (décembre 1998) du magazine MOFO

 

mardi, 30 juin 1998 05:00

Du rêve à la réalité...

Inspirés à la fois du rockabilly, du psychédélisme, du punk sixties déjanté, du surf et des films d'horreur tournés au cours des fifties, les Cramps sont toujours parvenus à reproduire, dans la grande tradition du rock'n roll, leurs propres clichés jusqu'à l'outrance. C'est sans doute ce qui leur a certainement permis de conserver leur brevet d'intemporalité. Ils viennent donc d'enregistrer un nouvel album : " Big beat from Badsville ", et dans la foulée sont repartis en tournée. Qui transitait par l'Aéronef de Lille. Où nous avons eu la chance de rencontrer Poison Ivy et Lux Interior, au sommet de leur forme, alors que le couple avait d'abord décidé d'annuler toutes les interviews…

Vous avez quitté Creation, apparemment de méchante humeur. Pourquoi ?

Poison Ivy : Creation constitue, sans doute, un label idéal pour Oasis ; mais certainement pas pour nous. Le personnel de cette boîte nous détestait et nous a boycottés. Pour eux, nous n'existions pas. Alan Mc Gee était probablement le seul qui nous appréciait. C'est lui qui avait voulu nous signer. Mais il a été victime d'une overdose ; et on s'est retrouvé face aux comptables de la firme… Finalement, nous avions de bien meilleurs contacts avec Sony, qui était pourtant chargé de nous distribuer en Europe. Ce label s'est toujours montré correct et a toujours manifesté beaucoup d'enthousiasme à notre égard…

Pourtant, Jesus & Mary Chain vient de réintégrer Creation. Vous y comprenez quelque chose ?

P.I. : Non, je ne comprends pas leur décision. Mais ça les regarde !

Vous venez de rejoindre les Fleshtones chez Epitaph, formation avec laquelle vous partagez un record insolite ; celui d'avoir transité par le plus grand nombre de labels en vingt années d'existence. Une concurrence ou une coïncidence ?

Lux Interior : J'ignorais que les Fleshtones avaient connu autant de labels. Mais nous ne sommes pas des amis intimes, ni des concurrents. Nous les connaissons pour avoir partagé la même affiche de l'un ou l'autre concert. Et puis, nous respectons ce qu'ils font…

Il n'y a pas de cover sur " Big beat from Badsville ". Des regrets ?

P.I. : Non, non, pas du tout. Ce qui ne veut pas dire que nous n'allons plus en faire. Il y a tellement longtemps que nous pratiquons cet exercice. C'est quelque part notre mode de vie. Mais, pour cet album, nous n'en avions pas trouvé une qui nous plaise totalement. Et puis, finalement, nous nous exprimons beaucoup mieux à travers nos propres chansons qu'à l'aide de celles des autres…

L.I. : Lorsque nous avons fondé les Cramps, les albums de réédition n'existaient pas encore. Nous recherchions les 45 tours dans les marchés aux puces. Nous pensions même, à l'époque, que personne n'aurait jamais entendu parler de ces disques, si nous ne les jouions pas. Mais aujourd'hui, un tas de formations jouent ces morceaux. Aussi, je pense qu'il n'est plus aussi indispensable d'interpréter autant de covers que nous ne le pratiquions auparavant. Mais si dans le futur, une chanson en valait vraiment la peine, nous l'inclurions sur un album. Nous avons d'ailleurs gravé un single, il y a quelques mois, sur lequel figure une reprise en face B. Cela n'a jamais été et ce ne sera jamais une règle générale…

Quelle est la frontière entre l'imagination et la réalité pour les Cramps ?

L.I. : L'imagination génère la réalité. La réalité procède d'une pensée, d'une idée. Et l'intention de concrétiser cette idée correspond à ce que nous appelons la réalité. Si la réalité est un fait qui exige d'être reconnu par les autres, ma réalité est partagée. Dès lors, la définition de la réalité implique un consensus entre personnes. Mais elle est le fruit de l'imagination. Un exemple ? Les Cramps sont nés d'une idée. Or, aujourd'hui, ils sont une réalité, ils doivent donc être une réalité Ils ne peuvent être qu'une réalité et non pas rester au stade de l'imagination. Mais en fait, l'imagination est en amont de toute chose. La réalité sans l'imagination est inconcevable…

P.I. : Les êtres humains qui ont une vie ennuyeuse nous regardent, en pensant que nous ne représentons pas la réalité. Pour eux, notre création n'est pas la réalité. Mais ce que nous faisons est très réel. En fait, pour nous, ce sont tout ces gens portant des costumes/cravates et qui s'ennuient qui ne sont pas la réalité…

L.I. : Toutes les grandes découvertes scientifiques ont débuté par une idée. Einstein était capable d'imaginer ce qui allait devenir vrai. Il ressentait que son idée pouvait devenir réelle. Mais il lui a fallu des années et des années pour la démontrer. Mais s'il n'avait pas fait preuve d'imagination, il ne serait pas connu. Prend le cas d'un avion, il faut d'abord l'imaginer avant de pouvoir le construire…

P.I. : Cette philosophie est démontrée dans un grand livre qui s'intitule " A propos de l'art et de la physique ". Einstein ne serait jamais parvenu à imaginer la théorie de la relativité, s'il n'avait pas découvert une peinture cubiste consacrée au cosmos. La théorie de la relativité est postérieure au mouvement cubiste. Comme la fusion à froid est apparue après la naissance des Cramps (NDR : ! ? ! ? !)…

En extrapolant, vous pensez donc que sans les rêves, il est impossible de changer le monde ?

L.I. : En fait, le rêve vient d'abord. Ensuite, on tente de comprendre pourquoi on a rêvé, selon des théories scientifiques…

Lux, tu as un jour déclaré que les être humains avaient été créés par des extra-terrestres. Mais que pour nous garder sous leur contrôle, ils ont inventé des religions, des pays et des langages différents. Peux-tu préciser ta pensée ?

L.I. : Cette idée n'est pas neuve. Il existe toute une littérature philosophique qui prône cette hypothèse. Je suis, en outre, fort sensible à cette philosophie qui repose sur la transformation de singes en êtres humains par les aliens. Cependant, par erreur, les êtres humains sont devenus supérieurs à leurs créateurs. Particulièrement les femmes. Alors, les envahisseurs ont disséminé cette population aux quatre coins de la planète, leur ont inculqué différents langages, de sorte que leurs différences les poussent à se battre entre eux ; et en même temps, permette aux aliens de contrôler plus facilement les terriens. Et c'est ce qui se passe sous leurs yeux aujourd'hui…

Le 14 juin 1981, vous assuriez la première partie de Siouxsie & The Banshees à l'Ancienne Belgique de Bruxelles. Au cours du set, Lux a pris un crâne et a déclaré : " Ceci est ma mère!…" Pourquoi ne pas avoir également invité ton père ?

P.I. : Mince alors ! Ah ça fait vraiment longtemps. Je ne m'en souviens pas. Mais c'est possible. Est-ce qu'il était déjà mort ?

L.I. : Non, non, il n'était pas encore disparu. Mais aujourd'hui, il est bien décédé. Je me souviens seulement du spectacle. Siouxsie & The Banshees ne nous avait concédé qu'un mètre d'avant-scène. Ce qui devait représenter à peu près quinze mètres carré. Mais heureusement, à l'époque, nous n'avions pas besoin de beaucoup de place pour jouer…

Vous êtes fascinés par les vampires. Mais vous ne mangez pas de viande. Vous préférez peut-être le sang ou le boudin ? (rires)

P.I. : Effectivement, nous ne mangeons pas de viande. Ni ne buvons de sang. J'aime le concept des morts vivants, des vampires, parce qu'il y règne beaucoup de sexualité. C'est une sorte d' " addiction ", un peu comme lorsqu'un drogué est en manque ; il doit absolument prendre sa dose. Donc, ce comportement est pardonnable. Il existe une grande variété de vampires. Pas seulement ceux du sang. Des vampires astraux et puis des vampires qui ont une toute autre dimension. Des vampires de l'énergie. Le sang est seulement une forme. Il faut également tenir compte des mauvais vampires, intéressés par notre énergie. On doit alors se protéger…

L.I : Par exemple, des vampires qui sévissent dans le monde de la musique. (rires)

P.I. : Oui, mais nous, on est bien protégés face à ce type de vampires. Ce qui explique pourquoi on est toujours ici…

Les Cramps sont devenus un groupe culte. Mais, en général, les groupes culte n'ont de succès que lorsqu'ils sont morts. Comment allez-vous faire, lorsque défunts, vous décrocherez un " award " ? (rires)

P.I. : Je vais vous confier un secret. Nous sommes morts. Nous sommes des vampires. Et comme nous n'avons pas l'intention de quitter la scène…

L.I. : C'est dans l'esprit de cette chanson de Screamin' Jay Hawkins, " Je m'en fous pas mal si tu me veux, je suis à toi de toutes façons… ".

Pour les Cramps, les films de série B seraient du blues. Peux-tu préciser ta pensée ?

L.I. : Pas facile à expliquer. Tout d'abord, lorsqu'on parle de série B, il faut bien distinguer celles qui nécessitent d'énormes moyens, qui bénéficient de grands studios, comme tu peux le voir sur la TV ; et puis, les films à caractère artistique. Réalisés par quelques personnes, ils constituent, en quelque sorte, un art populaire. Ils sont authentiques. Très proches de la réalité. Alors qu'un film fabriqué en studio, nécessitant 1.000 participants, n'est qu'un produit, sans grand intérêt, par dessus le marché. En fait, il existe un parallélisme entre les " B movies " et le blues ou le rock'n roll, parce qu'on est en présence d'un art populaire. Ces gens qui racontent des choses à propos de leur propre vie. Il en va de même pour les séries B. Prend l'exemple d'Ed Wood. On remarquait immédiatement sa signature. Mais lorsque la réalisation d'un film réclame un grand studio, un réalisateur célèbre, met en scène des bagnoles Corvett qui explosent ou des hélicoptères qui s'écrasent, on est loin de la réalité…

Vous êtes des collectionneurs invétérés de disques vinyles, de cassettes vidéo, consacrées à ces séries B ; et puis également de bandes dessinées. En avez-vous, un jour dressé un inventaire ? Avez-vous encore le temps de les écouter, de les regarder ou de les lire ?

L.I. : En permanence ! Lors de nos tournées, nous emportons toujours une valise contenant une bonne vingtaine de cassettes vidéo. Nous les visionnons régulièrement. A New-York, nous appartenons à un club qui s'intéresse aux films rarissimes. Nous y découvrons des œuvres qui ne figurent même pas en cassette vidéo. Nous venons d'assister à la projection de " Légende de Leila Clare ". Stupéfiant ! Depuis notre enfance, nous collectionnons les BD des années 50. Elles sont rock'n roll, dans la mesure où elles sont réellement sataniques, hallucinantes (NDR : hallucinogènes ?), procurent des frissons aux adultes de cette génération. Par exemple, sur la couverture d'un magazine, on pouvait rencontrer un globe oculaire transpercé d'un poignard. Un art populaire très étrange ! A cette époque, ces bandes dessinées étaient considérées comme amorales ; et ont été censurées par la législation. C'est ce style de bouquins que nous collectionnons. On y retrouve, un peu, l'esprit rebelle de la jeunesse des années 50 et 60. Et nous disposons même d'exemplaires de ces BD qui remontent à une quinzaine d'années de plus, des BD à l'imagination malsaine, macabre…

Qui est ce Ghoulardi, à qui vous rendez hommage sur " Big beat from Badsville " ?

