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UnderViewer

Le passé recomposé de Front 242…

UnderViewer est né en 1979 ; un duo fondé par Patrick Codenys et Jean-Luc De Meyer avant qu'ils ne rejoignent Front 242. Au cours de son existence éphémère, il n'avait publié aucun single ou album sous ce patronyme. Seuls quelques titres avaient été ajoutés, sous la forme de ‘bonus tracks’, sur la réédition 2004 de « Geography » et une compilation éditée par Alpha Matrix.

Aujourd'hui, 35 ans plus tard, le tandem a retravaillé les morceaux de l'époque ; et en profitant des moyens de production modernes, il a décidé de sortir un elpee. Intitulé « Wonders & Monsters », c’est une réussite totale. Sa synth-pop minimaliste bénéficie d'un son ample et puissant, dans le respect de l'esprit expérimental des compositions originales.

Au sein d’une taverne bruxelloise et, autour d'une bonne bière blanche, nous avons abordé de nombreux sujets, et tout particulièrement ceux relatifs à ce long playing, aux débuts d'UnderViewer et bien sûr à l’aventure Front 242. 

Les prémisses d'UnderViewer et de Front 242 remontent bien à 1979-80 ?

Patrick Codenys (PC) : Oui, c'est à cette époque qu'on a commencé à travailler ensemble, Jean-Luc et moi. Ensuite, le patron de la maison de disque New Dance, qui avait déjà produit le premier single de Front 242 (NDR : « Principles / Body To Body »), était intéressé par un single d'UnderViewer. Tout était prêt : la musique et la voix de Jean-Luc. Mais comme on n'avait pas beaucoup d'expérience, notamment dans le domaine de l’enregistrement et du mastering, on avait besoin d’aide pour les aspects techniques et professionnels. Il nous a conseillé Daniel (NDR : Bressanutti), qui s’était chargé du premier single de Front. On le connaissait déjà puisqu’on le croisait souvent dans le magasin d'instruments Hill's Music, à Bruxelles, où il travaillait. Donc, on s'est donné rendez-vous dans son petit studio et on a jeté les bases du premier disque d'UnderViewer. Parallèlement, il nous a proposé de collaborer avec lui et Dirk Bergen sur le projet Front 242 et on a enregistré « U-Men » ensemble. Quand cette compo est sortie, elle a rencontré un franc succès dans les charts alternatifs. C’est pourquoi UnderViewer est un peu passé à la trappe et on s’est concentré sur le projet Front 242.

Et donc, ce futur LP d'UnderViewer réunit des chansons qui datent de cette époque-là ?

Jean-Luc De Meyer (JL DM) : Oui. Tout a été conçu dans l'esprit de l'époque. En se servant des mêmes instruments mais aussi des techniques de production actuelles.

Vous avez tout recommencé ou vous avez utilisé des pistes existantes ?

JL DM : Un peu des deux. Les bandes dataient de plus de 30 ans. Certains sons ne passaient plus ; donc on a récupéré ce qui pouvait l'être et le reste, on l'a reconstitué à l'identique.

Et les voix ?

JL DM : Les voix ont été refaites sur les mélodies originales et certaines paroles ont été légèrement adaptées, mais en veillant à conserver l'esprit des compositions. On a voulu le préserver plutôt que celui de la forme ; quoique la forme ait quand même été conservée également, mais disons à 50%.
PC : A l'origine, on avait enregistré sur un 4 pistes...

Un TEAC, je crois ?

PC : Un TEAC, en effet ! On a donc transféré les pistes analogiques sur ordinateur mais on a parfois repris aussi des séquences voire même des sons individuels. Cependant, ce qui est important, c'est qu'on a gardé l’approche de travail de l'époque. On s'est volontairement limités dans le type d'instruments utilisés, dans la simplicité et aussi des difficultés rencontrées par la technologie...

Donc, pas de synchronisation automatique via MIDI ?

PC : Si, du MIDI, mais abordé dans un contexte analogique. Donc, pas d’alternative pour créer des 'gates' avec le MIDI ou de travailler trop sur les vélocités : une technologie très 'basique'.

La plage titulaire de l'album, « Wonders and Monsters » avait déjà été publiée en 2004, sur la compilation « Re:Connected [1.0] » d'Alfa-Matrix ; ce qui nous permet de faire la comparaison et on constate que le son de la nouvelle version est beaucoup plus ample, plus puissant, plus clair. On relève aussi une autre différence, l'introduction est ‘ambient’, et elle ne figurait pas sur la mouture originale ?

PC : En effet. A l'époque, on expérimentait pas mal. J'étais un grand fan de Brian Eno et du krautrock allemand, dont la discographie ambient est considérable. Et vu la complexité des séquenceurs et des machines, ce n'était pas toujours facile de créer un morceau sous un format ‘song’, ‘chanson’, si tu préfères. On se basait plutôt sur des titres de 8 à 10 minutes. Donc, il existe une douzaine de tracks d'UnderViewer qui sont purement ‘ambient’. Ils n'ont pas été intégrés à l'album pour des raisons évidentes de place et de concept ; et donc, cette intro est une sorte de 'reliquat' de ces séquences ambient.

Sur l'opus, on retrouve d'autres pistes déjà publiées auparavant : celles parues en ‘bonus tracks’ sur la réédition 2004 de « Geography » : « Syncussion », « I Remember », « Trouble ». Par contre, les autres sont donc à ce jour complètement inédites ?

JL DM : En effet.

Ils n'étaient même pas parus sur cassette ?

JL DM : Non. Certaines ne sont que des ébauches tentées à l'époque et ont été finalisées plus récemment.

Par exemple : « Atomic Tears » ?

JL DM : C'est un morceau qui existait sur le plan musical. On a juste changé le titre et certaines mélodies vocales.

Ce qui permet d’embrayer sur la thématique des textes. On retrouve ici les univers ‘dystopiens’ très 'science fiction' et le côté sociologique qui sont, à mon humble avis, la marque de fabrique de Jean-Luc.

JL DM : Sauf qu'ici, le champ des thèmes est plus large. Sans limite, sans particularité. Comme c'est le début de nos productions, l’inspiration est bouillonnante, il n'y a pas de censure, pas de restrictions, c'est ce qui fait le charme de ce projet.

Cette recherche correspond à son patronyme : ‘UnderViewer’...

JL DM : Oui, un ‘Underviewer’ est un inspecteur des mines, quelqu'un qui va fouiller dans l' ‘underground’, dans le sous-sol, avec curiosité et intérêt. C'est une bonne définition de notre démarche artistique, je pense.
PC : Quand on s’intéresse aux parties vocales, il faut remettre le sujet dans le contexte de l’époque. Les contraintes étaient autrement présentes, car la musique était plus rigide. Donc, il a fallu que Jean-Luc invente un ‘genre’, un ‘style’ vocal nouveau, qu'il a ensuite réutilisé chez Front 242. En 1980, dénicher un chanteur qui parvenait à chanter sur de la musique électronique aussi 'basique', avec des 'white noises' et une musicalité somme toute assez limitée, était un fameux challenge ; et dans cet exercice, Jean-Luc a toujours été très fort.

En 1979-80, quelles étaient vos principales influences ? Kraftwerk, OMD, ... ?

PC : Perso, j'ai voulu jouer du synthé à cause de la musique industrielle ; et tout particulièrement celles de Throbbing Gristle, Cabaret Voltaire et ce genre de groupes. Des artistes qui n'avaient pas besoin d'être musiciens pour se lancer dans l'aventure. J'étais aussi grand fan du krautrock, de Kraftwerk, bien sûr, mais aussi de Human League, OMD, The Normal… Il y avait quelques singles ‘électro’. Brian Eno aussi, surtout pour le côté 'concept album' ; l'idée d'élaborer des disques à l’équilibre bien étudié. Mais comme la technologie était très ardue, les premiers synthés étaient loin d’être de la rigolade, il fallait qu'on trouve notre chemin, notre propre style.

Et Jean-Luc, de ton côté ?

JL DM : Un peu la même chose : tout ce qui venait d'Allemagne. Et parallèlement, les groupes punk, surtout pour leur énergie et la froideur. Wire, par exemple...

Joy Division aussi je suppose ? D’ailleurs, un morceau comme « Trouble » baigne au sein d’une ambiance Factory, une atmosphère très « Atmosphere »... (rires)

PC : C'est bien vu, c'est bien entendu...

Il évolue sur un rythme lent. Il a ce côté solennel, dépouillé… et puis les accords...

PC : Il est impossible de ne pas évoquer l'époque du Plan K. J'y ai vu Joy Division et Cabaret Voltaire et...

Avec Willian Burroughs qui faisait une lecture au premier étage !

PC : Oui ! C'est le genre de soirées qui changent une vie. Et il faut reconnaître que le son Factory était un son fascinant.

Pour en revenir aux débuts de Front 242, comment décririez vous la contribution que vous avez apportée tous les deux en rejoignant le projet ?

PC : D'abord un peu plus de recherche sonore et la construction de titres au format ‘song’, ‘chanson’. Si on écoute bien « Body To Body », c'est assez D.A.F., avec batteries et ‘bass lines’. Quand on est arrivés, on a amené d'abord des sons expérimentaux, un peu bizarres mais aussi la faculté de créer des chansons, non seulement grâce aux compositions vocales de Jean-Luc mais également aux structures que je pouvais mettre en place.

Pour les sons, tu penses surtout aux sons industriels ?

PC : Oui, les 'white noises', ce genre de sonorités. Je n'étais pas du tout musicien donc j'amenais parfois des tonalités qui ne correspondaient pas à la gamme des notes dites 'classiques' ; mais ce côté dissonant, 'out of tune', communiquait une couleur particulière aux morceaux.
JL DM : Pour la partie vocale, Daniel nous a invités à écouter sa demo de « U-Men » et le chant est venu très rapidement. Je me suis dit que c'était chouette d'avoir ainsi quelque chose qui procure des idées. Avec moi, soit c'est très rapide ou alors il n'y a rien qui vient. Il y a des morceaux sur lesquels je travaille depuis 10 ans et il n'y aura jamais rien qui se concrétisera... (rires)
PC : La force de Daniel, c'est qu'il a joué de la batterie, donc il combine très bien drums et ligne de basse. Il nous avait confié, à l'époque : ‘Je cherche des gens avec qui je peux collaborer pour aller plus loin et construire des chansons’. Parce que tu ne peux pas refaire 20 fois « Body To Body » pour réaliser un album. C'est alors qu’on a tous participé à l’accouchement de « Geography », qui est devenu le véritable point de départ.

Et si on devait choisir un titre de Front 242, un titre qui serait un peu comme une petite pépite oubliée, un morceau que personne ne joue, ce serait quoi ?

PC : J'ai toujours bien aimé « Sample D. », un instrumental qui figurait sur « Endless Riddance », le 12 pouces sur lequel il y a aussi « Take One ».
JL DM : Perso, ce serait aussi un instrumental : « Geography II », un morceau très simple et très puissant. Et pourtant, il est né d’une erreur de programmation. Ce qui arrive parfois. Et on en a conclu : ‘C'est chouette ça : on le garde !’
PC : Mais aussi « Kampfbereit », un titre du répertoire d'UnderViewer qui a été crédité Front 242 sur « Geography ». Il fait bien le lien entre les deux projets.

A l'époque, le terme ‘Electronic Body Music’ a été créé par Front 242 mais d'autres acteurs l'ont également revendiqué.

JL DM : Nous on ne revendique rien, mais je pense qu'on est les premiers à l'avoir utilisé, sur l'album « No Comment », en 1983. Si d'autres ont des arguments, ils peuvent les apporter. Comme historien de formation, il me faut des preuves ! (rires)
PC : Sur Wikipedia, on raconte que Kraftwerk a cité le terme dans une interview...

D.A.F. également. Ils utilisaient le terme ‘Körper Musik’ mais il manque le mot ‘Electronic’.

PC : Nous en tout cas, on a choisi l'étiquette EBM parce tout et n'importe quoi était utilisé pour décrire notre musique. Certains avançait même : ‘C'est entre Tina Turner et Throbbing Gristle…’ (rires)  C'était trop vague, on a voulu clarifier la situation, et on a donc trouvé ce 'label' EBM.

On parlait auparavant des sons et des synthés ; j'ai lu que toi, Patrick, tu avais acheté un synthé Emulator grâce à la loterie ?

PC : Oui, en fait, c'est mon père qui avait gagné un certain montant à la loterie ; et il a proposé de m'offrir une voiture. Je me souviens que je me baladais dans le centre de Bruxelles et j'ai regardé toutes celles alignées dans la rue ; et j’en ai conclu : ‘Si j'achète une voiture, je serai comme tout le monde’. Donc, j'ai émis une autre contre-proposition : ‘Je veux un synthé’.

Il était à quel prix, l'Emulator II ? J'ai acheté un Emax et il coûtait 150 000 FB (NDR : 3 750 EUR).

