Bassiste, leader et seul membre originel encore présent au sein des Stranglers, Jean-Jacques Burnel publie son autobiographie sous forme d'interview… qu'il a accordée par ailleurs en… franglais !
C'était le plus jeune, le plus frenchy de la formation anglaise, le plus punk sans doute. De parents normands, Il avait ‘la folie’ (morceau qu'il chantait en français dès 1980 sur l'opus éponyme). Devenu maître karatéka, il descendait dans la foule pour régler le compte des emmerdeurs. Il a donc publié, sous forme de dialogues avec Anthony Boile, déjà auteur d'un ouvrage sur les Stranglers, son autobiographie en douze chapitres : douze morceaux qui évoquent notamment son identité duale franco-britannique, son amour des motos, de la bagarre ou son engagement pro-européen.
Maniant la provocation et l'humour (on peut être maître de karaté et de la provocation, ceinture humour noire) dans le livre comme dans l'interview qui suit, Jean-Jacques Burnel laisse poindre sa rancœur face à la trahison de son binôme Hugh Cornell –le chanteur qui a quitté le groupe voici trente ans, et son amour sincère et indéfectible pour un étrange territoire : la Belgique et les belles personnes qui la peuplent…
Chez les Stranglers, vous ne composiez pas beaucoup de chansons politiques, pourtant vous vous intéressez à la géopolitique, le livre le prouve, notamment à travers ce point de vue visionnaire à l’égard de ce qui se déroule actuellement en Europe…
C'est vrai, je m'intéresse à ce qui se passe dans le monde et je constate que beaucoup de gens ‘are sleepwalking in the fucking disaster’.
Oui, je m’y intéresse parce que je fais partie du monde ; et nous, petites personnes, nous pensons que nous incapables de changer les évènements. Mais pour l'Ukraine, c'était évident : nous avons eu un comportement hypocrite vis à vis de la Crimée, à l'époque. Et la suite le démontre lors de la Coupe du monde de football en Russie que nous n'avons pas boycottée. On a donné la Crimée à ‘Putain’ (sic !) et ensuite, hypocritement, tout le monde est allé jouer la coupe du monde en Russie. Déjà, à ce moment, on aurait dû dire stop. Personne ne l'a fait et le fric a gagné de nouveau, ainsi que la lâcheté.
Pourquoi y a-t-il dès lors proportionnellement peu de textes politiques dans le répertoire des Stranglers ?
Je ne suis pas d'accord. Souvent on a manifesté un engagement politique, ni de gauche ou de droite, mais en observant, à la manière des journalistes. Et puis c'est à l'auditeur d'en tirer ses propres conclusions.
On parlait de la Russie, il y a eu "Curfew" sur l'elpee "Black and White" en 78, qui évoquait une possible invasion de l'Angleterre. "Shah Shah A gogo", juste avant l'arrive de Khomeiny au pouvoir en Iran… il y en a beaucoup en fait. Mais on ne peut pas prendre au sérieux un groupe musical ; nous n'avons pas plus de crédibilité que n'importe qui ou quoi… que ‘Ça plane pour moi’ (rires).
Mais nous avons autant droit à une opinion que quiconque. Mais bon, ce n'est pas publié dans un journal sérieux ; c'est juste les Stranglers… de vieux punks ! (rires)
Cependant, il est judicieux de poser la question, car elle fait ressortir le boulot d'un artiste vivant dans la culture moderne. Il est assez flatteur que vous me la posiez. Merci (rires) !
L'apport des Stranglers a souvent été sous-estimé au sein du mouvement punk, comparativement aux Sex Pistols et aux Clash, vous en parlez dans le livre. En éprouvez-vous de l’amertume ?
Je n'ai pas le temps d'en avoir. De toute façon, ce n'est pas complètement vrai. Shakespeare a dit ‘He who laughs last, laughs longest’.
Et ‘we are laughing the last’, n'est-ce pas (il sourit) ?
Humour noir
Votre musique était déjà plus élaborée, la provocation se produisait sur les planches et en dehors ?