L.I . : Il avait réalisé la pochette de " Stay sick ". Un passionné de films d'horreur qui était régulièrement invité sur les plateaux de TV. Notamment à Cleveland. Il était très populaire, mais aussi maniaque. Il portait une perruque effrayante et des lunettes de soleil munies d'un seul verre. Il lui est même arrivé de jeter un pétard pirate en plein débat télévisé. Faut dire que l'occasion était belle, puisque pour la circonstance, le présentateur avait invité des scientifiques. Malheureusement, il est mort cette année…

Qu'est ce qui est répréhensible dans le rock'n roll ?

L.I. : Je ne supporte pas les gens qui sont incapables de faire la différence entre le rock'n roll et le rock. Le rock'n roll est un style de vie, un mode de vie. Vous êtes un rock'n roller ou vous n'en êtes pas un. C'est l'un ou l'autre. Ensuite, il y a la musique rock. Et dans ce domaine, on rencontre des gens qui jouent de la musique rock et qui sont jugés par leurs pairs. Et ils décrètent que telle musique est meilleure qu'une autre. Mais le rock'n roll est une musique simple. C'est supérieur au reste. Supérieur ! En fait, le problème, c'est que la plupart des gens ne connaissent toujours pas la définition du rock'n roll !…

Sans Jery Lee Lewis, Link Wray et Elvis Presley, il n'y aurait pas eu de rock'n roll ; mais pas de Cramps, non plus. Qu'en pensez-vous ?

P.I. : Difficile d'imaginer le rock'n roll sans eux. Ils en sont les architectes, les géniteurs…

L.I. : Si tu consultes le catalogue du label " Sun ", tu remarqueras qu'ils sont tous disparus, sauf Jerry Lee Lewis. Et pourtant, il y a vingt ans que tout le monde pense qu'il va passer l'arme à gauche…

P.I : Celui que tout le monde voyait rendre son dernier souffle le premier est toujours là. Il n'a jamais pris soin de lui, commis les pires excès, boit, fume ; mais il est toujours bien vivant. Incroyable !

L.I. : Longue vie à Jerry Lee Lewis ! On l'a un jour rencontré sur le parking d'un studio d'enregistrement. Je me suis précipité vers lui en lui annonçant que nous venions d'enregistrer notre disque aux studios " Sam Philipps " de Memphis, au même endroit qu'il avait commis les siens. Il m'a répondu que c'était bien, que c'était formidable, que j'étais un mec. Mais instinctivement, je me suis placé devant le pare-chocs de ma Dodge 1966, parce qu'il y est inscrit : " Honk if you like Elvis "… Je ne voulais pas que Jerry voie cette mention.

P.I. : En fait, elle est reproduite sur un autocollant…

L.I. : On t'aime bien Jerry !… Mais on se disait : " Surtout ne regarde pas le pare-chocs, Jerry, on t'aime bien tu sais… "

Espérez-vous, tant qu'il est encore de ce monde, pouvoir un jour jouer avec lui ?

L.I. : Jouer avec Jerry Lee Lewis ?

P.I. : Oh, oui ! J'attends ce moment avec impatience. Et je parie qu'il le ferait. Ce serait la concrétisation d'un rêve…

L.I. : Et le rêve devient réalité. C'est vrai que j'ai rêvé de cet instant. Mais je ne pense pas qu'il ait besoin de nous, autant que nous ayons besoin de lui…

Version originale de l'interview parue dans le n° 63 (mai/juin 98) du magazine MOFO

Merci à Vincent Devos ainsi qu'à Danièle (Aéronef), sans qui cette entrevue n'aurait pu avoir lieu.

 

 

 

 

 

dimanche, 31 mai 1998 05:00

Sex Drugs and Rock n roll

Originaires de Portland, dans l'Oregon , les Dandy Warhols sont considérés comme le groupe américain le plus anglais des nineties. Version britpop, bien sûr. Encore qu'en y regardant de plus loin (NDR : Pourquoi pas de plus près ?), cette pop britannique contemporaine doit également beaucoup au garage sixties américain… D'ailleurs, Courtney Taylor, chanteur et leader de la formation, ne croit pas (ou si peu) à l'originalité pure et dure, mais plutôt à l'originalité du recyclage…

L'enregistrement de votre deuxième album a nécessité 5 mois. Un accouchement apparemment laborieux ?

Si son enregistrement a duré si longtemps, c'est que nous avions besoin de tout ce temps pour le réaliser. En fait, nous disposions de 5 mois. Personne n'achève jamais tout à fait un album. En vérité, lorsque tu n'as plus de fric, l'enregistrement est terminé. Or, nous disposions de suffisamment de ressources pour y passer 5 mois. Si nous en avions eu pour le double de temps, nous serions resté 10 mois en studio. Notre premier opus, " Dandy's rule O.K. ", n'avait pris que deux semaines. Et nous n'étions pas en studio tous les jours. En fait, sur les 2 semaines, 3 jours avaient été consacrés à l'enregistrement, et 3 autres au mixing. Nous y étions contraints. Et le résultat fut superbe. Nous avons réalisé un grand album en 5 mois, parce que nous en avions les possibilités. C'est vrai que deux semaines, c'est peu, mais c'est toujours mieux que rien du tout…

A propos de ce premier album, vous semblez en être à la fois fiers et embarrassés. Une raison ?

Il est comme il est. Nous l'avons écouté, hier dans le bus. Et lorsqu'il est arrivé à la plage " Lou Weed ", j'ai regardé Pete en lui disant : " C'est ça notre premier album ? " Nous qui écumions les petites salles et les petits clubs depuis à peine une année étions déjà capables d'atteindre ce niveau de maturité. Incroyable ! Le mixing est un peu faible, mais ce disque est un témoignage de ce que nous étions alors capables de faire. En fait, je n'arrive pas à croire que nous étions déjà aussi bons à cette époque…

Tu as un jour déclaré que les Dandy Warhols étaient le produit d'un environnement. Lequel ? De Portland ? De la fin des nineties ? Et pourquoi ?

Simplement parce que nous sommes tous issus de cette région. Naître à Portland n'est pas ce qui pouvait m'arriver de mieux ! Tu parles d'un environnement, d'un décor ; de ce côté là, on n’est vraiment pas gâtés !

Courtney, tu as étudié la musique, la psychologie, la philosophie, la photographie et l'histoire de la civilisation américaine, à l'univ. Mais tu ne sembles guère branché par la politique. Or, suivant l'adage, si tu ne t'intéresses pas à la politique, la politique s'intéressera à toi. Ce n'est pas un problème pour toi ?

Non, pas encore. Pas la politique internationale en tout cas. Ca me dépasse. Elle ressemble à une toile d'araignée (NDR : il éternue.). Et je ne vois pas comment on pourrait s'en dépêtrer. C'est beaucoup trop compliqué d'harmoniser tous ces peuples qui éprouvent des envies et des désirs différents. Je m'intéresse davantage à la politique individuelle. Celle qui me permet de défendre mes propres intérêts face à mon label, face à mes employeurs. Mais je me débrouille plutôt bien dans ce domaine. Je n'insulte pas trop de monde. Et même personne, sauf ceux qui le méritent. Non, sincèrement, je préfère m'impliquer dans la musique. Parce qu'elle répond à un besoin du public. Et puis, c'est beaucoup plus facile.

Que représente Ian Dury pour les Dandy Warhols ?

Je ne comprends pas la question. (NDR : ou il feint de ne pas la comprendre).

La devise des Dandy Warhols, à l'instar de la célèbre chanson de Ian Dury, n'est-elle pas " Sex and drugs and rock'n roll " ?

(Plutôt embarrassé) Tu veux savoir ce que j'en pense ? Je n'ai pas trop envie d'en discuter, à cause du groupe… Pourquoi Ian Dury chantait " Sex and drugs and rock'n roll " ? En fait les trois thèmes sont étroitement liés. Enfin étaient très liés au cours des 80's. Aujourd'hui, c'est beaucoup moins flagrant. En fait, les artistes qui n'abordaient pas la sexualité, étaient opposés à la drogue, jouaient du rock'n roll et s'impliquaient dans la lutte politique. U2, par exemple. Ce choix est personnel. Si tu fais du rock'n roll, tu peux le conjuguer avec le sexe et la drogue. Mais tu peux également associer le sexe et le rock'n roll sans toucher à la drogue. Enfin, tu peux t'abandonner au sexe et à la drogue, sans pratiquer du rock'n roll. Mes parents consomment du sexe, sans pour autant s'intéresser au rock'n roll et à la drogue. J'en suis pratiquement sûr. Il est vrai que s'il n'y avait pas de sexe, il n'y aurait pas de rock'n roll. Et probablement pas de drogue (NDR : ? ! ? ! ?). Aujourd'hui, les critères sont occupés de se modifier fondamentalement. La politique et le sexe sont beaucoup plus liés. Bill Clinton a remplacé la drogue par la politique. Il a ainsi inventé un nouveau concept : sexe, politique et rock'n roll. C'est son tiercé gagnant ! Mais je ne compte pas m'y lancer, parce que la politique est beaucoup plus imprévisible que la drogue. Ian Dury était un idéaliste. Lorsqu'il abordait le sexe, la drogue et le rock'n roll, il parlait de ce qu'il connaissait. Sans plus !

Il paraît que tu rêves de faire du cinéma. La musique n'est donc, pour toi, qu'un tremplin ?

Plutôt une thérapie. Chaque fois que vous écoutez votre chanson, vous affirmez votre identité, parce qu'elle vous ressemble. Je créerais de la musique, même si j'étais un robot. Je dois produire de la musique. Je me sens investi d'une mission. Après avoir accompli une tournée, je passe des journées entières à écouter de la musique, à composer. Des journées, que dis-je, des nuits à fumer des cigarettes, à boire des cocktails, à jouer de la guitare, à pousser mes amplis, le casque sur les oreilles. J'en oublie même d'en aller me coucher. Parfois, je travaille jusqu'au lever du soleil, pour créer, m'éclater. J'éprouve une sensation de chaleur intense, à l'intérieur de mon corps, rien qu'à y penser. Ce comportement reflète parfaitement ma manière de vivre. Ma personnalité. Je me suis toujours comporté de cette manière… Mais j'aimerais également, un jour, pouvoir interpréter un autre rôle que le mien. Au cinéma, par exemple. J'ai des tas d'idées dans ce domaine. J'adore le cinéma. Faire un film. Oui, mais pas seul. Avec mes amis et des tas de collaborateurs, des techniciens aussi. Ce serait drôle, mais bien, j'en suis sûr…

Quelle est ta définition du psychédélisme ?