PC : L'Emulator II valait 250 000 FB (NDR : 6 250 EUR), le prix d'une voiture ! Et ce qui est intéressant, c'est de voir que chaque album de Front 242 possède une marque de fabrique liée au type de synthés et de technologie utilisés. « Geography » et « No Comment », par exemple, sont orientés analogique ; « Official Version » correspond aux débuts du sampling ; sur « Front By Front », c'est de l'algorithmique, basé sur le DX7 de Yamaha ; ensuite, il y a eu du digital, du virtual acoustic. Très souvent, les instruments dictaient un peu la sonorité d'un album et la manière de travailler.

Il y a aussi l'épisode Ministry et la tournée aux Etats-Unis. J'ai lu que Ministry aurait changé de style à cause de ou grâce à Front 242 ?

PC : Je crois que c'est certainement vrai. Quand on a commencé la tournée, il proposait de la pop. Tous les soirs, Al Jourgensen assistait à nos premières parties, sur le côté de la scène. Résultat : il a voulu durcir sa musique et donc, quand il remontait sur scène, il demandait à ses musiciens de jouer plus 'hard', en utilisant de la distorsion. Et au fil du temps, le son de Ministry se rapprochait de plus en plus de celui de 'Front'. Ensuite, quand « Twitch » est paru, il a embrayé sur un son carrément 'dark'.

Pour clore l'interview, impossible de ne pas poser la sempiternelle question sur les futures productions de Front 242. J'ai cru comprendre que vous vous concentriez sur les concerts et qu'il n'y aura plus de nouvelles productions studio?

PC : Je crois qu'on ne fera plus de morceaux de musique ensemble. On s'entend toujours très bien mais les goûts ont évolué. Le seul intérêt serait de refaire de la musique 'vintage', comme à l'époque, parce que c'est ce que le public demande. Ils ne souhaitent pas un nouveau « Pulse » ou une autre direction. Ce serait une manière de boucler la boucle. Mais, à ce stade, je ne crois pas à un tel dénouement…
JL DM : Tout à fait d'accord : ça ne se fera pas.

Ce qui est clair...

Pour écouter l'intégralité de l'interview en version audio, écoutez l'émission de radio WAVES sur mixcloud, c'est ici  

Pour commander « Wonders & Monsters », le nouvel album d'UnderViewer, rendez-vous sur le site d'Alpha Matrix : www.alfa-matrix-store.com

Tracklist :

1 - Was soll ich tun
2 - A Minor Detail

3 - Litany
4 - Nobody but you
5 - I am the rain
6 - Trouble*
7 - Wonders & Monsters°
8 - What do you see
9 - Gone
10 - Atomic Tears
11 - Syncussion*
12 - I Remember*

13 - A September Morning
14 - These Days

* Déjà paru sur la réédition 2004 de « Geography »
° Déjà paru sur la compilation « Re:Connected [1.0] »

Un grand merci à Patrick Codenys, Jean-Luc De Meyer et Alfa Matrix.

 

 

Debout Sur Le Zinc

Une nouvelle aventure qui continue…

Écrit par

Debout Sur Le Zinc est un septuor issu de la ‘nouvelle scène’ française, mouvement qui a émergé au milieu des nineties, et dont la musique –ma foi originale– puise ses sources à la fois dans le folklore tzigane, yiddish et oriental, mais également dans le rock. A son actif une dizaine d’elpees, dont le dernier, « Eldorado », est paru en 2015. La formation se produisait dans le cadre du dernier festival LaSemo. En toute décontraction, Simon Mimoun et Romain Sassigneux ont accepté d’accorder un entretien à Musiczine, fort intéressant… 

Quand vous avez choisi Debout sur le Zinc comme patronyme, c’était en référence aux troquets ou suite à une soirée bien arrosée ?

S : Pas vraiment. Enfin, un peu quand même. Au début, on fréquentait des zincs parisiens. Cette scène est considérée comme celle du pauvre. On s’y produisait quand il n’y avait pas d’autres endroits où jouer. Et puis, un peu plus tard, on s’est rendu compte qu’il s’agissait d’un poème de Prévert intitulé ‘Debout devant le zinc’. Ce qui nous a confortés dans ce choix.

La musique balkanique et le jazz manouche, c’est votre fond de commerce ?

S : Au début, c’était le cas. Ce sont nos influences fondamentales. C’est la raison pour laquelle on y reste attachées. Mais il est vrai qu’on s’en est éloigné depuis. Ou plus exactement, on les a intégrées, digérées.
R : Oui mais le jazz manouche est quasiment passé à la trappe. Ce qui ne veut pas dire qu’on ne l’aime pas. Un morceau figurait dans notre répertoire, à l’époque. On écoute encore ce type de musique ; mais il n’entre plus en ligne de compte dans notre création. Faut dire qu’aujourd’hui, on dispose d’une palette tellement large de sources. Et on continue à mêler les genres pour obtenir quelque chose de nouveau. C’est devenu du mélange de mélange de mélange… D’ailleurs les références balkaniques sont également reléguées au second plan…
S : Evidemment quand tu te sers d’un violon, d’une clarinette, d’une contrebasse, d’un accordéon et d’autres instruments du style, on ne peut qu’avoir une propension à pratiquer ce style musical. Mais c’était surtout vrai à l’origine, quand on se produisait dans la rue. Cette époque date quand même d’une vingtaine d’années.

Quel est le processus d’écriture des lyrics et de la musique ?

R : Nous sommes deux à écrire les textes. Et la musique est composée en groupe. Afin d’être tous impliqués dans le processus, il est important que chacun se réapproprie les morceaux.

S : C’est ce qui diffère entre un véritable collectif et des musiciens qui sont au service d’un leader. Tout le monde y met un peu du sien, se reconnaît dans le propos, dans la musique et s’approprie vraiment les choses en ayant le droit de dire ‘C’est ma chanson’.

Et qu’est-ce qui vous inspire pour l’écriture de vos chansons ?

S : En deux décennies, il y a vachement eu du changement. On ne traite plus des mêmes sujets à vingt ans ou à quarante ans. A travers les textes, on reflète des émotions…
R : On a longtemps privilégié les chansons d’amour. Aujourd’hui, on s’intéresse davantage à des questions existentielles sur lesquelles on bute. Un obstacle qu’on n’arrive pas à franchir se traduit souvent en chanson. Et lorsqu’on est sur notre lancée, on s’ouvre alors à des thèmes plus larges. Sur le dernier album, par exemple, on en traite des tas de différents.
S : Le prochain disque sera moins introspectif que le précédent. Un peu plus ouvert sur le monde, également. Ces premières chansons d’amour étaient, pour ma part, de fausses chansons d’amour. On en a conservé quelques-unes, mais on exprime maintenant surtout ce qu’on ressent par rapport à des questions difficiles à expliquer...
R : Elles traitent surtout des relations humaines.
S : On les relate en se servant de nos mots. Mais on cherche à leur donner une forme un peu poétique. Et ce qui devient magique, c’est que les gens comprennent des messages différents de ceux qu’on a voulu faire passer. En quelque sorte, ils s’approprient à leur tour les chansons. Et ça c’est absolument génial. On donne une chanson. On la livre en pâture. Et eux se disent : ‘C’est pour moi qu’il l’a écrite. C’est ma vie qu’il décrit.’ Elle pénètre dans leur existence ; et c’est ça qui est fort. Elle se transforme en odeur ou un souvenir vraiment précis d’une époque.

En deux mots, à quoi ressemblera le nouvel opus ?

S : Il en faudrait bien plus pour le décrire. Si avait pu le définir en deux mots, on l’aurait limité à autant de termes. Certains titres sont plutôt rock et les autres sont plutôt moulés sous un format ‘chanson’. L’équilibre recherché est différent. Il s’intitulera « Eldorado ». Il parle de nous et du monde. C’est le premier album enregistré depuis vingt ans auquel participent deux nouveaux membres.
R : C’est un tournant, mais il poursuit une même route. Et comme je le soulignais tout à l’heure, les deux nouveaux apportent leur coloration à l’ensemble. Et on ressent ces nuances. D’autant plus qu’il s’agit de la basse et de la guitare, des éléments qui constituent le fondement de la structure musicale. Le son est un peu différent, mais il appartient toujours à notre univers. Cinq musicos figurent toujours dans le line up, quand même. C’est tout simplement une nouvelle aventure qui continue…

Sur votre elpee « La fuite en avant », paru en 2011, figurait un titre qui s’intitulait « Sur le fil, l’équilibriste ». Reflétait-t-il une certaine forme d’état d’esprit entretenu par le groupe, à l’époque ?

R : On écrit chacun de notre côté, en équilibre. Nous sommes des indécis. C’est notre mode de fonctionnement.
S : Le plus drôle, c’est que lorsqu’on a pondu ces chansons on a utilisé des mots sans se concerter. Ces assonances forment un groupe. Finalement, on s’est retrouvé sur le même champ lexical.
R : Il existe plein de paramètres. C’est une question d’âge aussi. On traverse des événements similaires à un certain moment de la vie. Et ils peuvent se retrouver dans des titres de chansons, dans des thèmes. En l’occurrence, quand on creuse un peu, elles ne racontent pas du tout la même chose. Mais il est vrai que de telles similitudes sont étonnantes. Je n’avais pas fait le rapprochement.

Existe-t-il une grande différence entre le live et le studio pour le groupe ?

S : Oui. Au début, il n’y en avait pas tellement. Notre ex-guitariste était très ‘à cheval’ là-dessus. Il disait : ‘Un disque et un concert, c’est totalement différent’. Faut dire qu’on a commencé par jouer en public. Ensuite, on a eu l’opportunité d’enregistrer. En mettant en exergue les arrangements musicaux. Sur les planches, en fait, on n’a pas le temps de tout voir. De tout entendre. De comprendre la signification des textes. De discerner tous les arrangements. On est surtout sensible à l’ensemble, à une énergie, des émotions qui sont un peu brutales. Donc, c’est forcément différent d’un disque qu’on peut réécouter à loisir en se concentrant sur le son ou un instrument particulier, en relevant une parole marquante ou une intonation particulière. Donc oui, c’est différent.
R : Souvent, on réarrange un peu les morceaux pour la scène ou on accélère leur tempo. Mais c’est quand même la même matière au départ.

Quelle importance accordez-vous aux harmonies vocales ?

S : C’est un fantasme !
R : Nous ne sommes pas les Beach Boys, mais on essaie de soigner les harmonies et la mélodie. Surtout la mélodie. Elle est importante pour nous. Elle doit pouvoir nous bercer, nous transporter. Mais aussi le climat musical au sein duquel baigne la chanson. Ce que cette musique peut communiquer comme couleur et émotion. Son message. Le texte est également primordial.
S : Nous souhaitons que les chansons restent gravées dans la tête. Tant la musique, les paroles que la mélodie. J’ai aussi constaté qu’un disque s’écoute rarement en groupe. A contrario du concert. Les chansons appartiennent à une certaine forme d’intimité. C’est la petite madeleine de Proust que chacun écoute à un moment de sa vie, à un moment où il est tranquille.
S : Perso, la voix est un moyen d’expression. Nous aimons le chant, mais nous ne sommes pas des chanteurs à voix. On raconte simplement les événements qui nous arrivent ou qui arrivent aux autres.

C’est une fille qui se consacre aujourd’hui à la guitare. Qu’apporte-t-elle en plus dans le groupe ?

R : Rien du tout (rires).
S : Ce n’est pas important que ce soit une fille.
R : Parce que c’est une femme ? Elle a sa propre personnalité et son toucher de guitare est très personnel, gracieux. Féminin, bien évidemment. Ce qui ne l’empêche pas de pouvoir rentrer dedans.

Nos interlocuteurs avouent apprécier Léonard Cohen, Neil Young et les Beatles. Ou plus exactement un hybride entre les trois. Jacques plutôt que Thomas Dutronc, car il n’est pas de leur génération. Trust également. Romain estime que Renaud est un grand poète. Ils considèrent Gainsbourg comme le plus anglo-saxon des compositeurs français. En fait, ils aiment davantage le rock anglais qu’américain. Où, à leur avis, les artistes y sont plus créatifs. Quoique Calexico impressionne particulièrement tous les musicos de la troupe. Enfin, parmi les Belges, ils connaissent Balthazar, Stromae (bien sûr) et apprécient Puggy, qu’ils ont justement découvert au LaSemo…

En concert, dans le cadre de la fête de la Wallonie, ce samedi 17 septembre 2016, à Namur.

