Vraisemblablement responsable de la confection d’un des meilleurs albums pop-rock de cette année 2010 (« The Tragic Tales of a Genius »), « MLCD » (feu « My Little Cheap Dictaphone ») s’explique. Discussion relative à un opéra pop soigné pendant trois longues années, traçant l’ébauche d’un bateau ivre sillonnant prodigieusement tous les grands fleuves artistiques : la musique, le théâtre, le cinéma, la littérature… Une schizophrénie musico-visuelle qui prendra vie sur les planches du Cirque Royal, ce 8 mai prochain, dans le cadre des Nuits Botanique. Concert à ne rater sous aucun prétexte !
- Votre nouvel album s’intitule « The Tragic Tale of a Genius ». Qui est ce mystérieux génie ?
- En fait, j’ai lu plusieurs autobiographies d’artistes qui m’ont inspiré un peu l’histoire. Il y avait, parmi d’autres, celle de Tom Waits, Johnny Cash et de Brian Wilson. L’important n’est pas tant de s’attacher à un personnage précis que de raconter le parcours d’un artiste. Cependant, c’est indéniablement Brian Wilson qui colle le plus à ce que je raconte.
- Pourquoi aborder la vie de Brian Wilson ? Quel regard portez-vous sur cet artiste ?
- C’est en lisant son autobiographie que j’ai eu réellement l’idée de réaliser cet album. L’histoire se déroule au début des années 80. Il est cloué sur son fauteuil, pèse 150 kg et n’est plus sorti de chez lui depuis un an… Il nous confie, au début du bouquin, qu’il s’est fait virer des Beach Boys, a tout perdu.
- C’est le personnage qui t’inspire de la tendresse ou plutôt la musique ?
- Les deux. Son parcours nous bouleverse pour les raisons que je viens d’évoquer. Alors on s’interroge : comment après avoir été le plus grand créateur de la pop, chez les Beach Boys, peut-on en arriver à ce stade ? C’est ça qui m’intéressait. La lecture de son livre a été réellement décisive et a inspiré l’orientation particulière de mon récit.
- Tu t’arrêtes sur la biographie de Brian Wilson et il y a deux ans d’écriture, ensuite…
- Plus ou moins… En fait, tout le processus, s’est fait en parallèle : le texte, l’histoire, la musique... Et a évolué au fil du temps.
- Quel parcours avez-vous suivi avant que l’album-spectacle ne tombe dans les bacs ? (l’écriture, les studios…)
- De nouveau, tout s’est fait en parallèle. Il y a eu cette idée de concept ; mais, au début, nous ne pensions pas à un opéra rock ou plutôt, pop, comme il est décrit. Au départ, on voulait juste créer un univers, un concert un peu ‘scénographié’, y inclure un peu de visuel pour guider le spectateur, l’introduire dans un univers singulier. Alors, nous avons fait quelques rencontres décisives. Dont celle d’Eve Martin qui s’est chargée de réaliser le spectacle. Elle nous a demandé : ‘Alors, comment est-ce qu’on va raconter cette histoire ?’ Et, comme il n’était pas question pour nous de jouer –on voulait juste que ce soit leur concert tout de même– alors, on s’est dit qu’on allait tourner des vidéos pour raconter l’histoire, puisque c’est un langage universel…
- Comment pouvez-vous décrire cet univers musical ? Ce nouveau MLCD ?
- Je ne sais pas comment décrire notre musique… On a voulu sortir du schéma habituel, de la façon dont on compose d’ordinaire de la musique. Avant, c’était généralement moi qui arrivais avec une chanson que j’avais déjà écrite en grande partie à la maison. Ensuite, on la travaillait en groupe. Dans ce cas précis, on a commencé de bosser, un peu de la même manière. Puis, Louis nous a rejoints au piano. Peu à peu, on a ressenti une envie impérieuse de sortir de ce canevas classique guitare/piano/batterie ; et en ce qui me concerne, de cesser d’écrire de mon côté. Le nouveau concept qui s’est ainsi profilé, insinué au sein du groupe, impliquait une réponse radicalement collective. Alors, pour créer collectivement ce nouvel album, on a loué des chalets dans les Ardennes, du côté de Vielsalm.
- Et l’enregistrement s’est réalisé aux Etats-Unis, c’est ça ?
- A Amsterdam. C’est le mixage qui a été effectué aux Etats-Unis.
- Où précisément ?
- Au Texas, à Dallas, en compagnie de John Congleton, dans son studio à Austin (et à Liège aussi).
- Comment parvient-on à rencontrer et à collaborer avec Jonathan Donahue ?
- Tout simplement. Je lui ai envoyé un mail, en y joignant ma chanson et voilà…
- Tu m’as dit que tout s’était fabriqué en parallèle mais ce projet présente une véritable trame narrative, je trouve… Il y a le titre (…), était-ce étudié ?
- Oui, bien sûr, c’était un peu voulu que soit un tout. Tout y contribue : aussi bien la musique, que le décor, la façon dont on est habillé, les vidéos, le clip vidéo… Il est important que tous les éléments s’inscrivent dans une continuité.
- La pochette de l’album et les affiches évoquent le cinéma US des 50’s-60’s. Tout particulièrement la période américaine Hitchcock, que je ressens très fort. Et plus précisément encore, du long métrage « La mort aux Trousses ». Mais quel rapport MLCD et le cinéma entretiennent-ils, au juste ?