C'est une question difficile. Quelque chose de profond. De difficile exprimer. Il me faudrait une bonne sieste pour pouvoir réfléchir à la question. Non, je préfère ne pas y répondre…

Avec un pied dans le rock américain des sixties et l'autre dans la britpop des nineties, vous n'avez pas peur de perdre votre équilibre ?

Pas du tout ! Il faut bien mettre les pieds quelque part. Ce qui compte c'est de savoir où on les met. Si notre prochain album devait renouer avec une certaine idée de ce qui se faisait en 1979, à Houston, dans le Texas, je m'en foutrais complètement.

Est-ce un plaisir pour vous de pasticher les autres groupes ?

En quelque sorte. Plus exactement un hommage éhonté. J'ai essayé de me fendre Neil Young. Mais n'y suis pas encore parvenu. En fait, je n'ai jamais rien trouvé de plus stupide que ces formations qui se contentent d'imiter les autres groupes en niant l'évidence. Comme si les influences n'existaient pas. Personne ne serait capable de concocter sa propre musique si quelqu'un ne l'avait pas pratiquée auparavant. Personne n'a inventé la musique. Elle a évolué. Il est impossible de progresser sans regarder dans son rétroviseur. Nous existons parce que d'autres ont existé avant nous. Ceux qui pensent le contraire sont des crétins. Et il en existe beaucoup dans le domaine du rock…

Je sais que tu apprécies beaucoup Neil Young. Mais en même temps, tu as un jour déclaré que les musiciens de Pearl Jam étaient une bande de poseurs stupides. Or ce groupe a joué avec Neil ; et ils ont même enregistré un album ensemble. N'est-ce pas paradoxal de tenir un tel discours ?

En fait, ma remarque s'adressait surtout à Eddie Vedder. C'est un type impersonnel, immature, et certainement pas un idéal. Il se crée un personnage plutôt que d'être lui-même. C'est sans doute dû à l'énorme pression qui pèse sur lui. Je reconnais que le fruit de la rencontre entre Pearl Jam et Neil Young était nickel. D'autant plus que les musiciens du groupe aiment beaucoup Neil Young. A une échelle moins importante, cela nous fait penser à une formation de Portland qui nous aime également très fort. Notre batteur, Eric, les a pris sous sa houlette, et est allé en studio pour produire une de leurs chansons. Il l'a ainsi rendue époustouflante. Ce travail lui a pris sept heures. Il l'a fait, pas parce qu'ils sont brillants, mais parce qu'ils sont sympas. Vraiment des chouettes gars. C'est superbe de pouvoir travailler avec des gens qui aiment ce que vous faites. Je suis convaincu que les musiciens de Pearl jam ont passé de bons moments en compagnie de Neil…

Quels sont les plus noceurs ? Oasis ou les Dandy Warhols ?

Oasis ! Parce qu'ils gagnent plus de fric. Ils sont des rebelles totalement insouciants et vivent à cent à l'heure. Ils se comportent comme des gosses sans scrupules qui auraient décidé de ne plus se rendre à l'école parce que leurs parents, décédés, leur auraient légué une fortune. Personne ne pourra les arrêter. Ils semblent vraiment hors de contrôle. Et leurs pitreries n'amusent plus personne. Ni eux, ni leur entourage. Nous sommes beaucoup plus conservateurs. Nous ne passons pas des nuits blanches à guindailler sous l'influence des drogues. Sauf lorsque le lendemain on peut dormir… Nous n'emmerdons pas les gens, sauf lorsqu'ils nous font chier. Là est toute la différence…

Tu as déclaré qu'il était utopique de croire que quelqu'un puisse encore réinventer la technique de la guitare. Tu n'as jamais cru en Sonic Youth ?

Ils sont formidables. Mais ils n'ont rien inventé ni réinventé de nouveau. En fait, ils régurgitent ce que d'autres, avant eux, avaient déjà fait. Tu peux tout disséquer si tu veux, tu retrouveras le canevas ou le beat de Can ou de Suicide. L'astuce est de capter des sources différentes et d'essayer de les brasser pour obtenir quelque chose de nouveau. Mais pas consciemment. Instinctivement, comme elles arrivent. On se fiche pas mal de l'origine ou de l'existence des influences. Inévitablement, il existe toujours un moment où vous avez l'impression de gratter quelque part dans le passé. Mais pourvu que cette sensation ne vous envahisse pas au point de vous agacer, et qu'elle soit suffisante pour que vous aimiez. Ce qui est important, c'est d'imaginer quelque chose qu’on n’entende pas, mais qui ressort. Sans quoi, on penserait trop, et on ne créerait plus rien…

Merci à Vincent Devos.

(Version originale de l'interview parue dans le n° 62 - avril/mai 1998 du magazine Mofo)

samedi, 31 octobre 1998 04:00

La vérité toute nue...

Isabel Monteiro est brésilienne. Elle chante et joue de la basse. Mike Chilysnki, américain. Il se charge des drums. Enfin, le britannique Daron Robinson assure les parties de guitare. Le trio cosmopolite vient d'enregistrer un deuxième album, " White magic for lovers ", dans la foulée d'un single, pardon d'un hit single, sur lequel, Thom Yorke est venu donner de la voix. " El president ", pour ne rien vous cacher. Isabel n'a pas sa langue en poche, pas seulement parce qu'elle a beaucoup de choses à raconter, mais parce qu'elle possède une vision de la vie très personnelle, profonde aussi, mais le plus souvent déconcertante…

Thom Yorke, le leader de Radiohead, chante sur votre hit single, " El president ". Comment s'est passé votre rencontre en studio ? N'est-il pas trop difficile à vivre ?

D.R : On s'est vraiment fait chier... Il n'avait pas grand-chose à nous raconter.

M.C. : C'est vrai qu'il n'était pas du tout marrant.

D.R. : Et en plus, c'est un gay !

I.M. : Non, c'est tout à fait faux (rires), il a vraiment été génial, très très bien. Nous avons chanté " live ", tous les deux, trois ou quatre de nos chansons. Il possède une voix étonnante, fantastique. Lorsqu'on le regarde chanter, son expression est très douce, très pure. Cette rencontre a été un véritable plaisir. Je pense qu'il était beaucoup plus difficile pour moi d'atteindre son niveau de qualité. Il enchaîne chanson après chanson sans jamais faiblir. Sa voix est imperturbable, ne perd jamais en intensité. La mienne se fatigue progressivement, car je fume un peu trop. Mais cette rencontre était à la fois très amusante et enrichissante, car nous devions chanter face à face. C'était comme si il voulait essayer de gagner un concours. Finalement, il y avait une sorte de compétition entre nous, mais dans le bon sens du terme…

Mais pourquoi a-t-il accepté de chanter en duo avec toi ? Parce que vous repreniez, " Blackstar ", 'live'?

I.M. : C'était il y a deux ans, lors d'un festival. Radiohead occupait la tête d'affiche, mais ils étaient tous extrêmement nerveux. Nous n'avions jamais imaginé qu'un groupe pareil puisse se sentir aussi tendu, à l'idée de devoir se produire comme tête d'affiche d'un festival. Nous les avons rencontrés en coulisses et nous les avons invités à rejoindre notre loge. Là, nous avons joué " Blackstar " ; et puis nous avons beaucoup discuté ensemble. Nous leur avons répété qu'ils méritaient cette tête d'affiche, parce qu'ils étaient géniaux sur scène. Depuis, ils nous ont toujours voué une profonde gratitude. Et puis, nous avons tourné aux States avec eux, et nous sommes devenus des amis. Avec le recul, je comprends mieux, que le succès d'un groupe puisse causer une telle pression ; mais d'autre part, je pense qu'ils nous observent en pensant que nous sommes toujours capables de nous amuser sur scène. Eux ne peuvent plus. Sur les planches ils doivent délivrer un set très professionnel. Mais, en nous regardant, ils se rappellent que quelques années plus tôt, ils disposaient toujours de la liberté d'oser faire les choses qu'ils souhaitaient…

Pour en revenir à " El president ", il appert que cette chanson traite de l'interventionnisme des Yankees à El Salvador, au Chili et à Cuba. Vous détestez l'impérialisme ? Ne pensez-vous pas que le communisme comme le néo libéralisme, sont d'autres formes d'impérialisme ?

I.M. : Je ne pense pas que tous ces systèmes soient fondamentalement mauvais. Mais il est absurde de penser qu'il soit possible d'établir un système qui plaise à tout le monde, parce que tout le monde a des objectifs différents, dans la vie. Bien sûr, nous sommes contre l'impérialisme américain, mais c'est un mouvement inévitable, un développement inéluctable de l'humanité. Il existe des étapes différentes dans le progrès. C'est parfois moche, mais il ne faut pas seulement regarder le mauvais côté de la médaille. Il y a aussi des choses positives. Cependant, je ne me sens pas suffisamment experte pour mener un tel débat. Je ne souhaite pas que cette chanson se limite à montrer du doigt la CIA des Etats-Unis, mais qu'elle prenne une dimension humaine. Nous rappelle qu'il existe des gens, des être humains qui ont souffert et souffrent encore, qui se sont battus et qui se battent encore pour défendre ou arracher leur liberté….

Lors d'une interview, tu as proclamé que le patriotisme pouvait s'avérer dangereux. Ne penses-tu pas que tu aurais dû parler de nationalisme ?

I.M. : Tu as tout à fait raison. Je pense qu'il est important de se reconnaître à travers une culture, de développer sa propre identité en retenant les bonnes choses qui appartiennent à ton pays. Je pense que les humains sont divisés en tribus ; et c'est naturel, mais cette situation peut devenir franchement dangereuse…

Pourtant, tu as déclaré que les choses dangereuses peuvent se présenter aux humains sous une forme magnifique?

M.C. : Bonne question ! Pourquoi ? Dis le nous !

I.M. : La chose la plus dangereuse que tu puisses faire, c'est de dire aux gens ce que tu penses vraiment. Mais telle est notre manière de vivre que nous essayions de faire passer à travers nos compositions. Il est important pour nous de dire ce qu'on pense vraiment.

Pourquoi la vie est un choix entre l'amour ou la liberté, mais jamais une association ?

I.M. : Quel terrible poids ! Pourquoi ne peut-on jamais avoir les deux. Nous vivons tous cela. C'est notre idée d'atteindre l'amour et d'être libre, mais ils ne viennent pas facilement ensemble. L'amour est une prison, qui emprisonne les émotions…

Drugstore est un groupe mélancolique. Mais pourquoi essayez-vous de traduire la dépression en douce mélancolie. Parce que vous êtes vraiment mélancoliques, ou par simple exercice de style ? Que pensez-vous de la mélancolie cultivée par des groupes tels que Cowboy Junkies, Mazzy Star et Jesus & Mary Chain ?

I.M. : J'ai l'impression que ces groupes sont un peu plus intelligents, plus doués que Drugstore. Je ne pense pas que nous ayons l'idée, ni la patience d'essayer d'atteindre leur statut. Nous ne sommes pas davantage académiques. Lorsque j'écris, c'est très naïf, très pur. Pour moi, c'est le seul moment vrai, l'écriture spontanée. Tout ce qui arrive après, c'est de la merde.