 

LYS

Un rêve d’adolescent, devenu réalité…

Écrit par

Quatuor breton, LYS jouit d’une authentique crédibilité outre-Manche. Faut dire qu’il a bénéficié, notamment, du soutien voire de la collaboration de Steve Hewitt (batteur emblématique de Placebo), du fameux producteur anglais Paul Corkett (The Cure, Bjork, Nick Cave, Radiohead, Fiction Plane, Placebo…) ainsi que de Craig Walker (Archive, The Avener). Le groupe se produisait, pour la deuxième fois, dans le cadre du festival ‘La Vie en Rock’, un événement destiné à récolter des fonds pour la lutte contre le cancer (NDR : ne pas oublier que cette maladie tue, chaque année, 3 500 Hennuyers). Nicolas, son leader charismatique, a accepté de répondre aux questions de Musiczine…

Dès les premières secondes de « Redbud », la musique baigne au sein d’un climat festif et communicatif ; elle est plus rock et plus mature que sur le précédent opus. Aviez-vous fixé une ligne de conduite particulière pour enregistrer cet elpee ?

En fait les éléments se sont goupillés tout naturellement. Je souhaitais concocter un album positif. Le premier était plutôt mélancolique. Celui-ci l’est un peu moins ! Je voulais qu’il soit plus entraînant. J’avais vraiment envie de faire évoluer le son.

On retrouve du beau monde derrière ce disque. Notamment, Steve Hewitt (ex-batteur de Placebo), Paul Corkett (producteur anglais de The Cure) et aussi Craig Walker (ex-Archive), qui cosigne certains lyrics et figure comme invité sur « The Mistake ». Comment ces collaborations sont-elles nées ?

Il est clair que collaborer avec des pointures du genre constitue un plus dans la carrière d’un artiste ! Est-ce indispensable ? Je ne le pense pas ! C’est clairement une belle carte de visite, par contre ! Se nourrir de l’expérience des uns et des autres permet de progresser et de se redéfinir dans la confiance que l’on peut avoir vis-à-vis de soi et d’autrui.

On sent chez LYS une certaine filiation avec le meilleur des hymnes pop rock anglo-saxons. De qui Lys pourrait être est le digne successeur ?

Nous sommes assez proches de la ligne mélodique de Placebo. J’adore la première époque du groupe. Il a apporté du neuf dans le rock ! En France, il n’y a plus vraiment d’émergence dans l’univers du ‘rock alternatif’. La mouvance est surtout électro, rock-électro ou encore indie. Nous sommes peut-être le premier groupe de rock alternatif qui mise sur la qualité (rires).

Le premier long playing vous a permis de vous produire en Europe, et notamment à Londres, mais également aux Etats-Unis, au travers de grands festivals comme le SXSW d’Austin ou le CMJ de New York, en 2013, ainsi qu’en Chine au MIDI de Shanghaï et Beijing, en 2014. Que retirez-vous de ces expériences ?

Une richesse artistique et humaine à la fois ! Par exemple, en Chine, le bénéfice a pris davantage la forme scénique que professionnelle. Le public, très nombreux, a été réceptif à notre univers. C’était tout simplement magnifique. Comparativement au Texas, la démarche était donc un peu différente ! Les Américains aiment le rock et y connaissent un rayon ! Nous avons pu rencontrer des gens du milieu et nouer des contacts professionnels. Leur spontanéité est très appréciable !

Aujourd’hui, on est loin de vos premières répétitions dans ce vieil hangar breton. Quel regard portes-tu sur ton parcours et celui de LYS ?

J’ai fait de la musique, mon métier ! Un rêve d’adolescent ! Devenu réalité aujourd’hui ! J’ai davantage les pieds sur terre que je ne les avais autrefois ! Je reste conscient que tout peut s’arrêter un jour sans crier gare ! Ce monde est friable ! La somme de travail et d’investissement est colossale ! Je me suis battu pour devenir ce que je suis ! Plus globalement, peut-être aurions-nous pu prendre davantage d’envergure… Nous avons déjà une certaine notoriété ! Nous ne le devons qu’à nous-même !

LYS est un groupe français qui chante en anglais. Est-ce un choix artistique ou marketing pour mieux s’exporter ?

Il s’agit d’un choix purement artistique !

Comment se déroule le processus de création ? Es-tu le seul aux commandes ou chacun apporte-t-il ses idées ?

Chacun peut amener sa pierre à l’édifice. Généralement, j’amène la base, c’est-à-dire la mélodie, la structure et les textes. Anthony, mon guitariste ajoute des riffs qui communiquent au format une couleur particulière. Steve Hewitt a assuré la partie rythmique.

Le line up de LYS a beaucoup changé depuis ses débuts ! Est-il difficile de maintenir le paquebot malgré les défections de certains de ses matelots.

Les gens se barrent parce que je suis un gros con (rires) ! Peut-être que certains le pensent après tout (re-rires) ! Pour rester sérieux, constituer un groupe est un travail de longue haleine. Idem pour garder ses membres ! Depuis 2013, ce sont plus ou moins les mêmes ! Il suffit de s’entourer de la bonne équipe ! Me concernant, j’ai mis du temps à la trouver, c’est vrai…

La bassiste est nouvelle au sein du band…

Il s’agit de notre troisième bassiste depuis la constitution du groupe en 2008 !

Confidence pour confidence, celle qui figurait dans le clip « In my mind » dégageait quelque chose…

C’était notre première bassiste !

Si je te dis que j’ai fantasmé sur cette femme…

Pas étonnant ! Moi aussi, il y a très longtemps. C’était ma copine de l’époque (rires).

Oups, désolé !

Ne le sois pas (rires), c’est naturel !

Je suis rassuré alors (rires) !

Tout compte fait, sois désolé ! Non, je déconne (rires) !

En écoutant LYS, on a l’impression que le temps n’a pas d’emprise sur les tubes… Il y a une sorte d’intemporalité dans les sons et les arrangements, à l’image de The Cure, par exemple…

J’adore ce groupe ! Je les ai redécouverts récemment ! Ca me fait plaisir ce que tu dis ! J’espère que tu as raison ! L’avenir nous le dira !

C’est la deuxième fois que LYS se produit dans le cadre de la Vie en Rock. Est-il important pour vous de participer à ce genre d’évènement caritatif ?

Oui, effectivement, c’est très important ! Je connais un peu l’organisatrice (NDR : Janique Saussez). Elle nous suivait régulièrement lors de nos passages en Belgique. C’était une fan. Une groupie même en quelque sorte. Toujours fidèle à notre univers. Du coup, j’estimais tout à fait logique d’être présent au festival qu’elle organise. Par rapport à ce qu’elle a vécu aussi en particulier et à la thématique de ce soir en général ! C’est un fléau ! Il faut le combattre ! Les artistes doivent pouvoir s’impliquer pour récolter des fonds !

Vous êtes-vous déplacés expressément pour cette date belge ?

Nous avions un concert en France hier soir ! Nous étions donc sur la route ! Mais, nous aurions pu faire un aller-retour uniquement pour cette date belge.

D’autres participations pour d’autres causes ?

Oui ! Pour l’association Laurette Fugain qui lutte contre la leucémie. Nous avions joué à l’Olympia de Paris.

Les artistes étrangers disent souvent que le public belge est bon client. Quel est ton rapport avec la Belgique ?

Les Belges sont effectivement de bons clients, mais davantage en cas d’effet de masse. En dehors, ils sont un peu timides, quand même ! Ce soir par exemple, il a fallu attendre la fin du set pour que le public ne sorte de sa léthargie !

De qui te sens-tu artistiquement proche en Belgique ?

J’aime beaucoup Ghinzu. dEUS également. Puggy aussi, c’est sympa. Arno est un artiste assez éloigné de notre univers, mais l’homme me plait. C’est un type complètement décalé. Ca fait du bien d’avoir des mecs comme lui dans le paysage musical !

On dit souvent qu’une fille au sein d’un groupe de garçons suscite une certaine rivalité. Cette cohabitation provoque-t-elle ce phénomène chez Lys?

Pas du tout ! Pas avec Manon en tout cas ! Je te rejoins, les nanas sont chiantes par essence (rires).

Vous avez été repérés par une grande marque de vêtements qui a sorti une ligne à votre nom ‘LYS by IKKS’. C’est quand même assez peu courant non ?

C’est une opportunité qui s’est présentée en 2012. Cette idée m’a séduit immédiatement ! Ce qui a permis de se produire en showcase dans des magasins approvisionnés par IKKS. Sans oublier les fringues et une bonne communication surtout ! C’était une expérience super sympa !

Pour terminer, as-tu une petite info croustillante à dévoiler pour les lecteurs de Musiczine ?

Nous allons probablement partir en tournée au Japon, en Afrique du Sud et en Australie. Nous sommes sur des plans exotiques en ce moment.

 

 

An Pierlé

Les années 'new wave' ont façonné ma culture musicale

Ce matin, c’est le bonheur : je suis invité à boire un café chez An Pierlé. Elle habite en plein centre de Gand, dans une maison sise à deux pas de l'église Sint-Jacobs, en compagnie de son partenaire Koen Gisen. J'ai toujours beaucoup aimé cette artiste flamande, mais son tout nouvel album, ‘Arches’, paru chez [PIAS], a touché une corde sensible, voire même plusieurs cordes sensibles au plus profond de mon être. Il est plus sombre, plus mystique que ses précédents opus, surtout grâce aux grandes orgues, omniprésentes, et aux compositions 'dark' et sensuelles qu'il recèle.

Nous rentrons dans la salle de séjour, une grande pièce de type loft qui ressemble à un gentil capharnaüm. Entre les jouets de la fille d'An, Isadora, les peaux de serpent et les vieux meubles vintage, on découvre un magnifique piano à queue de couleur noire. Ne résistant pas à la tentation d'en jouer, j'égrène les premières notes de ‘Wuthering Heights’. An chantonne la mélodie en préparant le café et me lance : ‘Wow: tu joues bien! Il faudrait que je travaille les accords de ce morceau!’

Ce qui frappe chez An Pierlé, c'est son incroyable simplicité. Elle a cette façon si chaleureuse de sourire et de vous accueillir que l'on se sent immédiatement à l'aise, comme si on appartenait à sa famille.

Tout naturellement, nous entamons la conversation en parlant des années 70 et 80, l'âge d'or de la musique, qui nous a tous les deux tellement marqués. J'aimerais savoir quelles sont les chansons qui ont provoqué un flash chez elle quand elle était jeune. "J'ai eu pas mal de flashs quand j'écoutais la radio. Il y avait une chanson qui passait et tout à coup, le monde s'arrêtait de tourner et j'étais comme fascinée. J'ai vécu cette sensation en écoutant ‘Such A Shame’ de Talk Talk, une chanson que j'ai d'ailleurs reprise par la suite. La même chose pour Gary Numan et son ‘Are Friends Electric?’ Notons au passage que c'est en adaptant ce titre-phare de la new wave qu'An s'est fait connaître lors du Humo Rock Rally, en 1996. "Il y avait aussi ‘The Cold Song’, de Klaus Nomi et, bien sûr, Kate Bush. J'aimais aussi Siouxsie, Jona Lewie ainsi que Men Without Hats, et notamment la vidéo de ‘Safety Dance’. Ces chansons étaient pour moi comme des films, des univers dans lesquels je pouvais me plonger. Les années 'new wave' ont façonné ma culture musicale."

On retrouve toutes ces influences dans les six elpees que l'artiste d'origine anversoise a publiés à ce jour ; de ‘Mud Stories’, paru en 1999 à ‘Arches’, en 2016. Mais sa tout dernière production marque une évolution assez remarquable au niveau des compositions, des arrangements et des atmosphères. Comment ce processus s'est-il mis en place? "C'est venu naturellement. J'ai été choisie comme compositrice officielle de la ville de Gand ; ce qui m'a plongée dans l'univers des musiques d'église et m'a incitée à m’intéresser aux grandes orgues. Ces paramètres ont poussé lentement, comme des petites graines. On a bénéficié de pas mal de temps pour écrire… deux ou trois ans. C'est la raison pour laquelle l'album est plutôt de nature ‘classique’, articulé autour de l'orgue et qu’il baigne dans une ambiance assez solennelle."

