Goudi et Lubna Azabal dansent le tango de l’ennui…

Lubna Azabal est une actrice belge née à Bruxelles d'un père originaire du Maroc et d'une mère espagnole. Après avoir été dirigée par les grands noms du cinéma international, elle a remporté ‘Le Golden Globe’ pour le film ‘Paradise Now’. Lubna adore les…

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Une piqûre de rappel pour Pond…

Le nouvel elpee de Pond, « Stung ! » paraîtra ce 21 juin 2024. A ce sujet, Nick Allbrook a déclaré : ‘J'ai écrit la plus grande partie de cet album en tondant la pelouse de quelqu'un. Je suis rentré chez moi, j'ai posé mes doigts sur le piano et j'ai joué la…

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Interviews

Richard Hawley

Des histoires de Cockers à Sheffield, dans le Yorkshire…

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Ancien guitariste de Pulp, Richard Hawley est parvenu à construire, en deux décennies, un répertoire très personnel et mélancolique forgé au sein d’un univers marqué par sa ville de Sheffield, que ce grand promeneur musical et pédestre revendique dans des compositions aux allures de paysages en cinémascope dessiné par sa six cordes électrique et sur lesquelles se pose sa voix de baryton, mais aussi à transformer un handicap physique de naissance en atout...

Sa carrière solo, résumée sur un double cd intitulé "Standing At The Sky's Edge" (NDR : qui figure au générique du dernier film de Wes Anderson), a été couronnée d'un ‘Brit Award’. Ce qui n'empêche pas Richard de collaborer avec des artistes aussi divers que les Arctic Monkeys, Elbow ou Paul Weller ou encore de produire, à la grande joie de cet amoureux du rock des pionniers, d’autres artistes, dont Nancy Sinatra…

D'aucuns affirment que vous chantez comme Roy Orbison. Pour vous, c’est un compliment, je suppose ?

Roy chantait de manière plutôt aiguë. Ma voix évolue plutôt dans le registre des basses. C'était un chanteur dramatique, quasiment d'opéra. 

Quelle est l'importance de la ville de Sheffield dans votre répertoire ?

C'est chez moi. J'y ai vécu ici toute ma vie. Vivre ailleurs m’est totalement étranger. Je ne sais pas ce que c'est de vivre à Bruges, en Belgique ou en Chine Si je feignais d'être influencé par une autre ville ou un autre environnement, le résultat sonnerait faux. Il s'agit d'exprimer une vérité : la mienne. J'écris sur ce que je vois, ce que je ressens, et ces impressions se produisent à Sheffield. 

Si vous déménagiez, votre musique serait-elle différente ?

Je ne crois pas ; Sheffield me manquerait.

La fente palatine dont vous avez souffert lorsque vous étiez enfant vous a-t-elle donné envie de chanter ou de devenir une personnalité connue ?

Quand je suis né, on a annoncé à mes parents que je ne serais jamais capable de parler… et certainement pas capable de chanter. Ma famille m'a donné confiance, alors que beaucoup considéraient ce bec de lièvre comme un handicap. En vieillissant, j'ai appris à le transformer un atout…

Je peux deviner, en quelques secondes, si je suis en présence d’un trou du cul ou une personne formidable ; c'est écrit sur mon visage. Il suffit de me regarder et, à mon tour, je peux observer le regard de l'autre.

Et qu'en est-il du chant ?

C'est indéniablement un avantage. Ma bouche est une immense caisse de résonance. Mais je tiens à préciser que je n'ai jamais physiquement souffert, grâce à l'intervention de la médecine. Par ailleurs, mes parents m'ont convaincu que je valais autant que n'importe qui d'autre. Je ne suis pas meilleur que quiconque… Je suis juste différent et je vois les choses différemment, par conséquent. Et comme je suis différent des autres, j'ai développé plus rapidement de l'empathie. Surtout aussi parce que j’ai été victime de cruauté, et en particulier de cruauté émotionnelle, de la part des autres enfants

Avez-vous justement développé de l’empathie à l’égard des personnes nées avec le même handicap physique ?

Je suppose que oui. Nous pouvons tous nous entraider. Mais ce n'est pas comme si nous formions un gang (il rit).

Croisez-vous toujours Phil Oakey de Human League lorsque vous promenez votre chien au parc ?

Non, parce le sien est mort. Je croise encore Phil mais, occasionnellement, au pub... à Sheffield (il sourit).

Puisque l'on parle de chien, quelle relation entretenez-vous aujourd'hui avec Jarvis... Cocker de Pulp ?

Il reste l'un de mes meilleurs amis. Rien n'a vraiment changé... si ce n'est que nous avons vieilli (il sourit).

Et quelle était votre relation avec Joe... Cocker qui était également originaire de Sheffield ?

C'était un ami proche de mon père. Joe était mon parrain, mais je l'ai perdu de vue à la suite de son départ en Amérique. Mon père et lui travaillaient ensemble pour la compagnie de gaz, et réparaient des radiateurs ; ils s'appréciaient énormément et bossaient ensemble à l'usine.

Vous a-t-il influencé musicalement ?

Pas vraiment, mais il aimait la musique avec laquelle j'ai grandi : Ray Charles et beaucoup de vieux morceaux de rhythm’n’blues. Mais j'aime beaucoup la musique de Joe. Son style vocal est assez agressif et bourru, aux antipodes du mien. Mais c'était quelqu'un de bien...

Vous êtes fan du club de foot de Sheffield Wednesday. Pourquoi ne pas composer un hymne à leur attention, à l'instar de ce que Judas Priest a réalisé pour Sheffield United ?

Il m'est très difficile de discuter de Sheffield Wednesday pour l’instant, car c'est vraiment la pire saison de l'histoire du club. Nous avons donc été promus en seconde division cette année et là nous sommes bons derniers : cela tourne à la blague (silence).

Est-il possible de changer de sujet ? Ou je vais avoir envie de me pendre à la fin de cet entretien (il rit).

Vous avez écrit la musique du film ‘Funny Cow’. Était-ce très différent au niveau de la composition ?

Lorsqu’on compose de la musique pour une bande originale ou pour un groupe ou un disque, les cadences de travail sont très différentes. Composer une B.O. est plus cinématique. Les chansons titres que j'ai écrites se répartissaient en trois sections.

Comme je promène mon chien tous les jours, elle a été écrite au rythme des trois promenades canines. Chaque fois que je suis rentré, j’avais une section différente en tête. 

Le chien est donc désormais détenteur de toutes les royalties (rires).

Je suppose dès lors que votre chien est une excellente source d'inspiration pour votre musique ?

Pire… C'est lui le génie et c'est moi l'idiot (rires) !

Richard Hawley - Now Then : The Very Best of Richard Hawley - 20/10/2023

 

 

The Damned

Lemmy Kilmister a joué de la basse chez Damned...

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Auteur du premier single punk quelques semaines avant celui des Sex Pistols, The Damned, s’il n’a pas rencontré le même succès, peut cependant se targuer d’une longévité impressionnante pour une formation de ce genre : 45 ans d’existence pour ce groupe vétéran. Excusez du peu ! Captain Sensible, dernier membre fondateur du quintet actuel, au même titre que le chanteur Dave Vanian, a par ailleurs été l’auteur, à titre individuel, d'une carrière solo ponctuée par le tube interplanétaire “Wot !”, au début des eighties. Le guitariste évoque, avec humour, l'étonnante carrière de The Damned ainsi que cet excellent treizième elpee studio aux chansons accrocheuses, d’une fougueuse jeunesse et parfois belles... à se damner…

Votre jeu de guitare se révèle très en avant et trahit sur cet LP (NDR : il s’intitule "Darkadelic"), des accents hard rock, notamment sur le morceau “Girl I'll Stop At Nothting”, dont le solo évoque étrangement ceux que dispensait Ritchie Blackmore au sein de Deep Purple.

(Il rit) En fait, c'est par cette compo que nous terminions les concerts de notre tournée qui vient de s'achever en Europe et au Royaume-Uni. Mon solo était différent chaque soir et opérait une sorte de dialogue entre le synthé et la guitare, à la manière de John Lord et Ritchie Blackmore, à l'époque. D'ailleurs, à la fin de l'un des shows et de ce titre, je me suis écrié : ‘Bloody hell ! Mesdames et messieurs, nous sommes en train de devenir Deep Purple (rires) !’

Comme vétéran du punk justement, que pensez-vous de groupes punkoïdes récents comme Shame, Fontaine D.C., Idles ou Viagra Boys ?

Je n'en connais aucun... Je suis sûr qu'il existe de bons groupes aujourd'hui, mais il y a tellement de merdes autour.

Je n'arrive pas à me résoudre à les écouter et me contente de plonger dans mes anciens disques. Je suis le vieux gars assis dans un coin du pub, à me plaindre que la musique actuelle est nulle. Les autres habitués du bar racontent aux clients de passage qui s'étonnent : ‘Faut pas s'inquiéter, ce vieux grincheux se plaint toujours que toute la musique actuelle est à mettre aux chiottes. On s'en fout de ce que raconte ce débris installé près du juke-box... que plus personne n'écoute non plus (rires)’

L'humour des punks

“Wake The Dead”, “Beware of the Clown” et “Roderick” sonnent comme du gothique avec de l'humour, un peu comme le vampire du Muppet Show à l'époque, les films de Roger Corman ou de Russ Meyer.

Un côté kitch dans le fantastique que nous cultivons, à la manière de certaines icônes du genre comme Vincent Price ou Bela Lugosi, figure qui est certainement liée à l'apparition du gothique dans le rock. Il suffit de regarder le “Bela Lugosi's Death” de Bauhaus, à l'époque.

Les groupes punk ont-ils un grand sens de l'humour ?

Cela devrait être le cas et pourtant... Le punk était une sorte de réaction contre les ‘rock stars’ prétentieuses des seventies qui pensaient avoir inventé la roue et remplissaient les stades. Cette réaction ironique supposait un certain sens de l'humour, mais malheureusement, la plupart des musiciens punk connus se sont également trop pris au sérieux.

Ce qui est incroyable, c'est que Nick Mason, membre de Pink Floyd, archétype du rock progressif, ce qui ne correspond pas vraiment à l'image que l'on se fait d'un groupe punk, a produit un de vos disques ?

A l'époque, nous avions demandé à l'éditeur musical de Pink Floyd, qui était également le nôtre, s'il pouvait solliciter Syd Barrett, premier leader et chanteur de Pink Floyd, afin qu'il produise notre prochain album. Nous sommes donc allés au studio en attendant Syd Barrett ; et c'est Nick Mason qui a débarqué à la place. Il a déclaré : ‘Oh, je suis désolé, les gars ; Syd n'est pas en état de le faire. Cela vous dérangerait-il que je produise l'album à sa place ?’ Et comme, en plus, il nous proposait d'enregistrer gratuitement dans le studio du Floyd, nous avons accepté.

Marc Bolan

Un des événements les plus étonnants dans votre carrière, c'est que vous avez assuré la première partie de T-Rex, icône du glam rock, genre que les punks sont sensés détester et auquel ils se sont opposés…

C'est vrai, mais Marc Bolan était quelqu'un d'intelligent, contrairement à certains de ses contemporains, de ces grandes stars du rock des seventies qui détestaient la musique punk. Pour sa part, Marc estimait qu’il s’agissait de l’actualité et voulait en faire partie. Il s'est coupé les cheveux et a demandé à son groupe d'accélérer le rythme de chaque chanson, interprétant des versions plus rapides de ses tubes. Tous les soirs, j'assistais à son concert qui se révélait fascinant. Marc était un très bon guitariste et livrait une version brute et bien plus passionnante de ses titres. Il s'est vraiment montré sympa avec nous, nous emmenant dans son bus de tournée en nous prodiguant des conseils pour le choix des studios et en termes de directions musicales...