D.R. : C'est absolument vrai !

I.M. : Il y a un long voyage entre le moment où tu écris une chanson, dans ta chambre, jusqu'au moment où tu la joues devant 25.000 personnes, et puis encore un autre avant d'être capable de faire face aux interviews. Je pense qu'il y a un côté de mon cœur qui est mélancolique. Je pense que ce côté existe dans le cœur de chacun ; si vous êtes une personne sensible, on ne peut rien faire contre la peine, les sentiments, pas seulement les siens, la vie en elle même…

Entre les enregistrements de vos deux albums, vous avez vécu des moments difficiles. Est-il exact que vous étiez sur le point de splitter ?

I.M. : Je ne pense pas que nous étions sur le point de nous séparer, mais nous étions parvenus à une sorte de panne, en tout cas une panne financière, parce lorsque notre label a été racheté par Polygram, nous nous sommes dit que nous allions connaître les vacances. Cependant, au bout d'un certain temps, nous avons dépensé tout notre argent, et puis on a dû vendre tous nos biens. Nous avons alors vécu des moments difficiles, et franchement, nous n'avions vraiment pas l'idée de ce qui allait pu nous arriver.

D.R. : Nous étions liés à ce label, et nous avons dû attendre plus d'un an avant qu'ils ne décident ce qu'ils allaient faire de nous…

I.M. : Ces moments ont été pénibles, mais nous ne voulions pas nous séparer, car d'une certaine manière, cette épreuve nous avait rapprochés. On ne fout pas un groupe en l'air, juste pour une question de droit…

Isabel, tu chantes et tu joues de la basse, en même temps. Lorsque nous avons rencontré Kevin Ayers, il nous a raconté, que c'était difficile de faire les deux en même temps, parce que la voix doit passer à travers. Partages-tu son point de vue ?

I.M. : Je pense que si c'était difficile, je ne le ferai pas. Je joue de la basse très simplement. Cet instrument est d'ailleurs une antiquité. Je ne pense pas que ce soit si difficile. Il est amusant de constater que certaines personnes peuvent faire des choses différentes en même temps. Je suis incapable de conduire une voiture, parce que je trouve cet exercice extrêmement difficile : coordonner ses pieds, sa main gauche et les yeux, ainsi que les feux de signalisation, sans oublier les piétons. C'est beaucoup trop ! Je n'arrive pas à imaginer une vielle damne de 85 ans au volant de da voiture… mais je parviens à jouer de la basse tout en chantant; et cet exercice ne me demande aucun effort…..

Tu préfères le vélo ?

I.M. : Je ne suis pas plus brillante sur une bicyclette !…

Tu as un jour avoué que lorsque tu dormais, tu avais des rêves vivifiants, psychiques, complètement fous. Mais qu'ils étaient une des tes principales sources d'inspiration. Exact ?

I.M. : Parfois, il m'arrive de vivre des rêves sexuels…c'est vraiment génial…je pense que les rêve sont liés à ce qui nous arrive dans la vie. Il m'arrive de rêver que je me produis nue sur scène, et que tout le monde se barre… (NDR : Pourquoi, pourquoi ? Y a pas de raison !)

Quelque part dans les chansons de Drugstore, on retrouve une atmosphère carnavalesque ; et en particulier sur la composition " Funeral song ". Est ce que l'esprit du carnaval est éternel dans l'âme d'une femme brésilienne ?

I.M. : Je pense que Daron et Mike peuvent répondre.

M.C. : Tout ce qu'elle fait en est imprégné…

I.M. : Parce que les funérailles sont une célébration de la vie, vraiment. Nous sommes complètement désensibilisés par rapport à la mort…

Pourquoi la tragédie de la vie est un thème récurrent dans vos chansons ?

I.M : Quelle question difficile ! Nous sommes à l'affiche d'un festival, et il y a du soleil ! Mais soit, parlons un peu de la souffrance. Je pense qu'être conscient de la mort, de la tragédie de tout le monde, est une chose importante. Ainsi, tu peux te mettre sur la bonne voie, c'est-à-dire apprécier la vie, faire le maximum dans ta vie, parce qu'inévitablement, cela se terminera un jour. C'est sûr !

Pourtant, tu as affirmé qu'il n'y avait pas de Dieu, d'espoir, et probablement pas de but, dans la vie. Penses-tu que ce soit une vision positive des choses ? Personnellement, nous ne partageons pas ce point de vue. Pourquoi ce nihilisme ?

I.M. : Ce n'est pas un nihilisme intégral. Je pense que c'est parce qu'il y a un côté positif à notre attitude. Nous vivons tellement étroitement, tellement inquiets de ce que les gens pensent. Chaque fois que l'on quitte sa maison, on a ce poids de savoir comment vivre, parler, comment on devrait être ou ne pas être. Penser qu'il n'y a pas de raison d'être pour cette raison. Cela vous libère en quelque sorte. Tu peux être toi même, sans avoir peur. Ce qui compte, c'est toi, tes amis, tes relations, les choses que tu aimes faire dans la vie. Le reste n'a pas beaucoup d'importance. C'est donc bien une forme de nihilisme qui n'est pas complet, qui ne va pas jusqu'au suicide. La vie est quand même chouette…

Merci à Jean-Baptiste Ducrotois.

(Version originale de l'interview parue dans le n° 67 - Octobre 1998 - de Mofo)

vendredi, 31 octobre 1997 04:00

L'envers du décor

16 Horsepower s'est produit en public, au dernier Torhout/Werchter, ainsi que lors de la dernière édition du Pukkelpop. Et dans la foulée vient d'enregistrer un nouvel album. Dans leur style, la formation est unique en son genre. Enfin, à notre connaissance. Et pas seulement à cause de leur country/folk/punk/cajun hanté par des textes qui font référence à l'Ancien Testament ; mais aussi parce qu'au sein du line up, on y trouve un Français. Jean-Yves Tolo. Un Parisien, pour être plus précis. Flûtiste de formation classique qui s'est converti à la batterie. A sévi au sein de Passion Fodder. S'est exilé aux States. Y est resté. Et y a fondé 16 Horsepower en compagnie de son ami David Eugene Edwards. Une belle aventure qui méritait quelques explications...

Tout comme pour comme le précédent album, " Low estate " comporte 13 morceaux. Intentionnel ?

Non, non. Nous ne sommes pas superstitieux ! Mais lorsque tu disposes de 17 ou 18 titres, il est parfois difficile de faire le tri. Nous en voulions douze. Il y en a treize...

Quand a-t-il été enregistré ? Où ? Avec qui ? Combien de temps êtes-vous restés en studio ?

Il a été enregistré en mars dernier. Dans un superbe studio situé au bord d'une rivière. En Louisiane francophone. Près de La Fayette, capitale du pays cajun. Nous y sommes restés 4 semaines. C'était très étrange. Je n'imaginais pas que dans cet endroit un peu paumé, tout le monde parlait français. Les enfants l'apprennent à l'école. Incroyable ! " Low estate " a été produit par John Parrish. Pas d'autres invités ! Les musiciens du groupe et John qui, en outre, joue sur toutes les chansons.

Quatre semaines, c'est un laps de temps encore raisonnable pour des musiciens réputés pour leur perfectionnisme. On a d'ailleurs pu le constater lors de votre dernier passage en Belgique, à T/W et puis au Pukkelpop, où vous accordez, ou faites accorder, vos instruments entre chaque morceau. David a même déclaré un jour, aimer la difficulté. Or, je suppose, qu'en studio, vous devez encore être plus exigeants. Ca n'a pas dû être drôle tous les jours, vos sessions d'enregistrements ?

Pour moi, c'était super. Ca ne me dérange pas. Les autres membres du groupe ont peut-être un autre point de vue. Mais David et moi avons en commun la même optique de travail. Perfectionnistes ? Nous le sommes, c'est certain. Je ne sais pas si David recherche les difficultés, mais il a constamment l'envie d'aller voir à l'envers du décor. Une conception qui peut paraître difficile, mais que David et moi-même avons définitivement adoptée. Et nous ne sommes pas prêts de l'abandonner...

Une attitude qui n'est plus tellement d'actualité?

Oui, de ce côté là, on est un peu vieux jeu. Mais on accorde autant, si pas plus d'importance, à l'émotion.

Une raison supplémentaire de préférer l'intimité d'un club à la démesure d'un festival ?

Je pense que n'importe quel groupe préfère jouer dans une salle de 1000 personnes plutôt que dans un stade. Plus la dimension d'un spectacle croît, plus tu perds le contact avec le public. Les spectateurs deviennent tout petits. La qualité sonore en prend un coup.

Pour un musicien comme Neil Young, c'est plutôt le contraire, non ?

Le phénomène se produit en fonction de la notoriété de l'artiste. Mais je pense que tu as raison. Pour un groupe comme le nôtre, un club serait plus adapté, plus intime, plus personnel. Même s'il y a des gens qui ont déclaré nous avoir beaucoup apprécié sur une grosse scène...

Est-il exact que 16 Horsepower s'identifie au symbolisme de la fin du 19ème siècle pour mieux échapper au chaos du 20ème ?

Le 19ème siècle est une époque, une période de l'histoire, qui véhicule des images que nous aimons. Nous ne l'avons jamais caché. C'est cependant plus par curiosité que pour autre chose. Nous ne sommes pas des passéistes ; nous roulons en voiture !...

Comment un Parisien a-t-il pu atterrir aux States au sein d'un groupe comme 16 Horsepower ?

C'est une longue histoire, qui a commencé à Paris. A l'époque, je jouais dans un groupe qui s'appelait Passion Fodder. Dont le chanteur était américain. Nous avons signé un contrat mondial avec une maison de disques anglaise. Nous sommes partis en tournée aux Etats-Unis. Et on y est restés (rires). C'était, il y a déjà 9 ans. Nous nous sommes installés à Los Angeles où j'ai rencontré David. Il travaillait sur des décors de cinéma. Nous avons constaté que nous avions des affinités musicales. Nous nous sommes liés d'amitié. On s'est mis alors à jouer un peu ensemble ; et de fil en aiguille, nous avons monté un groupe...

Tu vis encore à Denver ?

Non. Après être resté un peu plus de 4 ans à Los Angeles, j'ai déménagé à Denver lorsque la formation s'est formée. En fait, c'est tout le groupe qui s'y est installé. Mais en fait, là, je viens de repartir pour la Californie centrale. A deux heures de San Francisco...

Partages-tu les mêmes convictions philosophiques que David ? Parlez-vous souvent de la Bible entre vous ? Est-ce que ses convictions religieuses ne te pèsent pas trop ? A moins qu'elles ne t'interpellent ?

