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IAMX

La résurrection du petit prince de l’électro/rock...

Chris Corner, alias IAMX, a failli mourir. A cause d’une grave dépression, dont il a souffert il y a un an et demi et qui aurait pu l’emporter. Le musicien anglais, surtout connu du grand public pour son hit ‘Spit It Out’, a subi le contrecoup de longues années de tournée et d'un style de vie très ‘rock'n roll’. Heureusement, après une thérapie et un suivi médical, il est parvenu à remonter la pente, s'est installé à Los Angeles et s'est remis à composer. Aujourd'hui, il est de retour à l'AB de Bruxelles pour présenter son (excellent) nouvel album, ‘Metanoia’. Votre serviteur le suit à la trace depuis ses débuts, il y a dix ans ; aussi il n’a pas hésité de répondre par l’affirmative, quand on lui a demandé d’interviewer le petit prince de l'électro-rock.

Le premier sujet de l'entretien concerne bien entendu son nouvel opus. Chris nous confie qu'il s'agit sans doute de sa production la plus honnête, la plus spontanée. « J'ai voulu parler de la période difficile que j'ai traversée et des expériences vécues. Ce qui explique pourquoi ‘Metanoia’ est très intime, très proche de ce que je suis au fond de moi. Dans la production également, j'ai recherché l'authenticité, la simplicité. C'est juste un homme avec un ordinateur, dans une pièce. »

Manifestement, il a voulu retourner aux sources de son art, aux racines de son inspiration. Ce qui n’a pas été apparemment facile. Au point qu'il a même envisagé d'arrêter sa carrière. « Durant la période la plus difficile, je vivais comme un reclus. Je ne voyais même plus mes amis. J'avais cessé de créer parce que je croyais que mon art était devenu mon ennemi et qu'il me détruisait aussi bien psychologiquement qu’émotionnellement. C'était une charge trop lourde à porter. Je me suis posé la question de savoir si je voulais continuer à faire de la musique. Il a fallu un certain temps pour retrouver le goût, et pour réaliser qu’elle ne me faisait pas souffrir ; mais au contraire, me nourrissait. »

Dans ce processus de revalidation, le support des aficionados a joué un rôle prépondérant. « En effet ! J'ai commencé à parler de mon évolution sur un blog et je me suis rendu compte de leur support inconditionnel. C'est ce qui m'a rendu confiance pour revenir. » Le passage à vide lui a également permis de se replonger dans les disques qu'il écoutait lorsqu’il était jeune. Et l'artiste qu'il désigne comme son ‘idole’ et sa source d'inspiration majeure, c'est David Sylvian, le leader de feu le mythique Japan, dont l’aventure en solo est aussi discrète qu'attachante. « C'est mon oncle qui m’a fait découvrir Sylvian », poursuit Corner. « Il m'endoctrinait véritablement, dans le bon sens du terme. Il écoutait aussi beaucoup de musique minimaliste, comme Philip Glass et Steve Reich. Je l’avais négligée depuis longtemps, parce que j'étais concentré sur mes productions ; et, d'une certaine manière, celle des autres me faisait peur, sans savoir pourquoi. L'an dernier, j'ai senti le besoin de me replonger dans celle de ma jeunesse. »

L’elpee le plus notoire de David Sylvian est incontestablement ‘Brilliant Trees’ ; mais c'est surtout ‘Secrets of the Beehive’ qui a séduit Corner. Etonnant, mais il aimait également Frankie Goes To Hollywood. Ainsi, sa sœur lui avait offert le simple ‘Relax’, dans les années 80. Il ne peut s'empêcher de s'esclaffer en évoquant ce souvenir. Je lui confie comprendre cette influence, surtout à la lumière de certaines chansons très ‘hot’, qu'il composera plus tard, pour IAMX. 

Mais c'est bien entendu David Sylvian qui a déclenché en lui le souhait de devenir musicien professionnel. « Il m’a aussi incité à ne pas me laisser entraîner au sein du créneau commercial. Il m'a insufflé énormément de confiance pour rester en dehors de la pop. Voir quelqu'un comme lui construire une carrière en se limitant à la musique très alternative, a été un stimulant. Flood est également quelqu’un qui m’a marqué. Regarder sa manière de travailler a eu une grande influence sur ma création et mon développement dans la production. Il a mis en forme de nombreux chefs-d'oeuvre. On a eu l’occasion très tôt de bosser ensemble, sur le premier album Sneaker Pimps. Il était capable de réaliser des tas de choses différentes. Ce qui m'a incité à devenir un producteur et un artiste solo, en essayant d'acquérir toutes les compétences nécessaires pour concevoir un disque. » 

Picasso a dit : ‘Les artistes médiocres copient, mais les vrais artistes volent’. Cette phrase, à laquelle je recours régulièrement pour faire réagir les artistes, trouve un écho positif auprès de Corner. « Voler, nous le faisons tous. En musique, surtout dans le genre que je pratique, tout a déjà été fait. Mais une bonne musique, c'est toujours un reflet de l'unicité de l'individu. Si vous pouvez emprunter quelque chose qui existe et parvenir à le faire sonner comme vous le souhaitez, alors le résultat sera toujours unique. La seule chose unique dont nous disposons, c'est l'individu et sa singularité. Donc, c'est explorer l'individu qui est intéressant. Si vous n'avez rien à dire, on le ressentira dans votre création. Par contre, si vous avez cette personnalité unique, vous pourrez créer le rock'n’roll le plus simple possible, il sonnera bien et aura une âme. »

En effet, quand on écoute IAMX, on identifie de nombreuses références : d’un point de vue musical, Depeche Mode, Placebo, Ladytron, Interpol, Radiohead en sont certainement des majeures ; et en ‘live’ Prince, Bowie, T.-Rex, mais également bien d'autres sont très susceptibles de vous traverser l’esprit ; cependant, toutes ces influences sont transcendées par la personnalité unique du musicien, rendant le tout foncièrement original. 

Pour réaliser ‘Metanoia’, Chris Corner a eu recours au financement participatif, via pledgemusic.com. Depuis le début de sa carrière, il est parvenu à développer un lien particulier, très émotionnel, avec ses fans. Grâce à l'appel aux fonds, ces derniers ont la possibilité de précommander ses œuvres sous différents formats : du simple compact disc au package complet incluant CD et LP signé, mention sur la pochette, meet-and-greet en compagnie de l'artiste. On peut même lui proposer de produire un de ses propres morceaux ou de tourner un clip vidéo. Une approche novatrice mais indispensable si on veut survivre aujourd'hui. « Quand on a la chance d'avoir une longue relation et un grand soutien de ses fans, la transparence est toujours la meilleure approche. Il faut avouer qu’on ne pourrait pas enregistrer un album si on n’était pas financé. Il est devenu impossible de faire de la musique sans soutien. C'est la vérité. Et ils savent qu'on ne le fait pas pour le fric. On n'est pas des accros à la notoriété. On n’est pas intéressé de devenir riche et célèbre ! En plus, la relation avec eux est tellement gratifiante ; c'est une communication très pure et très profonde. Il est difficile de connaître ce type de relations dans la vie normale. Donc, je suis très privilégié de bénéficier d’une telle situation. Maintenant, il faut garder une certaine distance : je ne peux quand même pas inviter tout le monde pour une orgie ! » (rires)

De retour en Belgique, Chris Corner confirme entretenir une relation particulière avec notre pays. C'est un des premiers où IAMX a rencontré un certain succès à ses débuts. « Oui, je vous dois beaucoup, les gars ! Et c'est tellement agréable de revenir. Je suis assis ici, je regarde la bouteille de vin et je pense à tous ces visages que je vais voir ce soir. Au final, cette pause dans ma carrière a été très bénéfique. Je me sens comme ressuscité. Elle m'a permis de voir ce qui est important pour moi et faire de la musique, c'est ma passion. La Belgique m'a beaucoup aidé dans ma carrière : je vous suis reconnaissant pour ce soutien. »

Mais pourquoi ne convie-t-il plus les fans à monter sur le podium en fin de spectacle, comme lors de ses débuts ? S’il lançait à nouveau cette invitation à ses fans ce soir, à l'AB, sûr qu’ils seraient heureux de faire la fête avec lui sur la scène. « Chiche ! », me répond-t-il. Quelques heures plus tard, à l'issue d'un concert mémorable (voir compte-rendu ici), votre serviteur sera invité à grimper sur l’estrade pendant « Your Joy Is My Low », en compagnie d’une vingtaine d'autres admirateurs... Un souvenir inoubliable !

Pour commander « Metanoia », c’est encore ici

 

 

 

 

Marie Davidson et Essaie Pas

On est très excités de voir sortir notre nouvel album sur le label new-yorkais DFA…

Marie Davidson et Pierre Guerineau produisent une musique électronique particulièrement novatrice, sublimée par une prose 'voice-over' déclamée ou chantée. Leurs créations s'articulent autour de deux projets : celui solo de Marie Davidson et le duo Essaie Pas. Leur univers musical évolue entre ‘ambient’ introspective et ‘minimal synth’, tout en affichant un côté ‘clubbing’ nu-disco/techno. Le caractère onirique est omniprésent, un peu comme si on écoutait la bande-son sensuelle d'un film imaginaire.

Le duo avait déjà accordé une interview à Musiczine, lors de son passage à Bruxelles, en 2013 (voir ici). Il était donc judicieux de profiter du concert, accordé le 20 août dernier, dans le club La Villaine, à Bruxelles, pour retrouver les deux musiciens et débattre de leurs nouvelles productions. Mais abordons d’abord le projet solo de Marie Davidson.

Tu as publié un nouvel opus cette année : « Un Autre Voyage ». Comment pourrais-tu décrire son évolution, par rapport au précédent ?

Marie Davidson (MD) : C'est de la musique électronique sur laquelle on pose des textes souvent parlés, parfois chantés. En outre, je me suis familiarisée avec mon nouveau matériel pour réaliser ce disque. Il est plus performant. Pour la prod, j'ai travaillé en compagnie de Pierre (NDR : Guerineau). En général, je compose tout moi-même, y compris la musique ; puis j'enregistre. Par contre pour « Un Autre Voyage », on a bossé ensemble sur la production. Pierre a amené ses idées. Je ne me sers pas d’un ordinateur, alors que Pierre utilise un Pro-Tools ; ce qui a permis de raffiner certains sons et de développer différentes perspectives. En résumé, la progression est naturelle ; elle repose sur l'approfondissement d'une esthétique de travail et reflète l’expérimentation d’une personne qui apprend au fil du temps.

N’as-tu pas l'impression d’y privilégier le côté davantage dansant, un peu plus 'techno' ?

MD : Pas vraiment sur l'album, mais il y a une certaine mutation vers la techno sur certains morceaux. Ils ne sont pas encore sortis, mais je les joue en concert. Cependant, je conserve l'influence italo-disco, déjà palpable sur « Perte d'Identité » comme pour le titre « Shaky Leg » et son remix. Cette approche a toujours été présente, mais depuis la parution d’« Un Autre Voyage », la direction est franchement plus dance-floor.


Est-ce parce que vous résidez maintenant à Berlin ?

MD : Les styles de musique, je les aime tous ; enfin presque tous. J'apprécie le jazz, la musique contemporaine, la pop, le rock. Les Doors sont toujours une des mes influences majeures. Mais auparavant, je n'étais pas capable de créer de la musique 'dance-floor'. Ce n’est pas une musique facile, car elle exige beaucoup de travail et une bonne synchronisation mentale. Il faut être capable de synthétiser ses idées, de structurer ses chansons pour trouver le groove, le conserver, et susciter l'intérêt des gens pour qu'ils continuent à danser. Mais il est clair que je composerai toujours de la musique 'ambient'. Berlin, c'est une chouette ville. Elle inspire la techno ; mais de la dance, il y en a partout.

Au cours du concert, tu as interprété un nouveau titre, « I Dedicate My Life ». Il y en a d'autres ?

MD : Oui, un instrumental intitulé « D1 » ; et puis, un morceau qui n'a pas encore de titre. Il a été composé à Berlin et s’appuie sur un bpm (NDR : beats par minute) très élevé : 260 !
Pierre Guerineau (PG) : C'est comme un 130bpm mais en doubles croches... C'est très...

Frénétique ?

PG : Oui !

Pierre, venons-en à votre duo, Essaie Pas, responsable récemment d’un single baptisé « Danse Sociale »...

PG : Oui, c'est un 7 pouces, que l'on a sorti sur le label franco-belge Teenage Menopause...

De notre ami Elzo Durt...

PG : Et François. C'est un très chouette objet. La pochette est originale. Elle bénéficie d’une trame visuelle animée. C’est lui et un ami qui l’ont conçue…  

Et le label envisage de publier une série de singles qui adoptent ce concept visuel, je crois ?

PG : Oui, dont The Horrorist, et quelques autres.

« Danse Sociale » est, comme son nom l'indique, très 'dance'. La production est très directe et intègre peu d'effets. On a l'impression que le son de la boîte à rythmes est super 'dry'.

PG : Il y a un peu de distorsion et de réverbération sur l'ensemble. C'est différent de ce qu'on faisait avant. Essaie Pas essaie d’explorer de nouveaux horizons, de nouveaux sons et cherche à éviter la redite...

Par contre, la face B, « Ausgang », creuse davantage une veine cinématographique.

MD : C'est un morceau expérimental composé à Berlin, il y a 2 ans.
PG : C'est une improvisation préparée, une compo qu'on aimait, mais qui n'avait pas trouvé sa place sur nos disques. Et c'était sans doute le moment idéal de le sortir. Sur le single, les deux morceaux sont très différents ; ils représentent deux facettes de ce que l'on apprécie.

Les textes abordés sur le dernier elpee de Marie Davidson, « Un Autre Voyage », reposent logiquement sur le voyage. Chaque chanson correspond-t-elle à un moment particulier de vos périples ?

MD : Il n'y a pas nécessairement de moment précis, mais chaque chanson est inspirée par des événements que j'ai vécus, des gens rencontrés, des idées ou des impressions échangées.

« Boulevard Taschereau », par exemple ?

MD : C'est un endroit qui existe vraiment. Il est situé dans la banlieue de Montréal, du côté de la rive sud. On y est allé, il y a deux ans.

Donc, on peut espérer un jour une chanson intitulée « La Villaine » ou « Place Flagey » ? (rires)

MD : Non, il faut que ce soit un peu plus onirique. Je pourrais composer une chanson consacrée au nom d'un bar ; mais il faudrait qu'il s’y produise un événement mémorable. Il y a de l'humour dans mon écriture, mais elle est toujours authentique. Par contre, je n’y exprime pas de dérision…
PG : Si tu voyais le Boulevard Taschereau, tu serais déçu. L’endroit n’est pas particulièrement intéressant.
MD : C'est un échangeur d'autoroutes, entouré de motels, de centres commerciaux...
PG :
C'est un 'non-lieu', un endroit de passage...
MD : ... qui laisse beaucoup de place à l'imagination. On y croise de drôles d'individus ; dont celui qu’on a rencontré et qui nous a raconté son vécu…

Votre musique affiche manifestement un aspect cinématographique ; avez-vous envisagé de composer des B.O. de films ?