Lemmy Kilmister de Motörhead aurait joué de la basse chez Damned...

Oui ! C'était à une époque où j'ai quitté le groupe pour rejoindre Amsterdam. Nous étions tous complètement ruinés, au point que je dormais par terre chez des connaissances. Rat Scabies, le batteur de l'époque, m'a téléphoné un jour et m'a proposé de nous reformer pour quelques dates, afin de gagner un peu d'argent et payer les factures. ‘Tu t'occuperais de la partie guitare’ me dit-il, ajoutant ‘Et il ne nous reste plus qu'à dénicher un bassiste’.

Nous avons alors pensé à Lemmy parce que nous savions dans quel pub londonien le trouver. Je suis allé le voir et il m'a dit ‘Ok, laisse-moi essayer’. Pour ces concerts, il devait juste apprendre cinq ou six morceaux de Damned et nous avons fait de même pour une poignée de compos de Motörhead... Et finalement, nous avons tous été payés (rires) !

The Damned - « Darkadelic » - sortie le 28 avril 2023 sur V2.

Vince Clarke

De la musique électronique organique…

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« Just Can't Get Enough », premier succès de Depeche Mode, c'était lui. Ensuite, il est parti former Yazoo, avant de fonder un autre duo baptisé Erasure. Fervent défenseur de la ‘synth pop’ (NDR : la pop électronique), le voici qui, la soixantaine bien entamée, publie son premier LP solo, quasi instrumental, et ambiant, organique aussi, malgré l'omniprésence des machines, déployant des paysages sonores grandioses nonobstant le climat claustrophobe qui a prévalu à leur création durant les différents confinements dus à la COVID.

Rencontre avec Vince Clarke qui sort son premier album solo en 40 ans de carrière…

Pourquoi ce titre, « Songs of Silence » ?

J'ai eu l'idée de ce titre, que j'ai gardé en tête, alors que je travaillais sur un autre projet il y a quelques années. Mais il s’explique surtout parce que je suis un grand fan de Paul Simon, et au cours de mon adolescence, une de mes chansons préférées était « The Sound of Silence » de Simon and Garfunkel. Par ailleurs, comme il s'agit principalement d'un disque instrumental, le titre coïncide parfaitement avec l'ambiance de l'album.

L'Eurorack, synthétiseur spécial que vous utilisez sur cet elpee, y joue un rôle central...

Il existe de multiples fabricants de modèles dans le monde entier qui créent leur propre style de synthétiseur. Eurorack permet de réunir toutes ces différentes approches. Un peu comme si vous aviez en main la voiture idéale : un moteur Porsche, un design Alfa Romeo... 

Je suppose que nous devons remercier la COVID qui vous a enfin permis de sortir votre premier long plyaying solo en quarante ans de carrière ?

Il a certainement été le facteur déclencheur. Durant le premier confinement, j'étais coincé chez moi comme tout le monde, et j'ai passé beaucoup de temps en studio. C'était une période très propice à la réflexion. Beaucoup de mauvaises choses se sont produites dans ma vie et dans celle d'autres personnes proches, ce qui a vraiment influé sur la façon dont j'ai commencé à composer ces morceaux. Je souhaitais exprimer d'une manière ou d'une autre la tristesse que je ressentais à ce moment-là.

Au départ de chacun compo, vous produisez une note et vous ‘tournez autour’ un peu à la façon dont Michael Brooks utilisait son ‘infinite guitar’, il y a trente ans. Cet opus serait-il en rapport avec ce procédé ?

Il y a certainement un lien, mais également avec d'autres musiques ambient électroniques que j'ai écoutées récemment.

En compagnie d'un ami, je produis une émission de radio consacrée à la musique électronique. C’est l'occasion pour moi de découvrir de nombreux artistes différents et divers types de musique ambient. J'ai toujours été curieux de savoir comment ces musiciens s'y prenaient pour composer ; pour ma part, je travaille à la création de chansons classiques depuis 40 ans dans un format refrain/couplet/refrain. Je me suis demandé si je serais capable de créer, développer et étirer un morceau intéressant sans vraiment utiliser ces astuces, plutôt que d'utiliser les traditionnels changements d'accords.

Je comptais sur une texture évolutive. Et j'ai aimé le processus plus que tout. Je l’ai trouvé très thérapeutique dans son ensemble.

Avez-vous été influencé par des artistes comme Brian Eno, David Sylvian, Ryuichi Sakamoto, Laurie Anderson ou Tangerine Dream ?

Evidemment, je connais tous ces artistes programmés dans notre émission de radio ; mais, pour être tout à fait franc, je n'ai vraiment découvert cette musique qu'il y a environ quatre ans. Jusque-là, le genre ne m'intéressait pas particulièrement. C'est sans doute parce que je vieillis un peu ; j'ai plus de patience désormais pour écouter un morceau (il sourit).

Par ailleurs, la musique ambient électronique a fortement évolué. S'il y a 20 ans, quelqu'un m’en parlait, je pensais toujours au bruit de la mer sur le rivage ou au cri des baleines (rires). Le genre s'est énormément développé, parallèlement à l'évolution de l'instrumentation électronique dont on dispose désormais. Le matériel que j'utilise à présent est beaucoup plus ouvert à l'expérimentation et je trouve cette perspective fascinante.

Vous faites est une sorte de ChatGPT musical sous contrôle humain ?

(Il rit) Oui, je suppose. Pour certains morceaux du disque, lorsque j'enregistrais, alors que je produisais quelque chose de très électronique, j'entendais parfois un son plus humain dans ma tête. Ainsi, par exemple, « The lamentations of Jeremiah » était au départ une sorte de paysage sonore de science-fiction. Je l'ai ensuite envoyé à mon ami Reed Hays, un excellent violoncelliste, qui a composé et enregistré une partition de violoncelle par-dessus. Soudain, c'est devenu un morceau complètement différent, très humain et triste.

Et c’est pareil pour le titre « Passage » qui contient une voix de soprano tout au début et en son milieu ; là encore, l'apport de la voix a créé ces morceaux particuliers, subitement complètement différents et organiques.

Pourquoi n'en jouez-vous pas vous-même car le premier instrument sur lequel vous avez joué lorsque vous étiez enfant, c'était le violon ?

C'était il y a longtemps ! J'ai commencé à en jouer à l’âge de 12 ans. J'ai gardé mon violon... qui est irréparable. Mais en vieillissant, j'apprécie d'autant mieux les talents et les compétences des autres d'autant que ceux de Reed Hays sont exceptionnels. Aucune chance que je puisse l'égaler vu mon lamentable jeu au violon (rires).

Vous êtes un passionné de technologie et d'instruments de musique. Aviez-vous l'impression durant l'enregistrement d'être semblable à un pilote de drone ?

(Il réfléchit) Je ne sais pas... L’intégralité du processus d'enregistrement de ce disque s'est révélée complètement différent de tout ce que j'ai réalisé auparavant.  D'abord, j’étais seul en studio ; enfin, mon chat et moi. Évidemment, lorsque j'écris des chansons avec mon partenaire d'Erasure, cela n'a rien à voir. Mais ces sessions n’étaient pas censées se retrouver sur disque. C'était juste moi qui expérimentais et créais de la musique en studio. Donc à l'origine, les morceaux s'intitulaient drone 1 2 3 4. Puis j’ai envoyé les fichiers à mon ami Daniel Miller de Mute Records qui m'a suggéré de les graver sur un album, ce qui n'était pas du tout mon intention au départ. J'aurais pu être simplement heureux de continuer à triturer ces morceaux à l'heure où je vous parle. Mais j'en ai tiré beaucoup de satisfaction, notamment du processus, probablement plus que toute autre chose. Un voyage intéressant.

Mais alors pourquoi des titres comme « White Rabbit » et « Red Planet » ?

(Il rit) J'avais l'habitude, pour les albums d'Erasure, d'écrire les chansons, et de laisser le choix des titres à Andy qui est bien meilleur que moi dans ce domaine.

Soudain, la responsabilité était mienne... résultat, c’est devenu un cas vraiment classique du son du morceau qui suggère le titre.

Par exemple, j’estime qu'un titre comme « White Rabbit » semble assez frénétique.

Et évidemment, c'est une référence à ‘Alice au pays des merveilles’. Le passage, dans lequel chante la soprano, me donnait l'impression d’un voyage difficile. Mais les titres ont surgi spontanément ; il m'a fallu à peine une demi-heure pour intituler les dix morceaux. Je devais sans doute inconsciemment y penser ces deux dernières années, car soudain ils ont émergé à la surface de ma conscience...

Et « Mitosis », est-ce une référence au jeu vidéo ou à cet élément scientifique qualifié de mitose ?

C'est une référence au phénomène scientifique, à l'activité frénétique des cellules qui se divisent.

Je souhaitais un titre qui exprime la vitesse et le chaos. Et c'est le mot qui a surgi.

« Red Planet », se réfère, je suppose, à la planète Mars.

En effet. Et je suis un grand fan de science-fiction.

Il en était donc de même pour un autre morceau, intitulé « Last Transmission ». Ils sont le résultat de visionnages de films de science-fiction pendant la COVID.

Donc, si Ridley Scott vous demandait de composer la bande originale du nouveau ‘Prometheus’, vous répondriez avec enthousiaste ?

Et comment ! Le tout premier titre que j'ai composé et qui m'a inspiré l'album, « Cathedral », l'a été après avoir visionné ‘Blade Runner 2049’ que j'ai dû voir six fois. A la fin, j'ai commencé à prêter attention à la bande originale. Et je me rappelle juste m'être dit :  ‘J'adore cette B.O. et je crois que je vais composer celle de ‘Blade Runner 3’... Mais j'attends le coup de fil, on verra bien (rires).

Mais rêvez-vous de composer la bande originale non seulement d'un film de science-fiction ou tout simplement d'un film ?

J'ai en quelque sorte composé quelques petites choses par ci par là, mais c'est un autre monde. Je me suis penché là-dessus il y a peut-être 20 ans. J'ai passé du temps à Los Angeles avec des gens du cinéma et des directeurs musicaux. Après ces rencontres, j'ai réalisé que c'était un univers dans lequel je ne voulais pas évoluer. Il y a beaucoup de politique en jeu, et puis je ne souhaitais pas composer en compagnie de quelqu'un qui regarde par-dessus mon épaule.

La pochette évoque le ‘Best of’ de The Cure, un disque paru il y a bien longtemps, dont la photo en noir et blanc représente le visage d'un vieil homme ?

Lorsque cette aventure s’est transformée en album, j'ai souhaité que la pochette corresponde un peu plus à un documentaire ou soit un peu plus sérieuse que celles des disques auxquels j'ai participé par le passé.

L’idée que ce soit dans un style très documentaire et très rugueux me semblait intéressante. J'ai 63 ans et il me plaît de ne pas faire semblant de ne pas avoir mon âge. Les visuels donnent un peu plus de poids au disque ; c'est pourquoi nous avons choisi le noir et blanc. Et le photojournaliste Eugene Richards n'est pas du tout un photographe musical, mais plutôt documentaire.

Comment revoyez-vous aujourd'hui à cette scène électro qui a sévi au début des années 80 ? Je pense à John Fox, Heaven, 17, Human League et Fad Gadget ?

C'étaient mes héros. Je garde donc de très bons souvenirs de cette époque et, j'écoute encore toujours ces disques.

Lorsque j'étais jeune, la musique punk est apparue, ce qui était assez excitant ; mais en fin de compte, je ne la trouvais pas très révolutionnaire. Juste du rock and roll joué un peu plus vite...