On en parle, évidemment. Mais ce n'est pas le principal sujet de nos conversations. Pour expliquer la situation en quelques mots, je pense que nous avons des intentions un peu similaires. On a juste une façon différente de les exprimer. Comme tu le sais, David se réfère souvent à la Bible. Ce n'est pas mon cas, même si je pense sincèrement que c'est un ouvrage fantastique. Je dispose d'autres moyens pour m'exprimer. De savoir ce qui est bien ou mal, sans devoir me référer à une idéologie bien précise. Disons que pour aller à la recherche de la vérité, j'ai pris un autre chemin. Pourtant, c'est vrai, lorsque j'ai rencontré David, j'étais assez troublé par sa ferveur religieuse. Aujourd'hui, depuis que je le connais beaucoup mieux, cela ne me préoccupe plus du tout. Parfois, j'étais même mal à l'aise. Parce que je pensais qu'il serait difficile de communiquer avec lui, si je ne partageais pas vraiment les mêmes sujets de conversation. Tu vois ce que je veux dire. En fait, les être humains sont tous tellement différents, que tu cours toujours le risque de te trouver devant un mur d'incompréhension ; mais avec David, ce n'est pas le cas. Il fait son truc. Je fais mon truc. Les autres font leur truc ; et finalement cette forme de respect mutuel permet de bien nous entendre. Nous avons des idées fort proches, mais nous les exprimons de manière différente...

Religions et sectes ont pris un essor considérable aux States, ces dernières années. Certaines sont même devenues de véritables leviers du monde politique. Et je pense ici plus précisément aux fondamentalistes et télévangélistes. D'autres présentent carrément un danger pour la société. Comment expliques-tu ce phénomène ?

C'est une question de fric. Il y a beaucoup de fric dans la religion aux Etats-Unis. Il existe des gens là-bas qui disposent de moyens financiers gigantesques pour faire passer leurs idées. Ils se servent de ces moyens. Médiatiques, le plus souvent. Et ça marche ! Malheureusement. Un peu comme le consommateur tombe dans le panneau de la pub pour choisir sa poudre à lessiver. Mais cette situation ne se produit pas seulement aux States. Elle existe également en Europe. A une moindre échelle, mais elle existe. Est-ce dangereux? Je l'ignore! Certaines sectes le sont manifestement. Mais personne n'est jamais forcé d'adhérer à ces mouvements religieux. Tu as le choix. Tu peux refuser. Mais sans doute, par faiblesse ou par besoin de trouver quelque chose qui te permette d'être reconnu par les autres, tu acceptes. A mon avis, il y a des hommes et des femmes pour qui cette situation est bénéfique. Plutôt que de se foutre en l'air ou de foutre en l'air d'autres personnes, ils parviennent ainsi à s'en sortir. Tant mieux pour eux. A partir du moment où ce phénomène élude la violence et les meurtres, c'est sans doute une bonne solution...

Tu as suivi des cours de batterie dans une école de jazz, exact ?

J'ai suivi des cours de batterie dans une école réputée pour ses formations de jazz. J'ai aussi joué un peu de jazz au sein d'un groupe. Mais, ce n'est pas mon truc. J'aime le jazz, je travaille le jazz. Mais je ne veux plus faire partie d'une formation de jazz. Je déteste son côté rigide...

Cristian Vander, ce n'est pas un symbole, pour toi, dès lors ?

Pffft... (long silence). Non, non, c'est une batteur exceptionnel, mais c'est surtout un athlète performant. Je le comparerai volontiers avec un coureur à pied qui s'aligne sur le 100 mètres plat. A mon avis, tu perds un peu de feeling, de musique, etc.

Sais-tu qu'il a remonté Magma ?

Ah non, là, j'ignorais... Ca m'est égal qu'un musicien soit un virtuose. Pourvu qu'il ne joue pas seulement pour lui même. J'ai vu des groupes composés de piètres musiciens, mais qui parvenaient à te communiquer le frisson. Par contre, j'ai aussi assisté à des prestations d'artistes à la technique irréprochable, mais dont les sets m'ont véritablement fait chier...

Y a-t-il des musiciens qui t'ont particulièrement influencés ? Jeffrey Lee Pierce ? Nick Cave ? Gordon Gano ?

Non, pas précisément. Plutôt des atmosphères créées par des groupes, pas par des musiciens. Et notamment celles qui ont prévalu chez Gun Club, Birthday Party et Violent Femmes...

Peut on affirmer que 16 Horsepower est traditionnel dans le sens le plus folk, country et cajun du terme ?

Oui et non. Dans le sens le plus pur du terme, pas puriste du terme. Nous aimons la musique traditionnelle, folk, country et cajun, mais aussi celtique, bretonne, hongroise, tsigane, etc. Mais les folkeux, je n'aime pas particulièrement...

Tu n'aimes pas les Pogues ?

Oh, si ! Mais ce ne sont pas des folkeux. Si, mais enfin, je veux dire... Tu sais aux Etats-Unis, il existe une clique de folkeux qui sont demeurés très puristes. Avec des règles très strictes. Si tu n'utilises pas telle guitare avec telles cordes et que tu ne fais pas tels accords, tu n'es pas admis au sein du cercle. Nous on ne marche pas dans cette combine. Mais on aime bien les Pogues. On a tourné avec eux. Enfin avec Shane Mc Gowan et ses Popes. C'était formidable!

Johnny Cash et Léonard Cohen t'ont quand même marqué ?

Léonard Cohen ? Certainement ! Mes frères aînés écoutaient sans cesse Cohen, et par la force des choses, moi aussi. Ce qui explique sans doute pourquoi sa musique me touche particulièrement. Comme elle touche également David. Johnny Cash ? Je l'ai découvert un peu plus tard avec les musiciens de Passion Fodder. Et puis, surtout, grâce à David. Ses textes sont si denses, intenses, imagés. Il compose de la poésie sur une musique tellement simple, mais tellement belle. Un peu comme Brel. C'est le même genre. La culture est un peu différente. Mais je les apprécie autant...

Parfois la musique de 16 Horsepower me fait penser à celle que pratiquait James à ses débuts. Une objection ?

Je ne connais pas ce groupe. Comment tu dis ? James ? Non, ça ne me dit rien du tout ! Sorry ! Mais puisque tu m'en parles, je vais m'inquiéter de l'existence de ce groupe et essayer de me procurer leurs premiers albums...

(Version originale de l'interview parue dans le n°57 - octobre 1997 - de Mofo)

 

lundi, 31 mars 1997 05:00

Cake entartre la radio...

Bien que fondé en 1991, Cake n'a enregistré, à ce jour, que deux albums. Mais il faut reconnaître que son deuxième, " Fashion nuggets " a fait un véritable tabac. En touchant un peu à tous les styles. Metal, jazz, country, gospel, hip hop, pop, rock, etc. Un peu à la manière de Beck et de Fun Lovin' Criminals. Mais en moins funk. Un disque dont le standard intemporel, " Perhaps, perhaps, perhaps ", la reprise de Gloria Gaynor, " I will survive " et puis cet étonnant, mieux encore, brillant " Frank Sinatra ", doivent encore vous trotter dans la tête. C'est le guitariste Greg Brown, antithèse de la rock star, mais complément indispensable au chanteur/songwriter John Mc Crea, qui s'est plié, de bonne grâce, à cette interview…

Vous vivez tous les cinq à Sacramento, une ville que vous avez déclarée, rongée par la corruption. Pensez-vous que vous auriez conçu le même style de musique si vous étiez nés à Seattle ?

Non, sincèrement je ne crois pas. Sacramento est une ville californienne de taille moyenne. Ni trop grande, ni trop petite. Plutôt ordinaire et surtout conservatrice.

Oui, mais tu ne réponds pas à la question relative à la corruption. La chanson " Frank Sinatra " y fait quand même allusion ?

" Frank Sinatra " ? Cette chanson a été composée par John, et je suis incapable d'expliquer ce qu'il a voulu exprimer (NDR : ou il ne veut pas le dire). Mais tout ce que je peux préciser, c'est qu'elle ne concerne pas directement Sinatra, mais plutôt un état d'esprit que sa personnalité suggère. Pour le reste, j'ignore si John a voulu faire passer un message (NDR : il ne s'appelle pas Pierre, pourtant !).

John a pourtant déclaré que le rock était un cirque. Une révolution simulée par des jeunes blancs qui se battent entre eux pour être les premiers sur le marché. A notre humble avis, lorsqu'on parle de cirque dans le rock, on pense plutôt aux vautours du business qui gravitent autour du rock. C'est un problème de société, pas d'individus. Pas d'accord ?

Non, pas du tout ! La presse a tantôt simplifié, tantôt exagéré les déclarations de John. Quelque part, ce n'était qu'un jeu, une provocation… Etre premiers sur le marché ? Je ne sais pas. Je suis né et j'ai été éduqué en Amérique. Et les institutions m'ont inculqué et continuent d'inculquer aux jeunes la nécessité d'avoir un job et le devoir de payer leurs impôts, comme tout le monde. Je n'ai rien d'autre à ajouter sur ce sujet…

Vous êtes régulièrement comparés à Beck, Fun Lovin' Criminals et à Soul Coughing. Ennuyeux ?

Ces comparaisons sont fréquentes, c'est vrai, avec Beck et Soul Coughing. Je l'ignorais pour Fun Lovin' Criminals. Je peux comprendre cette situation, même si Soul Coughing ne nous aime pas beaucoup. Nous n'avons d'ailleurs aucun contact avec eux. Toutes ces formations se situent, en quelque sorte, à gauche du centre. Mais je pense que nous sommes les moins choyés par la critique aux States, parmi ces groupes. Si je devais établir une hiérarchie dans la popularité, je citerais dans l'ordre Beck, ensuite Soul Coughing, Fun Lovin Criminals, et enfin Cake, comme une sorte d''après pensée'… Mais c'est Beck qui a montré le chemin. Ses investigations ont marqué de nombreuses formations. Il est devenu un symbole pour tout ceux qui incorporent ou mélangent des tas de styles musicaux… D'un autre côté, les Violent Femmes ont également eu une influence sur certains musiciens de Cake, et moi en particulier…

Dans un article des 'Inrocks', j'ai appris que Captain Beefheart aimait beaucoup votre musique. Pas l'intention de collaborer avec lui ?

Vous avez lu cette déclaration dans la presse ? C'est un mensonge ! Nous ne l'avons jamais rencontré et j'ignore totalement s'il a un jour émis une telle réflexion…

Vous appréciez un tas de styles musicaux. Folk, blues, rhythm and blues, etc. Etes-vous intéressés par l'histoire du rock ? Préférez-vous la pop ou la soul ?

L'histoire du rock'n'roll est relativement récente, mais son développement nous a toujours passionné. Son passé est une source d'inspiration. Et nous nous y régénérons de temps en temps. Sa simplicité n'exclut pas une certaine forme de richesse, ce qui explique sans doute pourquoi, il peut se révéler brillant. Maintenant, est-ce que Cake est plus pop que rock ? J'aime la pop autant que le rock, et je ne suis pas sûr que Cake puisse opter définitivement pour l'un ou l'autre genre musical. Parce que nous nous référons à beaucoup de styles musicaux. Tu sais aux States, il existe une certaine forme de ségrégation dans la musique. Certaines stations de radio ne diffusent que du rock. D'autres de la soul. D'autres encore uniquement de la musique des sixties. Je ne connais pas vraiment de radio qui parvient à programmer un mélange de styles comme cela existe en Europe. Mais lorsqu'on affirme que nous sommes un groupe intégralement rock, nous n'avons même plus envie de réagir, à cause de ces ségrégations…

Apparemment, vous aimez beaucoup les reprises. " Most likely ", " Perhaps, perhaps, perhaps ", " I will survive ". On suppose qu'il en existe d'autres. A ce régime, vous allez bientôt pouvoir sortir un album de covers, non ?

