La substitution d’Edouard van Praet

Edouard van Praet a publié son nouveau single, « Remplaçable », ce 2 mai 2024, une chanson délicate et rêveuse à la basse hypnotique, aux synthés mignons et aux guitares discrètes. Entre pop et punk doux, les paroles en français à la reverb’ profonde évoquent…

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The Names à plein volume…

Issus de l'emblématique label Factory, aux côtés de Joy Division, New Order, A Certain Ratio, Durutti Column et Happy Mondays, The Names a consolidé sa place dans l'histoire de la musique. « Volume », c’est le titre du nouvel Ep de The Names. Il réunit quatre…

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Catherine Graindorge

Le violon est devenu ma voix, mon âme...

Catherine Graindorge est une violoniste, compositrice et actrice belge dont l’univers musical est vraiment unique. Un 'crossover' entre 'ambient', post-rock expérimental et musique classique. Son violon libère des sonorités à fleur de peau, distillant des atmosphères tour à tour voluptueuses, mélancoliques et envoûtantes.

Elle a joué en compagnie d'un nombre invraisemblable d'artistes internationaux et notamment Nick Cave, Warren Ellis, Debbie Harry et feu Mark Lanegan (Jeffrey Lee Pierce Project), Chris Eckman (Dirtmusic, The Wal abouts), Hugo Race (ex-Bad Speeds), Pascal Humbert et Bertrand Cantat (Detroit), John Parish… Elle a également monté un projet, Nile On waX, en compagnie de son compagnon, Elie Rabinovitch ; et, enfin, elle compose pour le théâtre, la danse et le cinéma.

Après avoir gravé un 2ème elpee solo, “Eldorado”, en 2021, elle a frappé un grand coup l’année suivante grâce à un Ep réalisé en compagnie d'Iggy Pop, "The Dictator". Mais ce n'est pas fini ! Plus récemment, elle a publié le nouvel LP de Nile On waX, “After Heaven”, et a mené à bien un nouveau projet, ‘Songs For The Dead’. Il s'agit d'une création originale interprétée à Bozar en avril dernier en ouverture des Nuits Botanique. Pour l'occasion, elle s'est associée à Simon Huw Jones, le chanteur du groupe culte anglais And Also The Trees, Pascal Humbert (16Horsepower, Detroit), Simon Ho, sans oublier ses deux filles, Lula et Ilona. Musiczine a rencontré Catherine dans l'atmosphère jazzy du restaurant ‘La Porteuse d'Eau’, à Saint-Gilles pour une interview à bâtons rompus...

Musiczine - Alors, Catherine, on va commencer par Iggy Pop. Comment l'as-tu rencontré et comment t’est venue cette idée de collaboration ?

Catherine Graindorge - J'avais sorti mon deuxième album solo, “Eldorado”, en octobre 2021 sur Glitterbeat, et plus précisément chez Tak:til, la division 'underground' de ce label. Ses responsables connaissent bien la BBC et le producteur de l'émission d'Iggy Pop, baptisée ‘Confidential. Elle est diffusée sur Radio 6. Iggy est quelqu'un de curieux et il a aimé mon morceau “Lockdown”. Il a effectué quelques recherches et, finalement, il a passé deux de mes morceaux dans son émission.

M - L'autre, c'était “Animal” ?

CG - Oui. “Animal”, un titre qui figure sur mon premier album solo. Ensuite, j'ai juste demandé de transmettre un mail via la production, à Iggy, pour lui dire que j'étais très honorée et que si, un jour, il voulait collaborer, je serais très heureuse. Ce n'était pas prémédité, mais juste spontané. Deux jours plus tard, j'ai reçu un mail d'Iggy, transmis par son manager. Il écrivait ‘Catherine, I would love to do a track.’ Incroyable. J'étais en train de faire des courses à ce moment-là, je m'en souviens.

M - Ton sang n'a fait qu'un tour, je suppose ?

CG - Oui, c'est ça. Il m'a proposé que je lui envoie des idées. J'ai donc commencé à enregistrer à la maison, puis j'ai transmis des démos, et on a échangé des musiques ainsi, très simplement.

M - Et ensuite, vous vous êtes rencontrés pour le tournage du clip ?

CG - Oui, on a profité de son séjour à Anvers où il devait donner un concert. On a cherché un studio là-bas et Elie, qui est musicien et réalisateur, s’en est chargé.

M - Un superbe clip en noir et blanc !

CG - Elie a beaucoup travaillé sur les lumières et la proximité entre Iggy et moi. C'était une magnifique rencontre.

M - Comment as-tu ressenti le personnage ?

CG - Je l'adore. C'est quelqu'un de très humain, de très vrai. Il s'en fout de savoir s'il a affaire à quelqu'un de connu ou pas. Cela m'a extrêmement touchée parce que j'avais un complexe. On est quand même dans l'ère des 'likes' et du nombre de vues. On est un peu tributaires de cette situation aussi. Lui, n'en a que faire.

M - Il n'a plus rien à prouver.

CG - Non, c'est vraiment une belle personne. Et il a beaucoup d'humour. Entre les prises, on a bien rigolé quand je lui ai demandé quel serait son emploi du temps après sa tournée et qu'il a répondu : ‘Je vais aller rejoindre les vieux riches dans ma petite maison dans les îles Caïmans’

M - Ah ? Je croyais qu'il habitait à Miami.

CG - Oui mais il possède aussi une petite maison de vacances.

M - J'ai remarqué que, dans ta carrière, tu as souvent travaillé en compagnie d'artistes masculins très forts, qui ont apporté leur voix et leur énergie : Iggy, John Parish… Nick Cave aussi, d'une certaine manière.

CG - Nick Cave, je ne l'ai jamais rencontré, mais j'ai inséré des parties de violon sur deux morceaux du Jeffrey Lee Pierce Project, en 2012.

M - Et il y a surtout Hugo Race...

CG - Oui, on a participé à plusieurs projets ensemble. Notamment pour l’'album “Long Distance Operators”. Et avant cet épisode, lors des sessions consacrées à mon premier album solo, “The Secret of Us All”.

M - Je propose qu'on se penche sur Nile On waX, le projet que tu partages avec ton compagnon, Elie, et le bassiste David Christophe, un nouvel opus intitulé « After Heaven » vient de paraître.

CG - Oui, c'est notre quatrième. On a commencé l’enregistrement pendant le confinement. On s’est servi d’un multipiste et on a improvisé sans se poser de questions. C'était spontané, basé sur des émotions directes. Puis on a travaillé sur les prises. David a accompli un gros travail d'editing.

M - Comment positionnes-tu Nile On waX par rapport à tes elpees solo, c'est plus post-rock ?

CG - Oui, c'est plus post-rock. Déjà, il y a la présence de la batterie, qui prend de la place. Dans mes albums, il y en a parfois, mais elle est plus discrète, plus évanescente.

M - Nile On waX sonne aussi plus psyché, moins éthéré que tes projets solos

CG - Oui, mais je crois que quand je joue, il existe aussi un côté ancré dans le sol. J'ai un côté angélique mais j'aime aussi créer des atmosphères tourmentées.

M - Un aspect tellurique ?

CG - Tellurique. Oui, effectivement.

M - Un côté éthéré, cosmique, voire mystique et un aspect tellurique. On perçoit cette dualité dans la façon dont tu te sers de ton instrument. Le son est parfois très mélodique, très aérien et quelquefois, il est carrément strident. Tu tritures les cordes ?

CG - Oui, d'un côté, j'ai reçu une formation classique et une part de moi est très mélancolique. J'étais très romantique quand j'étais jeune, très fleur bleue et en même temps, j'ai toujours eu envie de faire du rock. J'ai toujours été tiraillée entre les deux. J'aime le violon, mais je n'ai pas voulu me lancer dans une carrière classique parce que je la trouvais étouffante et trop stricte. Je voulais être libre de faire ce que je voulais. Au départ, je souhaitais devenir guitariste ou bassiste dans un groupe rock, mais à ce moment-là, je me suis dit : ‘J'ai cet instrument, le violon, essayons d'en tirer quelque chose’. Ainsi, le violon est devenu ma voix, mon âme. J'ai cherché à me forger un style propre pour combiner les deux parties de moi-même, la partie mélancolique, mais aussi la partie...

M - ‘Down to earth’ ? La partie attachée à la terre, aux impulsions, à l'énergie ?

CG - Oui, liée aux tourments, au sang, à la colère. La musique me touche quand elle n'est pas lisse. Si elle ne m’atteint pas quelque part dans mon cœur, dans mon corps, elle ne m'intéresse pas.