Ce qui ne veut pas dire que je n'aimais pas. Au contraire j'adore les trucs punk.  Mais quand la musique électronique a émergé, elle m'a paru révolutionnaire.  La réinvention de tout, du son, surtout grâce à des groupes comme Human League, Fad Gadget et Neu!, c’est quelque chose que nous n'avions jamais entendu auparavant.

C'était donc incroyablement excitant. Eh bien avant de commencer à faire de la musique pour de l'argent, mes amis et moi étions fans de ces formations qui ont émergé à l'époque…

Ceux que j'ai mentionné pratiquaient de la cold wave. D'un autre côté, des bands comme OMD, Ultravox, Pet Shop Boys et The Bronsky Beat étaient plus pop. Vous les appréciiez autant ?

Oui. Je suis un grand fan de ces groupes simplement parce qu'ils ont sorti énormément de bonnes chansons. A l'époque de Depeche Mode, nous étions tous fans de musique pop, de chansons qui duraient trois minutes, sans doute parce que c'est ce à quoi nous avons été exposés à la radio en grandissant. Dans le cas d'Erasure, on dit souvent que nous sommes un groupe de synth-pop. Mais je préfère entendre qu’Andy et moi sommes de véritables auteurs-compositeurs.

Simplement, nous utilisions des synthétiseurs. Les chansons que j'ai le plus aimées sont pop, dont je suis grand fan et je n’ai pas honte de le dire.

Les Sparks et Jean-Michel Jarre ont-ils exercé une grande influence sur vous ?

Oh, « This Town's Not Big Enough For The Both Of Us » a été le tout premier disque que j'ai acheté. J'avais 15 ans et ma sœur travaillait chez un disquaire et pouvait bénéficier d’une réduction. Ce qui était donc important. C'était la première fois que l'on voyait un claviériste qui ne souriait pas... Par la suite, évidemment, tout le monde l'a imité... (rires).

Et Jean Michel Jarre ?

J'ai eu la chance de travailler avec lui sur quelques titres d'un album. Il m'a contacté, puis est venu me voir à New York. Ma femme et moi étions très stressés parce que c'était la personne la plus célèbre que nous ayons jamais rencontrée. J'ai signalé à mon épouse qu’il fallait acheter du bon vin et lui proposer de l'excellente cuisine... (rires). Bref, nous étions vraiment très anxieux. Mais il s'est avéré être l'une des personnes les plus charmantes que je n'ai jamais rencontrée. Et puis, il est tellement enthousiaste ; il adore ce qu'il fait, c'est évident. Cette rencontre a été un véritable honneur pour moi et j'étais très flatté.

Suivez-vous encore la carrière de Depeche Mode ?

Pas de façon compulsive, mais j'ai écouté leur dernier album ainsi que les deux précédents qui sont probablement parmi leurs meilleurs disques. L'écriture de Martin (Gore) y est phénoménale.

Le plus récent est évidemment très poignant à cause de la mort d'Andy Fletcher. Lorsque le premier single est sorti, j'ai demandé au label s'il était paru avant ou après la mort d'Andy Fletcher. C'était avant. Pourtant, il reflète le drame de son décès. Martin est un véritable génie…

Vous composez souvent à la guitare dans Erasure. Mais pour cet elpee, vous avez débuté par la machine…

En effet et avec des sons très simples, puis j'en ai progressivement introduit d'autres et des éléments divers, sans planning, dans un processus évolutif.

Ce qui a pris du temps car j'étais totalement absorbé par le projet. Il ne m'a jamais paru comme une corvée, et j'y ai trouvé beaucoup de sérénité.

Vince Clarke - Songs of Silence (Mute) – Date de sortie : 17 novembre 2023

Miles Kane

Un mod qui vit au 21ème siècle…

Écrit par

Miles Kane a sorti son cinquième album "One Man Band", ce 4 août 2023. Toute guitare dehors, cet elpee se révèle un subtil mélange de pop-rock catchy et condensée, d'hymnes propulsés par les riffs rugissants et la voix assurée de Miles Kane. Le comparse d'Alex Turner –leader des Artic Monkeys– dans The Last Shadow Puppets, replonge dans ses racines liverpuldiennes, sur cet opus, au fameux Merseybeat, et à celles des premiers âges du rock. Sans oublier la référence à sa propre enfance et son premier héros… le footballeur italien Roberto Baggio

"Baggio"est l'un des titres phare de l'album. Pourquoi cette référence au joueur de foot italien des nineties ?

C'est la première personne que j'ai adorée : j'avais huit ans et ce joueur de football avait quelque chose de particulier, non seulement dans son jeu, mais aussi dans son attitude sur le terrain, toujours pacifique, sans animosité à l’égard de ses adversaires ; il était différent et il est devenu mon premier héros qui a déclenché en moi, cette volonté de me démarquer, renforcée ensuite par les vidéos d'Oasis ou les films sur T. Rex...

Cette chanson évoque en fait mon parcours et ce que je suis aujourd'hui à 37 ans

Vous saviez qu'il était bouddhiste ?

(Il rit) Non pas à huit ans, mais je l'ai appris récemment ; quelqu'un m'a d'ailleurs transmis un livre sur le bouddhisme que je vais m'empresser de lire pour en savoir un peu plus...

"Trouble Son" parle de votre jeunesse ?

Oui si l'on veut, mais tout le monde peut se reconnaître dans les paroles de cette chanson, qui évoque les années d'adolescence, lesquelles comportent souvent des moments plus difficiles...

Mais elles se réfèrent également à l’enfant unique que j’étais, très proche de sa mère, et incapable d'avoir une relation de longue durée dans laquelle très vite je deviens claustrophobe...

Asthme

Être asthmatique comme Iggy Pop vous a-t-il poussé à devenir musicien ?

J'ai écrit une chanson qui s'intitule "Inhaler" ! Mais bon, une rockstar ne souffre pas nécessairement d’asthme (rires). Il est vrai que lorsque je me sens oppressé j’ai envie de crier, de chanter, de me libérer...

Vous citez souvent T. Rex, The Jam et Paul Weller parmi vos influences. Vous n’oubliez pas les Yardbirds ?

J'adore ! Et c'est vrai que j'oublie souvent de les citer ; Jeff Beck reste un de mes guitaristes favoris

Vos chansons sont très pop et accrocheuses comme celle de Supergrass à l'époque…

Merci ! C'est exact qu'il s'agit d'un groupe que j'aime et que j'écoute encore souvent... C'est d'ailleurs ce que je vais faire après cette interview

Et pas les Pixies ?

Je ne connais pas trop. Disons que je suis resté très insulaire, très british pop des années 90.

Votre guitare sonne un peu comme celle de Johnny Marr...

Que je vénère, j'accepte le compliment. Mais je suis un grand fan de Link Wray, un guitariste des années cinquante, le premier à maîtriser la distorsion et le larsen.

"Never Take Me Alive" évoque d'ailleurs le rock des débuts fifties…

C'était le but. Je suis admiratif de cette période où tout était simple, condensé et sans fioriture à l'image du jeu d'un guitariste comme Dick Dale, inventeur du surf rock ; le genre de musique que Tarantino utilise dans tous ses films. Je voulais éviter les violons, le piano, un décor sonore élaboré pour en revenir à l'essence même du rock, de son début... Des morceaux qui seraient des hymnes.

Simples et courts ?

Exactement. De trois minutes au maximum. Je souhaitais composer des titres spontanés et honnêtes, réalistes. D'ailleurs, cet album de 11 chansons dure à peine une demi-heure !

On sent que pour vous l'image est importante... Vous êtes toujours bien habillé…

A la ‘mod’

Oui, cela fait partie intégrante de ma personnalité. J'ai toujours aimé les beaux vêtements. Être bien habillé. Même lorsque je traînais chez ma mère. De changer de style en fonction des jours voire des heures. Là, je porte un costume, mais je peux très bien m'habiller à la manière de Marc Bolan de T. Rex et mettre de l’eye-liner. C'est aussi très liverpuldien, où la moindre racaille se sapera comme un prince…

Vous ressemblez à un mod de la période "Quadrophonia"...

Je suis un mod, qui vit au 21e siècle, et il est vrai que ma musique se réfère aussi beaucoup à cette période des années soixante. L'époque justement des Yardbirds, des Kinks et des Beatles...

Pouvez-vous expliquer ce qu'est le Merseybeat ?

C'est un truc que tous les rockers de Liverpool possèdent, qu'il s'agisse d'Echo and the Bunnymen, The Coral, Ian Broudie ou moi-même, et qui fait partie intégrante de notre âme ; un certain sens du rythme ou de la mélodie spécifique se référant au fleuve qui arrose Liverpool. Cela tient sans doute à la qualité de l'eau (rires)

Et qui n'aurait rien à voir avec les Beatles ?

Si, certainement, mais je crois que cet aspect leur préexistait, notamment chez Gerry and the Pacemakers dont Brian Epstein, le cinquième Beatles, a été le manager. Ils sont d'ailleurs les auteurs du "You'll Never Walk Alone", hymne des supporters de Liverpool... mais il est clair que les Beatles ont montré la voie...

J'ai lu d'ailleurs que supporter de Manchester United vous avez changé pour en devenir un des Reds de Liverpool...

Euh, oui, bon, j'étais jeune et mon père supportait Man U. Mais devenu adolescent, tous mes copains supportaient Liverpool, j'ai donc adopté leurs préférences... pour me faire adopter (il sourit).

On parlait des Beatles ; il y a quelques années. Vous avez composé en compagnie d'Andy Partridge de XTC, les héritiers des Beatles dans les années 80 qui ont totalement disparu...

Oui c'était dans le cadre de mon deuxième album solo. J'aimais beaucoup XTC pour leur sens pop et mélodique. Alors un jour, j'ai contacté Andy qui vit reclus dans son cabanon à Swindon. Il a bien voulu me recevoir et nous sommes rapidement devenus potes. Je m’y rendais une fois par semaine et nous avons écrit ensemble des morceaux incroyables sur mon deuxième album solo. Vous faites bien de m'en parler ; je vais le contacter tout de suite par mail pour voir comment il va.

Vous avez vécu à Los Angeles entre 2015 et 2019. Aviez-vous besoin de revenir en Angleterre pour retrouver l'inspiration ?

Il y a de cela. Je me suis bien amusé à L.A. J'habitais à côté de la maison d’Alex Turner avec qui j'ai formé The Last Shadow Puppets. Mais après un moment, mes amis, mon management mes musiciens tout cela me manquait... même la pluie (il rit) ! Je me sentais perdu.

Non sans rire, je crois que l'ambiance particulière et la ‘british pop’ telle que je la pratique me manquait et j'avais besoin de revenir à Londres pour me ressourcer.

Alex Turner des Artic Monkeys vit toujours là-bas ?

Il est plus malin : il est toujours entre Londres et Los Angeles... (rires)

Et quelque chose est-il bientôt prévu avec lui au sein de The Last Shadow Puppets ?

Pas dans l'immédiat, car je suis fort occupé par la promo de mon nouvel album et Alex par la tournée mondiale des Artic Monkeys.

Donc, il n'y a rien de prévu pour l'instant ; bref, les Shadow Puppets sont vraiment… à l'ombre (il rit) …

 

Miles Kane : "One Man Band" (Virgin) sortie le 4 août 2023

 

Kristin Hersh

La chanson doit m'utiliser, et non l'inverse…

Écrit par

« Clear pond road », c’est le titre du nouvel opus de Kristin Hersh, paru ce 8 septembre 2023. Cet effort en solitaire du leader féminin des Throwing Muses est toujours aussi original et encore plus personnel...