Le titre qui frappe le plus sur ‘Arches’ est sans conteste ‘Birds Love Wires’. La mélodie est captivante et séduit dès la première écoute. Une ambiance romantique, médiévale, enveloppe cette compo. Mais quel en est le thème? "C'est une chanson qui part d'une vision : les oiseaux sur les fils téléphoniques. C'est une vision d'enfance car, de nos jours, ces câbles sont tous souterrains. J'ai associé cette vision avec celle, très crue, des femmes qui sont persécutées dans certains pays orientaux. Là-bas, ils pendent les femmes même pour des fautes insignifiante". C'est donc une approche de la composition visuelle, plutôt cinématographique? "Oui, ce sont toujours des images qui me traversent l’esprit, surtout quand je vais me promener dehors. Ou alors, ce sont des mélodies que j’imagine derrière mon piano. ‘Birds Love Wire’, je l'ai élaborée lors du soundcheck quand on s’était produit au festival Boombal. J'avais déjà quelques idées mais là, j'ai profité des circonstances. Tout était installé et l'ingé-son enregistrait pour improviser la chanson complète. Et lorsque je l'ai fait écouter à Koen, il a dit que c'était parfait, qu'il n'y avait rien à changer et ça, ça n'arrive pas très souvent!" (rires)

En parlant de Koen, An décide de m'emmener un étage plus bas, dans le studio, où son partenaire travaille en compagnie d’un groupe local, North. Ici, l'ambiance est feutrée, étouffée par les tapis orientaux disposés à terre et sur les murs. Les vieux Revox et les amplis à lampes côtoient les ordinateurs équipés de 'Pro-Tools'. Nous discutons des productions du label du couple : Helicopter, qui impliquent des formations flamandes talentueuses comme Kiss The Anus Of A Black Cat, The Black Heart Rebellion ou The Bony King of Nowhere. Koen explique le défi qu'a représenté l'enregistrement des orgues de l'église Sint-Jacobs pour l'album ‘Arches’. "On enregistrait la nuit pour éviter les bruits de la ville. Il a aussi fallu intégrer ce son énorme, chargé de réverbération, dans la structure sonore des chansons. Tout un travail sur les fréquences, les effets et le positionnement." Le résultat est, inutile de le rappeler, parfait.

Nous revenons dans le living, car An me réserve une très belle surprise. ‘Cluster’, le mini-album qui servira de seconde partie au diptyque ‘Arches/Cluster’, est déjà bien avancé et j'ai droit à un 'preview' des enregistrements! ‘Road To Nowhere’, qu'elle avait déjà interprété aux Nuits Bota, fait à nouveau forte impression. C'est une lente incantation qui se développe dans une progression lancinante et quasi dissonante. Les autres titres sont dans la lignée de ‘Arches’ mais ouvrent également une dimension plus expérimentale. Un album 'sequel' qui promet! Il devrait sortir en septembre mais comme le 'release' de ‘Arches’ en France a été reporté, le planning pourrait être décalé.

La conversation se poursuit. An me dévoile ses coups de coeur et, notamment Wovenhand. C'est d'ailleurs chez elle que Pascal Humbert a préparé le ciné-concert des Nuits Bota consacré au film de Bouli Lanners ‘Les Premiers, Les Derniers’. An indique également qu'elle a assuré la première partie de 16 Horsepower aux Pays-Bas. Elle évoque Mensen Blaffen, la formation athoise de post-punk qu'elle aimait dans les années 80 sans imaginer que son saxophoniste allait devenir l'homme de sa vie. Malheureusement, après plus de 2 heures, notre interview arrive à son terme, car la belle soit s'occuper de la B.O. du spectacle pour enfants auquel sa fille va participer.

Je remercie mes hôtes et je prends congé. En marchant sur les trottoirs de Gand, je me rends compte que je n'ai pas seulement réalisé une très belle interview d'une artiste tout aussi douée qu'attachante. J'ai fait encore mieux : j'ai rencontré quelqu'un qui, je l'espère, sera à l'avenir une véritable amie.

Ne manquez pas les prochains concerts d'An Pierlé:

          23 juillet: Boomtown (Gand)
          7 août: Festival Dranouter
          13 août: BSF (salle de La Madeleine)
          8 septembre: De Roma (Anvers)
          10 septembre: CU Festival (Liège)
          23 septembre: Muziekgieterij (Maastricht - NL)
          29 septembre: Orgelfestival (St Niklaas)
          5 octobre: Eglise Saint Eustache (Paris - FR)
          22 octobre: Sint-Jacobs (Gand)

Pour lire le compte-rendu du concert d'An Pierlé dans l'Eglise des Dominicains (Nuits Bota), voir ici 

Pour visioner la vidéo de ‘Birds Love Wire’, réalisée par la fille de Jaco Van Dormael, Juliette Van Dormael, c’est  

 

 

Gonzo

Aujourd’hui, le rock est plus lisse, plus produit, mais dans le mauvais sens du terme…

Gonzo est un groupe éphémère réunissant le Montois Baptiste Lalieux (Saule), Geoffroy Heyne (A Mute), Simon Bériaux (Hibou, Le Yeti), Vincent Lontie (Fugu Mango, Bikinians) et Nicolas Vandeweyer (Eleven). Suivant la bio, la formation pratiquerait une musique à la croisée des chemins de Weezer, Bloodhound Gang, Beastie Boys et The Presidents of The United States of America. Avant le concert accordé à l'Alhambra de Mons, Geoffrey et Baptiste on accepté de répondre aux questions de Musiczine. En toute décontraction…

Pourquoi avoir baptisé votre groupe Gonzo ? Est-ce une référence au Muppet Show ou au porno ? (Rires)

J : Du porno ? Nous n’en avons pas seulement consommé au cours de notre jeunesse ! Et puis, nous sommes encore jeunes ! Il faut le souligner. Non, en fait, Gonzo, c’est bien inspiré du délire Muppet, l’homme-canon. Ensuite, on s’est rendu compte qu’il avait plusieurs significations et que toutes nous collaient un peu à la peau.
B : En italien, le terme se traduit par ‘stupide’. Et il nous parle.

Vous avez prévu d’inviter Charlie ?

B : Ce n’est pas dans le cahier des charges. Mais comme il est assez ouvert d’esprit, ce n’est pas exclu qu’il vienne ajouter son grain de folie, dans Gonzo. Nous sommes tous les deux  spontanés. Donc si un jour on l’appelle, il est très susceptible d’accepter.

Vous êtes tous impliqués dans d’autres projets. Alors Gonzo, est-ce une aventure dite ‘éphémère’ ou durable ? Avez-vous l’intention de lui consacrer un long playing ?

Geoffroy (Jo) : Oui, dans le courant de l’année prochaine ; on va s’y mettre tout doucement. A mon avis, on va commencer à enregistrer l’été prochain, mais de toute façon, cet album ne paraîtra pas avant 2017.
Baptiste : Parce que nous avons tous des projets en chantier. Perso, celui de Saule débouchera bientôt sur un nouveau cd.

Votre Ep recèle 5 plages. Comment s’est déroulée l’écriture des morceaux. Et dans quelle ambiance ?

J : Pour déconner, on a accordé un concert de reprises pour des potes, alors qu’à l’époque on jouait du punk. Ensemble. On s’est vraiment bien éclaté. Puis on en a conclu qu’on recommencerait bien l’expérience. Et puis on a fondé Gonzo. Baptiste s’était pété la jambe ; donc il avait eu du temps pour composer presque tous les titres qui figurent aujourd’hui dans notre répertoire. On a lancé le projet, puis le cours des événements a repris ses droits. On a fait quelques dates, ensuite on a tourné la page. Cet épisode remonte d’ailleurs à plusieurs années.
B : Il y a sept ans qu’on a enregistré ces titres. A l’origine, ils n’étaient pas du tout destinés à se retrouver sur iTunes. C’était plus une démo qui n’avait aucun objectif commercial. On avait enregistré ces morceaux pour nous. Et lorsque l’agenda a commencé à se remplir, notre manager nous a conseillé de le sortir. Or le son était garage. On l’avait enregistré en prise directe, ‘rough’. Et en fait, tous ceux en compagnie desquels on bossait, ainsi que notre attaché de presse, nous ont rassurés par leur argumentation. Il s’agissait de notre son, il était super et il fallait le reproduire tel quel. On a juste masterisé. Mais le plus curieux, c’est de voir cet Ep sortir après tant d’années…
J : On a enregistré en prise directe !
B : On a ainsi pu conserver l’énergie du groupe.
J : Tout est allé tellement vite. On n’a pas trop pris le temps de réfléchir ; et finalement le résultat traduit bien nos prestations sur scène, aussi.

J’ai lu, dans une interview, que tu avais l’intention d’inviter Giacomo de Romano Nervoso, lors des sessions d’enregistrement de ce futur elpee ?

B : Giacomo, je l’ai déjà croisé à deux ou trois reprises, et je l’apprécie. J’aime son attitude rock’n’roll, sincère et brute de décoffrage. Notre manager nous a rapporté que Romano souhaitait que nous partions en tournée avec son groupe. Mais je dois enchaîner par un autre projet, un conte musical, que j’ai écrit pour Mons 2015. Et donc le timing ne collait pas. Un journaliste m’a demandé si j’avais l’intention de poursuivre cette aventure de super-groupe, en engageant des musicos issus d’horizons divers. Et puis, quel artiste je souhaitais inviter en studio, pour chanter avec moi. J’ai immédiatement pensé à Giacomo.
J : Le délire est toujours aussi anti-conventionnel. 

Quand on vient d’univers musicaux différents, comment faire prendre la mayonnaise ?

B : C’est le fameux ‘un peu de tout’ à la belge. Il y a des tas d’influences un peu différentes. Et même du punk. On partage tous un dénominateur commun, c’est celui d’avoir joué beaucoup de rock et de continuer à l’apprécier. Le punk/rock tout particulièrement. Gonzo, c’est un peu un mélange de tout ça. Certains titres sont un peu plus reggae, d’autres davantage acoustiques. Notre répertoire recèle deux morceaux country ; et pourtant, au départ, la country n’était pas du tout notre truc.
J : Que ce soit de la country ou du reggae, on cherche simplement à s’éclater. On y injecte une dose de punk, on mélange, et hop c’est parti…
B : Honnêtement, je n’ai pas de recette. Je pense que chez Gonzo, elle appartient à tout le monde. Il n’y a pas de patron. Chacun ramène vraiment sa personnalité, contrairement à Saule où je suis plus au front. Ici, il existe une vraie énergie collective. C’est assez chouette de vivre ces moments, de s’observer quand on joue. Aujourd’hui on a accordé un set plus court, mais Jo, normalement, défend sa chanson. Nous somme trois ‘lead vocalists’. Il n’y a pas vraiment une recette. Aussi quand on se produit un dimanche à 17 heures, sur une énorme scène, devant public très familial, et que celui-ci adore ; et bien, on a le droit d’être satisfait. Car le ‘live’, c’est un mix entre la sincérité, la générosité et l’aspect festif.
J : C’est ainsi qu’on l’a également imaginé. Et on l’a créé pour s’amuser, se marrer même. Notre attitude le montre. La réaction du public également. C’est communicatif.

En live, lorsque vous interprétez « Girls », vous invitez les filles à grimper sur le podium. Est-ce par délire ou est-ce voulu ?  

B : On n’a jamais pécho une meuf.
J : Que veux tu dire par ‘c’est voulu’ ? 

Intentionnel ! Lorsque vous vous être produits dans le cadre du BSF, sur l’estrade, vous en avez invité une belle fournée ; mais il y avait de tout : des belles, des moches, des vieilles, des jeunes.

J : Et ce soir, tu as maté un peu ?

Bof, il y avait de tout aussi.

J : Il y avait de la caille.
B : En fait, le morceau parle d’un gars qui se dit ‘Mais pourquoi quand je marche dans la rue, il n’y a aucune nana qui me regarde ?’ J’ai écrit les paroles en pensant à ces donzelles qui te toisent un peu ainsi en disant ‘Mais à quoi tu ressembleras quand t’auras septante ans, toi qui crâne devant nous ?’
J : Tu vois, même sur scène, elles ne nous regardent pas.
B : Oui, même sur scène. Je leur tourne le dos, déjà. C’est un peu un morceau humoristique qui traite de ce sujet. Il est vrai qu’on aime bien faire monter des filles sur les planches.
J : C’est sympa et en même temps génial, d’inviter plein de monde sur l’estrade. Que ce soit des filles ou des mecs. C’est idéal pour mettre l’ambiance. Tu sens les planches qui vibrent. Et il y a toujours un moment dans le morceau au cours duquel ils s’excitent tous. Ils ne savent pas trop à quoi s’attendre, et au départ, il y en a qui ne bougent pas en se disant certainement, ‘Mais qu’est-ce que j’ai fait, pourquoi suis-je monté sur le podium ?’ Mais d’autres ne veulent plus en redescendre.

Toujours dans le cadre du BSF, lorsque vous avez interprété « Gay », une partie de la foule n’a vraiment pas apprécié…

B : Je pense que cette chanson est mal comprise. C’est intéressant que tu nous en parles, parce que notre attaché de presse est homo et au début, il a cru qu’on se foutait de la gueule des gays. Or, le message est totalement contraire. En fait, il raconte l’histoire d’un mec qui en a marre d’être jugé sur sa sexualité. Il l’assume. C’est une chanson pro-gay et pas du tout anti-gay. Mais comme on la chante en anglais sur de gros riffs de grattes, elle n’est pas facile à décrypter. 
J : Elle a été mieux appréhendée lors de notre set accordé à Spa, car Baptiste l’a commentée préalablement. Du coup, le public était plus enthousiaste. Lorsque tu ne prépares pas le terrain, tu favorises les amalgames…

Vous adaptez le « Killing in the name » de Rage Against The Machine ; et franchement la version déchire. C’est un titre fétiche ?