M - Etais-tu intéressée par le jazz-rock à l'époque ? Parce que ce style a construit un pont entre le rock et les autres musiques. Quand j’évoque le ‘jazz-rock’, je ne vise pas des virtuoses qui jouent 10 000 notes à la seconde, mais plutôt des artistes signés par des labels qui affichent un côté plus éthéré, comme ECM, et par exemple, le trio Terje Rypdal, Jack DeJohnette et Miroslav Vitous.

CG - Non, je ne connais pas.

M - J’y vois une filiation. Terje Rypdal a un côté glacé, très scandinave. Et certaines de tes ambiances me font penser à lui.

CG - Ma plus grande influence, c'est quand même la musique classique. J'en écoutais beaucoup quand j'étais jeune. Mon premier amoureux, c'était un Allemand. On écoutait le requiem de Brahms dans les bras l'un de l'autre, en pleurant.

M - C'est très romantique ! Carrément goth (rires) !

CG - La musique romantique allemande m'a fortement influencée. Brahms, Schubert et Bach, notamment. Puis, sans que ce soit vraiment conscient, j'ai voulu m'en éloigner. Je n'ai pas fréquenté le conservatoire. J'ai fait du théâtre, de la musicologie, etc. Mes influences n'ont jamais été conscientes et j'ai découvert beaucoup d'univers musicaux différents sur le tard. Surtout parce que l'homme que j'aime est une véritable encyclopédie musicale... (rires)

M - Donc, il connaît ECM ?

CG - Oui, bien sûr. Il m'a permis d’explorer d’autres horizons. Laurie Anderson, par exemple, je l'ai découverte sur le tard. Mon identité musicale s’est également construite parce que je suis comédienne. Depuis tout petite, mes prédilections ont toujours oscillé entre musique et théâtre. Dans la première partie de ma carrière, j'ai créé des spectacles théâtraux. J'ai aussi participé à des productions d'autres créateurs, mais j'aimais créer mes propres projets. Ma musique puise son origine dans des histoires, des dramaturgies ou des émotions que j'ai besoin d'exprimer.

M - Comme des ‘soundtracks’ de films imaginaires ?

CG - Oui. Mais ce ne sont pas des histoires précises, plutôt des émotions que je ressens, que je vis. Je prends mon instrument et je me lance dans une improvisation. M’être produite au théâtre m'a aidée parce que j'ai l'impression de réaliser des spectacles, mais je me sens plus proche du langage musical que du langage verbal, finalement...

M - D'où l'intérêt pour toi de t'associer à des artistes qui, eux, vont apporter leur voix et leurs paroles. On en arrive à Simon Huw Jones. Comment l'as-tu rencontré et comment t’est venue l'idée de “Songs For The Dead” ?

CG - Le Botanique m'a proposé une carte blanche, associée à une résidence. Je venais de réaliser l'Ep en compagnie d'Iggy Pop et j'avais envie de me lancer à nouveau dans un projet de ce type. Comme tu le vois, j'aime bien m'entourer d'hommes... (rires)

M - Ce qui produit un mélange intéressant, un peu comme le yin et le yang.

CG - Oui, exactement. Elie m'avait fait découvrir le groupe de Simon, And Also The Trees, il y a quelques années. Et puis, je suis tombée sur ce texte d'Allan Ginsberg, “A Dream Record”, où il raconte que, dans un rêve, il a vu Joan Burroughs qui avait été assassinée accidentellement par William Burroughs, son mari. Dans le rêve, il lui parle et ne se rend pas compte qu'elle est morte.

M - On est carrément dans ‘Le Sixième Sens’, là !

CG - Oui. Et puis, tout à coup, il se rend compte qu'en fait, elle est décédée. La mort est une thématique récurrente chez moi. J'ai donc décidé de partir de ce texte pour composer. Et Simon Jones était un bon choix car il a quelque chose de très poétique, un peu hors du temps. J'aime bien son écriture. J'aime bien le fait qu'il alterne 'spoken word' et chant. Hugo Race chante également de cette manière, mais je voulais quelqu'un de différent. J’aurais pu solliciter Nick Cave, mais je ne pense pas que je l’intéresserais...

M - Il faut essayer. Ça marchera peut-être.

CG - Il a déjà son violoniste.

M - Oui, Warren Ellis.

CG - Et donc, j'ai juste écrit à Simon Jones, via le manager/booker du groupe. Je lui ai envoyé mes démos, il les a écoutées et a répondu qu'il avait envie de participer au projet.

M - Il a en effet un côté clairement romantique, ‘dark’, même carrément gothique.

CG - Effectivement. Je lui ai envoyé le texte de Ginsberg comme point de départ. Et j'ai ajouté le mythe d'Orphée et Eurydice. Il s’est basé sur ce scénario.

M - Donc, il a tout écrit ?

CG - Oui. Il y a juste une exception. Dans le morceau “Time is broken”...

M - Justement mon morceau préféré du projet !

CG - Les paroles du chœur de femmes sont signées par un ami, Stéphane Manzone. Il avait déjà rédigé des textes pour mon album “Eldorado”.

M - Tu n’écris pas de paroles ?

CG - J'ai déjà écrit pour des spectacles de théâtre, mais je n'arrive pas facilement à concevoir des textes pour la musique... C'est un peu compliqué pour moi. J'ai donné carte blanche à Simon Jones. On a échangé des démos, comme je l'avais fait pour “The Dictator”. 

M - Et quels sont tes morceaux préférés dans la discographie d'And Also The Trees ?

CG - J'aime beaucoup “Bridges” et “Domed”.

M - Ah oui, “Domed” est extraordinaire, grâce, entre autres, à cette intro à la guitare et cet effet de tremolo. Pour revenir à “Song For The Dead”, l’association entre ta musique et la voix de Simon est juste extraordinaire. C'est encore plus fort que les autres combinaisons, parce que c'est beaucoup plus proche dans l'âme. On sent vraiment une complicité. On dirait qu'il va chercher ton côté 'dark' pour en faire quelque chose de magnifique.

CG - Oui, il a été très touché par ma musique. Il me l'a dit au départ...

M - Il a aussi un projet qui s'appelle November. Le connais-tu ?

CG - Non, je ne connais pas. Mais je sais que ce projet existe.

M - C'est un projet qu'il anime en compagnie de Bernard Trontin, des Young Gods, lequel fournit la matière musicale. Mais Bernard, lui, se sert beaucoup du sampling.

CG - Pourtant, il est batteur, non ?

M - Oui, il est batteur, mais dans November, il se réserve toutes les parties musicales. Grâce à des samplers et à des synthés. C'est aussi une musique très intéressante.

CG - Perso, je fonctionne toujours par instinct. Si je réfléchis trop, ça ne donne rien de bon.

M - Et bien là, je peux te dire que ce concert à Bozar était une vraie réussite. Un moment magique. Un moment de vraiment spécial s'est passé entre les musiciens, le public et cette salle. Vu que le spectacle a été enregistré, as-tu l'intention d'en faire quelque chose ? Un film ? Un album ?

CG - J'ai l'intention d'enregistrer un album cet automne.

M - Donc, de réenregistrer les morceaux ?

CG - Oui, parce qu'à Bozar, on n'a pas enregistré sur un multipiste. Et puis, on n'avait eu que trois jours pour tout mettre en place, ce qui est vraiment très peu.

M - Y a-t-il eu des moments où vous avez improvisé ou bien tout était-il programmé ? As-tu été surprise par moments ?

CG - Il y a toujours une part d’impro dans mes morceaux. Et sinon oui, j’ai été impressionnée par mes filles, qui participent à deux morceaux. Je suis très fière d'elles. Ce n’était pas évident de chanter pour la première fois dans cette salle Henri Leboeuf. Une salle emblématique, celle du concours Reine Elisabeth, où tout est joué à la perfection. Je ne me suis pas laissé impressionner par ce défi. C'était une création originale, carrément expérimentale. Et, en plus, je ne suis pas une virtuose, dans le sens classique du terme. Ça ne m'intéresse pas d'avoir une technique parfaite, ce qui m'intéresse, ce sont les émotions.

M - Tu n'es pas Didier Lockwood... (rires)

CG - Non, en effet.

M - Ni Jean-Luc Ponty ! Et tant qu'on cause des violonistes virtuoses, je pourrais aussi citer Eddie Jobson, le violoniste qui militait chez Roxy Music.

CG - Je ne le connais pas.

M - C'est lui qui a remplacé Brian Eno. Il se consacrait au violon sur l'album live, “Viva”. Et ensuite, il a intégré UK, un supergroupe de rock progressif.

CG - OK.

M - A propos, tu as vu ce qu'Iggy a dit sur toi dans le New Musical Express (NME) ?

CG - Oui, j'ai lu ça.