- Oui, Alfred Hitchcock, notamment, dont on a parlé tout à l’heure. C’est quand même l’une des influences majeures pour tout ce qui était visuel justement… « La mort aux Trousses » ? Par exemple. Ou « Vertigo ». Il est vrai qu’on est déjà fan du 7ème art, à l’origine. C’est pour cette raison qu’on s’est dirigé vers une équipe de cinéma pour travailler, plutôt que de théâtre. On se sent plus proche de cet univers filmique que du monde de la comédie, peut-être un peu plus statique, où la possibilité de montrer, de jouer sur les images, justement, est plus restreinte. Le théâtre repose davantage sur un jeu d’acteur, talent que nous n’avons précisément pas.
- Pouvez-vous nous donner un descriptif de votre ‘concert-spectacle’ programmé ce 8 mai prochain au Cirque Royal, dans le cadre des Nuits Botanique. Y aura-t-il une réelle synchronisation entre musique et images ?
- Oui, bien sûr, c’est exactement ça. On joue les morceaux et, simultanément, pendant qu’on les interprète, les vidéos sont projetées. Pas sur toute la longueur du morceau mais… En fait, les clips ont été conçus pour permettre au public de comprendre les thèmes généraux abordés dans les morceaux, pour qu’il puisse suivre le fil l’histoire et se laisser imprégner de l’atmosphère de l’album.
- En vrai schéma narratif, donc …
- Oui, oui, bien sûr… D’ailleurs, tous les arrangements symphoniques utilisés ont précisément été conçus pour narrer l’histoire, pour renforcer les moments dramatiques ou joyeux ou…
- D’autres surprises pour le premier concert… ?
- Il y aura l’orchestre déjà.
- Combien serez-vous sur scène ?
- Une quinzaine de musiciens, les voix … en tout, une vingtaine.
- C’est le ‘combo’, quoi ! Et, principalement, quoi ? Des cordes, des cuivres … ?
- Essentiellement les cordes : 6 violons, 3 altos, 2 violoncelles, 4 harmoniums.
- Quelles sont vos attentes …
- On ne sait pas exactement. On a réellement vécu la conception de cet album comme un nouveau départ. Nous avons même songé à changer le nom du groupe. C’est un peu une renaissance au niveau du style, de l’équipe, de tout. Notre travail s’est déroulé suivant un rythme propre. On a essayé de soigner chaque point, chaque détail sans se fixer de délai. On a décidé de prendre le temps qu’il fallait pour arriver au bout du projet, que ce soit dans l’écriture des textes, l’enregistrement en studio, la préparation du spectacle… et voilà ! On se rend compte, enfin, nous, My Little Cheap Dictaphone, qu’on a bossé presque 3 ans dessus quasiment tous les jours. On était un peu découragé parfois mais, bon, on espère que l’accueil sera positif, que le public comprenne un peu ce qu’on a voulu faire, qu’il y ait de l’engouement… (?) les projets semblent se développer…
- Et vous avez collaboré avec qui, justement, pour les vidéos, etc. ?
- Et bien, Eve Martin et Nico Bueno se sont chargé des vidéos, sous le nom de Bubble Duchese… Eve, également de la mise en scène. Elle a constamment collaboré à mon travail d’écriture. Je me suis rendu également en Norvège pour travailler sur l’histoire, en compagnie d’une écrivaine norvégienne qui s’appelle Yan Vatnoy… Durant ce séjour, nous nous sommes longuement penchés sur les chansons, sur le récit. A vrai dire, ce n’est pas vraiment une histoire qui retrace la vie d’un personnage. Ce qui importe réellement, c’est son évolution psychologique. C’est de ce point de vue que l’on a concrétisé le projet. Il s’agit de saisir le ressenti psychologique du personnage. Cette fêlure qui lui vient de l’enfance, comment va-t-il en faire un don ? Et, comment définir son pôle artistique par rapport à ce contexte ? Comprendre pourquoi et comment, tout au long de sa vie, il va se sentir sans cesse mal à l’aise dans ses baskets, toujours un peu en marge de la société. Comment il va évoluer à travers le succès, la déchéance, les excès de rock-en-roll, etc.
- Peut-on facilement raconter la vie chaotique de Brian Wilson en un récit linéaire ?
- Oui, c’est un peu chaotique. Mais le récit respecte tout de même le fil chronologique de toute destinée : d’abord l’enfance, puis la création du groupe, puis le succès, les excès ; ensuite le pétage de plombs… enfin, dans la deuxième partie de l’album, le passage à vide, la nausée, le naufrage dans la folie, la schizophrénie… Nous avons voulu capter le chaos qui le cerne, rendre audible et visible la déchirure éblouissante qui le disloque, draguer le fond vertigineux de ses luttes intestines. Car telle est la question : comment peut-il affronter ses démons intérieurs ? On incarne cette descente aux enfers à l’écran par la représentation du combat avec le diable. C’est un peu lui-même, son ombre obscure qu’il combat. Il se livre à une lutte sans merci contre lui-même pour vaincre l’armée des démons intérieurs.
- (…) vous, comment définissez-vous votre opéra pop ?
- Il m’est difficile de le définir précisément… On avait juste envie que le spectateur plonge dans un univers pendant une heure comme s’il allait au cinéma, qu’il rentre dans notre histoire, vibre au son de la destinée du personnage, soit touché par les chansons, ressente des émotions à travers ce personnage, la mise en scène, les vidéos, à travers nous… C’est surtout ça qui nous guidait.
- Encore un mot, quelle est la participation exacte de Jonathan Donahue sur le dernier LP ?
- Il chante sur une chanson, on se partage le chant…