MD : On a réalisé celle d'un documentaire. Mais en effet, c'est un rêve pour nous. En fait, un de nos vieux morceaux, une reprise de Jacno, « Anne cherchait l'amour », a servi au premier court-métrage de Larissa Corriveau et Fernando Lopez, « Le Fugitif ». C’est une fiction.
PG : Mais la chanson n'avait pas été enregistrée dans ce but.

Marie, tu prévois la parution d’un nouvel LP ?

MD : Je ne sais pas. Je vais prendre mon temps.

Et une date a-t-elle été fixée pour celui d'Essaie Pas ?

PG : Au mois de janvier. Sur DFA. On est très excités de le voir sortir sur ce label new-yorkais.

DFA est un label notoire !

PG : Il était connu pour le dance-punk, un mélange entre la musique très dansante et en même temps un peu foutraque. Il hébergeait surtout des projets comme LCD Soundsystem, Hot Chip... C'est un peu disco-punk, funk, no-wave, voire noise. Black Dice, Eric Copeland y sont aussi signés. Puis Factory Floor, qui a marché pas mal l'année passée. C'est en assurant la première partie de Factory Floor, à Montréal, qu'on est entrés en contact avec DFA.

C’est un long playing ? Vinyle et CD ?

PG : Oui, vinyle et CD. Il est fini, masterisé. La pochette a été conceptualisée. Il n'y a plus qu'à attendre la sortie.

Quel est son titre?

MD : « Demain est une autre nuit ». Il comporte 8 plages.

Et comme d'habitude, vous y abordez différents styles musicaux ?

MD : Oui, par rapport au premier, il est très concis. Ce sont les mêmes instruments, les mêmes sons, mais la musique communique une forme d’urgence…
PG : Les rythmes sont relativement enlevés et les arrangements sont axés autour des séquences.

Grâce à DFA, vous aurez accès à une distribution et une promotion plus conséquentes…

MD : Oui, bien sûr !
P
G : Ils travaillent avec PiaS en Europe.

Ah oui ? C'est un label belge à l'origine…

PG : Ah bon ? Je ne savais pas.

Oui, ils sont très bien. Ils distribuent des grands noms. Grâce à eux, vous pourrez progresser.

PG : C'est bien pour nous. On va toucher un public qui n’avait pas encore eu le loisir d’écouter ce qu'on fait. C’est une satisfaction.

Passons maintenant aux sélections. Je vous ai proposé de choisir quelques titres récents qui vous ont séduits.

MD : Je recommande d'écouter « Gold Mirror » de Night Musik. Cet artiste est originaire d'Ottawa. Il a vécu à Montréal et s’est aujourd’hui expatrié à Berlin. Il a sorti son premier album sur Mind Records à Paris. Il est excellent.
PG : J'ai choisi Ran May, un artiste montréalais. Il relève d’un jeune label, Neuromodulation. Il s’inscrit plutôt dans la veine techno-industrielle, mais très atmosphérique. La chanson s’intitule « Construction d'Agencements ». Sur cette firme de disques, militent également  Harmaline, qui est de LA, mais également Ater Charta, Ginger Breaker, Vox Nihili. Ce sont tous de jeunes musiciens avec lesquels on a des affinités. Je les aide parfois pour des productions, des masterings.
MD : La 3ème sélection, c'est Symbol, le projet solo de Christopher Royal King. Egalement chez Holodeck Records. Il joue au sein d’une formation américaine qui jouit d’une solide réputation : This Will Destroy You. Son projet solo est magnifique. Il est 100% modulaire, ambient, cinématographique, intemporel. Une de mes parutions préférées de ces dernières années.

Je vous ai aussi proposé de choisir quelques titres qui ont été fondateurs de votre culture musicale au début de votre parcours ?

PG : Oui, pour moi, c'est une composition du chanteur français Christophe, « Voie Sans Issue ». Elle est parue en face B de « J'l'ai Pas Touchée ». Ce titre est incroyable, complètement électronique.
MD : Perso, il est difficile d'identifier des morceaux fondateurs, car la musique est un flot continu dans ma vie depuis l'enfance. Mais je peux citer quelques compos qui m'ont inspirée et ouvert des portes. Le « Alleys of your mind » de Cybotron m'a ainsi permis de découvrir la early-techno issue de Detroit. La formation a été influencée par Kraftwerk, le funk, l'electrofunk et la musique électronique avant-gardiste. Un artiste plus moderne qui m'a également marqué au cours des dernières années, c'est Function ; et tout particulièrement la chanson « Against The Wall ». Il est américain, mais vit à Berlin. Sinon, mes références oscillent entre la musique contemporaine, les musiques de film, l'italo-disco et le disco en général. Giorgio Moroder restera toujours une influence incontournable. Et certains producteurs comme Mike Mareen. Notamment son morceau Dancing In The Dark ».

Enfin, quelles impressions gardez-vous de la Belgique ?

PG : C'est la 3ème fois qu'on y vient et c'est toujours un plaisir. C'est ici qu'on a commencé la tournée et qu'on la finit. C'est symbolique : on a une amitié particulière avec Bruxelles, la Belgique.
MD : On apprécie s’y produire ; les gens sont ouverts d'esprit. Il y a toujours de bonnes soirées, de bons concerts et on y rencontre de bons amis. La culture musicale y est bonne.
PG : Et en plus, Bruxelles est une ville très cosmopolite et très agréable à fréquenter...

Pour écouter l'interview en audio sur Mixcloud dans le cadre de l'émission WΛVES (Radio Vibration), c’est ici 

Pour écouter et acheter « Un Autre Voyage » de Marie Davidson, c’est là 

Pour écouter et acheter le 7'' de Essaie Pas, c’est encore ici

 

 

Orchestral Manœuvres in The Dark (OMD)

On a encore quelque chose à dire !

Paul Humphreys, cofondateur d'Orchestral Manoeuvres in the Dark (OMD), est un gentleman. En pénétrant dans sa loge du BSF, son grand sourire et sa simplicité forcent l'admiration. Qui pourrait croire que lui et son compère, Andy McCluskey, ont vendu plus de 40 millions de disques ? Une modestie qui est la marque des plus grands.

L’interview de Paul Humphreys se déroule avant le concert que le groupe va accorder sur la Place des Palais, en cette soirée de clôture du festival. Après John Foxx et Peter Hook, votre serviteur a la chance de côtoyer un autre de ses héros. Paul n'a pas tellement changé depuis les années 80. Evidemment, ses cheveux ont viré au gris, mais il a toujours cette bonne bouille de bébé rayonnant qui fait son charme.

La première question est très classique, elle concerne le patronyme du groupe. ‘Manoeuvres orchestrales dans l'obscurité’, c’est presque un gag, non ? « En fait, nous avions reçu un appel téléphonique émanant du Eric's Club à Liverpool », raconte Paul. « C'était en 1978. Les organisateurs nous proposaient d’assurer la première partie de Joy Division. On a répondu qu’on aimerait beaucoup le faire! Le gars nous a demandé alors : « C'est quoi le nom de votre groupe ? » On n'en avait pas. Il a ajouté : ‘Vous avez deux heures avant que nous imprimions les affiches’. Alors nous avons couru vers la maison d'Andy. A l'époque, on notait toutes nos idées de chansons sur le mur. On a parcouru la liste et quand on a lu ‘Orchestral Manoeuvres in the Dark’, on en a conclu qu’il nous distinguerait des autres formations. » Issues du punk, sans doute ? « Oui, Eric's Club était un club punk et nous voulions nous différencier. En plus, on était convaincu de ne jouer qu’un seul concert ; donc ce choix n’avait aucune importance » (rires).

Le destin en décidera autrement. En fait, l’épouse de Tony Wilson, le patron de Factory Records, la compagnie de disques de Joy Division, est tombée sous le charme de leur musique et elle a insisté auprès de son mari pour qu'il les prenne sous son aile. Pour Wilson, OMD était beaucoup trop pop, mais il accepte néanmoins de les engager à l’essai. OMD est donc invité à enregistrer un premier single, ‘Electricity’, sous la houlette de Martin Hannett, le légendaire producteur qui a, entre autres, créé le son de Joy Division. Petit problème : Andy et Paul ne sont pas satisfaits du résultat ! « En fait, nous avons accepté sa version d’‘Almost’, qui figurait en face B », rectifie Paul. « Mais celle d'‘Electricity’ était un peu trop 'ambient' à notre goût. Nous en souhaitions une plus dense, plus électro. Nous préférions la nôtre à celle de Martin, même si nous étions fans de son travail. C'était juste pas ce qu'on voulait. »

C'est donc la mouture enregistrée en compagnie de Paul Collister qui devient le très recherché single ‘FAC6’ de Factory Records. Grâce à cette carte de visite, OMD signe un contrat juteux chez Dindisc, une filiale de Virgin. « Andy et moi, nous avons alors décidé de consacrer l’argent encaissé, à l’achat d’un équipement studio. Nous avons construit le nôtre, conscients qu’il n’existait pas de marché pour ce type de musique et qu’en définitive, on allait être largués après le premier elpee. Mais au moins, on disposerait de notre propre studio ! »

Une fois de plus, le destin va en décider autrement. La 3ème version d'‘Electricity’, enregistrée dans leurs nouvelles installations, opère son entrée dans les charts anglais et européens, lançant ainsi leur carrière. Paul insiste beaucoup sur le contrôle qu'ils ont constamment voulu avoir sur leur son. « Andy et moi avons toujours eu une idée très claire de la façon dont notre musique doit sonner. C’est pourquoi nous avons régulièrement rencontré des problèmes auprès des producteurs. Nous avons même bossé en compagnie de Toni Visconti sur l’LP ‘Junk Culture’. Visconti a produit des disques fabuleux pour David Bowie et bien d'autres, mais il ne convenait pas pour nous. Dans son livre, il a écrit qu'on comptait trop sur la technologie. Mais nous sommes un groupe électro ; bien sûr que nous tirons parti de la technologie! » (rires)

Ce côté technologique, OMD le doit certainement à Kraftwerk, les pionniers allemands de la musique électronique. Le génie d'OMD a été de marier la technologie de Kraftwerk, le côté proto-punk hypnotique de Neu! et l’aspect sombre de la new wave. Paul Humphreys approuve mon analyse. « Quand nous avons commencé, nous écoutions 5 groupes ou artistes : Kraftwerk, Neu!, LA Düsseldorf, Can et David Bowie. Egalement le Roxy Music des débuts, celui de Brian Eno. Quand ce dernier a quitté Roxy, nous avons continué à suivre son parcours. C'est grâce à lui que nous avons acquis ce côté mélancolique, je pense… »

Il est vrai que le rôle d'Eno a été prépondérant dans la naissance de la new wave, surtout le feeling sombre, le ‘Weltschmerz’, le ‘Spleen’, que l'on rencontre sur les albums de Bowie dans sa période berlinoise. En intégrant, cette ‘noirceur’, Humphreys et McCluskey ont contribué à définir le son de la new wave électronique. Etonnant, mais certains artistes ont, au même moment, développé une musique similaire. Notamment The Human League et Gary Numan. Hasard ou synchronisme ? « A l'époque, Internet n’existait pas », explique Paul. « Nous n'avions aucune idée de l'existence de ces autres formations. En fait, certains magasins de disques importaient de la musique allemande. Et je pense que nous l’avons tous découverte au même moment. Personne n'était plus choqué que nous quand Gary Numan a atteint le numéro ‘1’ des charts grâce à ‘Are Friends Electric’. On s'est dit : ‘Il vient d'où, celui-là ?!’ Puis, nous nous sommes aperçus que nous n’étions pas les seuls à partager les mêmes influences. »

Parmi ces pionniers, n'oublions pas John Foxx ! Rappelons que ‘Hiroshima, mon amour’, un titre qui date de 1977, est probablement le premier titre 100% électronique new wave de l'histoire de la musique. Sur ce point également, Paul abonde dans le même sens. « Oui, je pense que c'est vrai. J'aime beaucoup John Foxx. Il a tourné avec nous en 2013. Très chouette de vivre en sa compagnie. Et puis, c'est un gars adorable ! » Ayant eu la chance de l'interviewer, votre serviteur ne peut que confirmer, ajoutant même que son attitude, très 'gentleman', donne envie de l'appeler 'Sir'. « Exactement », confirme Paul. « Il a ce style typiquement britannique. »

Impossible de ne pas parler de synthétiseurs quand on a devant soi un ‘synth wizard’ comme Paul Humphreys. Il paraît même qu'il construit lui-même des synthés. Est-ce une légende ? « Au début, on était fauchés ; donc j'ai fabriqué des synthés, c'est vrai. On les entend sur le premier long playing. J'ai aussi façonné une batterie électronique très 'kraftwerkienne', qu'on entend sur ‘Almost’. Après, elle est tombée en panne et je m’en suis débarrassée. Je la regrette maintenant ! »

Comme pas mal de groupes issus des eighties, OMD a connu un passage à vide pendant les périodes 'grunge' et 'britpop' des années 90 et 2000. Mais en 2006, le tandem est à nouveau rattrapé par le destin. « On a eu l'occasion de jouer quelques concerts. On s'est demandé qui peut encore être intéressé par OMD aujourd'hui ? Nous avions été absents pendant 10 ans. On a décidé d’accorder 9 prestations afin d’y interpréter ‘Architecture & Morality’, dans son intégralité. Certaines chansons n'avaient jamais été exécutées en ‘live’ et c'est de toute façon un LP emblématique. Les 9 spectacles ont été sold out en quelques heures et on a fini par aligner 49 dates. Soudainement, nous étions de retour… »

Petit problème technique : comment se débrouille-t-on pour rejouer les anciens morceaux à l'identique quand on n'a plus les synthés originaux ? « On a été obligé de racheter tous les synthés ! Je me souviens même qu'à un certain moment, on avait besoin d'un Korg Micro-Preset ; et, Andy et moi, on s’est mis à renchérir l'un contre l'autre, sans le savoir, sur eBay, pour l’acquérir ! » Pas question, par contre, d’emporter sur la route, ces vieux synthés. « Non, ils ne sont pas fiables. Ils se désaccordent et il faut avoir tout en double. Donc, on a échantillonné les sons. Ce qui exige beaucoup de mémoire mais les synthés modernes, comme la station Roland Fantom, peuvent y parvenir sans problème. »

Et si on parlait de la Belgique ? « On aime beaucoup la Belgique ! Nous y avons vécu pendant plusieurs mois, dans les eighties ! Nous avons loué une ferme près de De Haan (NDLR : Le Coq) pour y travailler. » N'est-ce pas là qu'a été enregistrée la version 'dub' de ‘Julia's Song’, qui vient de ressortir il y a quelques mois ? « En effet ! On l’a réalisée avec la section de cuivres des Frères Weir... »

Toujours concernant la Belgique, OMD a également travaillé en compagnie de la formation malinoise Metroland. « Oui, quand nous avons achevé la chanson intitulée ‘Metroland’, on s’est rendu compte qu’il existait un groupe baptisé Metroland. Donc, on les a contactés et il s'est avéré qu’il s’agissait de grands fans, donc ils ont réalisé un remix du morceau ! » Malheureusement, un des gars de Metroland, Louis, est décédé récemment… « Je sais, c'est tellement triste... »

A propos, n’est-il pas bizarre pour vous, de revenir dans le parcours, après autant d'années d’absence ? N'est-ce pas un peu comme si on vous avait accordé une seconde vie ? « Oui, c'est tout à fait ça ! Mais en même temps, on ne veut pas passer pour un groupe 'rétro', incarner un pastiche de nous-mêmes. Nous avons astreint notre reformation à une condition : avoir encore quelque chose à dire ». Donc, on est retournés en studio et on s'est rendu compte qu'on éprouvait encore beaucoup de plaisir à composer ensemble. Et manifestement, on a encore quelque chose à dire ! Ce qui a débouché sur la confection d’‘English Electric’, un album dont nous sommes très fiers. »

Y a-t-il de nouvelles compos en préparation ? « Nous disposons déjà de 5 chansons pour le prochain disque. Il paraîtra l’an prochain » Thank you, Paul ! « My pleasure... »

Merci à Nicky du BSF, à Simon Fuller, le tour manager d'OMD et bien sûr à Paul Humphreys ainsi qu’à Andy McCluskey.