Ce n'est pas du tout notre intention. Nous avons toujours eu recours aux reprises comme des outils destinés à apprendre, mais aussi pour nous aider à comprendre les gens que nous admirons. Et puis, tu sais, nous avons beaucoup tourné dans les bars. Après avoir joué pendant quatre heures au même endroit, le répertoire est fatalement épuisé. Donc, si tu ne veux pas te répéter, tu as intérêt à trouver une solution. Et comme nous aimons tous cet exercice de style, il n'y a pas de raison de s'en priver.

Cake parvient à faire le maximum avec le minimum. Etes-vous quelque part lo-fi ?

Lorsque nous avons gravé notre premier album, la lo-fi était un concept populaire, un mot qui revenait dans de nombreux magazines. Mais ce concept a vieilli très rapidement. En fait, les gens qui nous ont définis comme formation lo-fi ignoraient que nous n'avions pas d'argent. Ce n'était donc pas un choix ! Et pour la plupart des musiciens du groupe, ce concept n'existait pas au moment de l'enregistrement du disque…

Est-ce Cake joue du rock par défaut ?

Je ne crois pas que ce soit une bonne définition. Notre concept est très complexe et nous souhaitons, à l'avenir, le faire évoluer le plus loin possible. Enfin, seul l'avenir nous dira si nous n'avons pas fait fausse route. Mais je pense que tôt ou tard, nous atteindrons un juste équilibre entre les différentes composantes de notre musique. Cependant, quelqu'un comme moi qui écoute du rock depuis sa tendre enfance connaît d'énormes difficultés à faire abstraction de ses propres goûts, de ses propres influences, de son propre passé…

Vous n'utilisez pas de samplings, ni en studio, ni sur scène. Allergiques à la technologie moderne ?

Non, non. Nous n'avons jamais exclu la possibilité d'incorporer des samplings dans notre musique. Dans le futur nous y recourrons certainement. Mais pour l'instant, nous sommes probablement un peu trop stupides pour avoir recours à cette technologie de pointe. Il faudra peut-être prendre des cours pour nous familiariser avec elle

John a déclaré qu'il n'y avait rien de mauvais à explorer la complexité, pourvu que le musicien n'essaie pas de démontrer sa virtuosité. Vous n'êtes pas trop attirés par le jazz, alors ?

Je ne peux pas parler pour tout le monde. Mais ce n'est pas tout à fait exact. J'aime le jazz. J'aime beaucoup le jazz. Pas le jazz fusion. Je pense d'ailleurs qu'aucun d'entre nous ne s'en préoccupe. Mais aucun de nous n'est bon musicien, alors, il est évident que pour nous le concept de la virtuosité n'a strictement rien de primordial…

Savais-tu qu'il existait un autre groupe qui répondait au nom de Cake ?

Oui, un à Los Angeles, et puis celui du fils de Ringo Starr, Cake in San Francisco. Il en existe un autre ?

Apparemment, au sein duquel on retrouve un ancien membre de Terminator…

Un de plus…

Merci à Jean-Baptiste Ducrotois.

Version originale de l'interview parue dans le n° 60 (février/mars 97) du magazine MOFO

  

 

mardi, 31 décembre 1996 04:00

Vite fait, bien fait...

Un peu moins de dix minutes! C'est le temps qui m'a été accordé pour recueillir les propos de Laetitia Sadier et de Duncan Brown, respectivement chanteur et bassiste de Stereolab. L'improvisation la plus totale! A ce régime, faudra peut-être me réserver les cinq prochaines interviews du groupe. Question d'épuiser le questionnaire. Et pourtant, l'article semble tenir la route correctement. Jugez vous-mêmes!

Sterolab correspond-t-il toujours à un duo, élargi pour les besoins de la scène ou est-il devenu un véritable groupe?

Laetitia : Maintenant, c'est un groupe. Katherine, dernier membre recruté, a complété le line-up voici neuf mois. Il est cependant exact qu'à l'époque de "Peng", Stereolab se résumait à Tim et à moi-même. Joe jouait bien de la batterie, mais il fonctionnait encore chez les Chills. Je puis toutefois te confirmer que Stereolab correspond bien aujourd'hui à un véritable groupe...

Vous avez un jour déclaré que vous ne vouliez pas devenir des stars. Or vous venez de signer chez un major, Warner en l'occurrence. N'est-ce pas contradictoire?

L. : Non! Devenir star et relever d'un label major ne sont pas incompatibles. L'un ne veut pas nécessairement dire l'autre. En fait, nous sommes passés chez Elektra pour des raisons financières. Nous avions besoin d'argent. En tournée, un concert ne nous rapporte que 1.000 à 2.000 francs (NDR: français!). Nous avions donc intérêt à nous procurer des sous pour mettre du carburant dans la machine. Nous n'avons pas signé chez Elektra pour devenir des stars, mais pour disposer de ressources nécessaires et suffisantes à la survie du groupe.

Pas de pressions?

L. : Non! Nous avons décroché un bon contrat. Nous n'aurions jamais accepté de le signer s'il avait impliqué des clauses contraignantes. Nous l'avons bien épluché avant de le souscrire. Nous sommes donc très satisfaits. Nous sommes rétribués tout en conservant le contrôle de notre création. Que demander de plus?

Et cette situation vous permettra sans doute de financer Duophonic, label sur lequel vous n'avez, à ce jour, que gravé trois singles?

L. : Non. Il existe deux "Duophonic". Le plus petit est demeuré indépendant. Mais nous n'y enregistrons que des quarante-cinq tours. Nous en assurons seuls la gestion. En Angleterre, Elektra n'y a aucune délégation, même au niveau de la distribution...

Est-ce que les expérimentations post-industrielles, comme celles que vous avez menées avec Nurse With Wound, vous tentent encore?

L. : En fait, pour Nurse With Wound, c'est toute une histoire. Gallon Drunk allait entrer en studio avec Steve Stapleton. Et comme nous connaissions bien les musiciens de cette formation, Tim leur a demandé ses coordonnées pour prendre contact avec lui. Steve est ainsi venu nous voir en concert. Bien qu'intéressé, il estimait que notre musique était trop rock pour lui. Mais au bout d'un laps de temps, il nous a recontactés, révisant sans doute son jugement, et puis pensant peut-être que le jeu en valait la chandelle.

Duncan : Nous avons d'abord enregistré les titres, puis nous lui avons fait parvenir les bandes. Il a réalisé le mixing sans nous. Le résultat, nous ne l'avons découvert que sur le disque. Nous n'avons pas eu l'occasion d'intervenir à quel que moment que ce soit.

L. : Et la surprise fut totale... Il n'est pas exclu que nous menions d'autres tentatives aussi expérimentales, mais nous les réserverons surtout à "Duophonic". Je pense que nous allons nous diversifier. Et chaque disque aura sa couleur, sa connotation particulière. Même des chansons plus pop et plus accessibles. Nous sommes décidés à prospecter un peu dans toutes les directions... Déjà un peu balisées, il est vrai. Et les approfondir, les développer. Et puis, pourquoi ne pas encore les diversifier ?

Comme par exemple en s’inspirant du rock allemand du début des seventies, en en particulier celui de Faust et de Neu?

L. : Tout à fait!

D. : C'est surtout la passion de Tim!... Mais qu'est-ce qui te pousse à émettre une semblable réflexion?

L'aspect hypnotique, répétitif des compositions. Voire conceptuel comme sur "Jenny Ondioline", titre issu de votre dernier album qui dépasse les dix-huit minutes!...

L. : C'est du vol! On l'a fait exprès!

D. : Pas dans le sens d'un concept album. Mais nous avouons certaines similitudes avec la musique de Neu sur cette chanson. Coupable!

Lors de votre dernière tournée européenne, une certaine presse d'expression française vous a complètement descendu en flammes. Sachant que Laetitia est née en France, et y a vécu une bonne partie de sa jeunesse, n'est-ce pas encore plus difficile à avaler?

L. : Cette histoire date déjà de deux ans. Nous avions accordé un excellent concert à l'Espace Européen de Paris. Au départ, le public était resté assis. Puis au fil du set, il s'est mis à bouger, à se lever, et puis à s'éclater. Nous aussi on s'était éclaté. Nous avions le sentiment d'avoir vécu un moment très intense. Et puis, nous avons lu un article décrétant que ce soir là, nous avions été nuls. Au début, on n'a pas très bien compris. Et personnellement, cette réaction m'avait littéralement cassée. Mais ce fut la première et dernière fois q'une telle mésaventure me déchirait. Parce que je me suis dit que la réaction des spectateurs était finalement beaucoup plus importante que celle d'un journaliste. Si les gens n'ont toujours pas réalisé que ce 'canard' ne raconte que des conneries, c'est vraiment grave. Je dois avouer que ce sont d'excellents écrivains. Enfin, qu'ils écrivent très bien. Mais ils délirent la plupart du temps. Je pense que les gens ne sont quand même pas assez idiots pour avaler tout ce qu'ils fantasment. Lorsqu'une personne achète un disque, l'écoute, l'apprécie, puis découvre son analyse dans ce magazine, elle se demande s'il s'agit du même album. C'est complètement débile, mais surtout très bas...

mardi, 28 février 1995 04:00

Le poète de l irrationnel

Fondé en 1979, ce pur produit de la scène post punk britannique a toujours projeté, sur la scène musicale, une image empreinte de danger et de mystère. Un concept alimenté par la personnalité radicale, mais fascinante de son leader, chanteur et lyriciste, Jaz Coleman. Auteur, début des eighties, d'énormes hits comme "Follow the leaders","The war dance" ou "Love like blood" et responsable de superbes albums, trop souvent passés inaperçus, Killing Joke aurait pu devenir un des groupes phare de la précédente décennie, s'il n'avait pas été gangrené par une multitude de conflits internes. Le plus grave remontant à 1982, lorsque Youth, bassiste et membre fondateur du groupe, mettait les voiles... Or, il vient de réintégrer la formation... Et, par la même occasion de produire le nouvel opus de Killing Joke : "Pandemonium". Un disque remarquable qui, à notre humble avis aurait largement mérité de figurer dans le poll 94 de la majorité des magazines spécialisés. Suffisait sans doute de l'écouter... Mais qui pouvait le mieux expliquer la renaissance de Killing Joke? Jaz Coleman évidemment. Il ne s'est pourtant pas contenté de répondre aux questions; mais s'est également chargé de nous développer sa théorie visionnaire sur le retour à la nature. Surprenant, mais pas inintéressant...

Comment expliquer le retour de Youth?