M - C'est impressionnant ! ‘There is a gothic masonry at work here, with a very old force abetted by very cunning structures.’ (‘Il y a une maçonnerie gothique à l'œuvre ici, apportant une force très ancienne encouragée par des structures très rusées.’)

CG - Oui, c'est très beau, ce qu'il a déclaré.

M - Et après, il ajoute : ‘The music represents calices, bodices and old stones. It's European romance and it creeps up on me like a fog, like winter in Venice.’ (‘La musique représente des calices, des corsages et des vieilles pierres. C'est comme une romance européenne et ça monte sur moi comme un brouillard, comme l'hiver à Venise.’) C'est magnifique !

CG - En même temps, je suis européenne. Pour un Américain, l'Europe a un aspect fascinant.

M - Oui, c'est bien d'avoir cette révérence vis-à-vis de nous, vis-à-vis de notre culture et de manifester ce respect, cette modestie, surtout de la part de quelqu'un qui est un géant.

CG - Oui, c'est un géant mais en même temps, il s'en fout complètement de la célébrité. Simon Jones et Pascal Humbert sont aussi un peu pareils, même si c'est à un autre niveau. Ce sont de superbes musiciens, mais ils ne sont pas à la recherche d'une gloire ou d'une reconnaissance internationale à tout prix. Ils ont besoin de créer une musique qui les touche, qui leur plaît. Je suis comme ça également. C'est l'aspect humain qui est le plus important. Je veux être à ma place.

M - Être libre ?

CG - Oui. Je ne pourrais pas créer si je devais affronter des contraintes, des pressions. Regarde And Also The Trees. La formation n’a jamais réellement percé sur le plan international. Robert Smith (NDR : de The Cure) l’appréciait beaucoup. Le frère de Simon, Justin Jones, connaît très bien Robert. Il est étrange de constater que The Cure a connu un succès énorme et pas And Also The Trees.

M - Robert Smith a mis le pied à l'étrier au groupe, au début de sa carrière, mais il n'a jamais vraiment cherché le succès à tout prix. Je crois qu'au départ, c'est peut-être parce qu'il est issu d'un tout petit village et qu'il ne voulait pas être coupé de ses racines. Les musiciens n'aimaient pas Londres, ils n'aimaient pas les grandes villes et vouloir le succès signifiait automatiquement quitter leur village et aller habiter à Londres.

CG - C'est un choix de vie. Simon dit souvent qu'il préfère travailler la terre, plutôt que de se retrouver dans des projets qui ne l'intéressent pas. Pascal Humbert a la même philosophie. D'ailleurs, je me sens privilégiée, parce que c'est quasi la première fois que Simon participe à un autre projet que And Also the Trees. Bien sûr, il y a November, mais à cette exception près, je ne crois pas qu’il se soit lancé dans beaucoup d'autres projets.

M - Juste quelques petites collaborations ponctuelles.

CG - Il m'a dit ‘Normalement, je ne fais pas ce genre de choses.’

M - Simon est un vrai gentleman.

Voilà, Catherine, merci beaucoup pour cette interview. On attendra donc impatiemment la sortie de l'album “Songs for the Dead”.

CG - Ce sera pour l'année prochaine...

Merci à Catherine Graindorge, Simon Huw Jones, Bozar, le Botanique et l'émission WAVES.

Pour en savoir davantage sur Catherine Graindorge et Nile On waX, cliquez sur son nom dans le cadre réservé aux informations supplémentaires, ci-dessous. Vous pourrez même acheter leurs albums et Eps via leur Bandcamp. Pour lire ou relire la dernière interview accordée par Simon Huw Jones, c'est

Photo : Elie Rabinovitch.

And Also The Trees

La création, c'est comme un état méditatif, un moment hors du temps...

Au sein de la rédaction de Musiczine, un groupe fait la quasi-unanimité : And Also The Trees. Fondée en 1979, cette formation issue de la campagne anglaise produit, avec une constance remarquable, une musique inclassable, enracinée dans le post-punk et fertilisée par le folk, l'ambient, le jazz et la musique classique. Un ‘crossover’ singulier, qui fraternise avec Nick Cave, Dead Can Dance et Leonard Cohen tout autant que les Doors, le Velvet Underground et Joy Division.

Le chanteur, Simon Huw Jones, a imposé sa voix envoûtante, qui oscille entre chant et déclamation et elle est animée par un véritable souffle romantique. Ses paroles vont puiser dans un 'stream of consciousness' subtil et solennel, pénétré par la puissance de la nature et l'illumination du moment présent.

Parallèlement à son band, Simon aime s’investir dans des projets en compagnie d'autres artistes. Il partage ainsi celui de November auprès de Bernard Trontin, des Young Gods. Il y a quelques jours, il a débarqué à Bruxelles pour participer au nouveau projet de la violoniste et compositrice belge Catherine Graindorge : ‘Songs For The Dead’. L'avant-première s'est déroulée à Bozar, dans le cadre de la soirée d'ouverture de l’édition 2023 des Nuits Botanique. Musiczine a pu rencontrer le chanteur avant le concert et lui proposer une interview assez inédite, sous la forme d'un ‘Florilège de Citations’. Vu que c'est un homme féru de mots et de littérature, nous lui avons proposé de lire à haute voix ces citations préparées spécialement pour lui. Un objectif ? Que Simon partage avec nous ce qu’elles évoquent en son for intérieur.

Musiczine - Merci pour cette interview ! Je te propose de lire la première citation.

‘The boy walked round the jagged rocks
Caught between ideals and desires
He sinks into oblivion’

(‘Le garçon marchait autour des rochers déchiquetés
Pris entre les idéaux et les désirs
Il sombre dans l'oubli.’)

Simon Huw Jones - Oui, bien sûr, je la reconnais ! Elle figure sur l'une de nos toutes premières chansons, écrite à l'âge de 19 ans. Et les autres membres du groupe étaient encore plus jeunes que moi. En fait, c'est à ce moment-là que j'ai commencé à m'intéresser à la littérature. Alors que nous travaillions sur nos premières compos dans le Worcestershire, au sein de la chambre de mon frangin, je me creusais les méninges pour trouver des paroles. Alors, je suis allé dans un placard, en haut de l'escalier, et j'ai prélevé un livre, qui appartenait à mon frère aîné. C'était ‘Time Must Have a Stop’ d'Aldous Huxley. La chanson qui est directement inspirée de cet ouvrage s’intitule “There Were No Bounds”. Et cette citation en est également inspirée. J'ai repris au hasard des extraits du bouquin et j'ai comblé les espaces en ajoutant des textes personnels. Je ne sais pas si on peut parler de plagiat... (rires)

M - C'est “So This is Silence”. Il est extrait du premier elpee, “From Under The Hill”, paru en 1982.

SHJ - Oui, en fait, c'était notre première cassette. Elle contient les enregistrements que nous avons réalisés sous la direction de Robert Smith et Mike Hedges, à Londres. Ensuite, nous avons travaillé sous la houlette de Lol Tolhurst pour enregistrer notre premier long playing.

M - L'album éponyme : “And Also The Trees”.

SHJ - Exactement.

M - ‘Éponyme’, quel mot merveilleux !

SHJ - En effet (rires) !

‘Brainwaves transmitted from my mind
Of a magnetic kind
I don't know what to do
If I can't get through to you’

(‘Les ondes cérébrales transmises par mon esprit
Ont quelque chose de magnétique
Je ne saurai pas quoi faire
Si je ne réussis pas à te rejoindre’)

SHJ - Je ne vois pas.

M - C'est “ESP”, des Buzzcocks.

SHJ - Ah oui, maintenant que tu l’indiques, j'entends la chanson dans ma tête !

M - Sais-tu pourquoi je l'ai choisie ?

SHJ - Sans doute parce que, quand Justin, mon frère, a commencé à apprendre à jouer de la guitare, sur une acoustique bon marché, il jouait le riff de ce morceau sur une seule corde (Simon chante la mélodie du riff). Et il reprenait aussi un morceau de Pink Floyd.

M - Oui ! “Interstellar Overdrive” ! Mais j'ai dû choisir “ESP”, car la compo de Pink Floyd est instrumentale...

SHJ - Justin n'avait que 14 ans à ce moment-là.

M - C'est incroyable. Quand on regarde les photos, il a l'air si jeune.

SHJ - C'est ainsi que tout a commencé.

M - Était-ce à Inkberrow ?

SHJ - C'était à Morton Underhill, un hameau sis près d'Inkberrow.

M - Qu’écoutiez-vous d’autre, comme musique ?

SHJ - Nous écoutions ce que mon grand frère ramenait à la maison, surtout des albums des Beatles et des Beach Boys.

