J’avoue, je ne suis guère à l’aise dans l’exercice de l’interview. Cette discipline, c’est avant tout une rencontre, avec une grand part d’inconnu, et l’appréhension de ne pas trouver les questions judicieuses. Celles susceptibles d’éveiller l’intérêt de l’artiste, du public, et le mien au passage. Pour cette raison, je laisse le soin à d’autres de s’y risquer. Ce qu’ils font d’ailleurs bien mieux que moi. Reste l’opportunité unique de rencontrer en aparté des gens qui par la grâce de leur art réussissent à me toucher au plus profond. Si l’angoisse des obstacles cités plus haut prend alors une plus grande dimension, l’excitation de franchir la frontière ténue qui me sépare de l’âme de l’artiste sert de détonateur, et il arrive alors que je sorte de ma tanière et ose m’aventurer sur le terrain de la rencontre.
Une seule écoute de « Last of the Country Gentlemen », premier album de Josh T Pearson depuis la dissolution de Lift To Experience (1996-2001), a suffi pour me jeter à l’eau. Et grand bien m’en a pris. D'interview, au sens classique du terme, il n'y en a pas eu. Une grande conversation à cœur ouvert, sans ambages ni faux fuyants. Un moment rare. Un moment précieux. Dont je vous livre l’essentiel…
Josh T Pearson est grand, mince, et son visage est largement couvert d'une barbe hirsute. Il est voûté sous le poids de la fatigue, mais accueillant, humble et charismatique. Il se sert un grand verre d'eau. Je lui demande comment il va. Débute alors, le plus simplement du monde la conversation qui s'ensuit.
Je suis fatigué. J'ai très peu dormi et je n'arrête pas de courir depuis un certain temps. Aujourd'hui les interviews s'enchaînent. Je me suis levé à 6 heures. Sans savoir si je vais être confronté à des gens qui ont aimé mon album ou pas. Donc, j’appréhende un peu chaque rencontre. Parfois je raconte des conneries. Souvent même (NDR : il sourit et marque une pause). C'est un album difficile qui fait écho à mon âme et j'y ai mis tellement de moi-même. Mais une fois le disque terminé, et bien, voilà, le résultat est gravé et on ne peut plus rien y changer. Et c'est difficile d'en parler. Mais en même temps, c'est agréable. Quand tu t'investis autant dans ton Art, tu espères juste toucher les personnes qui partagent la même sensibilité, qui embrassent la même conception des choses, de la vie, et les autres aussi, peut-être? Je suis assez satisfait du résultat. Mais voilà, maintenant... Il faut que j’assume le service après vente
Apprécies-tu de partager ces émotions avec ton public, de rencontrer des gens qui viennent à ta rencontre pour te dire qu’ils apprécient ce que tu fais?
C'est extrêmement enrichissant de rencontrer tant de personnes différentes à travers le monde. J'adore ces moments de communion et il m'est toujours douloureux d'en repartir les mains vides, sans plus aucune trace de ces bribes de conversations. Que les souvenirs (NDR : à cet instant, une ombre passe sur son visage, puis il semble se ressaisir). Je suis quelqu'un d'assez drôle même si on ne le devine pas à premier abord (NDR : il rit). Les gens sont parfois surpris parce que je raconte des blagues pendant le concert ou que je parle beaucoup.
Parce que ce que tu chantes est singulièrement triste, peut-être ?
Oui, sans doute. Les gens doivent se dire que je suis un sinistre larron (NDR : à ce moment, il se saisit de l’album d’Agnès Obel qui traîne sur un coin de table). Est-ce que tu penses qu’on formerait un joli couple elle et moi ? Tu connais ?
Je l’ai vue dernièrement. Disons que vous partagez une certaine sensibilité mais…
Elle est grande ou petite ?
Petite.
Laisse tomber ! (NDR : il jette la tête en arrière et s’affale dans le divan et m’avoue que cet état d’épuisement est difficile à gérer… nous transgressons quelque peu avant de reprendre le fil de la conversation).
Josh, ton état d'épuisement affecte-t-il tes concerts?
Et bien... (NDR : il réfléchit, prend une grande inspiration avant de répondre). En fait, à un certain stade, tu oublies la fatigue ou en tout cas, tu t'en accommodes. Tant que tu es lancé, tu peux continuer, encore un peu plus. Le plus pénible, c’est quand tu t'arrêtes. Il devient alors beaucoup plus difficile de relancer la machine. En tout cas, j'essaie de garder un maximum d'énergie pour la scène, afin d’offrir le meilleur à ceux qui me font l'honneur d'être présents. Mais, oui, je suppose que quelque part, à la longue, cette situation affecte mes concerts d’une certaine manière. Je ralentis le rythme de mes chansons. Nous ne sommes pas des machines ; donc, ça demande pas mal d'efforts pour ne pas craquer. Ce n'est pas le pire des jobs. J'en ai fait de vraiment terribles. Mais quand je suis sur la route, je souffre de l’absence de mes amis et de ma famille. Je manque de stabilité. Mais c'est nécessaire. En tout cas, je fais tout pour ne pas le laisser transparaître cet état d'épuisement. Mais uniquement sur scène.