J'espère lire entre vos lignes qu'entre guillemets nous étions plus raffinés que les autres ?
Exact !
Merci !!!!
Vous êtes les hommes en noir, mais surtout humour noir ?
Quel humour (rires) ?
Depuis tout petits, nous avons été biberonnés aux Monty Python et au reste… L'humour britannique est parmi les plus fins et les plus subtils. Ce n'est pas toujours Benny Hill vous savez… (rires)
Ou Mister Bean ?
Qui a d'ailleurs tout pompé chez Monsieur Hulot !
L'humour noir que vous pratiquez est très britannique et finalement pas si courant dans le punk ?
Soyons honnêtes, les Britanniques ont beaucoup d'atouts, d'autodérision, et se foutent de leur propre gueule, ce qui les rend attrayants. Car il n'y a rien de moins attirant que quelqu'un qui se prend très au sérieux ou des gens qui sont imbus d'eux-mêmes.
Ce noir que vous portez sur scène exprime ce côté puritain que vous revendiquez dans le livre, mais, en même temps, le puritanisme c'est le politiquement correct qui nous domine désormais…
Ah non ! La cancel culture, tout ça c'est du bullshit ! Je suis puritain dans le sens cromwellien.
Pensez-vous que l'on accepterait encore aujourd'hui la provocation dont vous faisiez preuve sur les premiers elpees ?
Il y a certainement un morceau, et j'essaie d'ailleurs de convaincre les autres membres du groupe de le rejouer, sur le deuxième album, qui s'intitule "Bring On The Nubiles", dont les paroles sont choquantes au regard d'aujourd'hui.
Je crois qu'il y avait plus de liberté d'expression à une certaine époque que de nos jours…
Ceinture… noire
Vous êtes champion de karaté. Je me demandais, vu vos rapports désormais exécrables, si vous aviez Hugh Cornell en face de vous ; lui casseriez-vous la figure ?
Non ! Ce serait trop facile (rires).
Quand vous avez le niveau de karaté (NDLR : 7ème dan) que j'ai atteint, bien que je ne sois plus de ce niveau, vu mon âge, vous respectez ce que vous avez appris et ce que vous êtes capable de faire.
J'allais dire : ce serait comme si la Russie envahissait un petit pays comme l'Ukraine… (il rit)
C'est un peu David contre Goliath…
Concernant Hugh non, je n'ai pas besoin de lui casser la gueule parce que j'ai perdu tout respect pour lui. D'ailleurs, il s'est cassé la gueule tout seul… (il sourit)
Mais tout au long du livre, on vous sent…
Déçu !
Oui, un peu comme si votre amie vous avait quitté…
Oui, et surtout quitté pour une autre fille (il rit) !
Hugh nous a quittés pour devenir une méga star, pour grandir ; cela n'a pas marché. Résultat : il est devenu aigri et amer et me descend chaque fois qu'il peut.
C'est petit et méchant.
De ma part aussi d'ailleurs… d'en parler (il rit) !
Au cours des entretiens repris dans ce livre, vous exprimez votre amour de Bruxelles et de la Belgique ?
Aaah ! C'est un magnifique endroit. D'abord, Bruxelles est une belle ville du point de vue architectural, le côté flamand de l'architecture. Par ailleurs, les Belges sont très conviviaux. Ce n’est pas pareil aux Pays-Bas, notamment. J'ai passé de super bons moments en Belgique. Nous avons enregistré trois albums à Bruxelles, et j'ai même présenté une émission sur radio 21, le jeudi soir, pendant quelques semaines. Gratuitement, car ils ne pouvaient pas me payer. Mais ils me filaient tout de même une bouteille de vin. Bizarrement, l'émission se désintégrait vers la fin… (rires)
C'est un beau pays qui est le mien comme dit Brel, qui possède beaucoup d'atouts et n'est pas très connu. Bon, ce n'est pas un vrai pays, il a été un peu créé par les Anglais.
C'est ‘understated’ ; il y a de beaux villages, on y est bien accueilli et elle est peuplée de très jolies filles. Ce mélange ADN wallon et flamand est un bon mix !