M - Te souviens-tu d'un morceau ou d'une chanson en particulier qui a provoqué en toi un flash, une sorte de prise de conscience ?

SHJ - Probablement “A Day In The Life”, des Beatles. J'étais fasciné par cette chanson. Il y a une telle mélancolie, une telle profondeur, et les paroles sont surréalistes et très visuelles. Elle est parfaite pour moi. Je l'adore encore aujourd'hui.

M - En t'écoutant parler, j’imagine que la façon dont tu écris évoque peut-être le style précis et réaliste de la chanson des Beatles. ‘I read the news today oh Boy’. Je discerne un lien avec l'approche 'stream of consciousness' qui est ta signature.

SHJ - Je n'y avais jamais pensé auparavant. Mais ta réflexion ne me surprend pas trop. Car la plupart de nos créations sont influencées, de manière subliminale, par ce qu'on a vu ou entendu, sans que nous nous en rendions compte.

M - En même temps, les Beatles ont quasiment tout inventé dans le domaine de la musique pop, non ? Ils étaient les premiers à écrire des paroles aussi originales.

SHJ - Oui, c'est vrai.

M - Comment trouves-tu l'inspiration pour écrire tes textes ?

SHJ - Autrefois, lorsque j'écrivais, je passais des heures et des heures assis devant une feuille blanche en cherchant le souffle créateur. Et finalement, il se manifestait. J’ignore d'où il venait, mais j'étais très satisfait du résultat. Au point qu'en me relisant, je me demandais si c'était bien moi qui avais rédigé ces mots. En fait, la création, c'est presque comme un état méditatif, un moment hors du temps.

M - C'est le moment où tu es dans les limbes, entre le rêve et la réalité. Ça prend quelques fractions de secondes et puis, tu reviens et il y a quelque chose sur le papier. C'est un peu comme une hypnose, ne crois-tu pas ?

SHJ - Oui, je pense que c'est le cas. C'est impressionnant, comme processus. Parfois, le résultat est moins bon mais à chaque fois, je suis surpris.

M - La prochaine citation est très facile...

‘I tried to laugh about it
Cover it all up with lies
I tried to laugh about it
Hiding the tears in my eyes’

(‘J'ai essayé d'en rire
De tout couvrir tout avec des mensonges
J'ai essayé d'en rire
En cachant les larmes dans mes yeux’)

SHJ - ...because Boys Don't Cry (rires) !

M - Dans le mille ! Parlons un peu de The Cure, ces merveilleuses personnes qui ont été si importantes dans la vie de votre groupe.

SHJ - La première fois que j'ai entendu The Cure, c'était dans la voiture de mon père, et “10:15 Saturday Night” passait à la radio. Le lendemain, j'ai acheté le single et, ensuite, j'ai découvert leur premier album.

M - Et c'est au groupe que vous avez envoyé votre première 'démo'.

SHJ - Oui. Ils avaient publié une annonce car ils cherchaient un band pour assurer leur première partie.

M - Et vous avez joué en supporting act à l'université de Loughborough. Et plus tard, vous avez enregistré la première cassette sous la direction de Robert Smith. J'ai entendu parler d'une anecdote concernant “Charlotte Sometimes”...

SHJ - Oui. Nous étions en studio et Robert nous a permis d’écouter un nouveau morceau de The Cure, “Charlotte Sometimes”, qui était fabuleux. On le félicite évidemment et il nous répond : ‘But it's not as good as any of your stuff of course !” (“Mais ce n'est pas aussi bien que tout ce que vous faites, bien sûr !’) (rires).

M - Crois-tu qu'il parlait sincèrement ou était-ce du second degré ? Perso, je crois qu'il vous aimait vraiment beaucoup, à ce moment-là.

SHJ - Robert était quelqu'un de très modeste. Ce qu'il appréciait surtout chez nous, à cette époque, c'était notre naïveté, notre simplicité et l'originalité de notre musique. Je pense que lorsque nous avons mieux maîtrisé nos instruments et sommes devenus ce que nous sommes aujourd'hui, il nous a appréciés d'une manière différente.

M - Et puis, un jour Siouxsie a débarqué dans le studio...

SHJ - Oh oui ! Un grand moment, car nous étions tous d'énormes fans de Siouxsie, avant même qu'elle n'ait rejoint une maison de disques. Nous connaissions sa musique grâce aux sessions de John Peel. A cet instant, elle n'avait pas encore signé de contrat. Il existait même des badges sur lesquels on pouvait lire ‘Siouxsie, don't sign !’ (rires). Nous ne voulions pas qu'elle intègre le business musical parce que c'était tellement cool qu'elle soit indépendante du système. C'était très 'punk'. Et en effet, un jour, elle a débarqué dans le studio où nous étions.

M - Un véritable choc, je suppose ?

SHJ - Oh oui ! Nous étions bouche bée, comme tétanisés. On ne savait que dire ou faire. Un des plus grands moments de ma vie.

M - On continue...

‘The jasmine grows
In through the walls
Into the fruit room
Its perfume blows...’

(‘Le jasmin pousse
Au travers des murs
Dans la pièce aux fruits
Son parfum souffle…’)

SHJ - C'est “The Fruit Room”...

M - Je ne sais pas qui a écrit ce texte, mais il est magnifique (rires) ! En fait, il s’agit de ma chanson préférée d'And Also The Trees. Extraite de “Green Is The Sea”, mon album favori.

SHJ - A Morton Underhill, nous vivions dans une ancienne ferme et dans la pièce où j'écrivais, et où nous nous retrouvions pour boire, fumer et écouter de la musique, il y avait du jasmin. La plante avait traversé les murs et poussé dans la pièce. C'est dans ce contexte que j'ai écrit ces paroles.

M - C'est incroyable ! Tu sais, cet opus a quelque chose de spécial pour moi tant au niveau musical que dans ma vie personnelle. C'est probablement celui d'AATT dont les arrangements sont les plus audacieux. Sans doute en raison de la présence des claviers.

SHJ - Oui, c'est vrai. Pour être franc, je n'avais plus écouté “Green Is The Sea” depuis longtemps et un jour, il y a peu, je me suis replongé dans l'album. J'ai vraiment été surpris. Je m'étais habitué aux versions dépouillées, que nous interprétions sur scène et j'avais oublié toute la complexité du disque. Il se passe énormément de choses au niveau musical. Une fois ce moment d'étonnement passé, j'ai pris énormément de plaisir à le réécouter.

M - C'est un véritable kaléidoscope musical. En général, j'aime beaucoup les musiques 'crossover', qui combinent toutes sortes de courants, comme le pratiquent Radiohead et Nine Inch Nails. On ne peut pas dire qu'il s'agisse d'un style de musique bien précis.

SHJ - Oui, exactement.

‘Half a gramme for a half-holiday,
A gramme for a weekend,
Two grammes for a trip to the gorgeous East,
Three for a dark eternity on the moon.’

(‘Un demi-gramme pour des demi-vacances,
Un gramme pour un week-end,
Deux grammes pour un voyage dans le magnifique Orient,
Trois pour une sombre éternité sur la lune.’)

SHJ - C'est “Brave New World”, d'Aldous Huxley !

M - Bien vu ! Il y parle d'une drogue, appelée ‘Soma’. Ce qui me permet de poser une question, à laquelle tu n'es pas obligé de répondre : as-tu déjà pris des substances psychédéliques ?

SHJ – Oui.

M - T’ont-elles ouvert des portes comme le dit Aldous Huxley dans ‘The Doors of Perception’ ?

SHJ - Oui. C'est un sujet intéressant. J'y ai beaucoup réfléchi récemment, en écrivant la biographie du groupe pour notre site internet. Je me suis dit qu’il serait bien de consacrer une publication sur les 'substances' et de la traiter de manière honnête et intelligente. Parce qu'il existe évidemment le problème des excès et des dangers inhérents à cette consommation. Mais, il est indéniable qu’elles ouvrent des portes. Elles te permettent de voir les choses différemment.

M - On en parlera 'off the record', après l'interview car le sujet mérite des développements, surtout quand on aborde les substances psychoactives, comme l'ayahuasca. Mais pour revenir à Huxley, sais-tu qu'il s'était inspiré de William Blake ?

SHJ - Ah non !

M - Le concept des portes de la perception vient du livre ‘The Marriage of Heaven and Hell’. Blake y écrit : ‘If the doors of perception were cleansed, everything would appear as it is, infinite...’ (‘Si les portes de la perception étaient nettoyées, toutes les choses apparaîtraient comme elles sont, infinies...’)

SHJ – Wow !

M - Passons à la citation suivante, car elle nous permettra de parler de la Belgique.