La reformation du groupe est tout d'abord passée par notre réconciliation. C'était le premier cap à franchir. Lorsque nous nous sommes brouillés, je traversais une période difficile. J'estimais que notre collaboration devenait improductive. Nous n'étions plus sur la même longueur d'ondes. Au cours des douze dernières années, j'ai surtout travaillé en compagnie d'un orchestre symphonique, alors que Youth s'est essentiellement consacré à la production. Et au fil du temps, nous nous sommes demandé pourquoi nous en étions arrivés à briser cette amitié. C'était complètement dingue de notre part. Mais les prémisses de cette réconciliation ne sont apparues que vers 1990. A cette époque, Youth se consacrait à la production d'un album de Crowded House. Et, je ne me souviens plus trop pourquoi, mais je devais me rendre dans le même studio d'enregistrement. Plus qu'une coïncidence, ce fut l'accomplissement d'une prophétie. Et un album est venu sceller cet événement : "Pandemonium". Notre première collaboration depuis plus de dix ans. Il est tout à fait explosif. Nous en sommes fiers, parce que nous l'aimons. Nous ne nourrissons pas d'ambition particulière à son sujet. La plupart de mes rêves se concrétisent un jour ou l'autre, de toutes manières. La plupart... Aujourd'hui, Killing Joke vit des jours étranges. Et j'apprécie cette tournure des événements. Des jours étranges que je n'avais encore jamais vécus, un épisode de ma vie qui me permet d'atteindre une haute expérience de l'existence.

Pourquoi cet exil en Nouvelle-Zélande?

Parce que cette terre est restée pure. Les rivières sont propres, regorgent de poissons. Le paysage est curatif. Il me rend optimiste, me ressource. Et j'imagine que cette île sera encore, pour au moins cent ans, préservée des abus de la civilisation moderne...

Nonobstant son agressivité métallique et ses pulsions tribales, j'ai toujours ressenti dans la musique de Killing Joke une puissance classique de type wagnérien. Est-ce intentionnel?

J'ai toujours été inspiré par la musique classique. Pas les autres membres du groupe. Des tas d'influences ont façonné le groupe. Le reggae, par exemple. Mais également la littérature; et puis l'art en général. Et certainement pas le blues ni le rythm'n blues. Notre musique est européenne, pas imprégnée de clichés américains. Nous chantons avec un accent anglais. Pas yankee. Killing Joke est un style de vie, le respect d'une tradition. Sa musique suscite le rêve, la fantaisie. Elle ne s'analyse pas. Elle se ressent. Je ne suis pas un intello. Killing Joke signifie la vie, le contact, l'amour, mais pas la réflexion. C'est comme un rayon de soleil nécessaire. Il s'oppose à l'intellectualisme dont les adeptes portent des lunettes aux verres fumés. Ils paraissent détachés et heureux, mais ils ne vivent pas. Ils n'aiment pas. Ils ne connaissent pas la passion. Ils ne touchent pas. Ils gardent tout dans la tête et réduisent leurs perspectives à l'analyse. Elle est néfaste à l'être humain. Je la hais, je la méprise!...

Dans "Mathematics of chaos", tu prétends qu'en essayant d'imposer l'ordre, nous créons le chaos. Mais sans ordre, il règne le chaos. As-tu une autre solution à proposer?

Tout à fait. Encore une fois, j'estime qu'il faut laisser les choses évoluer naturellement. Ne pas imposer de règles préétablies. Lorsque tu tombes amoureux d'une femme, tes sentiments ne sont pas rationnels. Tu ne te dis pas, je copule dans le but de produire des enfants. Tu lui dis que tu l'aimes. Et que le fruit de cet amour se traduira par un bébé. Notre système éducatif doit être complètement revu. Il déforme l'individu. Il ne projette que des vues à court terme. Je reconnais que je suis un idéaliste. Un poète de l'irrationnel. Mais je prône un retour aux vertus de l'éducation naturelle...

En déclarant sur "Black Moon" que le rêve est seulement une ombre ou quelque chose que tu trouves réel, n'as-tu pas une vision fataliste de la réalité?

Non, ce serait mal me comprendre. Il existe plusieurs niveaux d'existence. Comme il existe différents niveaux de la réalité. Et les frontières ne sont pas toujours bien définies. Si tu rêves, et que tes cinq sens fonctionnent en même temps, la vue, l'ouïe, l'odorat, le goût et le toucher, tu ne sais plus très bien sur quel palier tu te situes. Mais lorsque tu reviens dans ton corps, tu te rends compte avoir franchi un échelon de la réalité. Des événements différents peuvent ainsi se produire dans un rêve nocturne, dans la vie de tous les jours ou même dans d'autres vies. C'est une ombre ou quelque chose de réel. Peu de gens admettent ou comprennent ce mystère. Pourtant, il procure le sel de l'existence. Notre civilisation judéo-chrétienne est la principale responsable de cette amnésie...

Dernièrement, tu as déclaré avoir trouvé ton équilibre en découvrant Dieu. Peux-tu préciser ta pensée?

Euh!... N'importe qui peut prétendre philosopher. Mais si cette philosophie n'est pas remplie d'amour et de sagesse, si elle ne répond pas à une certaine conception de la vie, elle mène à la folie. J'ai eu recours à la magie. Au mysticisme. Au spiritisme. A la "gématrie" (NDR: système numérologique ancestral). La magie permet de créer, de modifier le cours des événements, en symbiose avec la volonté. Mais ce pouvoir exerce également une influence sur celui qui la pratique. Elle peut rendre égoïste. Or le centre de l'univers n'appartient pas à l'homme. Il appartient à celui qui a donné l'opportunité de vivre. La création est une forme intelligente de la nature. Que certains appellent Dieu. Ma pensée est capable de communier avec cette cause universelle. Lorsque des événements extraordinaires se produisent dans ton existence, tu dois montrer de la gratitude. Et j'ai dit merci. Dieu est univers, nature, étoiles, astres... La vie ne peut pas exclusivement se traduire en matière. Si c'était le cas, les corps défunts auraient la même valeur que les corps vivants. La spiritualité est une nourriture dont nos esprits ont tous besoin. L'existence de l'esprit physique, de l'âme, est aujourd'hui démontrée. Il est possible de lui attribuer une dimension religieuse. Mais la spiritualité s'exprime dans le grand silence. Elle m'a permis de rencontrer Dieu dans ma propre vie individuelle...

Sur la notice de la pochette de "Pandemonium", j'ai relevé qu' "Exorcism" avait été enregistré dans le caveau du roi de la grande pyramide de Giza. C'est une plaisanterie?

Pas du tout! Il y a quatre ans, je me suis rendu au Caire pour participer à l'enregistrement de l'album d'Anne Dudley (NDR: Art Of Noise). Lors de ce séjour, j'avais noué d'excellents contacts avec les responsables des sites archéologiques égyptiens. J'ai ainsi pu solliciter une audience auprès du ministre de la culture qui nous a accordé l'autorisation de disposer de la crypte pendant trois jours. Un moment inoubliable!... Killing Joke n'apporte pas seulement un plaisir. Il remplit une fonction sociale. Ecouter un disque en rentrant de son boulot permet à l'esprit de se relaxer, de se libérer. Mais Killing Joke apporte une dimension supplémentaire à ce geste. Par la diffusion d'une forme extrême, violente, intense de sa musique. Destinée à se débarrasser du stress accumulé au bout d'une journée de travail. Et susceptible d'exorciser la haine, la culpabilité et la douleur qu'il engendre...

Est-ce que tu te sens toujours confronté au reflet de ta propre image?

Absolument! Je suis très critique vis à vis de moi-même. C'est pourquoi, j'ai choisi de vivre à l'écart du monde et de la réalité. J'intériorise mes sentiments plutôt que de les exprimer. C'est pourquoi je ne suis pas un personnage toujours facile à vivre; mes amis pourraient certainement t'en parler davantage...

(Version originale de l'interview parue dans le n°30 - février 1995 - de Mofo)

Les interviews accordées par Michaël Gira sont plutôt rares. D'abord, il n'aime pas trop les journalistes, et puis essayer de lui tirer les vers du nez ressemble à un véritable parcours du combattant. Pas qu'il soit antipathique. Disons simplement que ses chansons constituent un patrimoine très personnel, plutôt secret, qu'il répugne à débattre. A charge de l'auditeur d'y trouver ses propres explications. Et lorsqu'il se sent quelque peu piégé, il manie alors l'humour comme Lagardère son fleuret. Mais avant de passer à cet entretien, plantons le décor: Gira, chapeau vissé sur la tête, lunettes solaires et boulon qu'il mâchonne machinalement ou rallume dès qu'il estime avoir marqué des points...

Pourquoi ce silence de trois longues années, et puis deux albums dans la foulée?

Nous avons pris tout notre temps. Nous avons quitté New York pour la Géorgie. Pour Atlanta très exactement. Onze albums en onze ans sans compter les tournées et les projets parallèles. J'en avais marre de ce rythme. Nous étions devenus incapables d'évaluer notre travail. Nous avions besoin de faire un break. Cependant, nous ne sommes pas restés totalement inactifs pendant trois ans, puisque nous nous sommes investis dans des projets alternatifs.

Que devient Skin?

Je recommencerai un jour cette expérience. Pas dans l'immédiat, puisque Skin est aujourd'hui sans maison de disques!

C'est la raison pour laquelle le projet n'a plus rien accouché de concret depuis si longtemps?

Plus rien depuis 1987. Non pardon, il a sorti un album en 1990. Et il en enregistrera un bientôt.

Que représente pour toi la "No wave" (NDR: mouvement musical, et même artistique, qui a secoué l'underground new-yorkais au début des eighties, et au sein duquel ont trempé, entre autres, Live Skull, UT, Sonic Youth et Swans) ?

Qu'est ce que c'est que ça? Du gel pour les cheveux? Je n'ai jamais entendu parler de ce mouvement!

Ni de Live Skull, je suppose?

On dirait le titre d'un film d'horreur!

Ou encore de Sonic Youth?

Qu'est ce que c'est que cette marque? Un test de grossesse? Non, je ne connais pas tous ces gens (NDR: Pouh, la mauvaise foi!)

Quelle différence y a-t-il entre Skin et Swans?

C'est juste un prétexte pour travailler. Je ne parviendrai jamais à comprendre tous ces groupes qui se contentent d'un album par an. Il y a tellement de créneaux à explorer! Que font-ils le reste du temps? Se droguer? Personnellement, je suis incapable de me croiser les bras. Je trouve toujours un prétexte pour ne pas rester inactif. C'est pourquoi j'ai gravé un album solo, entrepris le projet Skin, écrit un livre,... c'est ma manière de vivre. J'estime qu'il est essentiel de se remettre constamment en question...

A propos de ton livre, il est sorti en même temps que ton album solo? Est-ce une œuvre autobiographique?

"Drainland" est probablement l'album le plus personnel que j'ai commis à ce jour. J'ai repiqué des enregistrements de conversations établies entre Jarboe et moi-même. Je trouvais l'idée intéressante. Un peu dans l'esprit de "Qui a peur de Virgina Wolf ?". Il met en scène le portrait spontané et naturel de deux personnages qui vivent ensemble et surtout de la manière dont ils dialoguent... lorsqu'ils ont bu!

Pourquoi avoir choisi Rollins pour éditer ton livre?

Il ne l'a pas édité. Il l'a simplement publié. Je ne laisserai jamais quiconque éditer mon livre. Même pas le président Clinton! Mais le livre n'est pas encore sorti!