Mais ce que je trouve très rigolo en Belgique c'est la devise : l'union fait la force… C’est une blague !
Et puis, les Belges sont les premiers au monde à avoir prouvé qu'un pays peut bien fonctionner sans gouvernement.
Ne seriez-vous pas un peu belge, puisque vous êtes une sorte d'’homme-tampon’ entre la Grande-Bretagne et la France, dont les parents sont français, mais qui a toujours vécu en Angleterre ?
Oui, je prends ! Si vous essayez de me provoquer, cela ne marchera pas !
N'essayez pas de provoquer un maître provocateur… (il se marre)
Et comme karatéka, vous pourriez vous appeler Jean-Jacques ‘Burnes’ ?
Oui j'ai des couilles énormes (rires) !
C'est vous qui auriez dû écrire "Never mind the bollocks", car vous avez des ‘balls’. Vous descendez dans le public pour casser la gueule à quelqu'un quand il vous emmerde…
(Il chante "My Way de Frank Sinatra") ‘Regrets, I've had a few, but then again, too few to mention…’
Oiseau… noir
La formation a choisi comme symboles le rat et le corbeau –et c’est toujours le cas– deux animaux qui sont mal aimés et pourtant très intelligents, ce qui est aussi le cas des Stranglers…
Je prends cette comparaison comme un compliment.
Le rat est un animal qui s'adapte très aisément, comme les… morpions ! Si une guerre nucléaire se déclenchait demain, en une génération, les rats s'adapteraient.
Le corbeau est-il vraiment mal vu ? Si l'on évoque Hugin et Munin les corbeaux d’Odin dans la mythologie viking, ce sont les plus grands des corvidés, et les plus forts. Ce sont eux qui informent Odin de ce qui se passe dans le monde : ils sont ses yeux. Raison pour laquelle je les ai pris comme symbole.
Cela me touche et fait écho en moi, qui suis d'origine normande.
Qui voyez-vous comme héritier des Stranglers, actuellement ?
Je ne vois pas, pour l’instant, de groupe aussi mélodique, rythmique et brillant… chiant (rires) et très bon sur scène.
Vous reconnaissez, apparemment, l’existence d’extraterrestres. Mais, croyez-vous aux reptiliens ?
C'est plus ou moins la même chose.
Les scientifiques tentent de trouver le chaînon manquant et même le darwinisme ne l'explique pas. Désormais, le gouvernement américain a rouvert une section consacrée aux ovnis, car il s’est produit trop d’événements inexpliqués observés par leurs pilotes d'avion.
Stephen Hawking a prouvé qu'il existait d'autres dimensions. Peut-être vivent-ils en même temps que nous dans une autre dimension. Il existe parfois des ouvertures sur ces autres dimensions, si est branché sur la bonne fréquence.
Par ailleurs, nous sommes une petite planète où il y a de la vie près d'une étoile. Vu les milliards d'étoiles qui peuplent l’univers, mathématiquement, la probabilité qu'il y ait une planète semblable à la nôtre, est grande.
Quelle est l'influence du Japon sur les Stranglers ?
Elle est énorme. D’abord, parce que je suis karatéka depuis 50 ans ; et sous d'autres aspects également.
J'ai produit le band japonais, Lizard, et j'ai joué dans un grand groupe de là-bas, ARB, à une certaine époque (NDLR : en 1984 !). Difficile pour moi de déterminer exactement l'influence, mais elle appartient à ma vie.
"La folie", c'est tout de même une chanson qui raconte l’histoire d’un Japonais qui a dévoré sa fiancée ?
Oui. Issei Sagawa a d'ailleurs accompli une carrière sur le thème du cannibalisme à la télévision japonaise. Cette pratique n'a pas exercé une grande influence sur moi, heureusement (rire sardonique) ; le morceau peut-être… je veux dire, de musique (il rit).
Jean-Jacques Burnel. Strangler In The Light : Conversations avec Anthony Boile (Le Mot et Le Reste)