‘My death waits there among the leaves
In magicians' mysterious sleeves
Rabbits and dogs and the passing time
My death waits there among the flowers
Where the blackest shadow, blackest shadow cowers
Let's pick lilacs for the passing time...’

(‘Ma mort attend là parmi les feuilles
Dans les manches mystérieuses des magiciens
Les lapins et les chiens et le temps qui passe.
Ma mort attend là parmi les fleurs
Où l'ombre la plus noire, la plus noire, se tapit
Cueillons des lilas pour le temps qui passe…’)

SHJ - Jacques Brel ! C'est à l'origine une chanson de Jacques Brel, “La Mort” ! Et ici, c'est un des rares cas où la reprise en anglais (NDR : “My Death”) est en fait meilleure que la version originale ! J'adore aussi bien celle de Scott Walker que de David Bowie. Elles sont toutes deux absolument brillantes.

M - La traduction a été effectuée par Mort Shuman, un chanteur assez connu en France, en Belgique et en Suisse, surtout grâce à son hit : “Le Lac Majeur”.

SHJ - Non, je ne le connais pas. C'est étrange parce que ma femme est précisément originaire d'une ville qui borde le Lac Majeur.

‘In a bed of leaves
In a bed of lace
In a bed of fire
In a bed of leaves
She's calling me, calling me…’

(‘Dans un lit de feuilles
Dans un lit de dentelle
Dans un lit de feu
Dans un lit de feuilles
Elle m'appelle, m'appelle…’)

SHJ - Facile, c'est “In Bed In Yugoslavia”, extrait de notre dernier album, “The Bone Carver”.

M - Et la dernière citation...

‘So long ago,
It must have been in another life
The trees were gods
And fires could sing until the morning dawned
An eagle, flyin' high to guide our way
The path was bright and led up there into the Sun...’

(‘Il y a si longtemps,
C'était sans doute dans une autre vie
Les arbres étaient des dieux
Et les feux chantaient jusqu'aux aurores.
Un aigle, volant haut pour nous guider
Le chemin était lumineux et nous menait vers le Soleil…’)

SHJ - Je ne vois pas...

M - Tu ne trouveras pas, parce que c'est extrait... d'une de mes propres chansons (rires) !

SHJ - D'accord ! Je me demandais si ce n'était pas une chanson de Pink Floyd...

M - Ah, c'est une très belle référence ! J'achète (rires) !

Simon, bonne chance pour le concert de ce soir et pour tes prochains projets ! Peut-on espérer un prochain album d'AATT ?

SHJ - Oui, nous travaillons sur de nouvelles compositions pour l'instant.

M - J'ai une suggestion pour le titre du prochain album : “Blue Is The Sky”...

SHJ - Nous n'avons pas encore de titre. Mais oui, je vois ce que tu veux dire ! Tu fais référence aux paroles que j'avais écrites tout au début, au moment où nous avons choisi le nom du groupe. J'avais rédigé ce petit poème qui, finalement, n'a pas débouché sur un morceau précis mais a inspiré beaucoup de choses. C'était :

‘Green Is The Sea,
And Also The Trees,
Blue is the Sky,
And Blue were your Eyes...’

(‘Verte est la mer,
Et aussi les arbres,
Bleu est le ciel,
Et bleus étaient tes yeux...')

M - Merci beaucoup pour cette interview, Simon !

SHJ - Merci à toi !

Pour écouter et acheter les albums d'And Also The Trees, c'est ici

Pour écouter l'interview audio dans l'émission WAVES, c'est ici

Pour lire la chronique du concert de Catherine Graindorge + Guests, c'est

Merci à Simon Huw Jones, à Catherine Graindorge, à Bozar et au Botanique.

 

 

 

Shapeshifted

Bon groupe de rock’n’roll old school cherche concerts…

Lorsqu’on écoute la musique de Shapeshifted, on pense à un vieux groupe de groupe de rock'n'roll sale dont le blues coule dans ses veines (NDLR : aux Rolling Stones, l’évidence saute aux oreilles !). Il a déjà publié plusieurs elpees et ses prestations ‘live’ sont solides. Son dernier opus, ”Gimme me Rock'n'roll” est paru en mars dernier. Dans le cadre de cette sortie, Musiczine s’est entretenu avec le chanteur/guitariste Marc Van der Eecken. Une belle occasion, également, de parler de ses futurs projets...

La dernière interview accordée au website remonte à 2020, alors que vous étiez occupés de bosser sur cet album. Entretemps, la COVID, la guerre en Ukraine et la crise économique ont brisé votre bel élan. D’un point de vue humain, quel impact ces événements ont-ils exercé sur le groupe ?  

Depuis 2019, nous sommes de retour sous le line-up original, c’est-à-dire celui qui existait au cours des quatre premières années d’existence du band. L’enthousiasme est aussi de retour, car les teams qui se sont succédé s’étaient un peu essoufflés. En 2020, le Coronavirus a débarqué au moment où nous venions de graver un nouveau single. En 2021, nous n'avons joué qu'un seul concert. Alors que 2022 annonçait la reprise, nous avons été confrontés à l’indisponibilité de deux musiciens. En fait, notre bassiste et notre batteur étaient extrêmement occupés sur d'autres projets au sein des desquels ils étaient impliqués. Et donc, ils n’avaient plus beaucoup de temps libre pour Shapeshifted. La conséquence la plus dommageable pour la formation, c’est que maintenant qu'elle est terminée, nous n'avons pratiquement plus d'opportunités pour nous produire en concert. J'ai transmis plus de 400 courriels et nous n'avons pratiquement reçu aucune réponse. Les groupes de reprises ou d'hommages ont repris le fil des tournées, mais pour un band de rock pur et dur comme le nôtre qui interprète ses propres compos, il n’y a guère de proposition. En outre, nous n'avons pas pu nous produire pendant près de trois ans. Et puis on est vite oubliés. C'est ce que nous rapportent de nombreux collègues. Nous devons pratiquement repartir de zéro. C'est l'impact majeur causé par cette pandémie. Les (petits) organisateurs préfèrent ne pas prendre de risques et réserver ces cover bands, car ils savent qu'ils sont sûrs d'attirer le public.

C’est une situation que je constate et que je déplore aussi. Il est donc plus difficile pour des formations comme la vôtre de revenir dans le parcours, si j'ai bien compris ?

En effet, c'est beaucoup plus difficile. De plus, nous avions l'habitude d’avoir des retours de la part des radios, mais maintenant nous n'entendons plus rien ou très peu, de leur part, alors qu’elles ont diffusé des morceaux des deux premiers cédés. Mais sur le nouveau, on n’a pas relevé de réaction de leur part. Ce qui est très frappant. Pourtant, nous sommes maintenant au sommet de notre art. Nous avons récemment accordé quelques concerts et le public était réceptif et même enthousiaste. Nous n’y comprenons plus rien. Bien sûr, l’éventail des musiques actuelles s’est élargi et tout le monde a évidemment attendu la fin de cette période de confinement pour sortir ses disques. Son seul avantage est que nous avons eu énormément de temps pour écrire de nouvelles chansons ; j’en ai écrites environ 35, dont 12 figurent sur l'album. 

Quelles ont été les premières réactions des médias et du public après avoir écouté le dernier LP ?

Très bonnes. Même les critiques issues de la presse étrangère. Dans un article, j’ai même lu que l’album rappelait "My Generation" du Who. Notre intention était de réaliser un bon et solide disque de rock'n'roll old school, et nous y sommes parvenus.

Il n’est cependant pas facile de faire revivre ce savoureux rock'n'roll old school, sans qu’il ne sonne ‘daté’. C'est un changement par rapport aux long playings précédents, n'est-ce pas ? D'après vous, où se situe la différence ?

Le premier a été enregistré très rapidement, en trois sessions. Le deuxième qui, tout comme le premier, a été très bien accueilli, nous lui avons consacré davantage de temps et il ne propose pas que du rock and roll pur et dur. En outre, si vous écoutez attentivement, vous discernerez qu’il existe, comme sur un vinyle, une face A et une B. La première est ‘full steam ahead’ sans regarder en l'air, et sur la seconde on ressent davantage les influences des Stones. En fait, les deux côtés sont différents, mais se complètent.

Ce qui me frappe aussi, c'est qu'il s'agit d'une musique qui, à mon avis, ne prend tout son sens que sur une scène. Mais on peut sentir ces uppercuts qui vous frappent en pleine face. Ce qui rend votre musique unique en son genre. Avez-vous une méthode particulière pour parvenir à reproduire ces coups de maître ?

C'était vraiment un choix conscient. On a enregistré l'album en jouant après avoir appuyé sur un bouton, tout simplement. On n’a pas dû prendre plusieurs prises. C’était du ‘live’ ! On voulait reproduire cette sensation dans le salon. C'est aussi ce que tu entends. La méthode a bien marché pour le premier long format. Un peu moins sur le deuxième. Mais sur celui-ci, cette impression de direct constitue absolument le fil conducteur...