Pour voir la vidéo d’OMD interprétant « Electricity » au BSF, c’est ici 

 

 

Cédric Gervy

Sans langue de bois…

Écrit par

C’est dans le cadre verdoyant du LaSemo que Cédric Gervy a accordé une interview à Musiczine. Un personnage particulièrement humain, disponible et d’une sincérité à toute épreuve. Sans langue de bois, il se livre au jeu des questions/réponses pour notre plus grand bonheur.

Les thèmes de tes chansons sont souvent dénués de tout stéréotypes et bien éloignés de ce fameux ‘compromis à la Belge’. N’est-il pas trop difficile de s’exprimer sous cette forme, où tout doit être politiquement correct ?

C’est une très bonne question ! Effectivement, je crains que mon discours puisse écorcher certaines âmes susceptibles. J’aborde des sujets qui peuvent effectivement parfois heurter la sensibilité des uns et des autres. La religion est un bon exemple ! L’exercice de style consiste à oser exprimer des propos virulents sur un ton sympathique. Je ne tiens pas à me mettre à dos qui que ce soit. Et ne suis pas davantage un donneur de leçons. On peut me contredire. Je n’ai pas la prétention d’avoir raison sur tout ! Au final, mes textes reflètent assez bien ce que je suis.

Te considères-tu comme un chanteur engagé ?

C’est une formule un peu bizarre parce que j’ai l’impression qu’elle renvoie aux manifestations socialistes. A mes débuts, mes textes n’étaient pas du tout engagés ! Ils se contentaient d’aligner des jeux de mots ‘en rafale’. A l’image de ce que peut proposer Sttellla. J’alterne des sujets légers et puis contestataires. Un artiste comme Renaud m’influence pas mal ! Je ne manifeste pas, mais les chansons me permettent, il est vrai, de mettre en exergue les travers de la société.

Comment appréhender tes albums ? Comme une récréation, une blague potache ou un cri du cœur ?

Il n’existe pas, à vrai dire, de grosse production autour de mes disques. C’est du ‘fait maison’. Ils sont réalisés chez des amis et les arrangements ne nécessitent pas la location d’un studio pendant plusieurs semaines. Lorsque les pistes sont pressées, je suis soulagé ! Il y a évidemment du potache. Lorsque j’ai enregistré cet album, le 22 novembre 2013, j’avais une opinion particulière sur un tas de choses. Sur scène, je risque de nuancer le propos en fonction des fluctuations de l’actualité. Certaines thématiques doivent être réactualisées parce qu’elles sont tout simplement devenues obsolètes ou sans intérêt.

Les textes abordent très souvent des sujets négatifs comme la crise, le divorce, l’addiction au jeu, … Combien en as-tu rédigés de positifs ?

Figure-toi que ma petite femme m’a dit un jour d’écrire des textes positifs ! J’ai donc accompli le chemin inverse en compilant un journal de bonnes nouvelles. Aujourd’hui, le concert débutera dans ce climat ! J’y aborde tout ce dont j’ai envie ! Il s’agit d’une pure utopie, j’en suis conscient. Et lorsqu’on l’écoute, on se rend compte que la vie serait bien plus agréable, si ces idées pouvaient se concrétiser… Ces textes ne sont pas les plus faciles à écrire ; surtout, si mentalement, tu n’es pas dans cette dynamique. Certains chanteurs y parviennent ! Mon créneau est de pointer du doigt les travers de la vie, en y ajoutant une pointe d’humour. J’aime aussi développer des thèmes plus abstraits. La Playstation, par exemple ! Je n’y aborde pas l’addiction aux jeux, mais cette compo est un tremplin à calembours. Parfois, je suis plus ‘terre à terre’. Ainsi, celui du divorce me plaît parce qu’il est universel. Il touche tellement de monde aujourd’hui. Ce qui est intéressant dans ce métier, c’est cette faculté dont on dispose pour émouvoir, puis déclencher le rire l’instant d’après.

Comment se déroule le processus d’écriture ? Pars-tu d’un sujet en particulier ou préfères-tu noter en vrac toutes les idées qui te passent par la tête pour les réunir ensuite dans un but précis ?

Le processus varie ! Parfois, j’ai une idée claire et le texte s’articule autour de celle-ci. J’y travaille constamment jusqu’à l’obtention d’un produit fini. Quelquefois, des tas de petites idées me traversent l’esprit. Je les note et lorsque j’ai suffisamment de matière, je compose une chanson. La question est de savoir si les gens ont besoin d’entendre dans une seule et même chanson, une thématique précise ou une kyrielle d’informations tous azimuts… Ont-il envie d’un morceau qui se consacre exclusivement aux problèmes rencontrés par la Grèce ? Sur le fric dans le foot ? Je pense qu’il vaut mieux en parler une fois ou deux et puis passer à autre chose, le message en sera d’autant mieux compris.

Les fans insulaires ont certainement remarqué que tu adaptes le titre « Bonne année quand même », en fonction de l’actualité. Lors d’un spectacle, tu as ajouté, entre autres trouvailles : ‘Paraît que même en Tunisie, dans les musées, on s’éclate’. Ce n’est pas un peu audacieux ?

Il serait évidemment malsain de le chanter devant une victime de ces horribles événements ! Charlie Hebdo est un bon exemple. Pendant vingt-quatre heures, on a subi l’onde de choc. Tout le monde a broyé du noir. On ne voyait que du sang. Et puis, les premières blagues sont apparues. Je crois qu’un sujet, même grave, doit continuer d’exister. Il suffit de lui donner la dose d’humour nécessaire pour que la pilule passe mieux. Sinon, on ne pourra plus parler de rien ! Le monde va déjà tellement mal, vu tout ce qui s’y passe. Aussi, si tu restes dans le noir, on te vend la corde afin de t’y pendre ! Je me souviens d’un jour où j’interprétais un texte abordant la religion. Une vieille dame est venue me sermonner arguant du fait que je n’avais rien compris. Je me suis excusé de l’avoir choquée, tout en assumant parfaitement mes propos, d’autant plus que les personnes qui m’entouraient, abondaient dans mon sens. Tu ne peux pas le changer en fonction du public cible. Je n’aime ni les compromis, ni la langue de bois. Donc, je dis les choses telles que je les perçois. Si mes propos ne plaisent pas, les censeurs sont libres de penser ce qu’ils veulent.

A propos, combien de versions existe-t-il de cette chanson ?

Depuis qu’elle a été créée, il doit y avoir, à mon avis, approximativement 180 ! Je ne la modifie évidemment pas complètement, à chaque concert. Seulement quelques phrases en fonction de l’actualité du moment. Le reste est pertinent et doit, de facto, le rester ! Prends un gars comme Jean-Luc Delarue. J’en parle sur ce morceau. Aujourd’hui encore, tout le monde s’en souvient ! Ce gars était un ‘golden boy’ à qui tout a réussi. Puis, quasi du jour au lendemain, il meurt à la suite de sa consommation de saloperies.

Si tu devais en interpréter là une, à brûle-pourpoint, quels sont les éléments sur lesquels tu insisterais ?

Aujourd’hui est une journée particulière ! Je suis hyper content d’être ici ! Je connais plein de monde. Tout est mis en œuvre afin que chacun soit installé dans les meilleures conditions qui soient. Je suis sur un nuage rose en quelque sorte. Si je devais en composer une, là maintenant, elle serait forcément positive. Mais, spontanément, rien ne me vient en tête.

Exerces-tu une autocensure dans ton écriture ?

Oui, évidemment ! Dans un texte, j’avais glissé ‘Fils de pute !’. Mais, cette expression est tellement moche que je l’ai remplacée par « Fils de P*** ! ».

Un blanc a substitué le mot…

Je n’aime pas l’idée que quelqu’un puisse se sentir blessé par ce genre de propos ! C’est la raison pour laquelle, j’essaie, dans la mesure du possible, de faire très attention à ce que je dis. Je ne supporterais pas qu’un enfant de dix ans écoute des grossièretés ! Tu sais, j’ai parfois assisté à des concerts de rap ; et j’ai été effaré par le verbiage… J’appartiens à cette catégorie de gens qui restent convaincus que l’on peut faire passer des idées revendicatives sans pour autant avoir recours aux insultes… Ce sont les fautes d’orthographe de la langue en quelque sorte !

Lorsqu’on écoute « Putain, j’ai failli être connu », on a l’impression que le star-système t’effraie alors qu’il fait partie du jeu finalement ?

Ce n’est pas qu’il m’effraie… A ma toute petite échelle, j’ai écumé certaines grosses scènes lorsque j’étais en formule groupe. Je me suis rendu compte, assez rapidement, que le côté surfait du métier ne me convenait pas. Je préfère, de loin, côtoyer la population et me payer une pita dégueulasse à l’aide de mes propres deniers, plutôt que de m’isoler et de prendre le repas qui est offert aux artistes par l’organisateur. Certains ont besoin de ce service. Moi pas ! Dans ce métier, on est également confronté à l’aspect ‘langue de pute’. Comme dans la publicité, la télévision ou encore le journalisme d’ailleurs. Je ne suis pas chanteur professionnel ! Mais professeur dans le secondaire. Il faut relativiser ! Ce sont des attitudes qui ne me plaisaient pas tellement et je pense ne pas avoir les épaules suffisamment larges pour supporter ce fardeau. J’aime mon approche artisanale ! Je n’ai pas besoin de roadies pour transporter mon matos. Se produire seul te préserve de tout cette logistique ; tu ne stresses pas, parce l’ingé son est en retard, etc. Ce sont des événements que j’ai vécus, à l’époque, dans le groupe… Un jour, j’ai tout arrêté parce que je voulais redevenir moi, c'est-à-dire un gars dans une formule épurée où je me sentais bien… Les compliments me sont directement destinés et dès que quelque chose ne va pas, c’est pour ma gueule…

Impossible donc de te revoir sur les planches en formule collective ?

Je m’entends très bien avec mon ancien band ! On s’est revu récemment lors de l’anniversaire de la Maison des Jeunes grâce à laquelle nous avons accompli nos premiers pas. Je joue quand même au sein d’une formation, mais les chansons sont écrites en anglais, sous un format qui n’a absolument rien à voir avec ce que je réalise actuellement. J’aime reprendre ma guitare électrique pour en extraire de petits effets. J’ai changé de direction le jour où les gens qui venaient me voir me confiaient que le son était tellement fort qu’ils ne percevaient même plus les paroles. J’ai donc repris ma gratte acoustique. La musique ne doit pas être que festive ! J’aime également qu’on entende le message véhiculé. La formule solo m’offre beaucoup de liberté : je m’arrête quand je veux, je peux casser une corde sans devoir stopper le concert. Je peux devenir un peu sournois. Je peux changer l’ordre de la set list… Dans une de celles-ci, quand je chante ‘J’y suis allé, j’en suis revenu’, c’est pour dénoncer ces travers. Je ne crache pas dans la soupe non plus ! Je respecte mes anciens collaborateurs. Mais, je me suis senti au bord du gouffre et j’avais trop à perdre en m’y jetant. C’était la porte ouverte aux excès en tout genre. Il y avait sans doute plus de pognon à récolter, mais je n’étais pas taillé pour cette aventure. Je m’en suis rendu compte. D’ailleurs, mon entourage me signalait que je changeais de comportement. Que je commençais à devenir arrogant… et j’ai préféré arrêter avant que la désillusion n’aille trop loin.

Que penses-tu de l’étiquette de ‘chanteur sérieux’, mais ne s’y prenant pas trop ?

Si ce n’est pas chanteur chiant, je veux bien (rire). Quand j’ai commencé on me comparait à  Sttella, Les Gauff’, et quelques autres du genre… Je les adore. J’étais aussi très fan de Renaud. Aujourd’hui, je me produis entre Bénabar et les Wampas. Finalement, c’est une chouette synthèse de mon profil. Je suis capable de proposer des trucs très rock’n’roll, comme les Wampas, puis d’aborder des sujets qui suscitent la réflexion. Si tout le monde s’y retrouve, j’ai tout gagné ! On m’a déjà signifié que je faisais du Krol en chanson. J’estime que c’est un très joli compliment. Le jour où je le rencontre, j’en serai très heureux. 

Penses-tu que ton concept pourrait s’exporter au-delà de nos frontières ou alors doit-on considérer la belgitude comme un concept figé et totalement insoluble ?

Perso, je me sens très belge et je crois avoir un petit côté ‘Renard et les raisins’. Je ne parviens pas à percer en France parce que je n’ai pas la structure adéquate. J’y ai joué à quelques reprises quand même ! A chaque fois, je devais adapter mes chansons. Je ne pouvais pas parler de Michel Daerden, parce qu’il est complètement méconnu là-bas. Je devais le remplacer par un politicien français. Il y a même des mots qu’il fallait changer ! Par exemple, outre-Quiévrain, on ne dit pas ‘torchon’, mais ‘serviette’, en caricaturant à peine. J’ai adoré ce public, car il est très réceptif. Je crois que l’on profite aussi d’un vent favorable qui souffle sur la Belgique, phénomène très bien incarné par Poelvoorde ou Geluck, par exemple. On a passé le cap des bonnes vieilles blagues belges pourries. Mon pays est un vivier de personnalités ! J’adore en parler ; et notamment de celles et ceux qui font l’actualité, comme Bart de Wever... De partager les même avis, car ce entourage à lu les mêmes journaux ou regardé les mêmes infos télévisées que moi ! Encore une fois, je ne suis pas chanteur professionnel et je n’ai pas l’occasion d’écumer, pendant des semaines, baluchon sur le dos, les salles de l’Hexagone. Je le ressens d’ailleurs un peu comme une frustration ! J’adorerais que l’on m’y invite ainsi qu’en Suisse ou au Canada où j’ai déjà participé aux trois Francos, grâce à celles de Spa. C’était une expérience fabuleuse. Mais j’ai été tout aussi heureux de me produire à Angre (NDR : petit village dans les Honnelles) et dans tous ces petits lieux bien sympathiques aussi. C’est mon terreau. Tu y croises des connaissances, des futurs amis, des anciens élèves qui ont bien grandi, … J’aime cette proximité ! C’est la raison pour laquelle je ne travaille avec aucune structure

De qui te sens-tu proche artistiquement ?