B : Nous préparions la tournée des festivals d’été et il nous manquait quelques morceaux. J’avais encore en magasin deux ou trois compos qu’on n’avait pas encore intégrées dans le répertoire. Et on en a conclu qu’il serait chouette d’y insérer une cover, mais pas qui ressemble à l’originale. Sinon, elle n’aurait aucun intérêt. Et c’est lors d’une répète, qu’on a décidé d’attaquer une reprise de Rage Against the Machine, mais en version folk, country et bluegrass. A l’aide de nos grattes en délire. Et comme on a trouvé le résultat sympa, on a décidé le conserver. Et il est vrai que sa transposition ‘live’ marche plutôt bien.

Jo, pendant « Mister Woodman », tu es victime de ta timidité ou c’est de la comédie ?

B : Tu évoques son attitude, lorsqu’il chante sur la reprise de NOXF ?
J : Oui je suis timide. En fait, je ne suis pas chanteur. Mais ce choix relève du délire de Gonzo. On a pensé qu’il serait intéressant d’insérer un passage complètement dingue aux claviers, de plus de 10 minutes, pendant que je distribue des pralines. Puis on a décidé de passer à l’acte. Génial, on va le faire. Et on l’a fait. Au début, je chiais dans mon froc ; et puis finalement, j’y ai pris goût.
B : C’est un moment qu’on adore car on y casse toutes les conventions. Le batteur devient chanteur. Une sorte de crooner à la Sinatra sur un morceau punk pur et dur. Le claviériste exécute un solo de trois notes, les mêmes pendant une minute. Dans notre local, la formule nous faisait bien rire ; aussi, on voulait voir si elle allait avoir le même effet sur le public, en live. Et il a adoré ! Jo se pointe et distribue des bonbons comme si c’était Saint-Nicolas.

Vous avez l’intention de vous produire à l’étranger ?

B : Oui, on a l’ambition de dépasser nos frontières.
J : Bertrand a des contacts en France. Il y a manifestement de l’intérêt. Mais pour l’instant, il est préférable de calmer les ardeurs, au vu du contrat…

Partants donc pour vous produire ‘unplugged’ ?

B : À ce jour, on n’a accordé qu’un seul set dans le style. Mais si on grave un album, on devra accorder des des showcases. Donc en version acoustique. Et il ne devrait y avoir aucun problème, car nos compositions sont basées sur  les harmonies vocales. On devra les adapter, mais je suis convaincu que le résultat sera probant.  

Lors de votre concert, j’ai constaté l’absence de Vincent. Qui l’a remplacé ?  

J : Au départ, il était convenu que certains membres du groupe étaient interchangeables. Il ne faut pas oublier que Gonzo est, à la base, un side project. Certains sont plus difficiles à remplacer que d’autres. Mais Vincent a un agenda particulièrement chargé. Il a donc décidé d’écoler un petit jeune, Max. Il a parfaitement rempli son rôle et il devrait continuer cet intérim, car le projet est en constante évolution...

Baptiste, ton jeu de guitare semble marqué par la country et le bluegrass ?

B : Absolument. Mais il existe des tas d’autres styles musicaux qui m’inspirent. J’aime l’aspect rugueux, direct, ‘plug and play’ de la country et du bluegrass. J’ai assisté à plusieurs shows de Bob Log. C’est le genre de mec qui débarque sur le podium, coiffé d’une espèce de casque d’aviateur. Il dispose d’une grosse caisse, d’une gratte et d’un bottleneck et il commence à jouer du blues hyper speed. C’est un ovni. J’adore ce type d’extraterrestre, parce qu’il injecte un feeling un peu punk là-dedans. Un côté ‘je me plug et j’y vais’. Le son est dégueu ; mais en même temps, c’est ce qui fait sa force.

Quel soin apportez-vous au sens mélodique ?

B : La mélodie, c’est ce qui est le plus important pour moi, quand j’écris une chanson. Je baigne dans la musique depuis longtemps ; et pourtant, lors de projets précédents, il m’est déjà arrivé de proposer des morceaux dont la mélodie n’était pas top. Ce que me reprochaient certains collaborateurs. Il a fallu que je prenne du recul, mais finalement, je l’ai reconnu. La mélodie, c’est le b.a.-ba d’une chanson. Et chez Gonzo, on accorde beaucoup d’importance au sens mélodique.
J : Une bonne chanson, on doit pouvoir la jouer à la sèche. Gonzo, c’est du punk/rock, ça rentre dedans, mais le répertoire est constitué avant tout de chansons.

Apparemment, les States vous inspirent ? Mais êtes vous davantage ‘années punk’ ou ‘années grunge’ ?

J : On est ‘années punk’, mais à l’époque du grunge. C’est-à-dire le skate à roulettes, Bad Religion, NOFX, Pennywise. Le punk qui rentrait… Green Day, c’est la même époque que Nirvana. Perso, je n’aimais pas le grunge. Aujourd’hui, j’ai changé d’avis. Mais ce n’était pas mes premières influences.
B : Oui, c’est vraiment le rock des années 90. On parlait tout à l’heure de Weezer. J’appréciais beaucoup les Presidents of The United Sates. Des trucs plus durs aussi. Deftones, Korn, … et ce type de groupes qui nous ont marqués très fort dans les nineties. Et il est vrai qu’aujourd’hui –on l’a déjà répété lors des interviews, mais c’est un constat– le rock est plus lisse, plus produit, mais dans le mauvais sens du terme. Il a perdu ce côté énergique et crade qui nous plait. Même les artistes qu’on adorait à l’époque, ont fini par sophistiquer leur son.

Plutôt Nirvana ou Pearl Jam ?

B : Je suis fasciné par le personnage d’Eddie Vedder. Nirvana était –je pense– à l’époque, un phénomène de mode. Mais après avoir vu le documentaire vraiment fabuleux consacré à Kurt Cobain, et en me replongeant dans la discographie de ce groupe, je me suis rendu compte qu’il y avait des trucs de dingue. Et d’un point de vue musical. Ta question est difficile. Finalement, les deux formations méritent autant de crédit. Aussi bien pour la face spirituelle d’Eddie Vedder que celle spontanée et crade de Nirvana.

 

 

Crowbar

Les Beatles, plutôt que les Rolling Stones…

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Le Sludge est un dérivé du Metal. Il emprunte des sonorités au Doom, au Punk ainsi qu’aux premiers jours du Hardcore et du Grunge. Un style lourd, lent, incroyablement puissant et au feeling mélancolique. Mais quand on s’intéresse au Sludge, on ne peut s’empêcher de penser à Crowbar, un des pères du mouvement. La formation néo-orléanaise sillonne régulièrement les routes américaines et européennes ; et sa dernière tournée transitait par la Belgique. Un périple destiné à célébrer le vingtième anniversaire de la parution de son elpee, ‘Broking Glass’. L’occasion de rencontrer Kirk Windstein, la figure de proue de Crowbar, afin d’aborder l’actualité du groupe, son passé et ses perspectives futures.

Une certitude : les Américains ont emporté dans leur sillage, en ce mois de mai, la chaleur de la Louisiane. C’est donc sous un soleil de plomb, en plein quartier industriel d’Hasselt, face au Muziekodroom, que nous nous sommes donné rendez-vous avec le manager du groupe. À l’heure pile, un homme à la carrure impressionnante, casquette vissée sur le crâne et chaussé de lunettes fumées (NDR : de rigueur), vient à ma rencontre et m’entraîne à travers les dédales du club. Nous débarquons finalement dans une salle entourée de murs en briques, meublée d’une table centrale, autour de laquelle se restaurent une dizaine de personnes. Certainement des roadies. Kirk Windstein se retourne, me tend la main et m’invite à prendre place à ses côtés. « N’hésite pas à parler fort », me confie-t-il, « Je suis un peu sourd de l’oreille gauche et il y a beaucoup de monde ».

En vingt-sept ans de carrière, Crowbar a publié pas moins de dix albums studio ; et le dernier en date, ‘Symmetry in Black’, remonte à 2014. Y aurait-il du neuf dans le pipeline ? « En effet, aujourd’hui nous disposons de dix nouveaux morceaux. La musique a déjà été entièrement mise en boîte ; et il ne reste plus qu’à écrire les paroles », explique Kirk, avant de poursuivre : « Quand on rentrera de la tournée, je me poserai quelques jours, puis je rentrerai en studio afin d’enregistrer les parties vocales. On pourra ensuite mixer le tout. Je pense que le disque devrait être disponible vers le 30 septembre. On est vraiment impatient de le voir sortir… » 

Une carrière musicale, dont la longueur n’est pas synonyme de statu quo, mais bien d’une perpétuelle remise en question. Tant et si bien que, ‘The Lord of Riff’ (NDR : c’est également son surnom) confesse au sujet de ce nouvel LP : « On peut s’attendre à quelque chose de plus old-school que sur les précédents. De plus dénudé, de plus concret. Une sorte de version moderne de sonorités de ce style. Tu sais, on a pas mal évolué au fil du temps. J’ai dernièrement réécouté nos plus anciens morceaux, mais également des groupes qui nous ont influencés à l’époque, comme Type O Negative, The Melvins, Carnival in Coal, Trouble, etc. Ce qui m’a mis en condition pour écrire des compositions plus old-school, comme je te le signalais. Je suis vraiment impatient de voir ce que ça va donner ! »

Bien que le combo ait, au départ, affiché plusieurs patronymes (Shell Shock, Aftershock, Wrequiem, The Slugs), avant d’opter définitivement pour celui de Crowbar, Kirk Windstein a toujours été l’homme aux manettes. C’est son band ; et les musiciens qui l’entourent, aussi interchangeables soient-ils, se contentent de l’accompagner. Une création musicale qu’il a pu, au fur et à mesure, imprégner d’une empreinte facilement reconnaissable. « J’écris aussi les paroles, mais je les ajoute toujours en fin de processus », explique-t-il. « Je me focalise généralement sur les sessions d’enregistrement des instruments. Jusqu’au jour où je me rends compte que –merde !– j’ai encore des lyrics à me taper. Les paroles sont très spontanées ; ce sont les idées qui me préoccupent au moment même. Et comme toujours, dans ces périodes de rush, ma femme se tient prête à prendre note des idées qui me traversent l’esprit », admet-t-il, en adressant un clin d’œil à Robin, son épouse, qui nous a rejoints depuis quelques minutes. S’il fallait retracer l’histoire de Crowbar, la rencontre des deux metalheads serait certainement à marquer d’une pierre blanche. « Ma vie a beaucoup changé depuis que j’ai croisé Robin ». C’est notamment ce coup de foudre qui a motivé son départ du supergroupe Down, il y a maintenant trois ans. Une décision mûrement réfléchie, ne souffrant pas d’une ombre de regret de sa part : « J’apprécie encore plus la vie qu’auparavant. Je nous donne simplement plus de temps et j’évite d’être sans cesse sur la route. On a trouvé un équilibre qui fonctionne assez bien. Tu sais, notre formation bourlingue quand même pas mal, et accumule donc des tas de concerts. Vivre en tournée, c’est un job en soi. Actuellement on est en plein dedans, et on récolte un peu d’argent grâce à ces spectacles ainsi qu’au merchandising. Un peu comme si c’était du ‘family business’ ; et il fonctionne bien ».

Sans grande surprise, il paraît que Down imposait aux musicos un rythme de croisière assez éreintant. « Je sentais bien que mon départ allait de toute façon arriver. On n’arrêtait pas de tourner et on n’avait plus aucun moment de répit. C’est peut-être ce qu’ont ressenti également d’autres gars du groupe : Pepper Keenan est aujourd’hui de retour dans Corrosion of Conformity, Jimmy Bower roule sa bosse chez EyeHateGod et Phil Anselmo recommence son projet Superjoint ». L’occasion ici de revenir sur le cas ‘Anselmo’. En effet, fin janvier 2016, l’ex-homme fort de Pantera, passablement éméché, s’était autorisé, en clôture de sa prestation, d’un salut nazi suivi d’un ‘White Power’ fort peu élogieux. Un triste évènement qui a marqué la scène Metal. Reconnaissant ne pas avoir été dans son état normal lors de ce dérapage, Anselmo a finalement pris la décision de faire un pas de côté, pendant quelque temps. « Tu sais j’aime beaucoup Phil et c’est un bon ami à moi et… [Kirk paraît très embarrassé]. Personnellement, je le connais depuis ses quatorze ans et ce mec n’est pas un raciste. Je ne comprends pas très bien pourquoi il a dérapé… [Robin mime à côté de nous quelqu’un qui boit une bouteille au goulot]. Ouais ça doit surtout provenir de là… Mais bon j’évite de parler de cet épisode. Il était apparemment saoul, mais ce n’est pas une excuse. En tout cas, ce comportement ne ressemble pas au mec que je connais et je ne peux l’admettre… » Il n’en dira pas plus à ce sujet.