Ce disque pourrait-il devenir celui qui vous permettra de percer ? Quel espoir entretenez-vous ? Quel public comptez-vous atteindre ?

Je le répète, mais nous avons écrit à tout le monde, à tous les magazines habituels, aux radios et autres, et nous n'avons pratiquement pas eu de retour. C’est une situation malheureuse, mais je crains qu’elle soit inextricable. Cependant, nous sommes restés enthousiastes à l'idée de nous produire en concert. Après tout, c'est notre point fort.

Il existe également une sorte de mur entre la Wallonie et la Flandre. Si je ne me trompe, à une certaine époque, le groupe était pourtant plus populaire de l'autre côté de la frontière linguistique. Ce mur s’est-il à nouveau reconstitué ?

Grâce aux animateurs de la RTBF, et notamment Walter de Paduwa, Laurent Debeuf, Francis Delvaux et Etienne Dombret, nous avons pu tourner en Wallonie. Nous sommes ainsi parvenus à nous y créer une base de fans. Et elle existe toujours. D’ailleurs, nous recevons régulièrement des messages de leur part pour venir nous produire dans cette région. Cependant, les organisateurs disposent de moins de budget qu’auparavant. En Flandre, les gens attendent de voir. Si vous les faites monter à bord, le toit s'écroulera, c’est sûr. En Wallonie, le public est moins critique et semble plus ouvert au rock que nous pratiquons. Nous devons y faire moins d'efforts. Enfin, c’est mon impression. Et puis, il y a toujours ce mur qui se dresse entre les deux communautés. Il y a peu d’échanges entre ces deux parties du pays. D’ailleurs, il n’y a pas que nous qui en faisons les frais. Il y a de très bons groupes là-bas. En mai, nous assurerons la première partie de The Bombsite Kids. Il est totalement inconnu ici, mais il est responsable d’un punk rock très solide. C’est incompréhensible que de telles formations ne soient pas connues de ce côté de la frontière linguistique.

Après la pandémie, les réseaux sociaux sont devenus encore plus importants. Même l'écoute de la musique se fait malheureusement de plus en plus par voie numérique. Alors pourquoi continuer à sortir un disque au lieu de tout balancer sur Spotify et poster une vidéo sur Tik Tok, par exemple ?

Nous ne disposons pas de compte sur Tik Tok. Lors des sessions d’enregistrement, nous nous sommes demandé s’il était encore judicieux de sortir un disque physique à notre époque. En fait, nous vendons nos cédés lors des concerts. Ce qui explique aussi pourquoi nous espérons nous produire plus souvent en live. Il y a toujours une demande, dans le milieu. La tranche d’âge de notre public est très large, et oscille de 16 à plus de 60 ans. Dans d'autres styles, c'est peut-être différent, mais pas le nôtre...

Beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, depuis vos débuts. Vous deviez célébrer votre dixième anniversaire d’existence en 2021. Mais la corona n’a pas permis de l’organiser. Envisagez-vous, quand même, de réserver une surprise pour marquer le coup ?

Au début, nous pensions que le ressort était cassé et que cette célébration n’avait plus d’intérêt, puisque la date était passée. Mais finalement nous avons décidé d'organiser quelque chose cet automne. Je ne peux pas encore en dévoiler davantage, mais si nous parvenons à le goupiller, ce sera une belle fête d'anniversaire…

Quels sont vont projets pour 2023 ? Des concerts et/ou des festivals sont-ils prévus à l'étranger ?

Dans un premier temps, nous nous produirons autant que possible en Belgique. Mais en raison de problèmes budgétaires au sein des petits clubs, on ne nous offre que peu d’opportunités. On en a déjà parlé. J’ai entamé l’envoi d’un mailing pour l’Allemagne, afin d’y décrocher des concerts. Et on a des retours, y compris dans les clubs de jazz. En Wallonie, en France, en Italie et en Espagne, nous en avons également. Beaucoup moins en Flandre. Même dans les clubs de blues nous ne sommes pas programmés, alors que des fans veulent nous voir en concert. Manifestement, la Flandre est un problème…

Et pourtant, vu la qualité de votre musique, si vous étiez un groupe anglais ou américain, vous vous produiriez sur les grandes scènes des festivals. Est-il si difficile de réussir, en Belgique ?

En Wallonie, nous ne sommes pas parvenus à nous imposer, alors qu’à une certaine époque, nous avons eu une ouverture, en Italie. Ainsi, nous avons décroché un petit succès avec "Spit it out". De fin mai à octobre, nous avons été dans le top 20 de Virgin Radio, là-bas. Nous avons même figuré dans le top 10 de la revue annuelle de Rolling Stone Italie. A la neuvième place, ce qui n'est pas rien. D'ailleurs, ce premier single et le suivant, "Tonight", y sont encore régulièrement diffusés. "Spit it out" figure également sur une compilation de Virgin (Universal) aux côtés de compos signées Kasabian, Placebo, Franz Ferdinand et quelques autres. Mais en Belgique, l’accueil de cette compile a été quasiment nul, même si nous avions mentionné sa sortie dans notre communiqué de presse, pour en faire la promotion. C'est très regrettable. Mais nous restons fiers de notre aventure italienne.

Lors de nos interviews précédentes, nous avions évoqué vos ambitions, à plusieurs reprises. Vu la tournure des événements, ont-elles changé ? Et quelles sont-elles, aujourd’hui ?

Se produire dans des clubs comme l'AB, le Trix, le Depot, etc., c’est notre ambition. Avoir la chance de se faire un nom dans ce circuit. C’est possible, quand même ! Ou fouler les planches de festivals comme le Blues Peer ou du style. En Wallonie, nous avons joué dans un certain nombre de petits festivals, mais très sympas et bien fréquentés : Acosse, Pepinster, Nandrin, DLB on Stage, pour n'en citer que quelques-uns. En Italie, nous serions ravis de nous produire à nouveau.

Merci pour cette agréable conversation, si vous avez quelque chose à ajouter, n'hésitez pas.

Nous avons sorti un bon cédé, et nous espérons toujours avoir plus de retours et de diffusion. Nous n'abandonnerons pas, nous restons ambitieux.

J'espère que vos souhaits seront exaucés, et si cette interview peut vous aider quelque peu, tant mieux ! Cependant, suivant la métaphore sylvestre, ne seriez-vous pas l’arbre qui cache la forêt ? En d’autres termes, le manque de reconnaissance de votre musique n’est-elle pas due au style que vous pratiquez ?

Il est vrai qu'on pourrait penser que nous sommes l’arbre qui cache la forêt. Mais ce n’est pas la raison pour laquelle nous n'avons pas de concerts. Le public est là, j'en suis sûr.  Et nous comptons beaucoup d'adeptes sur les médias sociaux. Ce n'est donc pas le motif. Mais quel est-il alors ? Je ne veux pas le dire (clin d'œil).

En espérant que ça marchera. On vous soutient dans vos démarches…

Telex

Travailler avec Mute Records sur ce coffret, c'est comme un rêve qui se réalise...

Peu de groupes belges sont connus mondialement. On cite souvent dEUS, Front 242, Soulwax et 2ManyDJs ; mais le plus célèbre demeure, sans doute, Telex. Fondé en 1978 par Dan Lacksman, Michel Moers et le regretté Marc Moulin, le trio a créé une musique singulière, mélangeant l'esthétique du disco, le ‘Do-It-Yourself’ punk et les expérimentations ‘kraftwerkiennes’ de la musique électronique ; le tout saupoudré d'un sens du surréalisme typiquement belge. On se souvient de son passage à l'Eurovision et de sa reprise minimaliste de "Twist à Saint-Tropez", mais surtout de "Moskow Diskow". Cette compo figure sur le premier elpee du groupe, "Looking For St. Tropez", sorti en 1979, et a rencontré un franc succès, y compris à l'étranger. Au point de devenir un ‘must’ dans les playlists des DJ orientés 'wave' et/ou 'electronic'.

Aujourd'hui, plus de 44 ans après la naissance du trio, les deux membres de Telex éditent un nouveau coffret de 6 albums en format vinyle et CD. Publié chez Mute Records et distribué par [PIAS], il réunit les six opus du groupe, qui ont été remixés et remastérisés.

Musiczine a assisté à la présentation officielle du coffret, qui se déroulait récemment chez [PIAS], à Bruxelles, en présence de Dan Lacksman, Michel Moers et Daniel Miller, le fondateur de Mute Records. L'animation était assurée par Olivier Monssens, présentateur à la RTBF (Radio Caroline).