Il y a quelques jours, tu étais à Londres afin de donner un concert exclusif pour ton label. Tu y as interprété une série de reprises d'artistes abrités par Mute. Comment s’est déroulé l'expérience?
Elle était amusante et récréative. Tu sais, je dois distraire le public en me servant de avec ma seule voix et de ma guitare. Ce qui n'est pas toujours gagné!
Tu reprends Erasure, notamment.
Oui. Tu as entendu?
Oui, et j'aimais beaucoup. Parce que tu mettais beaucoup de toi dans cette chanson.
Merci. J'essaie toujours de donner un peu de moi. La meilleure partie en tout cas (NDR : il rit). Je reprends Moby aussi (NDR : il commence à fredonner « Natural Blues »). C'était juste pour l'occasion. Parfois, je glisse l'une ou l'autre reprise, mais en général, je développe déjà assez mes propres chansons en longueur (NDR : elles durent en moyenne 10 minutes et il lui arrive d'en enchaîner deux à la suite ou encore de se raconter tout en jouant ses morceaux). Donc en général, je suis venu à bout de la patience du public…
Parlons de ton album. Tu t'es impliqué tellement dans celui-ci, y a mis tellement de choses personnelles, t'es tellement dévoilé. Comment te sens tu après coup? Mieux?
Je ne sais pas encore. Je ne peux pas dire que je me sente mieux. C'est difficile à dire. C'était une sorte de catharsis. Mais de là à dire que je me sens mieux... Certaines personnes m'ont dit qu’ils étaient bien, après l'avoir écouté. Dans ce cas, cette réaction me rend effectivement heureux. En ce sens, oui, je me sens mieux. Il faudra peut-être encore un peu de temps pour que je puisse statuer sur cette question.
Est-ce justement le rapport avec le public qui t'a poussé à enregistrer ces chansons?
Il s’est produit un événement majeur dans ma vie, il y a quelque temps. Je jouais dans un petit club en Irlande, pour le plaisir. Après le concert, deux gars à la stature imposante se sont approchés de moi, des larmes dans les yeux, et ils m'ont demandé pourquoi je n'enregistrais pas mes chansons, pourquoi je refusais de les partager. Je me suis dit, si je suis capable de toucher des gars pareils, et crois moi, ils ressemblaient à des durs à cuire, et bien, peut-être devrais-je en effet enregistrer un album. J’aime l’idée que mon disque puisse aider d’autres personnes. Attention, je ne veux pas sauver le monde, hein. Non, mais ma contribution, aussi simple soit-elle me procure une sorte de bien-être.
Et donc, tu t’es rendu dans un studio, à Berlin ?
Le reste s'est déroulé fort naturellement. On a booké 10 jours et enregistré deux nuits, en prises directes. C’était un procédé très spontané. Mais la bonne manière de parvenir à nos objectifs.
Regrettes-tu parfois la dissolution prématurée de Lift To Experience ?
Non, je n'ai pas de regrets. Pour des jeunes comme nous étions à l'époque, c'était une magnifique expérience, traverser l'Europe et tout ça. Mais nous n'avions pas envie de frayer avec le music business. On vivait au milieu de nulle part. Dans le bled où on habitait, il n'y avait vraiment rien à faire, alors on tournait en rond. Donc, c'était amusant un temps, mais mieux valait arrêter avant de se lasser. Et puis, il nous est arrivé pas mal de merdes. Non, je ne regrette pas.
Et maintenant? Que vas-tu faire?
Dormir ! (NDR : il rit). Non, en fait, je vais continuer à courir. J'ai encore quelques dates. Amsterdam, demain, une radio session en Ecosse vendredi, et puis je joue ici à Bruxelles bientôt, non?
Oui, samedi.
Ensuite, quand j'aurai fini toute cette promo, je rentrerai quelque temps au Texas. J'ai besoin d'y retourner. Je vis à Londres en ce moment. Enfin, je ne sais plus très bien où je vis pour l’instant…
Je repars au Texas en juillet. J'irai faire des tours en moto et je prendrai un peu de repos. Avant de recommencer.
A ce stade, la conversation prend une autre tournure, et c'est Josh T Pearson qui me pose les questions, sur ma vie, sur ce que je fais. Mais cette conversation est bien moins captivante pour vous, amis lecteurs…