J’adore des artistes comme Souchon, Gainsbourg, Brel, Brassens, Renaud, Goldman, … J’aime aussi des artistes belges moins connus et en compagnie desquels j’ai assuré certaines premières parties. Ma culture est plutôt pop/rock, mais aussi métal. On ne l’entend peut-être pas à premier abord, car ma musique a un aspect plutôt ‘boy scout’ ; mais dans les paroles, cette référence est plus perceptible, parce que je m’en inspire. Par contre, je ne m’inscris absolument pas dans la veine de la world music… je ne la maîtrise pas du tout ! En outre, je reste aussi sensible à la scène contemporaine ! Je peux flasher sur une chanson, un texte ou encore une voix ! J’aimais par exemple un gars comme Bashung. Mais, je n’ai pas apprécié l’ensemble de sa carrière. Pareil pour Thiéfaine. On décèle des horreurs chez tout le monde, en fin de compte ! On ne peut pas aimer la totalité de la carrière d’un artiste ou d’un groupe au final… ou alors il n’y a qu’un seul album, ce qui arrive parfois (rires).

La symbolique de la fête nationale belge évoque-t-elle encore un sentiment particulier chez toi ?

A vrai dire, je n’ai pas beaucoup d’estime pour tout ce qui gravite autour de la royauté. C’est beaucoup de pognon et de tensions pour pas grand-chose ! Elle cimente aussi ce combat flamand/wallon. Je me sens très belge. J’adore le plat pays, malgré ses aberrations et contradictions, et jamais je n’irai vivre ailleurs. La Belgique possède un côté surréaliste qui n’existe nulle part ailleurs ! En France, tu ne retrouves pas ce second degré… Je ne suis pas un grand voyageur, donc il est difficile de porter un regard critique sur ce qui se passe dans d’autres contrées… J’espère que cette nation vivra encore longtemps ! J’essaie de la défendre comme je peux et si mes petits concerts parviennent à réveiller certaines consciences, tant mieux ! Je ne participe pas pour autant au Te Deum (rire). Le côté festif du 21 juillet me réjouit, comme la plupart des Belges.

Demandes-tu encore à tes élèves, quels sont ceux issus de parents divorcés ?

Absolument ! Ce qui me permet de mieux les connaître ! Parfois, tu marches sur des œufs, parce que certains enfants ont perdu leurs parents. J’en ai régulièrement en classe ; et lorsque je vois leur visage se décomposer, j’en comprends les raisons… A sein de mon école, les relations vont au-delà du rapport purement scolaire. Certains élèves me font parfois des confidences. J’ai un côté ‘grand frère’ qui me flatte énormément. C’est quasi le seul métier où tu peux avoir ce genre de rapports. Je côtoie des étudiants deux fois plus jeunes que moi. Mes parents n’étaient pas divorcés ! Aujourd’hui, un couple sur trois se sépare ! J’ai presque envie de dire que, dans certaines situations, c’est mieux ! Je connais des couples recomposés qui s’aiment nettement plus que lors de leur relation précédente…

 

Joe BeL

A l’instinct…

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Elle est belle, rousse et a des yeux noisette. Une jeune artiste pleine de talent. Elle est timide aussi, mais capable de se transcender sur les planches. Et nous vient de Lyon. Joe BeL se produira dans le cadre du Brussels Summer Festival le 18 août 2015 et le 29 janvier 2016 au Club de l'Ancienne Belgique. Chaude, sa voix campe un hybride entre Nneka, Selah Sue, Nina Simone, Norah Jones et BJ Scott, le grain soul de Sarah Carlier, en plus. Elle a accordé une interview à Musiczine, dans le Château du Parc d'Enghien, lors du festival LaSemo.

Alors que tu suivais des cours d’histoire de l’Art, tu as quitté prématurément tes études, pour te lancer dans l’univers de la musique. Pas de regrets ?

Pas du tout. Mais, il est vrai que j’ai pris un risque. Ce monde m’était totalement inconnu. J'écrivais déjà beaucoup de chansons. A un certain moment, j’ai voulu partager cette passion avec d’autres ; et je n’ai plus eu le choix. C'est le point de départ.

Par quel hasard as-tu rencontré Asaf Avidan ?

Un coup de bol. Son producteur de spectacles lui avait proposé plusieurs artistes pour assurer le supporting act. Je figurais dans la liste. Je l’ignorais. Deux semaines avant de partir, j’ai reçu un coup de fil pour me signaler qu’Asaf m’avait choisie pour l’accompagner sur sa tournée. J'ai accepté et tout annulé tout ce que j'avais prévu. Et je l’ai suivi. C'était en 2013.

Quel est ton parcours musical ? Et à partir de quel moment as-tu décidé de t’entourer de collaborateurs ?

Je me suis produit sous différentes formules. D'abord, en solo avec ma guitare acoustique et ma voix. Puis en duo. Il y a deux ans. Benoît Richou alterne alors entre guitare et basse. Enfin, en trio. Lorsque Jean Prat est venu nous rejoindre pour assurer les drums. Nous sommes tous issus de Lyon. Je me consacre également au piano et Jean au synthétiseur. Fin janvier 2016, c’est sous ce line up que nous nous produirons au Club de l'Ancienne Belgique.

Ta chanson « Ten » abord le thème des premiers amours difficiles. Soit ça passe ou ça casse. Du vécu ?

Tomber amoureux une seconde fois est de l’ordre du possible. Souvent on imagine qu’on ne pourra jamais retrouver une relation aussi intense. Dans la vie, en général, on peut vivre des tas de premières fois. Mais ces histoires seront systématiquement différentes. Elles peuvent même devenir aussi fortes, si pas plus. Mais pas la peine de se faire de fausses idées, en amour, on ne revivra jamais le même scénario.

« Stronger » est une compo fragile. Est-ce le reflet de ta personnalité ?

Oui, je suis fragile et je l'assume. Nous avons tous des faiblesses. Ce qui va nous rendre plus fort, c’est de s'en rendre compte et les assumer, au lieu de les cacher, à soi-même est aux autres, pour paraître invincible. Il est important de bien connaître ses propres failles, et ne pas craindre de les révéler à autrui. C'est cela la vraie force. Et c’est le thème de cette chanson.

Lors de tes concerts, et je l’ai encore remarqué aujourd’hui, certains spectateurs son inattentifs et bavardent. C’est dérangeant ?

Au début de ma carrière, cette attitude m'indisposait quelque peu et surtout me déconcentrait. Comme je n’avais pas encore suffisamment de planches, j'étais perturbée. Lorsque j’assiste personnellement à un spectacle, il m’arrive de causer avec mon entourage, tout en écoutant la musique. Parler ne veut pas dire que les spectateurs s’ennuient. Peut-être ont-ils envie d’échanger leurs impressions. Mais lorsque certains individus se mettent à élever la voix ou à hurler, c’est parce qu’ils se fichent royalement du concert. En plein air, l’agitation apporte de la vie au show. Les conversations. Les mouvements de la foule. Certains spectateurs débarquent, d’autres partent, puis reviennent. Certains écoutent ou dansent, d’autres pas. C'est animé et ce remue-ménage me plaît.

Apparemment, tu apprécies le public belge, et c’est réciproque…

Effectivement, je l’ai encore signalé au cours du concert. Et j’y pensais encore, il y a 5 minutes. Qu’a-t-il de si différent ? Peut-être l’envie d’être heureux ensemble. De partager certains moments. D’être là et de ne pas constamment juger. Je ne sais pas. Je ne veux pas émettre de comparaison avec d'autres endroits ; mais simplement qu’humainement, il en émane quelque chose de beau.

De festif surtout, tu ne penses pas ?

Absolument. J'espère revenir le plus souvent possible en Belgique. Chaque fois, l’ambiance y est particulière. Les Belges ont une envie de kiffer la vie.

Ce qui explique pourquoi tu te produis à LaSemo, puis à Louvain-La-Plage, au BSF et en fin à l'AB. Tu ne vas plus nous quitter ?

C’est parce que je me m’y sens bien. Et pas seulement à cause des concerts. J’ai déjà eu envie de m'y installer. J'y réfléchis. L’état d’esprit et la relation entre les gens me plaisent. C'est la base de l’existence.

Tu aimes te produire sur les planches ?

Oui, c'est l’endroit où la musique prend vie. Enregistrer en studio est passionnant. Ecouter un disque chez soi aussi. Mais le live contribue au partage. Se produire devant un auditoire, c’est ce qu'il y a de plus beau. C'est sûr.

Tu as assuré les premières parties d'Ayo et Milow. Tu en gardes de bons souvenirs ?

Que de bons souvenirs. Milow est un mec super, génial, hyper généreux et particulièrement sympa.

On en arrive à la question bateau, celle des influences. Elles sont surtout américaines, insulaires ou françaises ?

Perso, le dieu absolu, c’est Stevie Wonder. « Innervisions », son album paru en 1973, constitue le disque de référence. J’apprécie également la pop anglaise. La plus mélodieuse. Qui a l’air simple, mais pas si simple qu’elle ne paraît. Paul McCartney est mon autre idole. Je suis plus Paul que John. Mais les Beatles demeurent la source de la musique contemporaine. L'afrobeat me botte également. Surtout lorsqu’elle prend une coloration funk. Celle de Fela Kuti, par exemple, qui a marqué les années 70. La musique africaine est très chaleureuse. Elle me transporte. Ses rythmes endiablés m'inspirent, m’hypnotisent. Je n’ai jamais mis les pieds en Afrique profonde, et je ne sais pas pourquoi. J'aimerai beaucoup m’y produire et assister à des concerts…

Ton dictaphone t’accompagne partout. C’est pour immortaliser les bruits de la vie ?

C’est exact. Dès que j'entends un bruit qui m'intéresse ou qui m'interpelle, je l'enregistre. Mon inspiration se manifeste le plus souvent quand je marche dans la rue. Ou lorsque je me déplace en bus, en camion ou en voiture, pendant une tournée. Sans son concours, mes idées s’envolent…

Un premier elpee en préparation ?

J'ai tourné dans un film en France. Il sortira fin 2015. J’y joue le rôle d’une chanteuse. Et j’y interprète mes propres chansons. Ce premier album devrait paraître au printemps 2016, juste après le lancement de ce long métrage.

Joe, utilises-tu ta voix comme un instrument ou te sert-elle à simplement accompagner les mélodies et des harmonies? Elle est sableuse, rocailleuse, un peu soul également, tu la travailles ou est-elle naturelle ?

Difficile de répondre à cette question. Je pense que j'utilise ma voix comme un autre instrument. Je compose tout de a à z pour tous les instruments : la ligne de basse, les guitares, les claviers et la batterie. La voix, c’est un instrument qui se sert de mots. Il apporte ainsi un. Je dois t'avouer que je ne la perfectionne pas du tout. Maintenant que c’est devenu mon outil de travail, je devrais y penser…   

Es-tu instinctive, intro ou extravertie ou encore passionnée ?

Tout ce que tu as dit sauf extravertie. Monter sur les planches exige un effort pour moi. Ce n’est pas comme si j’allais faire des courses. Je dois me dépasser, affronter les regards de la foule. Ce n'est pas un comportement naturel. J’ai le trac. C’est une épreuve. Pourtant, vu de l’extérieur, cette démarche semble normale. Je ne suis pas extravertie de nature. Mais il faut que je fasse violence, car j'aime partager ma musique. Si je suis passionnée ? Absolument, sans quoi, je n’aurais pas embrassé cette carrière. Il faut vraiment de la passion pour exercer ce métier. Il exige beaucoup de travail. C'est parfois un peu difficile. Surtout quand on reste longtemps sans jouer. Et on est frustré. J’ai un petit garçon de 3 ans, et quand je pars 15 jours, loin de lui, c’est une souffrance. Instinctive, c'est le qualificatif qui me va le mieux. Je bosse constamment à l'instinct et dans l'impro. Toutes les chansons que j'ai écrites son accidentelles. Elles sont nées par hasard. Je me suis arrêtée et je me suis dit: ‘Là, c'est bien!’. Je vais l'enregistrer. Les textes émergent et je commence écrire. Cet instinct, je ne voudrais surtout pas le perdre. Dans ce domaine, réfléchir et calculer, ce n’est pas dans ma nature…

Envisages-tu un jour d’écrire tes textes dans la langue de Molière ?

J'adore la langue française. J'ai accompli des études en littérature et lettres modernes. Ce n'est pas du tout un choix que je rejette et qui ne m'intéresse pas. Comme je te l'ai dit, je travaille suivant mon instinct. Et cet instinct m’a poussé vers l'anglais. J'ai de plus en plus envie d'écrire aussi en français. Je ne dresse pas de barrière entre les langues. Cette option s’inscrit dans un processus d’évolution naturel...

 

 

Cali

Etre chanteur, c’est devenir égoïste…

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C’est dans le cadre du LaSemo, festival à épingler pour son approche conceptuelle, originale et pragmatique, que se déroule cet entretien. Cali est particulièrement décontracté. Dix petites minutes me sont accordées. Il va falloir sabrer dans les questions, sans quoi on risque allègrement de dépasser le temps imparti.

Merci Bruno pour avoir accepté cette interview destinée à Musiczine. En fait, faut-il t’appeler Bruno ou Cali ?

Comme tu veux ! Ce qui t’arrive dans la bouche le plus facilement.

Le titre de ton dernier opus fait référence à une chanson de Léo Ferré qui date de 1966. Sa poésie était écorchée, souvent ténébreuse. Cette compo est à l’antipode de sa discographie puisqu’elle est même chargée d’espoirs. Pourquoi ce titre plutôt qu’un autre ?

Ce n’était pas prémédité. A vrai dire, elle me hante depuis longtemps. Comme tu le dis très bien, Ferré est quelqu’un qui a écrit de très belles chansons. Pour moi, c’est le plus grand des poètes. Ses textes étaient merveilleux, souvent sombres, déchirants, tout en véhiculant des revendications. Ce morceau en particulier, je souhaitais qu’il figure en dernier, parce que c’était le plus doux. Il est teinté d’optimisme. Il ouvre les bras vers l’avenir. Cette mélodie est destinée aux enfants. Ils doivent comprendre que, dans la vie, tout n’est forcément ni tragique, ni sombre. Les rayons de soleil sont à portée de main. Ils doivent les agripper et leurs vies en seront plus belles… J’ai intitulé ce disque « L’Age d’Or » pour une autre raison. Je me suis aperçu qu’il était mon œuvre la plus lumineuse.