Crowbar appartient à cette catégorie de formations pas spécialement connues, mais néanmoins reconnues dans le milieu. Considéré comme un des fondateurs du Sludge, The Riff Lord ne se réclame pourtant pas spécialement de ce style : « Ce n’est évidemment pas nous qui avons inventé ce terme. Crowbar joue de la Heavy Music. Ce sont les médias qui ont commencé à nous étiqueter ‘Sludge’. Au final, on ne fait tous que du rock’n’roll. Tous les bands qui ont permis la naissance du Heavy Metal, comme Black Sabbath ou Judas Priest, ne pratiquaient finalement que du rock’n’roll plus dur et plus rapide. Et encore, si on creuse dans le passé, le Rock n’est qu’une forme dérivée du Blues. Tout ce que Crowbar propose depuis ses débuts est basé sur du rock’n’roll et du Heavy Metal des premiers jours ».

Un statut prestigieux, accepté en toute modestie, mais qui ne permet pourtant pas au combo de se produire dans les plus grosses salles ni de figurer en tête d’affiche des festivals. « Je ne sais pas trop comment expliquer pourquoi… On a toujours fonctionné pas à pas. Et plus le temps passe, plus ma philosophie se résume à ‘celui qui va lentement, va sûrement’. Si tu te casses le cul lors de chacun de tes shows, tu ne pourras que progresser. Petit à petit. Je n’ai pas besoin d’être riche et connu. Ce n’est pas mon intention. Je m’investis dans la musique, parce que c’est ce que j’aime. Perso, arriver à en vivre confortablement, c’est tout simplement un rêve qui devient réalité. Et je ne suis pas prêt d’arrêter… »

Outre son statut de talentueux musico, Kirk est avant tout un passionné de musique. L’occasion de lui soumettre quelques choix cornéliens. Brian Johnson ou Axl Rose ? « Bien sûr, je choisis Brian Johnson. Mais j’ai lu un article aujourd’hui à propos de son remplacement. Si Brian Johnson a fait un pas de côté, s’il l’a fait de son propre gré, alors au final pourquoi en effet ne pas le remplacer par Axl ? Il semble bien faire le boulot ! Je n’ai pas envie de trop spéculer, mais bon… des premiers jours, il ne reste plus qu’Angus. C’est lui le patron. Il a peut-être eu aussi envie de continuer cette aventure dix ans de plus et Brian allait peut-être commencer à compromettre son projet à cause de ses problèmes de surdité. Quand j’ai vu la première fois les Guns, c’était à Hollywood, dans les années 80. Ils étaient encore dans leur local de répétition. J’ai tout de suite accroché à leur musique, sentiment qui s’est amplifié en écoutant l’album ‘Appetite For Destruction’. Pour ma part, c’est un incontournable. Je n’attache pas trop d’attention à ce que racontent les médias au sujet des membres du band ; par contre, j’ai lu les livres de Slash et Duff McKagan. Ce sont des mecs bien. Mais pour en revenir à ACDC, oui, c’est peut-être un nouveau futur avec Axl ».

Autre choix difficile : les Beatles ou les Rolling Stones ? « Autrefois j’aurais répondu sans hésitation : les Rolling Stones. Mais maintenant… je dirais les Beatles. Beaucoup de mes compositeurs préférés, comme Peter Steele de Typo O Negative, Bruce Franklin et Rick Wartell de Trouble ou encore Randy Jackson de Zebra m’ont permis de réaliser combien les Beatles étaient bons. J’ai énormément écouté les Stones. Ils sont bons également ; mais… c’est différent. Je m’en fous un peu des premiers jours des Beatles, des elpees du début de leur carrière. Je préfère de loin ce qu’ils ont réalisé par la suite, lorsqu’il se sont diversifiés, et sont devenus plus sombres et plus lourds. C’est un peu leur face démoniaque… »

Pour en revenir au Metal : Iron Maiden ou Judas Priest ? « Je dirais Priest, seulement parce que … [il hésite et cherche ses mots] en fait, quand Bruce Dickinson a rejoint Iron Maiden, ce groupe était mon préféré à l’époque. Son premier album est génial, il m’a rendu complètement fou lorsqu’il est sorti. J’aime beaucoup les anciens morceaux de Maiden, mais après ‘Powerslave’, la formation a commencé à se répéter et à se répéter. Et puis, tant mieux pour eux, mais Iron Maiden est devenu très populaire. Et paradoxalement, c’est également à ce moment-là que Bruce Dickinson et Adrian Smith ont décidé de partir… Bon, Bruce est revenu depuis lors, mais je pense que ça veut dire quelque chose. Bien que ce soit génial pour eux : au départ, ils jouaient dans des petits clubs et maintenant, ils sont devenus un des bands les plus notoires, sur la planète ! Mais depuis la moitié des années 80, à l’une ou l’autre exception près, je n’ai plus beaucoup accroché à Maiden. Si tu prends un peu de recul, tu te rends compte que ‘British Steel’ de Judas Priest représente bien mieux ce qu’incarne le Heavy Metal ».

Et quant aux groupes beaucoup plus contemporains, Five Finger Death Punch ou Baby Metal ? « Baby Metal… [Kirk a l’air surpris et interrogatif] ? Ah ah ! Ouais j’ai entendu parler d’eux… mais je ne les ai jamais écoutés… »

Allez, une dernière question pour la route, non plus d’un point de musical, mais qui traite de l’actualité : Trump, Clinton ou Sanders ? « Ils sont tous mauvais ! Sanders n’est plus dans la course, il est dépassé depuis un petit temps. Aux États-Unis, notre démocratie est basée sur un principe libertaire… et c’est un socialiste ! Et personnellement, je n’ai pas envie que le socialisme soit importé aux États-Unis ! La seule chose que j’apprécie chez Trump, c’est qu’il a fait lui-même sa fortune. Clinton a consacré sa carrière à la politique. Sa femme est dans les coulisses du pouvoir depuis un petit temps… Mais au bout du compte : lui c’est un foutu lunatique, il change souvent d’avis ; et elle, c’est une vraie idiote… donc qu’ils aillent tous se faire voir ».

And Also The Trees

Me and Mister Jones…

Écrit par

A l’issue du concert accordé par And Also The Trees, le 31 mars dernier, à l’Os à Moelle, une petite interview avait été programmée en compagnie de Simon Huw Jones, le chanteur du groupe. L’occasion de parler de son nouvel album, « Born into the waves » (voir chronique ici). Et puis des derniers événements liés à la vie de la formation. Vu le nombre d’aficionados qui souhaitaient tailler une bavette avec les musicos, nous avons alors décidé de la réaliser un peu plus tard, par e-mail. En voici le contenu.

Pour enregistrer « Born into the Waves », vous vous seriez inspirés de vos visites en Europe de l’Est et au Japon. Ont-elles marqué davantage votre musique ou les textes ? Ou les deux ? Peut-on en savoir davantage ?

shj - Ce sont deux voyages différents plutôt qu’une tournée. Si vous êtes capables d’oublier le côté conneries rock’n’roll liées à la ‘route’, ils peuvent susciter l’inspiration. Nous avons toujours été fortement influencés par notre environnement. Et tout d’abord par celui, rural, du Worcestershire où nous habitions ; mais quand nous avons commencé à tourner sur le continent européen, ces périples ont coloré notre musique et mes paroles également. « Slow Pulse Boy » et « The Street Organ » ont été influencés par des séjours en Belgique, au cours des premières années, par exemple. Le son de guitare de Justin s’est inspiré par ceux accomplis en Italie, en Europe de l’Est et aux USA…

Ainsi, pour cet album, nous avons été influencés, il est vrai, par nos voyages en Ukraine, Roumaine, Lituanie et au Japon… c’est autant subliminal qu’intentionnel, cependant. Notre processus d’écriture dans son ensemble est d’ailleurs assez subliminal. La musique et les mots vont assez bien de pair ; c’est-à-dire que ce qui influence la musique influence les mots. La musique d’abord. La musique vient toujours d’abord et trace la voie…

Un groupe qui s’appelle And Also The Trees et accueille le chanteur de Dead Forest Index (Andy Sherry), c’est quand même paradoxal. Et pourquoi pas la prochaine fois, n’inviteriez-vous pas celui du groupe américain Woods, Jeremy Earl ?

shj - Une autre coïncidence, c’est que A Dead Forest Index réunissent deux frères, comme Justin et moi ; et ils ont aussi vécu dans le Worcestershire au cours de leur enfance et… nous ne nous connaissions pas avant de nous rencontrer au Festival de Leira, au Portugal, l’été dernier. Mais le plus incroyable, c’est que nous avons apprécié la musique l’un de l’autre. 

Vous avez assuré le supporting act de Cure, dernièrement, à Londres. C’était un peu des retrouvailles. Il n’y a pas eu de jam en fin de spectacle ?

shj - Un jour, alors que j’étais adolescent et ivre, je suis monté sur les planches et j’ai jammé avec un groupe au sein duquel militait un ami ; un ancien membre du groupe rock psychédélique, The Move. Le matin suivant, ce souvenir m’a tellement embarrassé, qu’il m’a presque tué ; et cet épisode me cause encore occasionnellement des cauchemars. Evidemment, j’ai décidé de ne plus jamais participer, dans le futur, à de telles expériences.

C’était chouette de retrouver Robert Smith et Simon Gallup, à nouveau. Il y avait tellement longtemps qu’on ne s’était plus vus. Les concerts étaient épatants et ces quelques jours passés ensemble se sont révélés fantastiques. 

Sur « Season & the Storm », « The Sleeper » et « The Skins of Love », le son des claviers me rappelle celui de Genesis à l’époque de l’album « Trespass ». Est-ce une coïncidence ?

shj - Il n’y a pas de claviers sur ces chansons. Ce que tu entends, c’est la guitare de Justin. Quand il a commencé à jouer, un idée lui trottait dans la tête, celle d’en jouer en la faisant sonner le moins possible comme une guitare. C’est ce qu’il continue de réaliser, et avec succès.

Nous n’avons jamais été des fans de Genesis et ne connaissons pas la chanson à laquelle tu fais référence ; pas que nous ne les aimons pas, mais parce que nous n’avons jamais accroché à sa musique.

Lorsque le tempo devient offensif, « Bridge me rappelle le « One of these Days » du Pink Floyd. Vous avez écouté en boucle des disques de musique progressive, lors des sessions d’enregistrement ?

shj - Nous connaissons l’album 'Meddle', mais nous ne l’avons plus écouté depuis longtemps. Ainsi, ce n’est pas une influence. Nous ne cherchons pas à puiser une influence directe dans la musique des autres groupes.

D’après ce que j’ai pu lire, Paul Hill fabrique des percussions à l’aide de cylindres, percus qu’il utilise, apparemment, sur l’instrumental « Naitö-Shinjuku » ? Il en fabrique souvent des instruments insolites ?

shj - Paul a fabriqué des drums à l’aide de pots de colle industriels et les a accordés en y forant des trous. Il aime toujours fabriquer des trucs –pas forcément des instruments– qui ressemblent davantage à des sculptures ou des inventions folles. Il a créé un appareil baptisé Zoetrope qui projette des dessins animés en utilisant des miroirs et des lampes. Je suis sûr que qu’il sera très utile à l’avenir.

 « Hawksmoor & the Savage » et « Seasons & the Storms » sont deux superbes compos Mais certains confrères estiment que si elles avaient été plus longues, elles seraient devenues sublimes. Partagez-vous cette critique ou simplement aviez-vous l’intention de créer un manque, pour leur donner davantage d’intensité ?

shj - Pour nous, elles semblaient avoir la bonne longueur. Je ne les ai jamais imaginées plus longues. Mais ces observations ou critiques sont malgré tout intéressantes.

Plusieurs chansons de l’album parlent de l’amour sous sa forme la plus pure, par opposition à la haine. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ce sujet ? Ne penses-tu pas que suite aux attentats terroristes perpétrés à Bruxelles, elles collent plus que jamais à l’actualité ? 

shj - Le premier pas vers l’écriture de l’album est arrivé quand Justin m’a présenté quatre morceaux de musique à la guitare, qu’il avait écrits, ajoutant qu’il s’agissait d’histoires d’amour issues de différentes parties du monde. Et le concept de l’histoire d’amour, de la chanson d’amour, a été omniprésent tout au long du processus. Je l’ai aimé et ai commencé à décrire ces différentes personnes issues des quatre coins de la terre avec cette même émotion commune. Curieusement cependant, elles sont souvent apparues solitaires et dans des grands espaces ouverts. Ainsi, j’ai observé ou contemplé l’amour dans quelques-unes de ces formes les plus diverses et recherché certains de leurs fils conducteurs dans la musique.