On a ainsi appris que, lorsque l'idée du coffret a été lancée, Telex n'envisageait que de remastériser les disques. ‘Mais nous n'étions pas satisfaits du résultat’, explique Dan Lacksman. ‘Particulièrement en ce qui concerne le 3ème, « Sex ». Nous ne parvenions pas à reconstituer le potentiel des morceaux uniquement par le biais du mastering. Et donc, nous avons entrepris de remixer deux ou trois titres de l'album, puis tous les tracks et finalement, comme nous étions très heureux du résultat et que nous prenions du plaisir à réaliser ce travail, nous avons décidé de revisiter l’intégralité. Et il s'est avéré que le potentiel d'amélioration était important pour, en moyenne, la moitié des pistes. Finalement, nous avons remixé 65 tracks.’ Il faut dire que l’opération s’est déroulée en pleine pandémie, donc les deux musiciens disposaient de tout le temps nécessaire pour accomplir ces travaux d'Hercule.

‘Mais le défi suivant était, lui aussi, de taille’, se souvient Michel Moers. ‘Il fallait remastériser le tout et faire en sorte que le coup de peinture final corresponde au rendu des morceaux originaux. Mais je crois que nous y sommes parvenus vu que, dans de nombreux cas, il est très difficile de distinguer les versions remixées des originales...’

Au moment de choisir une compagnie de disque pour ses rééditions, Telex bénéficiait d’un fameux atout : disposer de tous les droits sur ses chansons. ‘Nous avons d'abord reçu une proposition de Gilbert Lederman (NDR : d'Universal Belgique), aujourd'hui disparu. Nous avons refusé car nous ne voulions plus travailler avec une 'major'. Gilbert a été très 'fair-play' car il nous a suggéré : 'Pourquoi ne pas essayer Mute Records ?' Le conseil de Gilbert a agi comme un déclencheur et on a tenté le coup en envoyant un e-mail au label... Et, à notre plus grande surprise, nous avons reçu une réponse de Daniel dès le lendemain. Travailler avec Mute Records sur ce coffret, c'est comme un rêve qui se réalise...’

Il faut dire que Daniel Miller, le fondateur et boss de Mute Records, était déjà un fan de Telex, ce qui a grandement facilité les choses. ‘J'ai découvert Telex dès ses débuts’, se souvient Miller. ‘J'ai entendu « Twist à St Tropez », probablement dans l'émission de John Peel, car, à cette époque, c'est là que je traquais toutes les nouveautés intéressantes. Ma première impression ? Par rapport à ce que je créais, par exemple au sein de Silicon Teens, c’était très 'pro'. Le son était puissant et clair. Mais ce qui m'a surtout frappé, c'était ce sens de l'humour. La musique affichait un côté très sérieux, mais ce décalage, ce côté 'pince-sans-rire', me plaisait beaucoup. La plupart des gens avec lesquels je travaille ont ce sens de l'humour. Donc, j'étais impressionné et très désireux de travailler avec eux.’

En Belgique, le trio a tout d'abord été signé par RKM (Roland Kluger Music) et Daniel Miller est passé à côté d'un deal pour l'international. Pourquoi ? ‘La raison est très simple’, se souvient Miller. ‘C'est parce que le regretté Seymour Stein, de Sire Records, a été plus rapide que moi pour le signer ! Seymour était un véritable visionnaire et je tiens à lui rendre hommage aujourd'hui.’

On se souvient aussi qu'en 1979, Telex avait fait une apparition remarquée dans ‘Top of The Pops’, l'émission culte de la BBC, pour y interpréter "Rock Around The Clock". ‘A l'époque’, se rappelle Michel Moers, ‘La BBC exigeait que les artistes enregistrent une version spécifique de leur chanson dans les studios de la télévision et c'est cette mouture qui devait être jouée au moment du 'live'. Comme la plupart des autres artistes, nous avons un peu triché et enregistré la 'version BBC' à l'avance, dans nos propres studios et, une fois sur place, nous avons usé de stratagèmes pour simuler l’enregistrement ; et, au moment où les responsables de la BBC quittaient le studio pour aller boire un café, on a inséré subrepticement nos versions pré-enregistrées dans le processus’. ‘Tout le monde était obligé de tricher’, confirme Dan Lacksman. ‘Il est en effet impossible de restituer en un seul jour la qualité d'un enregistrement studio qui a nécessité des semaines pour être peaufiné.’

Visuellement, la prestation de Telex à ToTP était particulièrement originale. ‘Nous avons pris les autres artistes à contre-pied’, précise Michel Moers. ‘J'étais juste assis, occupé de lire le journal et de boire un verre d'eau, tandis que mes deux acolytes jouaient du synthé de façon statique. Nous avions une attitude volontairement ennuyée, voire ennuyeuse, un peu comme Buster Keaton, le comique qui ne souriait jamais.’ Et Daniel Miller de souligner, d’un humour typiquement anglais : ‘C'était du 'performance art (rires) !’...

Daniel Miller se souvient de l'impact que Telex a eu, à l'époque, en Angleterre. ‘En 1979, la presse était très critique face aux formations ou artistes électroniques. Ils considéraient qu'ils étaient 'fake'. Pour elle, un groupe devait compter un batteur, un bassiste et un guitariste. Pourtant, le titre de Telex a rencontré pas mal de succès dans les charts.’ En effet, "Rock Around The Clock" s’est hissé à une honorable 34ème place dans le classement officiel anglais. C'était en juillet 1979, quelques semaines seulement après la 1ère place décrochée par Gary Numan (Tubeway Army) pour « Are friends electric, ». La musique électronique était clairement occupée de creuser son sillon...

De nombreux experts estiment que les musiciens de Telex sont, d'une certaine manière, des précurseurs de la techno et de la house. Daniel Miller est de cet avis : ‘Absolument ! Les artistes ‘techno’ de Detroit écoutaient et jouaient du Telex. Mais souvent à une autre vitesse ; ils changeaient le bpm (NDR : beats per minutes). Par exemple, ils interprétaient "Rock Around The Clock" en l'accélérant un peu. Et le remix de "Moskow Diskow" imaginé par Carl Craig est devenu un classique !’ Sans oublier, bien sûr, la new-beat, qui est née en Belgique. Elle s’était également inspirée de la 'wave' électronique. ‘La new-beat, elle, ralentissait les tracks’, précise Dan Lacksman. ‘Typiquement, ils passaient un 45 tours en 33 tours sur la platine vinyle en réglant le 'varispeed' à '+8'.’ C'est en effet en appliquant cette technique au morceau "Flesh" de A Split Second qu'est née la new-beat, si l'on en croit la légende, bien sûr... ‘Mais nous, nous ne nous souciions pas du bpm’, poursuit Lacksman. ‘On disposait de machines analogiques. Donc on réglait les boutons 'au feeling', sans disposer de repères chiffrés. Que "Moskow Diskow" soit rivé à 130bpm était un pur hasard. Evidemment, quand les boîtes à rythmes et les ordinateurs sont arrivés, tout le monde a commencé à se caler sur les mêmes tempos.’

Avant de clôturer ce compte-rendu, mentionnons quelques anecdotes croustillantes qui ont été évoquées au cours de la présentation :

- Daniel Miller possède un vocoder original qui a appartenu à Kraftwerk, mais il ne fonctionne plus ;

- Daniel Miller confirme que les démos du premier disque de Fad Gadget ont été enregistrées dans une garde-robe (!) ;

- Michel Moers chante différemment sur l'album "Sex" que sur les autres long playings de Telex parce que Russel Mael, des Sparks, qui avait écrit les paroles des chansons en compagnie de son frère Ron, se trouvait dans le studio ; et donc, comme Michel voulait l'impressionner, il s'est improvisé chanteur de rock ;

- Le titre de l'album "Sex" a été censuré aux Etats-Unis ; là-bas, il est commercialisé sous le titre "Birds and Bees" ;

- Daniel Miller est un passionné de techno ; il a monté un projet en compagnie de Gareth Jones baptisé Sunroof.

Pour écouter et commander le nouveau coffret de Telex, c'est ici.

Pour écouter l'interview audio, diffusé dans l'émission de radio WAVES, c'est ici.

Merci à Telex, Daniel Miller, Mute Records, [PIAS], Olivier Monssens et l'émission de radio WAVES (Radio Vibration).
 
 
 

 

 

RORI

En concert, j’aime être soutenue par de vrais musiciens.

Écrit par

RORI n’est pas une inconnue dans l’univers musical, puisqu’elle était l’un des binômes de Beffroi, groupe qui a rencontré un succès populaire et critique. Mais l’aventure a pris fin à la mort de Valentin Vincent, fin 2017, des suites d’une longue maladie.