A l’instar des Pixies, Throwing Muses est considéré comme une icône du rock alternatif des eighties. Drivée par Kristin, cette formation est toujours active sur la scène musicale. Et cette cofondatrice du band mène encore, en parallèle, un autre projet collectif baptisé 50 Foot Wave. De son timbre râpeux, chargé d’émotion, de son style tout en joie étouffée, en rage intérieure voire en tristesse contenue, « Clear Pound Road » reflète la singularité de sa démarche. Kristin en parle d'ailleurs joyeusement...

Alors que elpee est plutôt positif, la dixième et dernière chanson « Tunnels », semble empreinte de tristesse...

Elle évoque l'effondrement mental d'un partenaire à qui son conjoint ne peut venir en aide, alors que le reste de l'album se révèle amusant, plein d'entrain et positif. Cependant, ce dernier morceau, bien qu'empli de douceur à l'instar des autres compos, se révèle finalement tragique. 

« Clear Pound Road » se déploie de manière séquentielle à la façon d'une pièce de théâtre, scène après scène jusqu'à l'acte final où soudain tout s’écroule devant cette révélation : lorsque votre partenaire, c'est-à-dire votre pilier, votre socle s'écroule, vous vous effondrez aussi.

Je ne souhaitais pas que ce disque soit tragique, mais il vire un peu en tragédie, en fin de compte (elle rit).

Auteure d'une autobiographie et d'un livre sur votre ami, le rocker canadien Vic Chesnutt (NDLR : il est décédé le 25 décembre 2009) pour être plus précis, je me demandais si, lorsque vous composez, les paroles émergeaient d’abord ?

Non. C'est toujours la musique, car les paroles sont amplifiées par un autre instrument, ma voix, qui est omniprésente. Certaines personnes se contentent de chanter. Personnellement, je ne chante jamais, exigeant de ma voix qu'elle produise autre chose. C'est souvent très peu attrayant, car je ne cherche pas à la mettre en avant. Je vocalise tout simplement. Mais parfois, c'est vrai, on a l'impression que je chante… (elle rit)

Une sorte de transposition vocale de la poétesse Sylvia Plath ?

(Elle rit) C'est peut-être vrai, les lyrics devraient pouvoir tenir toutes seules, débarrassées de la musique. On devrait être capable de les regarder sur la page et observer qu'elles résistent en tant que structure, qu'élément corporel.

Mais je ne souhaite pas les dépouiller de leur musique, car il ne s'agit pas de poésie. Elles sont certes poétiques, mais se coulent dans la musique et ne jouent qu'un seul rôle. Elle ne doit pas servir de scène, de plateforme aux mots, à mes pensées. D’ailleurs les textes ne sont pas toujours de l'ordre de mon ressenti, de mes émotions ; je ne m'exhibe pas en dansant des claquettes. Et même si je tentais de le faire, j'en serais incapable. Tout comme Sylvia Plath (rires) !

Catharsis

La musique est-elle une catharsis pour vous ?

Probablement... mais j'espère que non. J'essaie de vider mon sac avant d'entrer dans la chanson. Au sein de mes deux groupes et en solo, elle n'est au départ pas faite pour être enregistrée et diffusée. Nous jouons d'abord pour être dans le flow et il arrive parfois que nous enregistrions les résultats. Le disque ne représente qu'une infime partie de ce que nous considérons comme notre vie musicale. Mais j'ai besoin de la catharsis, de l'événement musculaire qui consiste à jouer de la musique. J'en ressens le besoin physiquement. Et puis la chanson s'estompe entre mes mains et la guitare, dans le bruit ou même dans le silence des morceaux acoustiques. Mais j'espère que la catharsis se produit avant que la chanson ne soit écrite. Bien que ces compositions soient autobiographiques, il ne peut s'agir uniquement de moi. La chanson doit m'utiliser... et non l'inverse…

Kristin Hersh serait-elle une version acoustique de Throwing Muses ou de 50 Foot Wave ?

Oui. Mais je continue à réaliser des disques bruyants. Mon album solo précédent, « Possible Dust Clouds », se révélait par exemple plus ‘noisy’ que celui de ces deux formations.

Au départ, je n'avais pas l'intention d'entreprendre une carrière en solitaire, mais je me suis sentie piégée par Warner Bros, notre maison de disques, à l'époque. Afin qu'ils nous laissent partir, j'ai proposé d'enregistrer un album solo, parce que j'étais la seule ‘Muse’ à leurs yeux. Et le label a fini par accepter.

Mon premier album solo visait donc à faire résilier le contrat de Throwing Muses avec Warner. Mais cette première expérience solo m'a permis de comprendre qu'au niveau de l'industrie musicale, Throwing Muses était un groupe dont personne ne se souciait. Raison pour laquelle j'ai créé Cash Music en 2007, bien avant le système de Crowdfunding.

Bipolaire

Vous avez souffert de troubles bipolaires. Existerait-il dès lors une sorte de bipolarité musicale entre Kristin Hersh en tant qu'artiste solo d'une part, Throwing Muses et 50 Foot Wave de l'autre ?

Oui. Car chaque chanson requiert un traitement différent. Je pourrais fonder 50 groupes et ne pas être capable de suivre ce que les chansons attendent de moi. Et c'est parfait ! Ce que je préfère, c'est entrer en studio au début d'une session d'enregistrement, en connaissant exactement tous les overdubs que je souhaite utiliser, en sachant où je vais placer le micro, quelles parties de cymbales je vais choisir. Je pense ainsi maîtriser tous les éléments et pourtant je me trompe toujours... je reste donc modeste (elle rit) …

Vic Chesnutt vous a-t-il inspirée et incitée à vous lancer, à votre tour, dans une carrière en solitaire ? Car cet opus m'y fait penser…

Oui bien sûr. Vic était tellement doué pour jouer ‘petit’. J'aimais trop le bruit et je me cachais derrière, vu que je suis très timide. Je ne voulais pas être au centre, au premier rang, devant le micro. Je souhaitais juste rester en retrait et me perdre dans la musique.

Vic m'a fait comprendre que l'on pouvait se perdre dans la musique tout en ‘se crucifiant’ devant tout le monde. Une sorte d'art qui n'oublie pas le divertissement. Il disait : ‘C'est notre travail de trouver un équilibre entre les deux et de nous montrer…’

Vic pouvait rester assis là sur scène en silence pendant très longtemps. J'ai finalement réalisé qu'il utilisait le silence comme un son, et la pause comme une mesure. On vient de découvrir que notre ouïe entend le silence comme un son... Une sorte de victoire posthume pour Vic Chesnutt (elle sourit).

Il utilisait un mur de silence comme vous utilisiez un mur de... sons ?

Oui. J'avoue que je me suis beaucoup amusé lorsque l'on m'a demandé de rédiger un livre à son sujet.

Synesthésie

Quelle est l'influence d'Allen Ginsberg sur votre écriture, vous qui l'avez rencontré au cours de votre enfance ?

Aucune (elle rit). Ginsberg a tout simplement écrit un poème à mon attention lorsque j'étais enfant. Mon vieil hippie de père vient d'ailleurs de me le renvoyer. Je n'ai pas vraiment lu Ginsberg, si ce n'est ce poème qui m'était dédié.

Vous êtes apparemment victime de synesthésie : vous voyez des accords musicaux en couleurs... Quelles sont dès lors les couleurs de cet elpee ?

Excellente question (elle rit). Une anecdote d'abord : je venais d'entrer dans un saloon de La Nouvelle-Orléans, le pianiste a joué un accord, un accord long et complexe, puis s'est arrêté m'a regardé et demandé : ‘Kris, de quelle couleur s'agit-il ?’ Et j'ai répondu : ‘Oh, eh bien, c'est bordeaux, mais il y a un peu d'orange brûlé à la fin. Et tout le monde d'acquiescer…’

Mais ce disque est en fait aussi un bordeaux argenté bordé de jaune doré. Et si je ne l'avais pas su, je n'aurais pas eu le courage d'atténuer l'effet de production, qui est extrêmement acoustique, mais bizarrement, rigide dans le rythme qui n'a pas une forme décontractée. Il s'agit donc de combiner la douceur décontractée de la technique sonore à chaque rythme, comme si l'on souffrait d'arythmie cardiaque tout en cherchant à en atténuer les effets. Le résultat m'est apparu particulièrement chatoyant, tout en demeurant très ancré dans une sorte de couleur douce-amère, comme le bordeaux... voire une bouteille de vin du même nom (elle rit). 

Kristin Hersh : « Clear Pond Road » (Fire Records/Kokurrent) : sortie le 8 septembre 2023.

Photo : Pete Mellekas

Within Temptation

Un cri de liberté !

Batave, Within Temptation est l’un des groupes de métal symphonique les plus populaires. Il a été fondé en 1996 par la chanteuse Sharon den Adel et le guitariste Robert Westerholt. Entre-temps, il est parvenu à s'imposer dans l’univers du métal, mais pas seulement, puisqu’il est même devenu un nom familier. Son huitième elpee, "Bleed Out", est paru ce 20 octobre 2023, un disque lourd dont les thèmes le sont tout autant. Sharon Den Adel nous en parle ainsi que du set accordé par la formation, dans le cadre des Lokerse Feesten (review sur le site nl, ici) et de ses futurs projets, ambitions et objectifs.

Votre nouvel opus, « Bleed out », est paru ce 20 octobre, une œuvre pour laquelle vous vous êtes inspiré de la dure réalité quotidienne. On a l'impression que c'est aussi devenu un disque très personnel. Si c’est le cas pour tous précédents, c’est un peu plus flagrant pour celui-ci. Les auditeurs s'identifient-ils un peu plus aux thèmes abordés sur ce disque, afin de mieux les appréhender ?

Je ne les ai pas abordés différemment que par le passé. Bien sûr, j’y évoque des sujets qui passionnent beaucoup plus, et notamment ceux qui se déroulent pour l’instant dans un monde mal en point. C'est tout à fait dans l'air du temps. Mais c’est une grande source d’inspiration et, évidemment, vous laissez parler votre cœur. Et nous ne pouvons qu'espérer que l'auditeur le ressente également.

Quelle est la différence entre les précédents long playings et ce "Bleed Out" ? 

Il est un peu plus lourd, musicalement aussi. Et lorsque vous vous vous servez de textes plus mélodiques et émotionnels, ils atteignent plus facilement l'esprit. C'est un album intense, tout comme les précédents, mais la grande différence se situe surtout au niveau musical. La technologie est également distincte de celle utilisée auparavant, ce qui permet de faire sonner les lignes mélodiques autrement, par exemple.

Ce qui a toujours rendu Within Temptation si spécial, c’est une forme d’univers théâtral dans lequel on entre en tant que visiteur. J’estime ce sentiment encore plus extrême aujourd'hui.

J'ai accordé beaucoup d'interviews et je m'en sors plutôt bien (rires), mais c'est agréable de pouvoir parler de sujets qui me tiennent à cœur, comme le contenu de cet album. Je le compare à une peinture, quand tu la regardes accrochée dans une galerie. Elle semble assez abstraite parce que tu ne comprends jamais toute l'histoire qui se cache derrière. C'est un peu pareil pour la musique. Certaines personnes perçoivent le message que nous voulons transmettre. D’autre moins. Aussi, il est intéressant de pouvoir disposer d’un relais, notamment par le biais d'interviews, pour commenter les messages que nous voulons faire passer. Donc, oui, je suis très heureuse de la manière dont les événements se déroulent.

Votre voix ne s’était pas dégradée ?

Après la corona, oui, mais presque tous ceux qui l’ont contractée se sont plaints de ces soucis vocaux qui sont soudainement apparus. Deux semaines plus tard, je pouvais à nouveau chanter ; donc non, pour l'instant, il n'y a plus de problème...