Il y a aussi, chez toi, une sorte de mimétisme. Tu adoptes un phrasé assez proche de Ferré. Etait-ce voulu et assumé ou alors y a-t-il une part d’inconscient ?

Il n’y absolument rien de prémédité. J’écoute tellement Ferré que son esprit doit couler dans mes veines. En même temps, je suis fan de groupes tels que U2, Simple Minds et les Waterboys. Comme une éponge, je m’inspire de ces courants et puise à droite et à gauche. Mais si ça peut ressembler un peu à Ferré, j’en suis très, très fier (rires).

Ton dernier elpee a très bien été accueilli. Tu as parfois, dans le passé, essuyé des critiques virulentes. Y es-tu sensible ? Qu’as-tu envie de dire aux détracteurs aujourd’hui?

Ce métier est fait de hauts et de bas ! Je pense que les critiques sont importantes parce que c’est le premier regard sur notre job. J’ai parfois râlé parce qu’on a colporté des propos vraiment pas sympas à mon égard. Un jour, une journaliste m’a traité de fou, de malade mental. Cela ne se fait pas ! Dans ma famille, il y a des patients qui souffrent de cette pathologie et sont soignés dans des unités spécialisées. Il faut être attentif à ce que l’on dit ! J’essaie d’être le plus honnête possible dans mon travail. Je raconte ma vraie vie et je ne chanterai jamais une chanson dont je ne suis pas fier. J’ai envie de dire aux détracteurs de tout poil : ‘Si vous aimez, tant mieux. Si vous n’aimez pas, tant pis !’ Le dernier album a très bien été accueilli. Ce qui m’a fait du bien parce que j’y parle beaucoup de mes proches.

Tu as écrit une soixantaine de chansons… et il y en a plus que 13 sur ton cd. Vu la quantité de matière, pourquoi ne pas avoir envisagé de publier un double LP ?

J’en ai déjà enregistré de très longs. Mais j’ai l’impression que ce choix doit rester un coup de feu. J’aime bien l’idée que lorsque le disque arrive en bout de course, on ait envie de réappuyer sur la touche ‘play’. Lorsqu’il contient trop de chansons, on peut se sentir pris en otage en quelque sorte. Je m’aperçois que celui que je considère comme ma référence –« This is the Sea des Waterboys »– ne comporte que neuf titres. Neuf perles ! Le mien aurait pu être plus court encore, mais j’ai du mal à choisir ceux que je vais éliminer. En ce qui concerne celles que j’ai écrites, mais qui ne figurent pas sur l’album, ce sont des moments de ma vie. Peut-être que dans deux ans, elles ne voudront plus rien dire ! Elles m’ont fait du bien au moment de l’écriture, mais elles ne verront jamais le jour ! 

On a l’impression qu’à chaque album, tu ressens le besoin d’immortaliser des polaroids de ta vie. « L’Age d’Or » fait référence à une époque révolue. Est-ce une manière de dresser le bilan de ton existence ?

Je ne sais pas si c’est le cas ! Aujourd’hui, j’ai trois gosses. A l’âge de 15 ans, je me souviens avoir déclaré à des amis : ‘Qu’est-ce que l’on va faire plus tard ?’ Perso, j’avais émis le souhait d’être un troubadour et avoir des enfants. Aujourd’hui, j’ai réalisé ce rêve. Ce n’est pas de la nostalgie, ni du regret. Je voulais plutôt exprimer ma gratitude à l’égard de celles et ceux qui ont construit ma vie. L’institutrice de mon village par exemple. Elle m’a donné le goût de la lecture et de l’écriture. Elle a exercé le plus beau métier du monde. Je remercie aussi ceux qui ont suscité chez moi l’envie de pratiquer le rugby. Mes enfants également. Sans oublier, mon premier amour évidemment. J’aborde tous ces thèmes ! Oui, c’est peut être, finalement, une manière déguisée de jeter un regard dans le rétroviseur de mon existence. Se dire qu’elle est faite de belles choses. Mais de terribles évènements aussi. En fait, il n’y a pas un âge d’or, mais plusieurs, selon les différentes étapes de la vie. 

Même si cet opus est parfois plus optimiste, on te sent encore aussi parfois très nostalgique. Cette mélancolie était déjà bien présente sur le disque précédent, « Vernet les Bains », qui se réfère au village où tu as grandi…

Ce disque est plus lumineux par rapport aux autres. Mais le mot ‘nostalgie’ est souvent collé au sentiment de ‘regret’. J’ai plutôt envie de l’associer au terme ‘heureux’. Je ne regrette pas. J’ai juste besoin d’un refuge. On en a tous besoin. J’imagine que toi aussi, il y a un endroit où tu as envie de te retrouver ou une odeur d’enfance dans laquelle tu as envie de plonger. Et j’ai besoin d’en parler ! C’est comme quand on ferme les yeux et qu’on veut s’immerger dans des endroits que nous chérissions parce qu’ils appartiennent à notre passé. Ca nous fait juste du bien ! Si tu écoutes une chanson que tu n’as plus entendue depuis 20 ans, mille souvenirs remontent à la surface.

Est-ce que le processus d’écriture diffère d’un opus à l’autre ?

Je fonctionne à l’instinct. Il est très compliqué de préméditer les événements. Sous peine de dénaturer ta muse. Je ne me dis jamais ‘Allez, il faut écrire maintenant !’ Bien au contraire, chez moi, le processus d’écriture est naturel. J’aligne des mots, qui deviennent des phrases. Elles-mêmes se transforment en humeur. Les chansons découlent de ces états d’âme. Je n’ai pas d’idée préconçue sur la façon dont ce processus va se dérouler. Le premier album était marqué par une rupture. Le second, par la naissance de ma fille qui a 10 ans aujourd’hui. Parfois, des relents politiques se sont manifestés, parce que j’étais engagé (NDR : à gauche). Rien n’a jamais été prémédité ! Je crois que dans le cas présent, je n’ai pas réalisé un disque triste. Ceux qui l’écoutent me disent qu’il leur fait du bien. Je crois aussi qu’il ne faut pas faire ce que les gens attendent. Etre chanteur, c’est devenir égoïste. Mais, c’est ainsi. J’essaie de vivre dans une vie qui peut devenir très compliquée. Le seul moyen que j’ai trouvé aujourd’hui pour m’en sortir, c’est d’écrire des chansons.

Cali, certains artistes préfèrent gommer leur accent pour interpréter leur répertoire. Tu adoptes la tendance inverse. Est-ce une manière consciente de revendiquer tes origines ?

Je suis né à Perpignan. J’habite dans un petit village situé à une encablure. Je suis peut être encore un de ceux dont l’accent est le moins prononcé chez moi (rires). C’est important de revendiquer ses origines. Par exemple, je suis heureux de me rendre à Marseille et d’entendre cette prononciation si particulière. Toi, tu as un accent qui est d’ici. Je suis comme je suis et ne changerai rien.

Dans ce métier, nombreux sont ceux qui souhaitent privilégier au maximum leur vie privée. Tu parles librement de tes origines, de ta famille, … Tu as choisi de t’exposer avec ta fille sur la pochette de l’album. Quel est ton sentiment par rapport à cette notion de ‘vie privée’, sachant que tu es une personnalité médiatique ?

Je pense qu’il y a une manière d’aborder la question. Je ne tombe jamais dans le voyeurisme. Ce sont essentiellement des déclarations d’amour ! Je me réfère à mes filles Coco Grace et Poppée. Je parle aussi de mon couple. On connaît des histoires comme tous les autres. On se jette des assiettes à la tête et on se réconcilie juste après. Je chante la vie de Monsieur et Madame ‘tout le monde’ en quelque sorte. Ce qui apporte un peu de bien-être à certaines personnes. Mais, je ne me pose pas vraiment ce genre de questions à vrai dire. Je pense que mes enfants sont plutôt fiers d’avoir un père qui les raconte sur un disque. Et lorsque je suis en concert, je suis content que ma famille soit auprès de moi.

On connaît Cali, chanteur. Mais, on connaît moins Cali, acteur de théâtre. Tu as joué dans une pièce qui s’appelait « Cowboy Mouth ». Comment as-tu vécu cet épisode ? Etait-ce un ‘one shot’?

J’ai adoré cette expérience. Dans un premier temps, je l’ai abordée comme une épreuve insurmontable. Le metteur en scène m’a mis en confiance. Ensuite, je me suis laissé aller naturellement. Le pitch est amusant. Il raconte l’histoire d’un type enlevé au Chelsea Hotel, en 1971. Une femme voulait le transformer en star de rock’n’roll alors que sa famille l’attendait ailleurs. Ensuite, mon personnage tombe amoureux. C’était une aventure enrichissante. Là, debout devant le public ! Sans micro ! On entendait les réactions des spectateurs : les applaudissements, les pleurs, les reniflements, les toussotements, … Tu vois, ça c’est la vraie vie. Pendant une heure trente, faire l’amour, se battre, jouer comme des enfants avec une actrice, c’était dingue. Je sortais de là remué. Un spectacle qui a duré quatre mois ! Je veux absolument le refaire. Le monde du théâtre m’a beaucoup touché et j’ai un très grand respect pour cette immense famille. Ils sont prêts tous les soirs, sur les planches, à donner le meilleur d’eux-mêmes…

EyeHateGod

On est juste un groupe de rock, c’est tout !

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La Belgique ne se distingue pas particulièrement pour ses étés caniculaires. Il faut pourtant reconnaître que c’est une chape de plomb qui recouvre le plat pays en ce début du mois de juillet. Je débarque devant le Magasin4, ancien hangar reconverti en salle de spectacle, notoire pour sa programmation alternative. Ses grandes portes de couleur beige lui confèrent un aspect plus qu’anonyme. Seule une petite ouverture au niveau des yeux permet de discerner les lieux.

Je sonne, on m’ouvre. J’explique qu’une interview est prévue en compagnie de Mike IX Williams, le chanteur d’EyeHateGod. Apparaît alors la ‘tour manager’ du band. « Je suis vraiment désolée mais ce ne sera pas possible de voir Mike maintenant… Pour l’instant, il dort », me signifie-t-elle. « Mais si c’est OK pour toi, le reste du groupe est d’attaque…’ Pas de bol, la majorité de mes questions se focalisaient sur la personnalité du vocaliste. Il va falloir improviser.

Je la suis au milieu de la salle de concert encore vide, contourne le bar et arrive dans une petite pièce aux murs jaunis par le temps, éclairée par quelques néons, conférant à la pièce un air plutôt glauque. Quelques tables, sur lesquelles reposent des paquets de chips vides, meublent la pièce. Trois divans occupent la gauche de l’espace. Sur l’un d’eux, Jimmy Bower, paquet de cacahuètes à la main, me lance un regard interrogateur. La ‘tour manager’ lui explique le but de ma présence. Le fondateur et guitariste d’EyeHateGod pose dès lors son précieux sachet, agrippe le dos d’une chaise à proximité et la fait glisser jusqu’à mes pieds. Je m’exécute et pose mon micro sur la table, à côté de ses arachides. Les autres membres du band s’approchent également, formant un cercle autour de l’enregistreur.

Il y a aujourd’hui un peu plus de vingt-sept ans qu’EyeHateGod arpente les scènes du monde entier. Mais la motivation est-elle restée la même depuis le début ? « Tu sais, depuis le temps, on a tous pris de l’âge et on a évolué… Mais au fond, rien n’a vraiment changé. La seule différence c’est d’avoir une plus grand liberté de faire ce qu’on veut et d’accorder davantage de shows aujourd’hui qu’hier…», explique Jimmy Bower. Et si le combo existe depuis aussi longtemps, sous un line-up quasi inchangé (à l’exception du poste de bassiste et de la disparition tragique il y a deux ans du, Joey LaCaze), c’est certainement grâce à leurs inspirations musicales communes. « On écoute tous un peu la même la chose… ce qui explique que lorsqu’on compose ensemble, le processus vient toujours très naturellement. Nous sommes tous des grands fans des Melvins, de Black Flag ou encore de Black Sabbath. Mais on apprécie également les Meteors ou encore Louis Armstrong. Nous disposons tous de collections importantes de vinyles et de disques à la maison, sans lesquelles EyeHateGod ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui et ne sonnerait pas de la même façon ».

En plus d’être une source d’inspiration, Louis Armstrong et le quintet américain partagent un autre point commun : la Nouvelle-Orléans. Ces terres, qui ont vu grandir ces artistes, sont apparemment également propices à la création musicale. « Tu sais, on est tous nés là-bas », explique Jimmy. « La Nouvelle-Orléans est vraiment une terre de musique et spécialement de rock’n’roll. On a vraiment baigné dans différents types de cultures musicales depuis qu’on est gamins. On a grandi en assistant chaque année aux Mardi Gras et aux Praise Parties (Jimmy mime les gestes d’un contrebassiste). On a vécu toute cette intensité musicale et son groove dans notre vie de tous les jours. Je pense que c’est vraiment un avantage d’avoir connu cette richesse musicale depuis qu’on est gosses… », poursuit-il.

Bien qu’actifs depuis bientôt trois décennies, les membres du band américain n’en sont pas pour autant productifs en termes d’elpees studio. « Mais ne t’inquiète pas, notre nouvel album ne mettra plus quatorze ans pour voir le jour », plaisante le fondateur du band, en se référant au laps de temps qui a séparé la sortie des derniers LP’s. « Nous tournons beaucoup pour l’instant, on a donc pas trop la chance d’être à la maison et de travailler sur de nouveaux morceaux… Mais bon, on a quoi… cinq ou six compos pour le moment. Il est probable qu’ils  sortent prochainement sur des splits ou des 7inches », embraie Brian Patton, second gratteur, avant de poursuivre : « On a d’ailleurs gravé le mois passé un split avec Psycho (NDR : un live enregistré en 2011), un groupe de Punk issu de Boston ; et on espère prochainement en sortir un autre avec Blast ». Quoi qu’il en soit, les artistes confient qu’ils graveront une nouvelle plaque d’ici la fin de l’année, et prévoient de la publier d’ici le printemps ou l’été de l’année prochaine.

Des compositions qui prennent en effet parfois du temps à voir le jour ; chez EyeHateGod les membres ne composent pas chacun dans leur coin. « On part souvent d’une idée de Jimmy et puis on la travaille pendant un moment. On aime vraiment bien s’approprier un riff qu’on va ensuite jouer pendant 15 à 20 minutes, en cherchant à le rendre le plus lourd possible, jusqu’à ce qu’on se dise : ok, ça va, on le garde ! On est moins dans une optique de type logique mais plutôt dans le ressenti », admet le bassiste Gary Mader. « Mais bon, au début d’EyeHateGod, je dois avouer qu’on n’était pas spécialement originaux… On essayait plutôt de marcher sur les traces de Slayer, Black Sabbath, Melvins, Sabbat, Obsessed ou encore d’autres formations taxées de Stoner ou de Doom », précise Jimmy Bower en rigolant.