Apparemment, ces derniers temps, vous multipliez les projets personnels. Peut-on en savoir davantage ?

shj - Et bien, je travaille encore sur un second opus en compagnie de Bernard Trontin des Young Gods… Nous l’appellerons « November » et l’enregistrement est terminé. Il nous reste à le mixer, maintenant. J’ai aussi bossé en compagnie d’Olivier Mellano, un guitariste et compositeur français, sur un énorme projet commissionné par l’Orchestre Symphonique de Bretagne. Justin a joué récemment sur l’album de Marc Almond… Mais ce sur quoi nous sommes le plus focalisés pour l’instant, c’est le projet 'Brothers of the Trees', au cours duquel Justin et moi retravaillons des chansons d’And Also The Trees et pour lesquelles nous souhaitons parfois inviter des musiciens… et pour être ouvert à l’improvisation, peut-être du ‘spoken word’ et même des reprises jusqu’à un certain point, si nous estimons qu’elles recèlent quelque chose d’original ou d’amusant.

Le titre de l’album, « Born into the waves », a-t-il une signification particulière ?

shj - Le titre émane des paroles de « The Skeins of Love ». Il colle bien avec l’illustration de la pochette comme avec l’atmosphère musicale générale. Mais il est aussi ambigu.

Qui est Maësharn (« Your guess) ?

shj - Elle est dans la musique. Elle est comme tu la vois.

(Merci à Vincent Devos)

Sophia

Le nouvel album de Sophia est plus positif, plus ouvert...

Leader de The God Machine, une formation américaine 'culte' qui a sévi au cours des années 90, et de Sophia, son projet actuel, Robin Proper-Sheppard est un musicien remarquable mais surtout, un être foncièrement attachant. Dans le hall des tout nouveaux locaux de PiaS, en plein centre de Bruxelles (juste à côté du Centre Belge de la Bande Dessinée), son accueil est chaleureux. Aujourd'hui, c'est la journée 'promo' pour la sortie du dernier opus de Sophia, ‘As We Make Our Way (Unknown Harbours)’. Robin est habillé de noir (tout comme votre serviteur) ; souriant, il me propose un café et la conversation s'engage tout naturellement sur le thème de Bruxelles, la ville où il a élu domicile, il y a de nombreuses années.

« J'aime beaucoup Bruxelles », confie-t-il. « Au départ, j'ai choisi cette ville lorsque mon ex-épouse et moi se sont séparés, parce que cette solution permettait aisément de faire un saut à Londres en Eurostar pour voir ma fille. Et aujourd'hui, je m'y sens très bien. J'habite dans le centre et j'ai un petit territoire privé qui s'étend entre mon appartement du côté de Sainte-Catherine, le Delhaize de La Bourse et l'Archiduc. »

L'Américain a vite trouvé en notre pays une terre d'accueil qui soutient les artistes. « Le gouvernement ici a pris des mesures en faveur des artistes et il est possible d'obtenir des subsides, ce qui n'est pas le cas dans d'autres pays. Et les conservatoires de musique sont plus ouverts aux musiques modernes et alternatives. Les musiciens belges avec lesquels je travaille vivent uniquement de la musique. »

A l’instar des productions précédentes, ‘As We Make Our Way’ propose un indie-rock flirtant avec le folk et le post-rock. Mais on sent quand même une évolution importante. « La plus grande nouveauté, c'est que ce disque n’est pas aussi triste que les précédents. Auparavant, mes compositions exprimaient la souffrance de mes amours déçues ; tandis que sur celui-ci, le point de vue est moins personnel. La production est moins brute et laisse davantage de place aux expérimentations sur le son, les textures et la dynamique... Oui, le nouvel album de Sophia est plus positif, plus ouvert. »

Un des deux premiers titres qui a servi de 'teaser', ‘Resisting’, témoigne de cette évolution. Il se distingue par une superbe progression, très post-rock, vers un refrain qui résonne comme un hymne. « C'est juste ! J'ai constaté que mes nouvelles compositions avaient un impact différent. Mes amis m'ont avoué qu'ils étaient touchés par ce côté plus ouvert, moins égocentrique. C'est d'ailleurs pourquoi j'ai changé le titre de l'album : à l'origine il s’intitulait 'As I make my way' et j'ai remplacé le 'I' par 'We' pour souligner cette ouverture. »

La chanson ‘You Say It's Alright’ est également un bel exemple de la nouvelle direction empruntée par Sophia. « Je l'ai composée à la guitare, mais on a beaucoup travaillé sur les arrangements, en introduisant un arpeggio au synthé, afin de créer une tension tout au long du morceau. Au départ, les fans de Sophia ont été surpris par ce côté électro ; mais maintenant les retours sont très positifs. Et le riff de guitare, à la fin, rappelle un peu The God Machine. » Après plusieurs écoutes, les voix atmosphériques font aussi penser à M83.

Mais c'est le côté très 'dark' de Robin Proper-Sheppard qui intéresse surtout votre serviteur. L'occasion d'en savoir plus sur ses références postpunk/new-wave ! « J'adore The Cure, Bauhaus et tous ces groupes issus des années '80. En fait, au début, on exécutait des reprises chez The God Machine. Par exemple le ‘Double Dare’ de Bauhaus. ‘Disintegration’ de The Cure m’a également énormément marqué. De même que le répertoire d’Echo And The Bunnymen. Eux-mêmes étaient influencés par la musique garage et psyché des années 70. J’apprécie aussi beaucoup Wire ; Graham Lewis est un ami. »

Irait-on jusqu'à affirmer qu'il existe un élément de postpunk dans sa musique ? « Oui ! C'est aussi une question d'attitude. Je n'ai pas peur de choquer, de surprendre. Il y a une 'angularité', un 'anti-conformisme'. A la fin de 'Drifter', par exemple, les synthés sont dissonants. Ce n'est pas une chanson 'pop' ! Et ce concept, je le tiens de toutes ces formations nées dans les années '70 et '80. »

Il existe également une structure 'prog' dans la musique de Sophia. Pas comme chez Genesis ou Yes, mais dans l'approche progressive des compositions, qui recèlent différentes séquences, différentes atmosphères. Un peu comme chez Radiohead et les formations de post-rock. Qu'en pense le principal intéressé ? « Je confirme ! Merci pour ces comparaisons, qui m'honorent ! »

Ce qui surprend lors de cette interview, c'est que contrairement à la plupart des musiciens connus, Robin Proper-Sheppard s'intéresse véritablement à son interlocuteur. Ce qui permet de présenter mes activités comme scribouillard bénévole pour différents 'webzines', DJ et animateur d’émission radio. On parle du nouvel elpee de The KVB, paru sur Invada Records ; de l’interview que votre serviteur a réalisée en compagnie de John Foxx et je promets de lui envoyer 'Hiroshima, Mon Amour', le titre culte d'Ultravox !

Plus tard, Robin accordera un showcase privé devant une centaine de fans dans la petite salle, chez PiaS. Sans micro et sans amplification, il va nous réserver des versions acoustiques de ses chansons, en agrémentant sa prestation d'anecdotes savoureuses. Un moment inoubliable !

Sophia se produira en concert au Botanique le 26 avril (c’est sold out) et dans le cadre du festival Pukkelpop, le 19 août.

Pour vous procurer le nouvel album « As We Make Our Way (Unknown Harbours) », c’est ici 

Photo Philip Lethen

Giedré

Mes chansons sont instinctives....

Écrit par

Giedré, c’est un phénomène. Pas seulement parce que cette chanteuse –mignonne comme tout– se prend pour tout, sauf une princesse qui fait des cacas papillons. Surtout parce qu’elle propose un répertoire particulier et est la seule à le vendre si bien aujourd’hui. Surtout parce que cette artiste n’a pas d’ambition dans ce métier. L’entretien se déroule dans le hall de son hôtel. D’un côté, Giedré et sa manager. De l’autre, votre serviteur. Nous nous installons dans des fauteuils un peu plus loin, au sein du hall. J’ai l’impression d’être passé dans son salon. Sa manager s’éloigne.

C’est encore plus sympa chez vous que chez moi (rires).

Oui mais c’est normal, car je suis dans le showbiz. Légitime que vous ne disposiez que de chaises et moi de fauteuils. D’ailleurs, je devrais demander qu’on vous installe sur des tabourets. Il existe quand même une certaine hiérarchie sociale à respecter…

Ces premiers mots sont prononcés dans la bonne humeur ; des propos qui restent dans le cadre d’une plaisanterie. Il y a de ces artistes qui jouent aux intouchables, prennent parfois leur interlocuteur de haut. Giedré, certainement pas. Il ne manque plus qu’une bière sur la table pour s’imaginer être occupé de discuter avec une copine perdue de vue depuis longtemps qui vous raconte ce qu’elle est devenue.

En regardant un peu vos interventions dans la presse, on a l’impression qu’on vous pose toujours les mêmes questions. Quelles sont les trois questions auxquelles vous êtes fatiguée de répondre?

Ah, c’est une bonne question ! On ne me l’avait pas encore posée, d’ailleurs… Vous n’avez pas l’impression d’aller trop loin? Ca c’est le top 1 ! Giedré, c’est votre vrai prénom? A quel moment, peut-on dire qu’il a été choisi comme nom de scène ? Et la troisième, vous auriez pas l’heure ? Parce que je n’ai pas de montre alors…

L’entretien est lancé. Au cours de cette grosse demi-heure, elle va balancer réponses hyper sensées et intéressantes ainsi que plaisanteries ou autres jeux de mots rigolos.

Aussi, qu’aimeriez-vous qu’on vous pose comme question pour la promo de votre album ? Celle qu’on ne vous a jamais posée ?

Heu… Bonne question ! Vous n’avez que des bonnes questions en fait. Il faut venir en Belgique pour entendre de bonnes questions. Celle qu’on ne m’a jamais posée ? Quel est le poids du disque, par exemple. Ou ses dimensions exactes. Il pèse 60 grammes environ et doit mesurer 12 centimètres. J’en suis sûre, parce que je l’avais pesé et mesuré pour les faire-part de naissance ; c’était important !

Question un peu par l’absurde. Qu’est-ce qui, musicalement, ne vous inspire pas du tout, voire vous révulse ?

En fait, ce qui pourrait me révulser me motive pour passer à autre chose. De positif ! Restons donc positifs ! Chimène Badi, par exemple. Ou la collégiale des Enfoirés. C’est ce qui pourrait me dégoûter.

Pas sûr que vos chansons soient toujours très positives. Exact ?

C’est la raison pour laquelle j’aime les blagues, sans quoi il n’y aurait plus qu’une seule issue, le suicide.

L’Homme, vous n’y croyez pas trop, les enfants, on n’en parle même pas. En quoi croyez-vous ?

Je crois que ça pourrait être mieux sinon je ne composerais pas des chansons. Enfin, je ne sais pas. J’en sais rien. En tout cas, je pense qu’il faut commencer par regarder les choses en face. Et alors à ce moment-là, on pourra se poser d’autres questions que ‘Est-ce que j’envoie larguer au 8 12 12 ?’

A quel moment décide-t-on de l’écriture de ce type de chansons ?

Vers 16h. Et c’est souvent un mardi (rires). Non, mais j’ai débuté l’écriture très tôt. Lorsque j’ai commencé à jouer de la guitare, je voulais trouver un écho sur la plage. Je devais avoir 14-15 ans. Mes chansons sont instinctives. Mais ma chance, c’est que je n’ai jamais eu l’ambition d’en faire un métier. D’attirer du monde lors des concerts pour chanter mes chansons. C’est arrivé vraiment par surprise. Et quand on n’a pas d’ambition, on ne se pose pas les mauvaises questions, on ne cherche pas à plaire. Ce qui préserve de l’orgueil, de l’égo et tout le reste…

Quelles sont les limites de l’inspiration de Giedré ? Dans les sujets par exemple?

Je ne conçois pas mon inspiration en terme de sujets. Je crois qu’on peut composer 20 chansons sur le même thème, selon l’angle abordé, et elles peuvent être toutes différentes. Je ne vois pas l’inspiration comme ‘Oh tiens, j’ai jamais écrit une chanson sur les obèses tétraplégiques, il faut absolument que j’en fasse une’. C’est plutôt : ‘Qu’est-ce qu’on pourrait dire d’intéressant ?’ Et alors une chanson consacrée à un fauteuil peut être bien plus ‘transgressive’ qu’une autre sur la politique. Tout dépend de l’histoire du fauteuil qu’on veut lui donner.

A qui on devrait offrir l’album de Giedré ?

Mon rêve serait de l’offrir aux enfants. Mais on a rencontré des problèmes avec les services sociaux. Aussi, je suis encore en pourparlers pour les régler. Je suis persuadée qu’on pourrait leur économiser des années de doutes et de tortures… Au moins, ils ne seraient pas déçus en grandissant et en vivant la vraie vie.

Il y a quelques chansons, vous racontiez que les femmes étaient ‘Toutes des putes’. Maintenez-vous cette opinion ? Quel est votre tarif ?