Les quelques morceaux que j’ai pu entendre semblent très variés. Il est certain que "Ritual" sonne un peu différemment et se révèle un peu plus accessible... Est-ce un choix délibéré ?

"Rital" est la seule chanson qui sonne un peu plus légère, en fait. L'album précédent sonnait plus lourd et davantage chargé en émotions. Nous voulions adopter une approche légèrement différente, même si le sujet est toujours aussi lourd. Il l’est d’ailleurs davantage que ce à quoi les gens sont habitués de notre part, c'est pourquoi il est bon d’insérer des chansons accessibles, pour souffler un peu.

N'avez-vous pas un peu peur que cette approche plus intense et plus lourde vous fasse perdre un peu de votre public, qui se compose à la fois de fans de pop/rock et de métal ?

Tout d'abord, je ne pouvais pas adopter un format que je ne supporte pas moi-même. Cependant, nos goûts personnels évoluent également au fil du temps. Et nous ne pouvons qu'espérer que notre public nous suive dans cette voie. Jusqu'à présent, cet album a reçu des appréciations positives, même de la part de fans de non-métal, et en particulier parce qu'il recèle encore beaucoup de mélodies. La ligne de chant, en particulier, est très mélodique. Et la combiner à des guitares lourdes rend le tout encore plus rêveur. J'ai l'impression que cette formule plaît aussi aux fans de non-métal. Donc, oui, je pense que tout se passera bien.

Tous les albums de Within Temptation reflètent des émotions personnelles, mais sur cet LP, j'ai l'impression que la barre a été placée encore plus haut.

Le thème de cet album rend les choses plus intenses. Beaucoup plus personnelles, en tout cas. On essaie donc d'y mettre tout ce que l'on ressent. En concert, encore plus que sur disque, je pense.

Votre musique est très cinématographique. N’avez-vous jamais -ou alors j’ai raté un épisode- eu l'intention de composer des B.O. de films ?

Nous l'avons fait à une reprise pour le long métrage qui raconte l'histoire de Joran Van der Sloot (NDR : un criminel néerlandais condamné pour le meurtre de l'étudiante péruvienne Stephany Flores). C'était vraiment amusant, mais on doit nous le demander. Notre musique s'y prête, comme beaucoup d'autres d'ailleurs. C'est un monde complètement étranger, mais il faut être sollicité.

J’ai pu assister au set que le groupe a accordé à Lokeren, ma ville natale, et la combinaison entre les effets visuels, votre belle voix et la puissance de feu des instruments, était époustouflante. Finalement votre musique prend tout son sens lorsqu'elle est interprétée en ‘live’. Within Temptation serait-il, avant tout, un groupe de scène ?

Le ‘live’ apporte une dimension supplémentaire à notre musique, c'est vrai. On ressent l'énergie, on la voit et on discerne les émotions qui émanent de la foule. Nous avons également produit un album très visuel, qui est mieux mis en exergue après avoir assisté à un set en ‘live’. Et même si nous avons essayé et réussi de transposer ce feeling sur disque, vous ne pouvez tout simplement pas capturer à 100% ces émotions sur disque sans l'interaction avec votre public…

J’ai suivi la ‘Féale Voice Métal’ depuis ses débuts et notamment le parcours de Nithin Reptation. Il y a même eu une période au cours de laquelle le genre était vraiment en plein essor. A l'exception de quelques formations comme la vôtre, Epiça et Nitish, pour n'en citer que quelques-unes, j'ai l'impression que le gras a un peu disparu de la soupe.

En ce qui concerne Nithin Reptation, notre succès est toujours au rendez-vous. Notre notoriété s'est accrue depuis, mais je ne peux pas parler pour les autres. D'ailleurs, il est assez facile de parler de ce style, mais il va bien au-delà de la ‘voix féminine’. D'ailleurs, on l'appelait ou on l'appelle ainsi uniquement parce qu'une femme chante, et donc on ne tient pas compte des nuances, uniquement parce qu'une femme est aux vocaux. Je ne considère donc pas qu'il s'agisse d'un genre en soi. Ce qui est positif, c'est que de plus en plus de femmes commencent à chanter dans des groupes de métal.

J'assiste à des concerts depuis 1983, et même si de plus en plus de chanteuses émergent, le monde du métal et du rock reste un bastion masculin. Partagez-vous cet avis ? Pour les filles, c’est peut-être dû à un manque de modèles féminins alors que les garçons en disposent de nombreux…

C’est une remarque qui vaut peut-être pour le passé, mais dans l’univers musical contemporain, il existe de nombreux exemples féminins. Il suffit de regarder, autour de nous, Nitish ou Ginger, et il y en a d’autres menés par une femme qui se débrouillent très bien. Perso, parmi mes modèles féminins forts qui se sont affirmés, je citerai Janis Joplin et Sheela E. Amy Macdonald. Ou encore Candy Pulfer, qui l’est devenue pour les Pays-Bas et la Belgique. Elle a prouvé qu'il ne fallait pas seulement être chanteuse, mais aussi musicienne. Les exemples féminins ne manquent donc pas, mais il faut leur donner la tribune qu'elles méritent. Et c'est là que le bât blesse, parfois. J'ai eu la chance d'être tombée naturellement dans cette catégorie, et je n'ai donc jamais connu ce problème.

Dans notre monde occidental, les femmes peuvent heureusement rester elles-mêmes, alors que dans certains pays comme l'Iran et l'Afghanistan, elles sont traitées comme des êtres inférieurs. Des situations incompréhensibles qui m'exaspèrent. Ce sujet revient donc également dans les lyrics de votre elpee. Est-ce un sujet que vous avez voulu aborder sur ce disque ?

Il est vrai le monde occidental démocratique a connu un développement différent de celui de certains pays comme l'Iran. Ce qui est admirable, c'est que des personnes s'opposent ouvertement au régime mis en place là-bas, souvent au péril de leur vie. C'est ce thème qui est abordé dans la chanson "Bleed Out". Ces femmes s’élèvent face à cette situation et indiquent qu'elles ne peuvent plus supporter ce mode de vie. En contestant et en manifestant contre ces règles, on peut espérer que la prochaine génération féminine sera mieux lotie. Et c'est bien cette thématique que nous traitons sur ce disque. Mais aussi de la religion. En tant qu'être humain, vous devriez pouvoir vivre l’existence que vous souhaitez. Ce qui n'est pas si évident dans un pays comme la Russie, par exemple. Nous avons délibérément voulu aborder ce sujet. Nous parlons également de l'avortement, pas tellement parce que nous sommes pour ou contre, mais plutôt car nous estimons qu’il faut laisser la liberté de choix. Comme le droit de ne pas accepter que son pays voisin vienne annexer une partie d’un territoire. C'est le cas actuellement de la Russie en Ukraine. C'est aussi absurde que si les Pays-Bas confisquaient Anvers et vous laissait le reste. L’absurdité de cette guerre, c'est le sujet de l’album. J'espère aussi que le parti populiste d'extrême droite ne gagnera pas les élections en Pologne, sans quoi il risque bien de perdre une partie de sa démocratie (NDLR : selon les résultats finaux, l’opposition pro-européenne a remporté ces élections). Ce serait vraiment dommage. En résumé, notre nouveau disque est principalement un cri de liberté, pour les femmes et les hommes, pour qu'ils puissent être eux-mêmes dans ce monde.

C'est merveilleux que vous évoquiez ces sujets de cette manière. On ne le fera jamais assez, car il y a encore tellement de choses qui ne vont pas dans ce monde lorsqu'il s'agit de liberté. Vous vous produirez à la Lotto Arena d'Anvers, le 5 octobre 2024. Sinon, quels sont vos futurs projets ?

Nous allons principalement préparer la prochaine tournée, qui débutera en octobre 2024. Nous avons tourné en compagnie d’Evanescence comme ‘coheadliner’, joué dans de nombreux festivals, l'année dernière, et nous allons nous reposer un peu maintenant, malgré les nombreuses propositions de concerts qui nous sont adressées. Enfin, nous partons quand même encore en Amérique du Sud. Et puis nous devons rattraper ce qu’on n’a pu faire pendant la Corona.

En analysant le parcours de Within Temptation, quels ont été les hauts et/ou les bas ? Si vous pouviez changer le cours des événements, qu’auriez-vous modifié ?

D'une part, il y a des décisions que j’aurais prises différemment aujourd'hui, mais d’autre part, ces expériences nous ont permises d’être là où nous sommes aujourd'hui. Nous avons tiré les leçons des mauvais choix. Ce qui a toujours été un défi pour moi, personnellement, c'est l'équilibre entre la maison et le travail. Quand je suis toujours occupé au sein du groupe, je n'ai pas assez de temps pour ma vie privée. Je regrette de ne pas avoir conservé assez de contacts avec mes amis. Mais nous n’aurions alors pas atteint la même notoriété. Il a fallu faire des choix !

Lorsqu’on est au sommet de la gloire depuis si longtemps, y a-t-il des ambitions ou des objectifs que vous aimeriez atteindre ?

Mon objectif principal est de continuer à écrire de belles chansons. C’est très magique ! Après toutes ces années, continuer à faire de la musique est et reste, la plus belle chose qui soit, et être toujours inspirée, merveilleux…

Nouvel album "Bleed Out", paru ce 20 octobre 2023

The Stranglers

Karaté, humour noir, corbeaux et rats…

Écrit par

Bassiste, leader et seul membre originel encore présent au sein des Stranglers, Jean-Jacques Burnel publie son autobiographie sous forme d'interview… qu'il a accordée par ailleurs en… franglais !

C'était le plus jeune, le plus frenchy de la formation anglaise, le plus punk sans doute. De parents normands, Il avait ‘la folie’ (morceau qu'il chantait en français dès 1980 sur l'opus éponyme). Devenu maître karatéka, il descendait dans la foule pour régler le compte des emmerdeurs. Il a donc publié, sous forme de dialogues avec Anthony Boile, déjà auteur d'un ouvrage sur les Stranglers, son autobiographie en douze chapitres : douze morceaux qui évoquent notamment son identité duale franco-britannique, son amour des motos, de la bagarre ou son engagement pro-européen.

Maniant la provocation et l'humour (on peut être maître de karaté et de la provocation, ceinture humour noire) dans le livre comme dans l'interview qui suit, Jean-Jacques Burnel laisse poindre sa rancœur face à la trahison de son binôme Hugh Cornell –le chanteur qui a quitté le groupe voici trente ans, et son amour sincère et indéfectible pour un étrange territoire : la Belgique et les belles personnes qui la peuplent…

Chez les Stranglers, vous ne composiez pas beaucoup de chansons politiques, pourtant vous vous intéressez à la géopolitique, le livre le prouve, notamment à travers ce point de vue visionnaire à l’égard de ce qui se déroule actuellement en Europe…

C'est vrai, je m'intéresse à ce qui se passe dans le monde et je constate que beaucoup de gens ‘are sleepwalking in the fucking disaster’.

Oui, je m’y intéresse parce que je fais partie du monde ; et nous, petites personnes, nous pensons que nous incapables de changer les évènements. Mais pour l'Ukraine, c'était évident : nous avons eu un comportement hypocrite vis à vis de la Crimée, à l'époque. Et la suite le démontre lors de la Coupe du monde de football en Russie que nous n'avons pas boycottée. On a donné la Crimée à ‘Putain’ (sic !) et ensuite, hypocritement, tout le monde est allé jouer la coupe du monde en Russie. Déjà, à ce moment, on aurait dû dire stop. Personne ne l'a fait et le fric a gagné de nouveau, ainsi que la lâcheté.

Pourquoi y a-t-il dès lors proportionnellement peu de textes politiques dans le répertoire des Stranglers ?