Une belle occasion de rebondir sur l’étiquette de ‘pères’ du Sludge qui leur colle à la peau, bien malgré eux : « Tu sais, tout cela, ce sont des étiquettes qui ne sont vraiment pas nécessaires… Bien sûr, il est flatteur d’être considéré comme au top d’un genre musical mais… ce n’est au final qu’un mot. On sait ce qu’on est et c’est de loin le plus important… » se défend Jimmy Bower. « On est juste un groupe de rock, c’est tout ! », enchaîne Gary Mader, avant de poursuivre : « Ces classifications ne décrivent jamais qu’une facette de notre musique, on ne peut pas résumer ce qu’on fait à un adjectif… On a même lu qu’on pratiquait du Doom auquel on aurait ajouté une dose de Sludge et du Stoner, etc. Bref, à la fin, ça ne veut plus rien dire… On est simplement un Heavy Rock’n’Roll band ! », clame-t-il en souriant.

Avoir Jimmy Bower en face de soi, c’est également l’occasion de s’intéresser au grand retour sur scène de Superjoint Ritual, formation qu’il avait fondée au début des nineties, en compagnie de Phil Anselmo (chant) et Joe Fazzio (batterie). Hybride de Groove Metal à la Pantera et de Hardcore, elle avait vu son élan brisé en 2004, suite à des différents entre Anselmo et Fazzio. Dix ans plus tard, il revient avec du sang frais : Stephen Taylor à la basse et Jose Gonzalez derrière les fûts. Son patronyme est en outre amputé de son ‘Ritual’, puisqu’il est sobrement rebaptisé ‘Superjoint’. « Ce changement de nom est tout simplement dû à un line up différent et puis le groupe est dans une nouvelle phase », justifie Bower. Un crochet est-t-il prévu bientôt par la Belgique ? « Figure-toi que cette tournée devait impliquer les deux groupes. EyHateGod et Superjoint. On était en fait supposé tourner ensemble. Mais le Hellfest a voulu se réserver l’exclusivité du premier concert de Superjoint sur le continent européen, le 21 juin dernier… »

 

AqME

La foi déplace les montagnes…

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Formation parisienne, AqME a enregistré son dernier album, « Dévisager Dieu », début novembre 2014. Il s’agit du premier elpee dont les vocaux sont assurés par le nouveau chanteur, Vincent Peignart-Mancini ; un disque que le quatuor était venu défendre au Salon de Silly. C’est juste avant leur set que deux membres de la formation –soit Vincent, le dernier arrivé et Julien, le guitariste– ont accordé cette interview bien sympathique à Musiczine…

Vincent, ton arrivée a-t-elle permis de donner un nouveau souffle à l’aventure d’AqME ?

Vincent : Je pense, oui. La boucle est ainsi bouclée. Quand j’ai débarqué, c’était pour reprendre la route afin de défendre le précédent elpee, « Epithète, Dominion, Epitaphe », auquel je n’avais pas participé. Pour le dernier, on a pris le temps de soigner la composition, avant de tout mettre en boîte. Et nous sommes partis plaider sa cause, lors de cette nouvelle tournée.

Vincent, tu n'avais pas contribué à l'écriture du précédent elpee. Pourtant, sur les planches, tu y mettais tout ce que tu avais dans le ventre pour en interpréter les compos…

Vincent : Oui, au départ, la proposition était inhabituelle. Il est vrai que 20 millions de dollars ne se refusent pas. Ils m'ont offert 'Final Fantasy 7' dans la mallette. En fait, je l’ai considérée davantage comme un challenge. C’était quand même un superbe album et je suis content de me l’être réapproprié. Je n’ai donc pas à rougir d’avoir défendu un tel skud. Et puis, la tournée est passée si vite.
Julien : Vu le chèque qu’on lui a filé, il ne pouvait pas refuser.

Ce septième elpee constitue-t-il un défi ou un tournant dans votre carrière ?

Vincent : Non une étape de plus. Pas de défi, on fait ce qu’on aime. Sans contrainte. Il s’agit d’une nouvelle étape. Une de plus. Un album en plus. On ne se fait pas la course aux cds. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, c'est notre premier disque sous ce line up. On va en graver encore d’autres, t'inquiètes.
Julien : On ne se pose plus trop de questions. Nous n'avons pas de plan de carrière. Le groupe avance. Profitons de chaque instant présent. Tant que l'envie sera toujours présente dans le groupe, nous serons toujours d’attaque.
Vincent : On ne peut jamais affirmer ce que sera demain. Vivons donc le moment présent.

Pourquoi avoir choisi « Dévisager Dieu » comme titre de votre nouvel elpee ?

Vincent : La vie est faite de challenges. Aujourd’hui AqME est en pleine croissance et pas du tout fataliste. Et on cherchait des mots forts pour décrire cette situation. On estime que Dieu a une place importante dans la culture contemporaine. Que l'on soit croyant ou pas. Clairement, tout se recroise. Et le fait de le dévisager est assez important. C’est lui dire : ‘Oui, nous, on est là’.
Julien : C’est ce thème qu’on souhaitait adopter pour le disque. En racontant un peu ce qui s'est passé au sein du groupe et les aventures vécues par ses membres. On a traversé des moments difficiles. C'est un peu aussi une manière de dire qu’on n’abandonne pas le combat. Qu’on lève la tête et la maintient très haute.

« Enfant de Dieu », c’est un message mystique ?

Vincent : J’en reviens à ce que je racontais, il y a quelques minutes. La place de Dieu est importante dans la société. On peut avoir la foi en adoptant différents codes ou croire en plusieurs dieux. Croire en un seul Dieu. Croire en nous. Croire en quelqu’un d’autre. A quelqu’un qui te permette d’avancer. Nous sommes tous des enfants de Dieu, mais on ne sait plus qui est le prophète. A l'intérieur de chacun de nous, il y a un prophète. C'est un peu l'idée, d'où l'expression : le prophète disparu. Simplement ouvre les yeux et avance. Accroche-toi aux valeurs positives et tu pourras avancer dans la vie…

« Au-delà de l’ombre », « Un appel », « L’home et le sablier », « Pour le meilleur, le pire » et « Les Abysses » en sont des autres ?

Vincent : Notre religion, c'est : ‘Crois en toi’. On croit en nous. On rencontre du positif dans tout être humain qui nous entoure. Il faut s'en servir. Surtout ne pas l'épuiser. Simplement, s'en servir…
Julien : Et permettre également à ceux qui t'entourent de s’y ressourcer...

Finalement, lors du concert, je pensais voir débouler sur les planches, trois curés et une bonne soeur ?

Vincent : S'ils sont sympas, pourquoi pas. On n'est pas contre. On salue le Père David. Trente ans qu’on a plus accordé de concert dans l'Est et que l'on ne l'a plus vu. Mais les retrouvailles, c’est pour bientôt. D’ailleurs on lui dédicace personnellement le morceau « Blasphème ».

Tout baigne pour ce périple destiné à promotionner l’album ?

Vincent : La tournée se déroule en toute convivialité. Nous ne nous produisons pas dans de grandes salles, mais dans des clubs. Et l’accueil est excellent. Cette proximité permet un meilleur partage, d’être le plus proche possible du public.

Chouette pochette, mais étrange. Pourquoi cet homme à deux têtes ?

Vincent : Nous avons laissé carte blanche à Stéphane Casier de Yeaah Studio pour réaliser la pochette. Dans le cahier de charges on lui a simplement demandé de se référer à la dualité, la fraternité et la religion. Et puis, démerde-toi. Il a pondu cette illustration. Bingo !
Julien : On a approuvé le projet du premier coup et on n’a même pas dû lui demander de rectifier. C'était parfait. Il ne restait plus qu’à déposer le logo.

La fidélité à votre label, c’est aussi un acte de foi ?

Vincent : On est parfaitement soutenus par notre label. Nous étions en fin de contrat, après lui avoir réservé 6 albums. C’est à ce moment-là que je suis arrivé. J’ai pensé que je me pointais à un mauvais moment. Eh bien non, il n’a même pas fallu leur faire écouter les morceaux pour les convaincre. Ils souhaitaient que j’intègre le projet. Que me m’investisse dans la composition. Comme j’en voulais, pour eux, c’était une évidence. Et la décision est tombée tout de suite. On a eu des putains de conditions pour enregistrer en studio. Je n'en avais jamais connu de semblables. Et je ne les remercierai jamais assez pour les avoir vécues. Tout en espérant que ce ne soit pas la dernière fois. Ils ont tous bossé sur le projet, alors que l’industrie du disque traverse des moments difficiles. En fait, ils n’ont pas du tout envie de lâcher l’affaire…
Julien : J'aurais préféré boire des ‘Leffe’ que de niquer le job.

C'est vrai qu'actuellement, sortir un album est un fameux challenge ?

Vincent : C'est la raison pour laquelle on palpe la chance qu'on a. Et encore une fois, ce n'est pas donné à tout le monde.
Julien : C'est chouette de constater qu’il existe encore des gens qui ont la foi en des projets de longue haleine et qui ne veulent pas les abandonner. Qui vont de l'avant et qui surtout développent des idées. Qui s’investissent, quoi. Ce qui fait plaisir et met du baume au coeur et nous donne surtout l'envie de continuer. Non seulement le label nous soutient, mais aussi notre public. Il n’y a donc pas de raison de jeter l’éponge.
Vincent : Effectivement. Mais il faut rester honnête. AqME a un public fidèle. Mais, il ne remplit pas les ‘Zénith’ ou d’autre grandes salles. On ne doit plus y penser. Ni calculer. Mais si ce phénomène se reproduit, on pourra remercier nos aficionados. Car il ne sert à rien de faire de la musique et de ne pas la partager…

Vos textes sont écrits dans la langue de Molière, jamais eu envie de les exprimer dans celle de Shakespeare ?

Vincent : Chez AqME, les textes ont toujours été rédigés en français. Au sein du groupe, je n’ai jamais eu à en débattre. Ils sont écrits dans notre langue maternelle et on continuera à les exprimer ainsi. Nous y somme fidèles. Et puis notre musique s’y prête bien.
Julien : Cette option a, dans le passé, souvent suscité des controverses. Mais, je précise, à l'extérieur du groupe, d'après ce que j'ai pu comprendre. Début du millénaire, la plupart des labels signaient les groupes qui chantaient exclusivement en français. Mais aujourd’hui, si tu chantes en français, on va te demander de chanter en anglais. Il est vrai qu’il n’est pas toujours facile, vu le style de musique, de faire passer ce choix. Que le chant soit hurlé ou chanté. Tout est une question d'habitude. C’est un peu comme lorsqu’un ado boit habituellement de la bière et qu’il goûte du vin pour la première fois. Il estime que c’est dégueulasse. Et puis, au fil de l’âge, il finit par l’apprécier. L’exotisme ne branche pas les Français. Si notre démarche pouvait mieux s’exporter, la langue utilisée pourrait devenir une force. Ce qui prouve qu'il ne faut pas systématiquement chanter en français pour exister. Un exemple ? Rammstein. La formation s’est servie intelligemment de sa langue : l’allemand. Et ce n’est pas du tout évident à réaliser. Pourtant, elle a réussi brillamment ce challenge.
Vincent : En France, il n’existe pas vraiment de culture rock. Disons que l'influence américaine est plus facile à digérer que la française. Elle est plus généraliste. Le mélomane ne se pose pas de questions pour savoir si c’est bon ou pas. Nous, Français, on doit persévérer dans notre démarche.

Vincent, ta voix est à la fois puissante et mélodieuse et surtout tu parviens à t’en servir pour communiquer toutes tes émotions. En es-tu conscient ?

Vincent : Après avoir lu les chroniques sur les sites internet, je les ai montrées à mon épouse. Et elle m’a confié ceci : ‘Vincent, je ne te l'avais jamais dit, mais c'est vachement bien ce que tu as fait. Je n'aime pas le chant en français. Mais là, tu m'as fait découvrir quelque chose de cool. Dans chaque morceau, tu as mis un petit peu de toi. Tu as tellement mis tout ce que tu avais à donner qu'il y a une partie de toi qui est partie’. J’en ai eu de frissons. Putain, c’est complètement dingue. Et elle a ajouté : ‘Peut-être au tu ne le perçois pas. On dirait que tu ne réfléchis pas et que tu y vas ». C’est le plus beau compliment qu’on m’ait fait sur ma collaboration à l’album. Et il vient de ma femme. Maintenant, je crois un peu ce qu'on me raconte. Et les réactions me font plaisir. Mais ces sessions m’ont mis une grosse pression et ont exigé énormément de boulot.  

Un groupe de métal sans guitare, c'est un peu comme un chien sans queue ? Julien, qu’en penses-tu ?

Vincent : Didier te compare à une queue.
Julien : Merci Didier pour la comparaison. On va faire avec. Ben, je ne joue que de cet instrument. Comme tout le monde, je pianote. Je suis capable d’y exécuter 2 ou 3 notes. Je ne joue pas de la batterie. En fait, la guitare me possède depuis 20 ans et me suffit largement et amplement. Elle est tellement riche et te permet de faire tellement de choses différentes. Tu peux transformer le son de la guitare ou le conserver très pur. Tu peux en jouer en solo. Ou dans un groupe. Je n’ai pas envie d’en changer. Cet instrument me convient et je m’en contente. La guitare ne me lasse pas.
Vincent : C’est un instrument universel.

Charlotte, la bassiste, incarne la touche sexy au sein d’AqME. Une fille au milieu de mâles, c’est un plus ou un moins ?

Vincent : Hormis ses nichons et ses cheveux longs, elle se comporte comme un mec. C'est marrant, auparavant, je n'avais jamais joué avec une meuf. Sans quoi, je ne vois aucune différence. Une fille dans un groupe apporte un peu de douceur...
Julien : J’avais déjà bossé, dans le passé, en compagnie de filles au micro ou à la guitare. En fait, une nana au milieu de 'couillus', c'est toujours une personne en moins pour le chargement et le déchargement du matériel.

En 2005, votre drummer Etienne a apporté son concours à Indochine pour la chanson « Aujourd'hui, Je Pleure ». Comment est née cette collaboration ?

Julien : Etienne m'en a parlé. Donc je connais l’histoire. A l’époque, le magazine 'Rock Sound' réalisait souvent des 'blind tests'. Il en a fait passer un à Nicola ; et, dans cette épreuve, il y avait une de nos compos. Il ne nous connaissait pas ; mais le morceau a suscité sa curiosité. Il a contacté notre management et nous a proposé une collaboration. A cette époque, nous avions un titre que nous aimions pourtant bien, mais que nous n’étions pas parvenus à inclure sur « Polaroïds & Pornographie ». On lui a donc proposé. Et ce titre lui a plu. Si bien qu’on s’est retrouvé ensemble pour enregistrer cette chanson destinée à l’album « Alice And June ». Et Indochine nous a ensuite invité à participer à la tournée destinée à promouvoir ce disque…

Etienne le batteur vient de pénétrer dans la salle. Vincent et Julien m’avaient confié en aparté qu’il était important pour lui de manger bien à l'heure. Evidemment il prend un sandwich en main. Ce qui provoque un fou rire général.