Que représentent Camus et Sartre dans l'écriture de Michaël Gira? Quels sont les auteurs qui t'inspirent?

Je n'ai pas lu ces auteurs depuis mon adolescence. Ils ne représentent pas grand-chose à mes yeux, à vrai dire. Je suis davantage influencé par la télévision et la publicité que par la littérature. Principalement la télévision...

On pourrait alors te considérer comme un chroniqueur cynique de la société contemporaine?

Un voyeur est quelqu'un qui s'installe à l'extérieur pour observer ce qui se passe à l'intérieur des gens. C'est ce que je suis, je suppose. Mais comment devenir voyeur, si on ne parvient pas à s'observer soi-même?

N'est-il pas dangereux de trouver la sérénité dans la tristesse? Ou est-ce simplement un moyen d'exorciser tes propres angoisses?

Tu me trouves triste?

Tes chansons le sont ?

Triste n'est pas l'adjectif adéquat. Je pense simplement que mes chansons reposent sur l'émotion. Quant à la sérénité, je doute la rencontrer un jour...

Dans "Mind/ Bloody/ Light/ Sound", tu dis: "l'éternité ne dure pas longtemps" As-tu peur de la mort? Crains-tu l'apocalypse?

Je suis incapable de répondre à une question pareille. Pose là plutôt au pape Jean-Paul II! (rires)... Salman Rushdie a peur de la mort. Pas moi! Je n'ai rien à ajouter sur un tel sujet. Chacun doit admettre son propre destin.

Pourquoi affirmer alors, dans "Telepathy", que "mon corps commence là où ma mémoire s'arrête..."?

Ce n'est pas moi qui affirme cela, c'est la chanson (NDR: ?!?!...). Je n'utilise pas la musique pour me confesser au monde! Crois-tu que Kurt Weill ou Braque parlent d'eux-mêmes dans leurs œuvres?

The Great Annihilator aurait tout aussi bien pu servir au titre d'un film qui met en scène Schwarzenegger. Est-ce une bonne métaphore?

Non, pas du tout! C'est un terme de physique. De cosmologie. Une théorie de Stephen Hawking selon laquelle l'univers s'est créé à partir de l'explosion d'un grand trou noir. Avec le temps, les molécules retournent dans l'espace; et lorsqu'elles atteignent l'état d'inertie, elles sont aspirées par ce vide, avec pour conséquence, une réversibilité du temps. Ce trou noir est appelé "The great annihilator". Je ne m'intéresse pas outre mesure à la science, mais je trouvais que l'image était belle (NDR: ?!?!)

Penses-tu que le temps soit liquide? Que tout est unité et vice-versa?

Tout est liquide. Le corps est liquide... Non honnêtement, je n'en sais rien. Je ne suis pas philosophe. Demande plutôt au Dalaï-Lama. Je ne suis qu'un solitaire qui tente de s'exprimer à travers des mots. Je chante un peu aussi. Est-il possible pour moi, comme pour toi de répondre à une question pareille sans risquer de pondre des âneries? Si j'y répondais, cela voudrait signifier que je sais tout. Or, je ne sais rien et c'est mieux ainsi. C'est pourquoi, je n'y répondrai pas. (NDR: n'était-ce pas une réponse de philosophe?)

Merci à Christophe Godfroid

(Version originale de l'interview parue dans le n° 39 - décembre 1995/janvier 1996 - de Mofo)

 

 

 

 

vendredi, 30 juin 1995 03:00

L'art sous toutes ses formes...

Tracy Godding compose, joue de la guitare et chante chez Bandit Queen. Mais c'est également une petite bonne femme très cultivée, artiste jusqu'au bout des ongles, sachant ce qu'elle veut tout en faisant preuve d'une grande gentillesse. Mais n'allez surtout pas comparer le trio mancunien avec les Breeders, même s'il aurait mieux fait de naître au pays de l'once Sam; et encore moins avec Polly Harvey, avec laquelle elle ne partage le même intérêt que pour les questions relatives à la sexualité...

Avant de fonder Bandit Queen, tu as joué dans un groupe qui répondait au nom de Swirl. Vous y étiez tous les trois?

Oui, mais il y avait également un violoniste et un autre guitariste. Et Janet jouait également de la guitare. C'était totalement différent. Notre line-up a compté jusqu'à cinq musiciens. Nous avons décidé de le réduire à un trio pour simplifier, pour faciliter notre tâche. Notamment au niveau de la structure mélodique. Et puis, je dispose de davantage de liberté d'action pour le chant.

Souffres-tu encore d'être comparée à PJ Harvey?

Seuls les journalistes paresseux ont colporté ces âneries. Ils l'avaient sans doute lu dans un autre canard qui nous comparait à PJ Harvey ou aux Breeders. Le Melody Maker et le New Musical Express, par exemple. S'ils s'étaient donné la peine d'écouter notre musique, ils n'auraient sans doute pas tiré les mêmes conclusions hâtives. A moins qu'ils ne soient très influençables...

Pourtant, tu as un jour déclaré que vous pourriez devenir les Breeders britanniques si le public vous en laissait le loisir.

C'est une déclaration que j'ai faite dans un certain contexte. Je ne pense pas que notre musique ressemble aux Breeders. Mais bien notre attitude et notre sens de l'humour. Notre bassiste, Janet, est une fan du groupe. J'ai émis cette réflexion un jour où j'étais particulièrement fâchée. Car en Angleterre, peu de monde s'intéresse à nous, alors qu'aux States nous sommes accueillis les bras ouverts. Nous ne voulons pas devenir des autres Breeders. Cette affirmation était sans grande importance. Mais apparemment personne ne l'a oubliée.

N'est-il pas paradoxal de jouer une musique comme la votre lorsqu'on vient de Manchester?

Ce n'est pas parce qu'on vit dans une ville que l'on doit fatalement s'identifier aux groupes qui en ont fait sa notoriété musicale. J'aime les Stones Roses, et particulièrement leur premier album, Inspiral Carpets, Happy Mondays... Mais mes influences, je les puise plutôt dans la musique américaine, le post punk et puis surtout chez Bowie et Bolan...

Face à la multiplication des groupes drivés par des femmes, ne penses-tu pas que vous auriez mieux fait de vivre à Boston ou à Chicago?

J'aime beaucoup Boston. Mais par dessus tout San Fransisco. C'est vraiment une chouette ville. Je pense souvent que l'Angleterre est une petite île. Et pour obtenir plus d'espace, nous sommes obligés de tourner sur le vieux continent. L'Angleterre est isolée, entourée par la mer. Ce qui explique sans doute pourquoi tant d'insulaires ont l'esprit aussi étroit. Nous serions plus heureux si nous pouvions vivre dans un monde plus ouvert. C'est vrai que parfois nous rêvons de partir ailleurs. Même le monde musical britannique manque d'ouverture d'esprit. Et il est à la fois stupéfiant et consternant de constater que la presse entretient cette carence...

Est-il exact que plagier toutes les formes d'art, et en particulier la littérature constitue votre forme de sampling? Quel rapport y a t-il entre la peintre mexicaine Frieda Khalo, dont la photographie illustre votre pochette (voir la reproduction ci-dessous), et votre musique?

J'aime la peinture de Frieda Khalo, parce qu'elle est directe et personnelle. Mais il est difficile d'établir une comparaison entre son art et notre musique. Elle existe, mais je suis incapable de l'établir. C'est beaucoup trop abstrait... Aujourd'hui la musique est devenue hybride. Certains n'expérimentent même que les samplings. Par exemple dans le domaine de la musique de danse. Nous n'utilisons pas de samplings. Cette technologie coûte beaucoup d'argent. Et puis nous essayons de respecter une ligne de conduite. De perpétuer une certaine approche de la poésie. Nos lyrics obéissent d'ailleurs à une forme poétique. Janet et David écrivent également des poèmes. Nous nous inspirons beaucoup de la littérature. Et en même temps, nous nous intéressons à de nombreuses formes d'art. Pour illustrer la pochette, nous avons fait appel à un peintre et à un photographe. Je pense qu'il est très créatif de mêler des formes artistiques différentes avec la musique. Elle ne se limite pas qu'au son. Les notes et les images peuvent également susciter des émotions...

Le nom du groupe provient du surnom de Phoolan Devi (NDR : elle a été assassinée le 27 juillet 2001), une femme indienne qui fut kidnappée et violée par des gangsters avant de devenir leur leader. Intentionnel ce choix?

Oui. J'ai lu ce bouquin consacré à cette histoire, il y a deux ans. Il m'a beaucoup plu et j'ai pensé que Bandit Queen recelait suffisamment de signification politique, sociale et féministe pour représenter une bonne image du groupe. Et nous l'avons adopté.

La chanson "Scorch" parle de sexualité, de sexe, et d'attitude vis à vis de la sexualité. Penses-tu que le combat entre les identités sexuelles exerce une fascination. Es-tu intéressée par la poétesse grecque Sappho?

Oui, parce que je pense qu'elle était la première femme poète. J'aime la poésie simple et directe. Parfois ses vers ne comptent que deux lignes, mais traduisent une sensibilité hors du commun... De quoi parlions-nous encore? (rires). De la sexualité. Une question très intéressante. Je suis bisexuelle. Je ne m'en cache pas. Chaque être humain connaît une sexualité différente. Je ne sais pas si le combat entre les identités sexuelles est fascinant. C'est un facteur de la vie. Adolescente, j'étais fascinée par ces questions. Aujourd'hui, j'ai pris davantage de recul. Je suis comme je suis. Et je n'ai pas connu plus d'expériences sexuelles que les autres. Simplement, j'estime que la sexualité est un phénomène dont il faut parler. Il est aussi important que le problème du racisme, de la politique ou du féminisme. Aussi, pas plus.

La chanson "Miss Dandys" traite de problèmes de la prostitution: "Miss Dandys montre moi un peu de paradis". Pourtant, ne dit-on pas que la prostitution conduit en enfer?

Miss Dandys est le personnage d'un livre qui s'intéresse à la culture nippone. Une histoire au sein de laquelle les prostituées sont travesties en hommes. C'est à la fois étrange et destructeur. Un peu fou, mais terriblement passionnant. Je suis passionnée par à la face cachée des autres civilisations. Du Japon ou du Mexique, par exemple. Là où je vis, à Manchester, de la fenêtre de mon appartement, j'observe le manège des prostituées dans la rue. C'est un phénomène qui marque ma vie quotidienne. Je ne pense pas que la prostitution mène en enfer. C'est peut être un mal, mais nécessaire. Elle permet de libérer l'homme de ses frustrations, de sa violence intérieure. C'est un peu une forme de garde-fou pour la société. Mais si le plus vieux métier du monde est un exutoire, il pose le problème des conditions dans lesquelles il est pratiqué. Absence de droits. De sécurité sociale. Exploitation par les souteneurs, destruction de sa propre identité. Je ne pense pas que j'aurais pu être une prostituée. Dans les rues, à Manchester, il fait très froid. Je me vends déjà à la musique, pas mon corps!

Version originale de l'interview parue dans le n° 34 (juin 1995) du magazine Mofo.