Je ne suis pas d'accord. Souvent on a manifesté un engagement politique, ni de gauche ou de droite, mais en observant, à la manière des journalistes. Et puis c'est à l'auditeur d'en tirer ses propres conclusions.

On parlait de la Russie, il y a eu "Curfew" sur l'elpee "Black and White" en 78, qui évoquait une possible invasion de l'Angleterre. "Shah Shah A gogo", juste avant l'arrive de Khomeiny au pouvoir en Iran… il y en a beaucoup en fait. Mais on ne peut pas prendre au sérieux un groupe musical ; nous n'avons pas plus de crédibilité que n'importe qui ou quoi… que ‘Ça plane pour moi’ (rires).

Mais nous avons autant droit à une opinion que quiconque. Mais bon, ce n'est pas publié dans un journal sérieux ; c'est juste les Stranglers… de vieux punks ! (rires)

Cependant, il est judicieux de poser la question, car elle fait ressortir le boulot d'un artiste vivant dans la culture moderne. Il est assez flatteur que vous me la posiez. Merci (rires) !

L'apport des Stranglers a souvent été sous-estimé au sein du mouvement punk, comparativement aux Sex Pistols et aux Clash, vous en parlez dans le livre. En éprouvez-vous de l’amertume ?

Je n'ai pas le temps d'en avoir. De toute façon, ce n'est pas complètement vrai. Shakespeare a dit ‘He who laughs last, laughs longest’.

Et ‘we are laughing the last’, n'est-ce pas (il sourit) ?

Humour noir

Votre musique était déjà plus élaborée, la provocation se produisait sur les planches et en dehors ?

J'espère lire entre vos lignes qu'entre guillemets nous étions plus raffinés que les autres ?

Exact !

Merci !!!!

Vous êtes les hommes en noir, mais surtout humour noir ?

Quel humour (rires) ?

Depuis tout petits, nous avons été biberonnés aux Monty Python et au reste… L'humour britannique est parmi les plus fins et les plus subtils. Ce n'est pas toujours Benny Hill vous savez… (rires)

Ou Mister Bean ?

Qui a d'ailleurs tout pompé chez Monsieur Hulot !

L'humour noir que vous pratiquez est très britannique et finalement pas si courant dans le punk ?

Soyons honnêtes, les Britanniques ont beaucoup d'atouts, d'autodérision, et se foutent de leur propre gueule, ce qui les rend attrayants. Car il n'y a rien de moins attirant que quelqu'un qui se prend très au sérieux ou des gens qui sont imbus d'eux-mêmes.

Ce noir que vous portez sur scène exprime ce côté puritain que vous revendiquez dans le livre, mais, en même temps, le puritanisme c'est le politiquement correct qui nous domine désormais…

Ah non ! La cancel culture, tout ça c'est du bullshit ! Je suis puritain dans le sens cromwellien.

Pensez-vous que l'on accepterait encore aujourd'hui la provocation dont vous faisiez preuve sur les premiers elpees ?

Il y a certainement un morceau, et j'essaie d'ailleurs de convaincre les autres membres du groupe de le rejouer, sur le deuxième album, qui s'intitule "Bring On The Nubiles", dont les paroles sont choquantes au regard d'aujourd'hui.

Je crois qu'il y avait plus de liberté d'expression à une certaine époque que de nos jours…

Ceinture… noire

Vous êtes champion de karaté. Je me demandais, vu vos rapports désormais exécrables, si vous aviez Hugh Cornell en face de vous ; lui casseriez-vous la figure ?

Non ! Ce serait trop facile (rires).

Quand vous avez le niveau de karaté (NDLR : 7ème dan) que j'ai atteint, bien que je ne sois plus de ce niveau, vu mon âge, vous respectez ce que vous avez appris et ce que vous êtes capable de faire.

J'allais dire : ce serait comme si la Russie envahissait un petit pays comme l'Ukraine… (il rit)

C'est un peu David contre Goliath…

Concernant Hugh non, je n'ai pas besoin de lui casser la gueule parce que j'ai perdu tout respect pour lui. D'ailleurs, il s'est cassé la gueule tout seul… (il sourit)

Mais tout au long du livre, on vous sent…

Déçu !

Oui, un peu comme si votre amie vous avait quitté…

Oui, et surtout quitté pour une autre fille (il rit) !

Hugh nous a quittés pour devenir une méga star, pour grandir ; cela n'a pas marché. Résultat : il est devenu aigri et amer et me descend chaque fois qu'il peut.

C'est petit et méchant.

De ma part aussi d'ailleurs… d'en parler (il rit) !

Au cours des entretiens repris dans ce livre, vous exprimez votre amour de Bruxelles et de la Belgique ?

Aaah ! C'est un magnifique endroit. D'abord, Bruxelles est une belle ville du point de vue architectural, le côté flamand de l'architecture. Par ailleurs, les Belges sont très conviviaux. Ce n’est pas pareil aux Pays-Bas, notamment. J'ai passé de super bons moments en Belgique. Nous avons enregistré trois albums à Bruxelles, et j'ai même présenté une émission sur radio 21, le jeudi soir, pendant quelques semaines. Gratuitement, car ils ne pouvaient pas me payer. Mais ils me filaient tout de même une bouteille de vin. Bizarrement, l'émission se désintégrait vers la fin… (rires)

C'est un beau pays qui est le mien comme dit Brel, qui possède beaucoup d'atouts et n'est pas très connu. Bon, ce n'est pas un vrai pays, il a été un peu créé par les Anglais.

C'est ‘understated’ ; il y a de beaux villages, on y est bien accueilli et elle est peuplée de très jolies filles. Ce mélange ADN wallon et flamand est un bon mix !

Mais ce que je trouve très rigolo en Belgique c'est la devise : l'union fait la force… C’est une blague !

Et puis, les Belges sont les premiers au monde à avoir prouvé qu'un pays peut bien fonctionner sans gouvernement.

Ne seriez-vous pas un peu belge, puisque vous êtes une sorte d'’homme-tampon’ entre la Grande-Bretagne et la France, dont les parents sont français, mais qui a toujours vécu en Angleterre ?

Oui, je prends ! Si vous essayez de me provoquer, cela ne marchera pas !

N'essayez pas de provoquer un maître provocateur… (il se marre)

Et comme karatéka, vous pourriez vous appeler Jean-Jacques ‘Burnes’ ?

Oui j'ai des couilles énormes (rires) !

C'est vous qui auriez dû écrire "Never mind the bollocks", car vous avez des ‘balls’. Vous descendez dans le public pour casser la gueule à quelqu'un quand il vous emmerde…

(Il chante "My Way de Frank Sinatra")Regrets, I've had a few, but then again, too few to mention…’

Oiseau… noir

La formation a choisi comme symboles le rat et le corbeau –et c’est toujours le cas– deux animaux qui sont mal aimés et pourtant très intelligents, ce qui est aussi le cas des Stranglers…

Je prends cette comparaison comme un compliment.

Le rat est un animal qui s'adapte très aisément, comme les… morpions ! Si une guerre nucléaire se déclenchait demain, en une génération, les rats s'adapteraient.

Le corbeau est-il vraiment mal vu ? Si l'on évoque Hugin et Munin les corbeaux d’Odin dans la mythologie viking, ce sont les plus grands des corvidés, et les plus forts. Ce sont eux qui informent Odin de ce qui se passe dans le monde : ils sont ses yeux. Raison pour laquelle je les ai pris comme symbole.

Cela me touche et fait écho en moi, qui suis d'origine normande.

Qui voyez-vous comme héritier des Stranglers, actuellement ?

Je ne vois pas, pour l’instant, de groupe aussi mélodique, rythmique et brillant… chiant (rires) et très bon sur scène.

Vous reconnaissez, apparemment, l’existence d’extraterrestres. Mais, croyez-vous aux reptiliens ?

C'est plus ou moins la même chose.

Les scientifiques tentent de trouver le chaînon manquant et même le darwinisme ne l'explique pas. Désormais, le gouvernement américain a rouvert une section consacrée aux ovnis, car il s’est produit trop d’événements inexpliqués observés par leurs pilotes d'avion.

Stephen Hawking a prouvé qu'il existait d'autres dimensions. Peut-être vivent-ils en même temps que nous dans une autre dimension. Il existe parfois des ouvertures sur ces autres dimensions, si est branché sur la bonne fréquence.

Par ailleurs, nous sommes une petite planète où il y a de la vie près d'une étoile. Vu les milliards d'étoiles qui peuplent l’univers, mathématiquement, la probabilité qu'il y ait une planète semblable à la nôtre, est grande.

Quelle est l'influence du Japon sur les Stranglers ?

Elle est énorme. D’abord, parce que je suis karatéka depuis 50 ans ; et sous d'autres aspects également.

J'ai produit le band japonais, Lizard, et j'ai joué dans un grand groupe de là-bas, ARB, à une certaine époque (NDLR : en 1984 !). Difficile pour moi de déterminer exactement l'influence, mais elle appartient à ma vie.

"La folie", c'est tout de même une chanson qui raconte l’histoire d’un Japonais qui a dévoré sa fiancée ?

Oui. Issei Sagawa a d'ailleurs accompli une carrière sur le thème du cannibalisme à la télévision japonaise. Cette pratique n'a pas exercé une grande influence sur moi, heureusement (rire sardonique) ; le morceau peut-être… je veux dire, de musique (il rit).

Jean-Jacques Burnel. Strangler In The Light : Conversations avec Anthony Boile (Le Mot et Le Reste)

 

dEUS

Authenticité, fidélité, frivolité et spontanéité…

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dEUS a sorti un nouvel et excellent album studio, onze longues années après avoir gravé « Following sea ». La formation drivée par Tom Barman compte quand même 32 années d’existence, mais il est vrai que l’Anversois mène, en parallèle, des autres projets, et pas seulement musicaux. Il a ainsi réalisé un film, « Any Way the Wind Blows », en 2003, des vidéos pour des compos du groupe et s’est passionné pour la photographie. Il a ainsi exposé récemment au sein d’une galerie, dans sa ville natale. Mais c’est son batteur, Stefan Misseghers, qui s’est collé à l’interview pour nous parler de « How to replace it », le huitième elpee studio. D’une grande diversité, cet LP viendra, sans doute, renforcer une popularité jamais remise en question, malgré la parcimonie avec laquelle le groupe d'origine anversoise délivre de nouvelles compositions. C’est ce que nous explique notre interlocuteur, drummer au sein du band depuis deux décennies et qui lui est... gantois

Ce long playing s’avère très varié, contrasté même. Cette richesse est-elle la conséquence des side projects entrepris par différents musiciens ?

Sans doute. C'est certainement le cas de Tom, qui a pris une envergure supplémentaire au sein de Magnus, notamment.

Perso, j'ai produit huit albums au cours des dix dernières années, dont l'avant-dernier de Stake, « Critical method » et celui d’Absynthe Minded, « Jungle Eyes » (NDR : en 2017) ; ce qui a certainement eu une influence sur mes goûts musicaux.

Mais nous avons surtout décidé de renoncer à quelques idées artistiques, comme celle d’ajouter des arrangements trop symphoniques, ce qui n'était plus soutenable sur la longueur. Néanmoins, nous ne nous sommes pas tourné les pouces pendant dix ans chez dEUS. Nous avons beaucoup bossé et réfléchi seuls ou ensemble pour déterminer les nouvelles directions à prendre. Que faire après 7 albums et dix ans de silence ?