Etienne, as-tu une ligne directrice dans ton drumming ?

Etienne : Dis donc, tu as préparé un texte ou quoi ? Ma ligne directrice ? Suivre simplement ce que le morceau exige. C'est lui qui dicte ma conduite. Il ne faut pas aller plus loin. Tout dépend du groove ou du break requis par la compo. C’est instinctif ! Et je ne me pose pas de question. C’est ma ligne directrice…

Etienne, on en parlait tout à l’heure, en 2005 AqME a apporté son concours à Indochine pour enregistrer une de vos chansons, « Aujourd'hui, Je Pleure ». Tu t’en souviens encore.

Etienne : C'était il y a longtemps… En fait, Indochine nous avait invités à nous produire pour certains concerts du X Festival, à l'époque. On a sympathisé. (NDR : il relate ensuite ce que Julien nous a raconté quelques minutes plus tôt). Une simple rencontre entre musiciens.

Etienne, tu es le plus ancien membre d’AqME. On te considère même comme sa force tranquille. Mais quel impact l’arrivée de Vincent a produit sur l’existence du groupe ?

Etienne : Il a apporté beaucoup de bien à l’équipe. Du sang neuf est une bouffée d'air frais. Et il nous permet d’ouvrir des portes. Il a aussi changé l'ambiance. Il est beaucoup plus positif que Thomas, notre ancien chanteur. Et il possède des capacités vocales exceptionnelles. Ce qui a permis de se renouveler tout en conservant notre propre style...

 

Karavan

On voyage en Karavan et puis on se gare à Bruxelles…

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Karavan est un collectif réunissant 8 chanteurs : Nicole Bongo - Letuppe, Marie-Ange Tchaï Teuwen, Fredy Massamba, Myriam Gilson, Djubebe Kalume, Epolo Mabita, Mister Mo et Soul T. Une découverte faite à l'Ancienne Belgique, en première partie de Sinead O'Connor. Le répertoire de ce groupe afro-bruxellois est essentiellement composé de reprises d’Arno. Interprétées a cappella. Nicole et Marie-Ange se sont fait les porte-parole du team, un entretien qui s’est déroulé dans les loges de l'Ancienne Belgique, juste après la ‘release party’ consacrée à la sortie de leur premier album, « Arnoquins »…

Que signifie « Arnoquins » ?

Nicole : C’est un projet qui a été réalisé par 8 chanteurs/musiciens. Nous appartenons à un collectif baptisé ‘Les Anges Compagnie’ qui existe depuis une bonne quinzaine d'années. Arno nous a sollicités pour exécuter des choeurs sur différents projets, émissions télés et aussi lors des festivals. Mais avant tout pour son dernier album, « Future Vintage ». Puis on est tombé sous le charme du personnage et de son répertoire. Et on en a conclu qu’il aurait pu être intéressant d’adapter des chansons d'Arno a capella, à la sauce Karavan. Nous sommes tous d'origine africaine. Nous adorons Bruxelles. Il y a plus d'une dizaine d'années que nous y vivons. Nous sommes devenus des Afro-bruxellois. Certains affirment que les Africains n'apportent aucune valeur ajoutée à la Belgique. Et bien, musicalement, on démontre le contraire. On a ajouté notre petite touche afropéenne au répertoire d'Arno. Ce qui s’est soldé par la confection d’« Arnoquins ».

Sur la scène pop/rock belge, Arno est considéré comme un extra-terrestre, un artiste un peu déjanté. Vous confirmez ?

Nicole : Tout à fait ; et c'est ce qui nous plait. Il faut dire que nous sommes de la même famille. A cause d’un cousin très lointain dont nous sommes à la recherche depuis longtemps. Un albinos… Et nous sommes également issus d’une famille bien déjantée. Lui, il a continué dans son 'albinoserie' et nous dans notre 'noiraterie'. Et nous nous sommes retrouvés à Bruxelles pour élaborer ce projet qu'il soutient, tout comme l'Ancienne Belgique…

Il y a d’autres structures qui vous épaulent ?

Nicole : Oui. La maison de la Culture de Saint-Gilles. Le café concert ‘Le Bravo’. Ce n'est pas très loin d'ici, nous y sommes allés travailler quelquefois. Egalement la ‘Maison Des Cultures’ de Molenbeek. Beaucoup de gens ont été sympas avec nous. Ce qui a permis au projet de libérer de bonnes énergies. C'est un peu magique. On a l’impression d’être sur un coussin d’air qui nous guide vers les personnes adéquates et les endroits propices. Je ne vais pas tomber dans le mystique et compagnie. Je crois qu’on attire ce qu’on projette. Il n'y a pas de mystère. On met tout son cœur et on s'éclate. C’est alors que les bonnes énergies naissent et que les bonnes rencontres se concrétisent...

Pas facile de concilier vos goûts musicaux, quand on est aussi nombreux au sein d’un groupe ?

Marie-Ange : C’est ce qui est intéressant. Nous sommes un peu des univers différents. Il y a 8 personnes, mais le line up a changé au cours de la dernière année. On se connaît cependant depuis assez longtemps. Nous avons également d’autres projets. Nous avons enregistré un disque a capella, il y a 15 ans. Il était plus classique et plus pointu dans son approche vocale ; notamment dans les harmonies et les polyphonies. Nous nous rendions dans les centres culturels en Allemagne. Le concept était très sérieux. Nous voulions aborder une formule plus légère. Il fallait donc réunir des personnes à la sensibilité plus urbaine. Parce que « Arnoquins », c'est aussi une façon de voir Arno dans les yeux des citadins. C'est à Bruxelles que l'on s'est rencontré. C'est Bruxelles qu’on raconte. Tout comme Arno. Il fallait impliquer des artistes plus proches du hip hop. Les influences des membres du groupe sont différentes. Fredy Massamba milite dans l'afro soul. Mais chacun apporte sa propre touche : old school ou new school. Myriam est ainsi la chanteuse classique du groupe. Nous sommes une petite brochette d'extra-terrestres.

Qu’est-ce que le collectif ‘Les Anges' ?

Marie-Ange : Un collectif qui a gravé un album en l’an 2000.
Nicole : C'est par respect pour son fondateur qu’on en parle ; mais pour Karavan, c’est du passé…

Votre répertoire est constitué de versions a capella de chansons signées Arno. Vous en interprétez d’autres ?

Nicole : Nos premières expérimentations figurent sur ce disque paru au début du millénaire. Il s’agit de chants traditionnels slaves ‘gospellisés’ et africanisés. C'est cet album qui a incité Arno à nous rencontrer. Des blacks qui chantent du russe et du roumain en gospel, il estimait que c’était original. Il était intéressé ; et à l’issue de notre rencontre, il nous a invités à apporter notre collaboration au projet. C'est le point de départ. Le premier volet a été réalisé en Europe de l'Est, le deuxième à Bruxelles, en compagnie d’Arno. Peut-être que pour le troisième, on s’attaquera au répertoire de Joe Dassin. L’an prochain ? On n’en sait rien…

Lorsque vous avez assuré le supporting act pour Sinead O'Conor, la setlist n’était pas intégralement composée de reprises d'Arno…

Nicole : Sur l’album, deux titres ne sont pas issus de la plume d’Arno, « Bruxelles » et « Karavan ».

Y a-t-il, dans le répertoire d’Arno, une compo qui a une signification particulière pour Karavan ?

Marie-Ange : « You Gotta Move », un vieux morceau de blues issu des années 50 qu’il reprend en ‘live’.
Nicole : Cette plage remonte aux sources. Aux origines de l'esclavage. Les champs de coton aux Etats-Unis. C’est une chanson qui nous parle. Elle ouvre notre spectacle. On voyage en Karavan et puis on se gare à Bruxelles. Et le show peut commencer…

Pour réaliser un voyage entre différentes cultures. Sur une base d'Arno?

Marie-Ange : Déjà Arno, à la base, c'est un être hybride.
Nicole : Si on me dit qu'Arno est un nègre blanc, je le crois. C'est un albinos qui nous vient de l'espace.

La pochette est plutôt réussie. Qui s’en est chargée ?

Marie-Ange : Lara Herbinia, une photographe talentueuse. Encore une belle rencontre. Comme la nôtre. De voir qu’on s’intéresse à nous et à notre projet te file du peps. Et nous permet d’être davantage bookés. Une dame est venue nous voir et nous a promis qu’elle allait essayer de nous dénicher des dates. Pour la pochette on est parti du personnage 'Arlequins'. Il est intemporel. Un saltimbanque dont on ne sait pas trop bien s’il est riche ou pauvre, gentil ou méchant. Ses vêtements son couverts de losanges. Entre Arlequins et Arnoquins, le rapport était facile. Mais pour l’illustration, Lara a dû effectuer des recherches sur ces losanges. On lui a quand même refilé quelques idées. Mais la gestation a nécessité quelques mois, quand même…

Lara vient justement de débarquer…

Lara Herbinia : Lors de notre première rencontre, votre idée était bien claire, ce qui était pratique. Vous souhaitiez une galerie de portraits dont les gens portent des masques. Et vous m’avez précisé qu’il ne fallait pas qu’on vous reconnaisse, afin d’être interchangeables. Et évoquer votre belgitude tout en se référant quelque part à Arno…

(Photo Lara Herbinia)

Tom McRae

Mes influences ne sont pas nécessairement musicales…

De son véritable nom Jeremy Thomas McRae Blackall, Tom MacRae est né le 19 mars 1969, à Chelmsford, en Angleterre. Son premier elpee est paru en 2000. Il est éponyme et est suivi d'une tournée qui passe par les Transmusicales de Rennes, une première partie pour Autour de Lucie à Paris, puis 11 dates en tête d'affiche ainsi que la participation aux festivals d'été. Au cours de son premier périple, il s’intéresse au répertoire d’artistes français majeurs : Alain Bashung (en compagnie duquel il partagera l'affiche lors de sa tournée destinée à promotionner son deuxième LP), Miossec, Keren Ann, Françoise Hardy et Dominique A. Tom est nominé, sans pour autant remporter de prix, au Mercury Music Prize ainsi qu'aux Q Awards. Il y a plus de 15 ans que Tom sévit sur le circuit rock conventionnel. Il est également considéré comme l'un des meilleurs chanteurs/compositeurs insulaires. Pour enregistrer « Did I Sleep And Miss The Border », son 7ème opus, il a rappelé son fidèle backing group, un disque dont les sessions se sont déroulées au Pays de Galles et dans le Somerset.

Sous un superbe soleil, nous débarquons au Huis 123 de l'Ancienne Belgique. Il est 16h15. Bien installés dans de confortables fauteuils, l’entretien peut commencer.

Question bateau pour commencer, peux-tu nous parler du processus d’enregistrement de ton dernier elpee, « Did I Sleep And Miss The Border » ?

En 2010, j'ai tourné en compagnie de musiciens avec lesquels je me produisais –pour certains et un peu moins pour d’autres– depuis une quinzaine d'années. Après cette aventure, je ne souhaitais plus reprendre la route immédiatement sous une même formule. Je voulais tenter une autre expérience. J'ai donc gravé un disque plus personnel, davantage épuré, en 2013. Mais dans ma tête, je repensais toujours aux moments au cours desquels nous étions tous ensemble et à ce que nous étions capables de proposer. J’ai donc eu envie de composer une œuvre qui soit dans leurs cordes et qui leur permette d’apporter la pierre à l’édifice. L'écriture des chansons et l’exercice des démos ont pris un peu plus de temps de prévu ; mais finalement, après quelques années de séparation, on s’est retrouvé en studio. Sous leur impulsion, certains morceaux ont été retouchés. Et très progressivement, le résultat a pris forme, tenant compte du témoignage de nos existences, lorsque nous formions ce bon groupe…

Tu as vécu pas mal de temps à New York. Tu es revenu en Angleterre ?

Oui, j’y vis à nouveau, depuis cinq ans. Mais, je compte encore déménager. Je pense m’installer en France quelque temps. J’ai constamment l’envie de changer d’air…

Tu ne te plaisais plus à New York ?

J'ai aimé y vivre. J'y retourne régulièrement. J'y ai passé un mois à Noël cette année. C'est un endroit qui te communique une inspiration incroyable. Un peu comme Londres, Paris ou Bruxelles. Une énergie prodigieuse émane de toutes ces grandes villes. C’est peut-être un cliché, mais New York évoque une forme de romantisme et de poésie qui t’ouvre l’esprit, un peu comme dans les films et les livres. C'est aussi une métropole où on peut circuler très facilement. J'y ai vécu et je m'y sens comme à la maison. Je sais où je suis et où je vais. J'ai des amis là-bas. Il n'y a pas beaucoup de vrais New-Yorkais qui y sont nés et y ont grandi. Elle est tellement grande et mythique. Elle a une telle envergure et pas uniquement d'un point de vue géographique. Il est agréable de s'y abandonner, s'y laisser porter par le courant des événements. Et j'aime ça, ce sentiment de disparaître dans le ventre d'une cité qui est tellement plus que ce que vous ne serez jamais. En plus, c’est assez rassurant.

Tes parents sont pasteurs. La religion est-elle importante pour toi ? Dicte-t-elle ton écriture ?

Non, la religion n'est pas importante à mes yeux. D'un point de vue sociologique, le comportement des gens par rapport à la religion, leur manière d'y répondre, m'intéresse, mais je ne suis pas quelqu'un de pieux. J'ai grandi dans une famille religieuse et tout un temps, j'ai dû faire partie de ce monde. Mais je l'ai très vite rejeté, car ce n'était pas pour moi. Il est très intéressant de grandir dans cette sphère afin de ressentir le pouvoir de la musique, le pouvoir de chanter dans un choeur dans une église, de vivre cette expérience spirituelle, mais cette implication était étrangère à Dieu ou la Bible ou n'importe quelle religion. Non, elle n'est pas importante pour moi. J'aime ses images, que j'utilise dans mes chansons. J'ai grandi en lisant la Bible, en allant à l'église trois fois par semaine. Ce passé fait partie de moi, mais dans un contexte poétique plutôt que spirituel.

Tu ne te produis pas souvent en Belgique. Pourquoi? Tes concerts y sont pourtant chaque fois sold out ?

J'ai de la chance ! C'est une bonne question. Je ne veux pas solliciter le public trop souvent. Je ne veux pas que les gens s'habituent à ma présence. Quand un concert est programmé, je préfère que le public soit enthousiaste et qu’il se dise ‘Il faut qu'on y aille !’ plutôt que ‘Oh, c'est encore Tom McRae, il reviendra l'an prochain’. Je souhaite que ce moment soit spécial. Proposer quelque chose de différent, innover, afin que chaque concert soit unique en son genre, que ce soit en compagnie d’un groupe, d’un quatuor à cordes, en solo ou autre. Et il me faut du temps pour savoir comment y parvenir.