Oui, je maintiens. En fait, je me fais la messagère, hein, de ce propos universellement répandu, que nous sommes toutes des putes. Et mon tarif ? Je sais pas. A Bruxelles ? 14€ ou 20€… On essaye de rendre les prix accessibles, quand même.

Vos apparitions publiques reflètent-elles un personnage construit de toutes pièces ou y a-t-il un peu de vous là-dedans ?

En fait, ça exige énormément de préparation. Ce qui explique pourquoi j’étais un petit peu en retard à l’interview parce qu’au quotidien je m’investis plutôt dans la cordonnerie. Je possède un petit atelier dans le Nord de la France et surtout, j’ai 45 ans, je mesure 1m50 et je suis Congolais. C’est drôle parce qu’on me pose toujours cette question. Et pourtant, je pense qu’il faudrait plutôt interroger ceux qui chantent des chansons hyper fédératrices sur le partage, l’humanisme… et sont pourtant des exilés fiscaux en Suisse. Perso, c’est à eux que j’aimerais demander : ‘Votre personnage, est-ce que vous pourriez nous en parler ?’ C’est rigolo parce qu’on ne leur demande jamais de parler de leur personnage public. Et c’est rigolo, parce que je mets juste des fleurs et des couleurs et on me pose constamment la question du personnage. Quand on est en représentation, on choisit ce qu’on veut montrer de soi, on n’est plus dans le contrôle. Sinon, si c’était la vraie vie, en plein milieu du concert, je m’arrêterais pour manger un sandwich et passer un coup de fil à ma mère. Tout en soi n’est pas intéressant à montrer. Ce n’est pas une question de personnage, c’est une question de représentation. Quand on est regardé, on a le choix de ce qu’on va montrer à l’autre.

Essayez-vous de faire passer un message à travers vos chansons ou est-ce juste de la déconne?

Je n’ai pas vraiment envie de répondre à cette question, parce que j’ai toujours fait partie de ceux qui, dans les musées, ne lisent pas les petits encarts à côté des œuvres d’art. Je n’ai jamais souhaité qu’on m’en explique la signification. J’accorde suffisamment de confiance aux gens qui m’écoutent pour comprendre, parce que je pense qu’ils sont beaucoup moins bêtes que ce qu’on leur dit à longueur de journée. Et puis je ne suis pas vexé quand on perçoit mon message au premier degré et qu’il fait bien rigoler ; c’est déjà bien de pouvoir juste rigoler.

Et qu’est-ce qui vous plaît le plus dans cette aventure puisque vous ne cherchez pas la gloire ?

Les putes, la drogue, le showbiz… (rires) Vous me demandiez tout à l’heure en quoi je crois ? Partir en tournée donne moins envie de mourir parce que tous les jours on rencontre des gens qui comprennent ce qu’on raconte. Que finalement on est peut-être nombreux à penser de la même manière. Et peut-être qu’un jour on va se mettre tous debout.

Giedré, elle n’est définitivement pas comme les autres. Elle a répondu avec simplicité, sincérité et humour. Mais toujours d’une manière sensée et pleine d’intelligence. Il y a des fans de ses chansons. Il y a et y aura des fans de ce qu’elle raconte. Merci à elle pour ce moment délicieux…

 

The Rhythm Junks

Pas de cuivres ni de guitare, mais pas mal d’impro…

The Rhythm Junks réunit des vieux briscards issus de la scène blues, roots et jazz du Nord de la Belgique. A l’origine, le line up impliquait le jeune harmoniciste Steven De Bruyn, le drummer Tony Gyselinck et le vétéran Roland Van Campenhout. Depuis, ce dernier a cédé sa place à l’ex-Admiral Freebee, Jasper Hautekiet. Après 11 années d’existence, la formation vient de publier son quatrième elpee, « It Takes A While ». Steven et Jasper ont accepté d’accorder un entretien à Musiczine, ce 20 janvier, dans un petit bistrot, sis à quelques pas de la Bourse. On vous en relate les moments forts…

Roland a définitivement abandonné The Rhythm Junks ?

Steven : Il a participé aux sessions d’enregistrement du premier album, « Fortune Cookie ». Il y a 22 ans que je connais Roland. Tout a commencé à Bruxelles, lors du Jazz Marathon. J’étais venu en compagnie d’un ami qui s’est chargé de nous présenter. A l’issue de notre rencontre, on a joué trois morceaux ensemble. Ensuite il m’a demandé quel était mon emploi du temps, le lendemain. Je lui ai répondu que je ne savais pas encore. Il m’a alors invité à Louvain-La-Neuve, dans le cadre du Boogie Town Festival. Il devait remplacer Big Sugar, un groupe canadien. Il m’a dit que je pouvais jouer avec lui. Donc le lendemain, je me suis rendu là-bas, et on a joué ensemble. On n’avait jamais collaboré et là on se produisait dans un festival. Nous sommes restés amis. De temps à autre, on coopère encore. Après 20 ans d’existence, on n’avait toujours rien enregistré. J’avais seulement participé à l’enregistrement de quelques morceaux sur des disques de Roland. Et on en avait conclu qu’il fallait remédier à cette carence. Ce qui explique pourquoi on a réalisé « Fortune cookie ». De temps à autre, quand The Rhythm Junks se produit, comme au Japon, Roland vient nous rejoindre...

Collaboration atypique, celle entre Steven à l’harmo, Roland et Helmut Lotti, à l'AB, en compagnie d’une belle brochette d’invités. Tu t’en rappelles ? C’était en 2013.

Steven : Les personnalités de Roland et Helmut Lotti sont totalement opposées. Je me souviens, lorsqu’on a attaqué les sessions, Helmut voulait déjà savoir quand on aurait terminé. Je lui ai répondu qu’on n’avait même pas encore commencé. Et qu’on verrait bien quand ce serait fini. Parce que pour Roland, c’est toujours le moment et on joue l’instant présent. Helmut Lotti est un perfectionniste. Il veut savoir où il va… Roland et moi étions très fatigués. On répétait quotidiennement. Un jour il a joué un morceau, et une demi-heure plus tard, il l’a rejoué, mais de manière complètement différente. Ça c’est Roland ! Il joue à chaque fois différemment. Tout dépend de son feeling du moment.

The Rhythm Junks vient de graver son quatrième elpee. Qu’est-ce qui a changé en 11 années d’existence, chez ce groupe, hormis le départ de Roland ?

Jasper : Pour le premier et le deuxième album, on avait reçu le concours de cuivres. Un contexte qui nécessite une structure, notamment pour les arrangements. Puis on s’est limité au trio batterie, basse et harmonica. Ce qui nous accorde davantage de liberté pour improviser. « It Takes a While », c’est la suite logique de « Beaten Borders ».
Steven : On a enregistré ‘live’ lors des sessions. Quand on avait recours aux cuivres, il était indispensable de se fixer une ligne de conduite avant d’entrer en studio. Mais pour ce disque, je cherchais à entretenir une tension comme dans le « Kind Of Blue » de Miles Davis, où il y a de l’impro. On disposait déjà d’une charpente pour les morceaux, mais on a décidé de les interpréter suivant le feeling du moment, pas comme si on devait suivre une partition. Et ça a bien marché.

Pourtant, les compos de l’elpee semblent plus radiophoniques, accessibles, universelles aussi. Une explication ?

Jasper : C’est l’album qu’on avait le moins préparé avant d’entrer en studio. Sans réfléchir. On y a joui d’une plus grande liberté. C’est chouette de penser qu’elles puissent être universelles. Et pourtant, on n’a jamais déterminé à l’avance si elles seraient destinées aux radios.
Steven : En fait, on a voulu mettre en forme des versions élémentaires. Les plus longues sont destinées au ‘live’…

« It Takes A While » c’est le titre du long playing. Mais il faut un certain temps pour quoi ?

Steven : Quand il t’arrive un drame ou un événement de très grave dans la vie, il te faut du temps pour l’encaisser. Mais apprendre des vertus profondes, prend aussi du temps.

« Headphone City » me fait penser à dEUS. Même la voix évoque celle de Tom Barman. Une coïncidence ?

Jasper : les influences de dEUS sont également multiples. Ce qui fatalement nous rapproche. Mais on ne copie personne ; simplement certaines références sont probablement similaires.

« Calling Massala » est certainement le titre le plus coriace. A cause de sonorités de guitare, ma foi, particulièrement métalliques. C’est un créneau que vous comptez explorer, dans le futur ?

Steven : Il n’y a pas de guitare. Mais de la basse. Il y a même un solo de cet instrument. En fait, on se sert d’un omnichord (auto-harpe), dont les tonalités sont spécifiquement métalliques. Mais cette compo a une histoire. Massala est une fille qui vit à Nairobi. On s’est produit là-bas, il y a deux ans, dans le cadre du premier festival de jazz du Kenya. Et nous avons visité un projet mis en place dans un bidonville, à Korogocho, qui nous a beaucoup touchés. Il est destiné à permettre aux enfants à jouer de la musique classique ; ce qui permet d’améliorer leurs résultats scolaires, car leur capacité de concentration est plus longue. On voulait participer à ce projet. On a donc fait parvenir 150 harmonicas là-bas. Et sur Skype, je donne des cours à Massala, qui les répercute auprès des enfants.


Vous partez bientôt en tournée, à travers le monde, en compagnie de Balthazar et Triggerfinger?

Jasper : On a assuré la première partie des deux groupes en Suisse et en Allemagne, il y a deux ans. En Allemagne, il se racontait que The Rhythm Junks était le lien manquant entre Triggerfinger et Balthazar. Nous avons les mêmes racines que Triggerfinger, et une base assez simple comme celle de Balthazar. Sans grande guitare. C’est sans doute la raison pour laquelle on a décrit notre musique, sous cet angle. Et assurer la première partie de ces deux groupes, c’était super chouette.
Steven : Le public de Balthazar est plus jeune que le public de Triggerfinger. Chez nous, il y a beaucoup de solos. Et quand tu en réalises un devant les fans de Balthazar, ils commencent à tripoter leur écran de téléphone. Ils n’y sont pas habitués. Les aficionados de Triggerfinger nous comprennent mieux. Mais les deux publics ont été sympas à notre égard. Une bonne expérience.

En mai, vous vous rendrez au Japon dans le cadre de la fête de la bière. Arsenal et Intergalactic Lovers ont été invités avant vous. Un passage obligé ou une opportunité ?

Steven : Nous aimons le Japon car c’est un pays très intéressant et très différent de la Belgique. C’est une opportunité de pouvoir jouer là-bas. Certaines personnes prennent même l’avion d’une ville à l’autre pour venir nous voir parce qu’ils aiment beaucoup notre musique. De temps en temps, ils nous rejoignent sur scène. C’est très chouette. Et complètement fou! Le photographe qui a réalisé la pochette de l’album est japonais.
Jasper : On l’a rencontré à Kyoto et on a fait un photoshoot.

Steven tu es originaire de Heusden-Zolder. Tu as tourné 8 courts-métrages sur ta région. Une raison ?

Steven : Mon beau-père était mineur. Il était d’origine italienne. Il a commencé à bosser dès l’âge de 14 ans. Il s’était expatrié pour avoir du boulot dans les charbonnages. Lors de mes 12 ans, un de mes amis d'école a perdu son père, dans un accident. Un événement qui a secoué le village. J’ai pensé qu’il était judicieux de ne pas rester les bras croisés et de rencontrer les habitants. C’est un très chouette petit village, près de Genk. J’y retourne toutes les 3 ou 4 semaines. Mais aujourd’hui, la crise économique l’a plongé dans la désolation.

Bowie vient de s’éteindre, des suites d’un cancer. Steven, tu as collaboré à l'écriture d'une chanson pour financer la lutte contre le cancer. Es-tu particulièrement touché par cette maladie ?

Steven : Bien sûr, je suis encore jeune et j’ai déjà perdu des amis à cause de cette maladie aveugle. Les meilleurs sont parfois touchés en premier lieu…
Jasper : Bowie était en fin de vie. Son album est une forme de testament. Il avait peut-être tout programmé. Il savait que tel jour, c’était fini et que son disque allait sortir.
Steven : C’était un perfectionniste, un freak control. Je ne suis pas sûr que dans sa situation, j’aurais enregistré un album. J’aurais sans doute préféré rester auprès de ma famille.
Jasper : C’est peut-être le choix qu’il avait fait, car l’œuvre ne comporte que 6 ou 7 morceaux, dont certains étaient déjà sortis, il y a un ou deux ans…
Steven : Un clip comme « Lazarus », ne se réalise pas en une heure. Et quand tu vis dans de telles conditions, il est très difficile de tourner une vidéo pareille. Je l’ai regardée avant sa mort, et j’ai immédiatement conclu qu’il vivait ses derniers jours. C’est émouvant…

 

 

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