Après la tournée anniversaire de « The Ideal Crash », paru en 1999, il y a trois ans, on s’est demandé quel changement il fallait opérer si nous voulions poursuivre notre aventure ; ce qui ne signifiait pas faire table rase du passé. Mais nous souhaitions que notre musique redevienne un peu plus légère par rapport à l'album « Vantage Point », où tout était très compressé, très down, lourd, voire dangereux. Et s'il y avait un élément que nous pouvions reprendre des débuts de dEUS, c'était bien la légèreté, la frivolité, du rythme et de la spontanéité. Et puis de la lumière face à l'obscurité… (il sourit)

Musique populaire

Le morceau « 1989 » est d'ailleurs carrément référentiel. La musique que vous interprétez, et ce n'est pas une critique, émane du siècle dernier.

C'est l'époque de la genèse du groupe, mais nous tentons en tout cas d'y inclure des influences contemporaines, d'actualiser les sonorités.

Mais « 1989 » rend hommage aux années 80, aux drums électroniques notamment. Et puis, c'est surtout l'année de formation de dEUS.

Dix ans sans nouvel album, huit ‘studio’ seulement en trente ans, et pourtant la formation reste toujours aussi populaire...

Pour survivre longtemps, il faut créer la rareté. Et parfois elle se prolonge plus longtemps que prévu (il rit).

Mais nous nous sommes toujours produits, avons sorti des ‘best of’, une réédition de « The Ideal Crash », dans le cadre de l’anniversaire de sa parution. Dix ans c'est très long, en effet, mais nous avons des excuses personnelles à faire valoir. J'ai divorcé, Klaaz Janzoons également, Mauro Pawlowski a quitté le groupe et nous avons dû procéder à un nombre incalculable d'auditions avant de dénicher un guitariste suffisamment éclectique. Nous disposons, en effet, d’un back catalogue particulièrement riche de plus de 100 morceaux.

En ce qui concerne notre popularité qui est restée intacte, je pense que chaque fois que nous sortons un disque, il résonne auprès de nombreuses personnes. C’est le résultat d’une certaine expertise, d’un bon management, mais surtout d’une authenticité et d’une fidélité à notre identité originelle, à notre personnalité.

Un peu comme les groupes de heavy metal qui possèdent une ‘fan base’ solide parce qu'ils respectent une même approche qu’à leurs débuts. Ils ne dérogent à une formule bien établie ou pas beaucoup, en tout cas. Cette fidélité à eux-mêmes se reflète au niveau de leur public.

Français-flamand

dEUS c'est un peu la même chose avec une base plus large ?

Sans doute, mais, elle fluctue un peu, car nous n'avons jamais réalisé deux fois le même album. On essaie de se renouveler, ce qui attise la curiosité de notre public. Il s'agit de l’itinéraire artistique d'un groupe qui tente de ne pas se répéter, ce que le public respecte.

« Le Blues Polaire », chanson interprétée en français qui clôt l’elpee, ressemble très fort à « Quatre Mains, titre qui ouvrait le précédent...

San doute à cause de la manière dont Tom l’interprète ; son phrasé est à peu près le même, sur ce morceau…

Nous avons énormément travaillé sur cette compo. Mais j'avoue que lorsque j'ai écouté la première démo, j'étais très sceptique, d'autant que notre seul dogme au sein de la formation, est de ne pas se répéter.

Or, nous avions déjà enregistré « Quatre Mains » en français. Et surtout, j’estimais que le morceau sonnait un peu trop Gainsbourg. D'accord pour une chanson en français qui emprunte à Gainsbarre, mais sans en faire trop pour autant, et en se servant d’une musique qui soit à l'opposé. On ne voulait ni d’un plagiat, ni d’un hommage ; simplement utiliser les éléments de Gainsbourg, mais sans l'imiter.

J’ai joué le rôle du mouton noir, du râleur de service. Mais Tom est très persuasif et il n'est pas simple de s'opposer à sa volonté.

Et finalement, « Le Blues Polaire » est devenu ma chanson préférée (il rit).

Et pourquoi pas une chanson en néerlandais alors ?

J'ai le sentiment que ça viendra un jour. Mais l’idée doit encore mûrir un peu. Et pourquoi pas un album complet en flamand ? (il sourit)

Comme les Kreuners alors ?

(Il rit) Ah non pas comme les Kreuners, c'est juré !

dEUS : album « How to Replace It » (Pias) – sorti le 17 février 2023

 

Eliades Ochoa

Nick Gold et Ry Cooder se partagent équitablement la paternité du projet Buena Vista Social Club…

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Grande voix et guitariste de tradition musicale cubaine, Eliades Ochoa se produira le 3 octobre prochain, à l’Ancienne Belgique, avec, sous le bras, ses dernières compositions les plus personnelles et son album... de souvenirs…

Dernier gardien du ‘son cubano’, Eliades Ochoa, dont l’allure évoque un Johnny Cash cubain, est l'un des ultimes survivants du Buena Vista Social Club. A 77 ans, le chanteur et gratteur cubain vient de graver son elpee le plus personnel, truffé de compositions personnelles. Il y évoque sa vie ainsi que ses souvenirs ; et, en concert, ses amis aujourd'hui disparus du ‘Club’....

Il a fallu vieillir avant d’être en mesure d'écrire vos propres chansons… autobiographiques ?

Je n'avais jamais joué le guajiro (paysan) typique sur d'autres disques et j'ai recherché la nouveauté, un autre rythme : ces chansons trottaient dans la tête et la guajira (musique de la campagne) me permettait d'aborder un répertoire plus contemporain et personnel...

Pourquoi maintenant ?

Parce que j'ai enfin commencé à travailler de façon indépendante et à écrire mes compositions. Auparavant, je bossais pour des labels, qui me demandaient d'interpréter des standards cubains, surtout des années cinquante. Dorénavant je suis plus libre et je peux chanter ce qui me plaît.

Villes et champs

Être d'origine paysanne vous différencie-t-il d'autres musiciens et chanteurs cubains issus des villes ?

Je suis un paysan, un fermier originaire des montagnes. J'aime l'atmosphère de la campagne où la musique guajira est présente partout : dans les danses, au cours des fêtes et des réunions familiales. Raison pour laquelle je suis si à l'aise pour en composer et en interpréter.

A la campagne, les ‘sons’ cubanos, les guarachas et les styles proches sont également appréciés.

Pensez-vous que la musique rurale est plus authentique que l’urbaine ?

Bien sûr. Le musicien paysan est plus humble, n'attend rien, ni argent ni gloire de la musique qu'il joue. Ces artistes interprètent et transmettent cette musique authentique et traditionnelle par amour pour elle ; ils sont à la base de la musique cubaine.

Vos parents étaient également musiciens...

Et tous deux étaient doués : mon père plus que ma mère, mais il n'était pas professionnel ; il jouait lors de réunions familiales et était excellent musicien.

Qui y a-t-il de spécifique à la guajira, à ce style de musique, par rapport au ‘son’ (NDLR : le ‘son’ est un style cubain dansant qui a acquis une reconnaissance internationale à partir des années 30 ; son rythme combine la structure et les caractéristiques de la musique espagnole avec des éléments et instruments musicaux afro-cubains et indigènes).

Il s'agit de deux rythmes et styles différents. Il est plus facile de danser le ‘son’. La guaracha est similaire au ‘son’, mais plus proche du boléro, et requiert parfois trois notes là où le ‘son’ n'en demande que deux.

Et la guaracha ?

Elle est plus proche de la salsa et n'a rien à voir avec les deux autres styles musicaux. On peut danser sur ces trois types de musique ; mais en effet, la guaracha est plus rapide.

Lorsque vous jouez, pensez-vous à tous ces musiciens du Buena Vista Social Club qui sont décédés depuis...

Forcément. Quand je me produis sur une scène, je parle aussi d'eux, de ceux qui ne sont plus là physiquement. J'évoque leur souvenir. J'interprète encore de nombreux morceaux du Buena Vista au cours desquels je ressens la présence de Compay, d'Ibrahim, de Rubén, Pio, Guajiro, notamment sur "El Cuarto de Tula" ou "Chan Chan". Je me rappelle tous mes vieux compagnons et je chante pour eux.

Ry Cooder

Êtes-vous toujours en contact avec Omara Portuondo, l'autre grande survivante du Buena Vista Social Club ?

Je ne l'ai pas vue depuis l'année dernière, mais je suis toujours au courant de son travail, de sa carrière et de ses tournées. La dernière fois que je l'ai rencontrée, c'était lors d'un festival en Espagne.

Une future collaboration est-elle prévue ? 

Tout dépend des labels, mais il n'existe pas de projet actuellement.

Avez-vous des nouvelles de Ry Cooder et Nick Gold ? Et, à votre avis, lequel des deux a été le plus important dans la résurrection internationale de la musique cubaine au travers du Buena Vista ?

Réaliser un album cubain était une idée de Nick Gold, mais la maîtrise en revient à Ry Cooder. A mon avis, ils se partagent équitablement la paternité du projet Buena Vista.

Mais je n'ai plus eu de contact avec Ry depuis la pandémie. Cependant, j'entretiens des relations régulières avec Nick, qui vient me voir chaque fois que je me produis à Londres. Nous nous téléphonons et échangeons par mail régulièrement.

Vous étiez très jeune quand la révolution cubaine a éclaté. Quelles en ont été les conséquences pour les musiciens ?

J'avais à peu près 17 ans lorsque j'ai commencé ma carrière professionnelle. C’était en 1963, dans une station de radio. J’étais payé par l'État cubain. Le ministère de la Culture a remplacé ensuite le Conseil national de la Culture, en centralisant les musiciens et les artistes au sein d’une même institution.

Les musiciens ou les groupes travaillaient selon les directives du ministère. Nous ne pouvions exercer notre métier de manière indépendante, mais seulement suivant la structure imposée par le ministère…

Est-ce encore le cas aujourd'hui ?

C'est toujours pareil. Les artistes dépendent du ministère de la Culture et du Centro de la Música de Cuba, pour pouvoir se produire l'étranger, notamment.

Vous avez accompagné Bob Dylan et Manu Dibango, entre autres ; comment avez-vous rencontré Joan Wasser, plus connue sous le patronyme de Joan as Police Woman avec qui vous chantez en duo sur cet opus ?

Je ne la connaissais pas personnellement, mais j'étais très content que le label propose que nous partagions un duo ensemble, car j'adore sa voix. Connaissant ma carrière, elle a tout de suite accepté, d'autant qu'elle adorait la chanson. J'en suis très fier...

Quel genre de musique cubaine actuelle écoutez-vous ? Orishas, Los Van Van ?

J'écoute d'abord ma propre musique dans le but de constamment l'améliorer. Cuba est une île musicale qui regorge de bonne musique. J'apprécie surtout le genre originaire de Santiago de Cuba, le ‘son’. J'adore par ailleurs la llanera, la musique traditionnelle du Venezuela, mais également Los Tres Reyes, un ancien trio mexicain, et la vieille musique cubaine, celle de Los Embajadores, Benny Moré ou Celia Cruz, sans oublier bien sûr les albums des années cinquante de Los Compadres, premier groupe de mon ami disparu Compay Segundo.

Vivant désormais à Madrid, j'écoute aussi la musique espagnole actuelle, notamment la copla et surtout Joselito qui affiche, à peu près, mon âge. J'adore ce qu'il fait, tout comme le flamenco.

Comptez-vous enregistrer un album de flamenco ?

Je ne dis pas non, mais ce serait irrespectueux à l’égard les vrais artistes flamenca (il rit).

Mais cela me plairait d'explorer cette direction...

Eliades Ochoa se produira en concert à l'AB le 3 octobre prochain.

Album "Guajiro" (Word Circuit), paru le 26 mai 2023.

 

Talisco

Ma musique est instinctive…

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Chaque dernier samedi du mois d’août est synonyme de joie et bonne humeur dans la cité sonégienne. Le centre culturel y concocte en effet un vaste programme multidisciplinaire entre animations de rue et concerts totalement gratuits. Les seuls maîtres-mots sont la joie et la bonne humeur.