Tu as sorti un LP ‘live’ en 2007. Sa diffusion est confidentielle. Pourquoi uniquement le vendre en concert et sur ton site et pas en magasin ?

Bonne question ! Je pense qu'aujourd'hui il existe une évolution dans notre manière de diffuser la musique et de la partager avec le public. Encore une fois, c'est une question de sollicitation. Si tu sors officiellement un cd afin de le retrouver dans tous les magasins et que les médias en parlent, tu mobilises ce support à un moment précis. Et c'est la formule que j’adopte quand il y a une matière nouvelle ; car je veux que tout le monde se focalise dessus. Pour ce ‘live’, c’est dans le but de faire revivre les spectacles, de les rendre fun. Je les publie après les tournées. Je ne souhaite pas qu’on y prête trop d'attention. Il s'agit plutôt d'un souvenir d'une certaine période. Je ne veux pas que les mélomanes s'ennuient. Et les journalistes n’ont certainement pas envie d’écrire un papier sur le même artiste chaque année. Sinon ils vont s’exclamer : ‘Oh, encore un nouvel album de Tom McRae’. C’est l’explication et ma manière de dire : ‘Voici un petit album, juste pour vous. Je reviendrai avec quelque chose de plus consistant plus tard’.

Tu as démarré ta carrière en France où tu y jouis d’une certaine notoriété. N’est-ce pas un paradoxe d’y avoir rencontré le succès, avant la Grande-Bretagne ?

Oui, j'ai vraiment eu de la chance de fidéliser un public en France et un peu plus tard, en Belgique. C'est très intéressant d'être reconnu dès la sortie de ton premier album, car si on l’espère, on ne s’y attend pas. Et le vivre sur un autre territoire, puis ailleurs encore et voir ce phénomène se propager, c’est quand même particulier... et même formidable. Aussi, dans un pays comme la France, que je connaissais déjà un peu, où j'avais passé du temps, où j'avais voyagé, c'était assez spécial. J'avais le sentiment que si le succès tardait à venir au Royaume-Uni, ce n'était pas grave. Car la France, la Belgique et la Norvège me l’accordaient. Je me suis rendu compte que peu importe qui vous êtes, quelle que soit votre nationalité, quelle que soit la langue que vous parlez, nous sommes tous pareils. Et si vous parvenez à établir une connexion quelque part, un lien très fort se tisse auprès des gens qui se sont manifestés d’abord. C'est un peu comme les premiers qui débarquent lors d’une soirée : ils reçoivent toujours le meilleur accueil.

« Christmas Eve, 1943 » est une ballade empreinte de mélancolie. Mais de quoi parle-t-elle exactement ?

J'ai vu une photo –je ne me souviens plus très bien où, peut-être dans les toilettes– d'un soldat américain de l'armée de l'air, qui était en garnison à Sorrente, pendant la guerre. Il avait épousé une fille du coin. Et j'ai utilisé ce cliché comme point de départ à la chanson, avant d’imaginer ce que cette situation aurait pu entraîner. Et comme j’ai inventé la suite, la fin est devenue tragique. Il la tue et se suicide ensuite. J’avais l’intention d’écrire un texte narratif. De raconter une histoire autre qu’autobiographique, tout en y ajoutant des éléments auxquels je m'intéresse et des petits bribes de moi. J’ai essayé de ne pas uniquement envisager la réalisation d’un album dans on ensemble, mais plutôt comme de petites saynètes, de courts-métrages, de romans, mis bout à bout. Et tout particulièrement ce morceau. Il a été abordé comme un film. Il retrace leur vie commune et leur séparation. Les images y sont nombreuses. C’est aussi le titre dont le mixing a été terminé en premier lieu. Et il est devenu la pièce centrale. J’ai donc placé la barre assez haute pour le reste, car je voulais que les autres plages soient à la hauteur, aussi bonnes, aussi parfaites et intéressantes. Sans quoi, elles n’auraient pas eu leur place sur le disque. Donc c'est une chanson importante.

Pourquoi ne pas avoir inclus « What A Way To Win A War » sur l’elpee ?

Pour deux raisons. J’aime beaucoup ce single ; mais j’avais l’intime conviction qu’il ne collerait pas à l’album. Il aurait rompu son charme, détonné dans son atmosphère. Or, je souhaitais que l’ensemble soit cohérent et propice au voyage. Suis pas sûr qu’un autre label aurait accepté mon point de vue. On m’aurait peut-être imposé d’y ajouter cette compo. Il s’agit de mon disque et je veux en garder le contrôle, dans la plupart des pays où il sortira. Chez les Beatles, « Penny Lane » et « Strawberry Fields Forever » ne devaient pas nécessairement figurer sur « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band ». Et ils sont restés à l’état de 45trs. Pourquoi faire payer les gens deux fois pour le même morceau ? J’en ai donc conclu que la formule pourrait être fun. Je l’ai filée aux plates-formes légales, comme Spotify. Je voulais simplement annoncer la sortie de « Did I Sleep And Miss The Border », que cette chanson soit juste, un avant-goût. Et finalement, j’estime le processus intéressant.

Tu vas te produire dans une église, à Courtrai. Dois-tu réadapter tes chansons lors d’un événement aussi particulier ?

Oui, il va bien falloir. C'est toujours différent de jouer dans une église. Tout dépend des musiciens qui vont participer au projet. Pas vraiment facile en compagnie d’un groupe, car il n’est pas possible de faire du rock dans une église. Donc j'imagine que je vais devoir tempérer les ardeurs, mais j’ignore encore comment. Nous n'avons d’ailleurs pas encore commencé à répéter. Repose-moi la question, après le concert.

Certains medias comparent ta voix à celle de Jeff Buckley. Qu’en penses-tu ?

Drôle d’idée ! C’est tout à fait faux. Jeff Buckley avait une voix phénoménale. D’ange même. Je ne chante certainement pas comme lui. Je n’ai pas dit que je chantais faux. Je crois même que ma voix est belle, mais je ne boxe pas dans la même catégorie. C’est une méprise, même si je suis flatté de la comparaison.

Quelles sont tes principales sources d’inspiration ?

La pauvreté, la faim dans le monde… c’est peut-être désinvolte de ma part, mais mes influences ne sont pas nécessairement musicales. Bien sûr, j'écoute de la musique et il y a des compos que j’apprécie et que je volerais bien. J'aime la manière dont quelqu'un peut créer un univers. Mais, je ne peux pas le copier, il a déjà été réalisé. Pour composer, je me sers de tableaux que j’accroche dans mon studio et j’y épingle des cartes postales, des pages déchirées d'un magazine ; et j’y inscris aussi des idées, des remarques. Une chanson par support. Et lorsque j’entame l’écriture, je récolte toutes ces sources, panneau par panneau. Elles sont multiples et illimitées : des conversations que j’ai entendues dans la rue, à la TV, dans des films, que j’ai lues dans des magazines, etc. Je lis pas mal de recueil de poésies. En fait, je fonctionne comme un aspirateur.

Quels sont les artistes qui t’ont le plus marqué et incité te lancer dans la musique ?

C'est une bonne question. J'estime beaucoup Bruce Springsteen, Paul Simon et Bob Dylan, mais mes références ne se limitent pas à l’americana. Les plus grandes influences résultent d'une période où on est le plus à même d'être influencé. Adolescent, j’étais complètement tombé sous le charme de deux artistes. Tout d’abord Paul Simon. Personnellement, j’ai toujours estimé qu’il écrivait les meilleures chansons, les meilleures mélodies, les textes les plus significatifs. J'avais l'impression qu'il me parlait, qu’il voulait me communiquer une certaine vérité que je devais comprendre ou un message qu'il voulait transmettre et qu'aucune autre musique n’était capable de me procurer. « Bridge Over Troubled Water » a été un album important pour moi. C'était l'un des trois seuls 33trs pop que mes parents avaient achetés. J'écoutais « The Only Living Boy In New York City » en boucle en pensant que c'était ce que plus tard, je voulais faire. Et puis Billy Bragg. J'ai acheté son premier long playing et je l'ai écouté. Ce n’était pas la plus belle voix du monde. L’ensemble était un peu désordonné. La production était sommaire, mais le disque allait tellement à essentiel. C'était juste un gars avec une guitare. Je ne jamais entendu une de ses chansons à la radio. Je ne l'ai jamais vu à la TV. Ce n'était pas une grande star et pourtant sa musique me parlait plus que tout ce que je pouvais voir ou entendre d'autre. Je voulais devenir comme ces deux gars.

Et Miossec, Dominique A ainsi qu’Alain Bashung ?

C'est triste qu'Alain Bashung soit mort. J'ai eu l'honneur d’assurer sa première partie, il y a quelques années et de le rencontrer. Ce sont des artistes majeurs de la chanson française. Ils ont vécu suffisamment longtemps pour avoir eu le temps d’observer tout ce qui se passe autour d’eux tout en continuant à vivre leur musique. Difficile de croire que la future génération parviendra à atteindre leur statut. Dans 25 ou 30 ans ? J’en doute ! En fait, la carrière des artistes contemporains semble tellement éphémère. Difficile se faire une place au soleil, mais encore plus difficile d’y rester. Tellement difficile, qu’un jour on regardera en arrière vers ces Serge Gainsbourg, Alain Bashung ou Johny Cash. Nous n’en connaîtrons plus d’une telle envergure. J'ai eu la chance de pouvoir chanter « La nuit je mens ». C'est vraiment une bonne chanson.

Quel est le dernier album qui t'a le plus marqué et que tu as éventuellement écouté en boucle ?

« Metals » de Feist. J'adore Feist. Quand il est sorti, juste après « The Reminder » qui lui a permis de percer, j'ai pensé que c’était vraiment un disque unique en son genre. Accrocheur, très dur, intéressant et sombre, en même temps. Et une voix vraiment tranchante. J’en ai conclu qu’en matière de recherche sonore, il avait exigé énormément de travail. Que techniquement, c’était difficile à réaliser. Je l’ai écouté en boucle. Puis le « Bad As Me » de Tom Waits. La plupart des gens ont sans doute pensé qu’il s’agissait d’un autre cd de Tom Waits. Mais, pas seulement ; car il est tout bonnement époustouflant. Ces deux albums, je les ai écoutés pendant les sessions d’enregistrement du mien. Pour concocter deux œuvres pareilles, les deux artistes devaient être au sommet de leur art. Vraiment.

As-tu encore des contacts avec Scott Walker ?

Oui, on s'envoie des messages tout le temps ! (rires) Non, en fait depuis bien longtemps. Scott Walker m'avait demandé de me produire au Meltdown Festival (NDR : en l’an 2000 !) Elliott Smith était alors à l’affiche. J'ai pu le rencontrer et passer un moment en sa compagnie. Une entrevue inoubliable. Mais quand on me parle de Scott Walker, je pense immédiatement à Elliott Smith.

En 2015, tu as écrit « Love More or Less » pour Marianne Faithfull, une composition qui figure sur l'opus « Give My Love To London ». Que représente-t-elle pour toi ? Et pourquoi lui avoir écrit une chanson ?

Elle a appris que je connaissais Rob Ellis, le producteur de cet album. Elle était à la recherche d’un auteur-compositeur qu'elle appréciait afin de mettre ses mots en musique pour une ballade destinée à ce disque. Ils avaient une liste, et finalement, ils m'ont choisi. Et quand Marianne Faithfull te demande un service, tu acceptes, parce que c'est Marianne. Donc elle m'a envoyé son texte et je l’ai mis en chanson. Après, j’ignore ce qui peut se passer dans sa tête. Soit elle aimera ou pas. Soit elle l’utilisera. Ou pas. Mais c’est simplement incroyable de l’écouter chanter cette compo en concert. Qu’elle figure sur un long playing auprès de titres signés par des auteurs aussi illustres que Nick Cave, Warren Ellis ou Steve Earle. Elle appartient à cette catégorie d’artistes qui ont du vécu. Comme Alain Bashung. Elle recherche constamment de nouveaux défis. Et son attitude t’inspire.

Tu sembles dégoûté par le système néo-capitaliste. Pour toi, qui tire les ficelles sur cette terre ? Le monde politique ou financier ?

Certainement pas le monde politique. Ce n’est plus le cas depuis bien longtemps. Il sert de paravent. Tout se trame en arrière. Ce sont les marchés, les banques et la haute finance qui contrôlent notre mode de vie. Nous sommes en danger. Nous vivons une époque périlleuse. Et nous sommes impuissants. C’est inquiétant…

L'Europe sociale et économique est malade. La situation des réfugiés qui débarquent en Italie n’est toujours pas réglée. Tous les pays regardent dans leur assiette et finalement, rien ne bouge. Quel est ton avis à ce sujet ?

C'est ce qui se produit quand l'économie va mal. Les gens ne voient plus au-delà de leurs propres frontières. Certains disent qu’il s’agit de patriotisme, mais c'est plutôt du nationalisme voire du paternalisme. C'est effrayant. Cette situation s’est déjà produire dans le passé et elle n’a pas encore servi de leçon. On a vu ensuite quelles ont été les conséquences. Les termes du débat changent et les gens sont dépouillés de leur humanité. On commence par leur attribuer d'autres noms, puis à attaquer les pauvres, les sans-abris, les chômeurs et enfin les immigrants. Comment résoudre ces problèmes ? En construisant une Europe unie. En adoptant une politique européenne commune afin d’aider ces êtres humains qui fuient la persécution et la précarité. Nous sommes tous des êtres humains. Et je suis toujours surpris... ou finalement, ce n’est pas une surprise... Ces événements me désolent, car personne ne prend en charge le véritable problème. On manque d'imagination. Malheureusement, la question des immigrés est loin d’être résolue. On essaye de limiter les dégâts et on se contente d'attendre, car une juste solution coûte trop cher...

Ta chanson « You Cut Her Hair » a fait l’objet d’une pub pour Kenzo. De quoi t’apporter une forme de notoriété, du fric, ou du plaisir ?

Du parfum ! Elle figure sur mon premier album et remonte à 2008 ou 2009. Bien plus tard après l’avoir écrite. Très étrange. A mes débuts, je n'aurais jamais accepté un tel deal, pour ne pas la dévaloriser. C'est étonnant qu’une telle compo consacrée à un tel sujet puisse servir, par la suite, à une campagne de pub pour un parfum. Et je suppose que comme beaucoup de mes congénères, je me suis retrouvé face à un bon vieux dilemme. Je souhaitais qu’un public le plus large possible puisse écouter cette chanson. Mais en même temps, j’avais l’opportunité de la rentabiliser un max. Tout en bénéficiant du support TV à travers des images d’une jolie femme. Et bien oui, j’ai accepté. Aussi quand je me connecte sur YouTube, ce n’est pas la vidéo tournée au préalable qui est diffusée –soit celle de la visite d’une maison étrange en compagnie d’un vieux monsieur, et qui me met en scène drôlement coiffé– mais d’une femme, à moitié nue, traversant un champ de coquelicots. Et finalement, c'est génial !

 

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