Si, cette année, la météo s’est montrée capricieuse, les plus courageux se sont pressés pour y découvrir une belle brochette d’artistes. Et pas des moindres puisque Talisco était l’une des vedettes à s’y produire.

Méconnu pour beaucoup, Jérôme Amandi, à l’état civil, est l’auteur de plusieurs succès dont « Your Wish » et « The Keys ». La gloire lui importe pourtant peu. Talisco est un passionné cherchant encore et toujours cette paix intérieure qu’il fantasme tant.

Se livrant en anglais depuis le début de sa carrière, il entame un virage à 180 degrés en publiant un nouvel elpee ce 29 septembre 2023 au sein duquel il ose se frotter à la langue de Shakespeare.

Entre musiques, projets et introspection, cet artiste est un homme d’exception qui a fait d’une passion, un métier à part entière. Compte-rendu d’une rencontre…

Tu crées une musique à la fois lumineuse, subtile et complexe. On y découvre beaucoup de superpositions tant dans les sons que dans la voix. Comment expliques-tu cette direction artistique ?

De manière globale tout simplement ! Je ne vais pas te faire rêver ! Je ne suis pas en haut d’une colline pour y puiser l’énergie solaire ou de la nature. La façon dont je crée est on ne peut plus simple ! Lorsque des idées et des fantasmes musicaux me traversent l’esprit, je m’assieds devant mon ordinateur, guitare à la main. Je m’aide de claviers et des sons qui m’entourent. Je mets à plat toutes les idées qui se bousculent dans ma tête. A vrai dire, je ne crois pas que le processus créatif soit le plus important. L’essentiel est tout ce qui se situe en amont : les éléments que je pioche ci et là, de mes rencontres, des voyages que j’ai pu réaliser, des frustrations et les fantasmes également. Tous ces éléments sont les plus importants pour la création.

La musique de Talisco est franche, directe, immédiate et ne s’éparpille pas. Ton approche est plutôt instinctive ?

Oui, effectivement, ma musique est instinctive. Je refuse d’ailleurs qu’elle le soit autrement.

Paradoxalement les produits formatés sont aujourd’hui pourtant très présents. Quel regard portes-tu sur l’industrie musicale ?

Je me garde bien de poser un regard sur l’industrie musicale. C’est un domaine qui ne m’intéresse pas ! Ça reste du business. Et je n’ai pas l’intention de regarder comment les autres l’abordent, ni même de m’en inspirer. Je trace ma route, voilà tout.

La pub 4G de Bouygues Telecom s’est approprié en son temps « The Keys » et « Sun » a été choisi comme générique d’une série sur France2, ‘Un si grand soleil’. Finalement, le grand public connaît tes chansons sans forcément savoir qui s’y cache derrière. N’est-ce pas un peu frustrant ?

Pas du tout ! J’adore ça ! A vrai dire, c’est ma plus grande réussite. Je n’ai jamais travaillé pour que mon nom soit connu. Très sincèrement, je m’en fous complètement. D’ailleurs, mes idoles ne sont pas des gens notoires, mais des producteurs qui ne sont pas nécessairement des figures marquantes dans le domaine de la musique. Qu’elle soit écoutée et qu’elle me permette d’en vivre reste le plus important. Lorsque je me lève le matin, je compose. Lorsqu’une chanson paraît, peu importe qu’elle soit signée Jérôme Amandi ou Talisco. Vraiment, ce n’est pas essentiel.

Finalement, tu es comme l’artisan, fier de ton travail…

Oui, c’est exactement cela ! Grand bien me fasse de ne pas être connu, je n’ai pas à me soucier de mon image. Je n’ai pas envie de me lever tous les matins et de me préoccuper du temps qui passe sur mon physique, ma tête ou encore mes cheveux. Il n’y a que l’aspect musical qui m’intéresse.

De qui es-tu le plus fier ? De l’homme ou de l’artiste ?

Bonne question ! Je dirais de l’homme parce que je n’ai jamais dissocié l’homme de l’artiste ou encore l’aspect artistique de moi-même. Je n’ai jamais porté cette double casquette. Je suis simplement une personne qui fait de la musique avec acharnement et passion.

A t’entendre, tu sembles être quelqu’un de très humble et qui a les pieds bien sur terre, tout en sachant exactement dans quelle direction tu souhaites te diriger…

Je pense que sans les valeurs du travail, l’aspect artistique ne vaut strictement rien…

Je sais que tu n’aimes pas devoir expliquer ton son en termes de genre. Mais, comment te définis-tu en tant qu’homme et artiste ?

C’est difficile à dire. Je me considère simplement comme quelqu’un qui fait de la musique pour se faire du bien.

La musique impacte directement l’homme et l’artiste. Si je la conçois triste, elle va me remplir de tristesse et m’épuiser. Je la vis pleinement. A vrai dire, je me plais à composer des morceaux positifs, puissants et assez ouverts parce qu’ils me grandissent. Si je réalise un disque uniquement dans cette veine, ça me fait du bien fou et ça me porte.

Tu sais, Talisco n’est qu’un nom derrière lequel se cache une personne à part entière.

Tu possèdes des origines espagnoles. As-tu choisi ce nom de scène en fonction des consonnances latines ?

Effectivement. Un nom, c’est comme un tableau. Derrière, Talisco, il n’y pas d’histoire en soi. C’est un univers qui permet de m’évader.

Contrairement à certains artistes qui estiment devoir servir de porte-drapeau de causes nobles et justes ou encore évoquer une tranche de vie à travers leurs compositions, les thématiques de tes chansons misent plutôt sur le fantasme, la rêverie et la liberté. Est-ce une forme de modestie ?

Ce n’est pas mon tempérament tout simplement. J’admire ceux qui y parviennent à travers leurs chansons. Mais, c’est délicat en ce qui me concerne parce que je n’ai pas vraiment d’idées à faire passer, mais simplement l’énergie et les envolées de ma musique. Elle est là pour transporter, voyager et faire du bien. Je sais que certains de mes auditeurs sont gravement malades. Si mon travail peut leur apporter un peu de réconfort, pour moi, c’est gagné. Je ne suis pas assez calé pour traiter des thèmes lourds et graves comme l’écologie ou la politique. Et puis, ce sont des sujets qui, objectivement, ne m’intéressent pas.

Après plusieurs tournées intenses à travers le monde depuis 2014, tu sors un nouvel opus porté par un single en français « C’est ici », une première dans ta carrière. On le sait, l’anglais est plus musical et exportable. Ce choix traduit-il le besoin de se challenger ? Comment comptes-tu aborder ta carrière, à l’avenir.

Franchement, j’ignore si je vais renouveler l’expérience. A la base, il s’agissait d’un ‘one shot’. Lorsque je compose, je n’ai aucune idée de la direction vers laquelle je vais aller. Le français était une manière de me surprendre. J’ai réalisé quatre disques et j’ai toujours parlé de la même chose. J’adore cela et je ne m’en lasse pas. Je vis pleinement les bons moments et peu importe l’environnement ou la couleur. Toutes mes chansons parlent d’évasion et le français reste une très belle expérience quoiqu’il en soit.

En formule ‘live’, des musiciens t’accompagnent. Mais Talisco est d’abord et avant tout un projet personnel ?

Tu sais, jouer seul serait chiant. Le concept ne m’intéresse pas du tout. Je préfère de loin partager un bon moment entre potes et vivre quelque chose de merveilleux.

Si certains artistes conçoivent leur disque de manière plus ou moins orientée pour le ‘live’, chez Talisco, on prend un plaisir partagé à écouter sa musique, aussi bien assis confortablement dans son salon que lors d’un concert. Quelle est la formule dans laquelle te sens-tu le plus à l’aise ?

Il m’arrive d’y penser. Parfois, je crée des sons qui possèdent un potentiel énorme en ‘live’, mais je ne compose pas dans cette optique. Parfois, je me demande s’il ne faudrait pas changer de fusil d’épaule, car certains de mes morceaux sont impossibles à reproduire en concert. Dommage, mais c’est bien la preuve que je ne pense pas uniquement en fonction du ‘live’.

Les sonorités de Talisco sont influencées par Ennio Morricone et la guitare, en particulier, parce qu’on y associe cette notion de liberté, mais aussi et surtout par la musique des années 80. Quels sont justement les artistes de cette décennie qui t’ont le plus influencé ?

J’y pensais, il n’y a pas très longtemps. J’en ai discuté avec ma mère. J’avais entre deux et dix ans durant cette décennie. Pourtant, mes parents m’achetaient déjà des disques. Je citerai A-ah ou Simple Minds. Mais plus généralement les groupes de cette génération. Les chansons étaient punchy et se distinguaient par de grandes mélodies et des envolées fantastiques. Ensuite, dans les années 90, j’ai surfé sur la vague du Rock. Je devais avoir 13-14 ans. Ecoute le premier album de A-ah, c’est juste grandiose. De même que Cock Robin ; comment ne pas tomber sous le charme ? Ces musiques te hissent vers le haut tout en exhalant un parfum de nostalgie. Lorsque je prends du recul sur ma musique, j’ai cette sensation.

On le sait moins, mais tu travailles aussi, en parallèle, sur d’autres projets, dont Old Caltone, référence à Dracula, avec Sébastien Thebault. Il s’agit d’une musique plutôt conceptuelle et élitiste puisqu’elle s’adresse à un public cible. Les multiplier te permet-il de prendre de la distance par rapport à Talisco, plus dense et populaire ?

C’est une soupape pour moi. C’est quelque chose de théâtral et je m’en amuse. Je suis très proche du projet Talisco, pas de celui-ci. Talisco est très instinctif alors que Old Caltone est nettement plus pensé. Il faut le considérer comme de la mise en scène. Il me permet de prendre du recul.

Les réseaux sociaux, s’ils appauvrissent la pensée, peuvent se révéler indispensables pour un artiste qui souhaite se faire connaître et partager. Quel est ton rapport face à ce média ?

Oui, évidemment, ils peuvent constituer un outil exceptionnel. Pour être tout à fait honnête, je suis plutôt mauvais élève, mais j’y travaille. Je suis plutôt passif, je n’utilise pas ces canaux de manière très saine. Pour schématiser, il y a deux types d’individus : ceux qui sont actifs et passent leur temps à faire des stories ou des montages et les autres, comme moi, qui ne font que regarder du contenu. Il m’arrive de regarder des conneries, du genre ‘un crocodile mange une vache’. Non seulement, le temps que j’y passe est perdu, mais ce passe-temps ramollit le cerveau.

Ta conception du bonheur est de trouver la paix intérieure. Artiste épanoui et la tête sur les épaules, Jérôme, dis-moi, l’as-tu enfin trouvée ?

Je l’ignore ! Nous y travaillons tous au quotidien, j’en suis convaincu ! Nous cherchons exactement les mêmes choses dans chacune de nos existences. Beaucoup pensent qu’avoir un bon travail, de l’argent ou encore de la reconnaissance sociale est synonyme de bonheur. Alors qu’au contraire, une personne peut être très heureuse et épanouie alors qu’elle ne possède rien. On rencontre souvent cette paix intérieure dans les pays pauvres. Dans notre société occidentale, nous ne fonctionnons qu’à travers le matérialisme et la position sociale. Personne ne nous a jamais inculqué le sens du bonheur. Si je n’ai pas trouvé la paix intérieure, je l’effleure parfois du bout des doigts. J’essaie en tout cas de maintenir le cap. C’est le travail de toute une vie.

Talisco. Nouvel album « Cinematic ». Sortie ce 29 septembre 2023.

En concert, le 16 novembre au Rideau Rouge  et le 17 nov à l'Atelier Rock de Huy.

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