Après une inévitable reconstruction, la jeune femme s’est remise à rêver à une carrière musicale.

En choisissant de se produire en solo, elle emprunte désormais des versants pop, rock ou même funky tout en s’essayant à la langue de Voltaire afin de creuser un peu plus le sillon des émotions.

« Docteur » et ses larges passages n’est qu’un échantillon d’une palette de compos percutantes grâce auxquelles RORI s’exulte à libérer un mal-être.

Touchante et la sensibilité à fleur de peau, RORI a accordé, à Musiczine, une interview le jour de la sortie d’un Ep qui risque de faire couler beaucoup d’encre.

Analyse !

Camille, tu as milité au sein de Beffroi, une formation qui a connu pas mal de succès. Une aventure qui s’est achevée au décès de Valentin Vincent, à la suite d’une longue maladie. Comment s’est déroulée la période de transition entre Beffroi et RORI ?

Bizarrement, ça s’est bien passé. Tout s’est déroulé à mon rythme. De manière très naturelle. J’ai pris le temps de voir ce que j’avais envie de faire et de raconter. Durant cette période, j’ai également connu quelques expériences, mais toutes n’ont pas réussi.

Ce nouveau projet constitue finalement une forme de résilience…

Oui, on peut dire ça ! Mais pas que ! C’est l’envie de poursuivre un but, de trouver ce que j’avais envie de faire et comprendre ce qui me parlait le plus. Mais surtout de le trouver. Je dirais que c’est ça qui m’a conduit dans cette direction.

Ta musique est teintée de différentes couleurs. On y croise de la pop, du rock et même du funk. Est-ce que proposer quelque chose à la fois d’éclectique et multiple, ne risque-t-il pas de te disperser dans des genres parfois opposés ?

Non, je ne crois pas ! J’estime qu’il est plus enrichissant, y compris en ce qui me concerne, de varier les couleurs dans les chansons. J’écoute tellement de musiques et de styles différents que la manière d’avoir conçu cet Ep me correspond totalement. Finalement, le produit rendu possède une certaine homogénéité.

Un Ep quatre titres sort ce jour. Dans quel état d’esprit te sens-tu ?

Ça va plutôt bien ! J’avoue que j’étais un peu stressée, mais très contente d’avoir pu enfin sortir un Ep, en lieu et place d’un seul titre, comme l’année dernière. Le sentiment qui domine aujourd’hui est d’être parvenue à réaliser quelque chose de nettement plus concret.

Jusqu’ici tu chantais en anglais. Tu optes maintenant pour français. Cette nouvelle option te permet-elle de mieux te raconter et d’aller davantage dans les émotions ?

Tout à fait ! C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais le choix, jusqu’à présent, de ne pas chanter en français. L’anglais est un refuge qui permet de s’y cacher en quelque sorte. La langue française est plus riche. Elle permet d’être plus précise lorsqu’il s’agit de faire passer certaines émotions. Je suis contente d’avoir eu le courage de chanter dans ma langue maternelle.

On observe d’ailleurs aujourd’hui un retour de la langue de Molière chez pas mal de groupes ou artistes (Grand Blanc, Flavien Berger, Paradis, Feu! Chatterton, Perez…) A ton avis, quelle est la raison de cette décomplexion ?

Il y encore quelques années, un certain style d’écriture dominait. Il s’agissait d’un genre qui ne parlait pas nécessairement au plus grand nombre. J’écoutais de la chanson française très classique, mais je ne comprenais pas nécessairement le message que l’artiste souhaitait communiquer. Ce qui est intéressant aujourd’hui, c’est qu’on a éclaté cette façon de voir les choses. On se libère davantage sur ce que l’on a envie d’exprimer et la manière dont on a envie de l’exprimer.

« Docteur » a comptabilisé plus de 3 000 000 de streams. Une compo en français, peu de gens le savent, mais à la base, elle a été composée en anglais...

C’est exact, cette chanson était, au départ, écrite en anglais. Nous avions une session au Pays-Bas. Les Néerlandais ne parlant pas le français. Donc nous l’avons proposée en anglais. Je l’ai traduite. Tout comme « Ma place ». Je travaille encore de cette manière. Perso, il est plus facile pour moi de composer des mélodies en me servant de cette langue. Il s’agit juste d’une question d’habitude. En fin de compte, cette méthode de travail fonctionne et j’en suis très contente.

Tes chansons abordent des sujets personnels. « Docteur » met en exergue ce sentiment de se sentir différente. Alors qu’hier, cette différence te rongeait, aujourd’hui tu sembles la cultiver et en faire ta plus grande qualité.

Je ne crois pas cultiver cette différence. Nous sommes différents. Je n’ai ni l’envie, ni le sentiment de porter cet étendard. J’exprime, dans cette chanson, le fait d’être complètement perdue face à un entourage qui, lui, avait fixé des objectifs précis. Je ne me sentais pas du tout en phase avec cette situation. C’est ce côté différent que je souligne.

La santé mentale reste un sujet dont l’industrie musicale s’empare de plus en plus, à l’instar de Mustii qui rend hommage à son oncle atteint de schizophrénie, sur son dernier album, de Stromae pour « Enfer » ou encore de Selah Sue sur « Pills ».

A vrai dire, je n’ai pas cette impression. Ces thématiques existent depuis la nuit des temps. Les chansons que j’ai écoutées ont toujours été très personnelles. A titre d’exemple, je citerais Amy Winehouse ou encore les Beatles. Je crois que la seule différence est qu’aujourd’hui, l’espace pour partager son ressenti est plus important. On s’identifie peut-être plus facilement et on se sent concerné plus rapidement.

Justement, en abordant les problèmes de santé mentale, n’y a-t-il pas un risque d’en faire un absolu ?

Non, je ne crois pas. Je partage juste ma vie et les événements que j’ai traversés. Finalement tout le monde expérimente la même chose, mais à des degrés divers.

A l’avenir, pourrais-tu imaginer raconter des histoires fictionnelles ?

Oui, tout-à-fait. La volonté est d’expérimenter un peu plus l’écriture et voir ce que je peux sortir d’autre. Je m’y exerce en ce moment en m’inspirant notamment de films, de livres ou encore de rencontres.

Le choix de RORI comme nom de scène, ne permet-il pas aussi de dissocier l’artiste de Camille, la jeune femme que tu es ?

Effectivement, ce choix m’aide beaucoup et renforce ma confiance lors des concerts ou des interviews. Lorsque je suis RORI, j’arbore alors une casquette professionnelle, même si je n’aime pas trop ce terme. Je fais ce que j’ai à faire pour pouvoir accomplir mon travail correctement. Pour moi, un nom de scène assure une forme de protection, un peu comme ceux qui portent un costume dans l’exercice de leur métier.

Véritable autodidacte, tu bénéficies aussi des conseils avisés et de l’expérience d’Hadrien Lavogez.

Je travaille tout le temps avec lui. Il m’apprend énormément. Nous nous sommes rencontrés lors d’un concert. Nous avons pas mal discuté. J’aimais beaucoup sa manière de travailler. Il s’agit d’un vrai musicien, il connaît donc parfaitement son sujet. C’est ce que je cherchais à développer. Je lui ai envoyé un message, il a répondu positivement. On a commencé par une session, puis une autre en studio et la magie a opéré. On a continué à bosser ensemble, à tenter des expériences, à les rater et à recommencer.

Tu as tourné cet été dernier. De nouvelles dates sont bookées pour les prochains festivals. Mais en octobre, tu as eu l’occasion de ‘teaser’ tes nouvelles compos à l’AB, un endroit mythique en Belgique, ce qui n’est pas rien…

C’était une expérience très impressionnante. L’Ancienne Belgique a vu défiler tellement d’artistes que j’aime ou que j’ai découverts. C’est une salle qui offre une très bonne acoustique aussi. Pouvoir jouer dans de telles conditions procure évidemment beaucoup de plaisir. Il existe aussi ce sentiment que se produire devant un public donne plus de sens parce qu’avec les réseaux et plateformes de streaming, on ne voit que des chiffres, ce qui ne permet pas de percevoir la manière dont la musique touche les uns et les autres. C’est un sentiment assez étrange. J’ai présenté des morceaux qui n’étaient pas encore sortis. J’étais stressée, mais dès que je suis montée sur scène, tout s’est dissipé rapidement car le public a été réceptif.

Justement, tu as choisi la formule ‘groupe’. Hadrien t’accompagne sur les planches, mais aussi Pierrick Destrebecq qui a notamment milité chez Recorders, Abel Caine ou encore en compagnie de Mat Bastard. Une formule nécessaire pour donner une coloration plus rock aux compos ?

C’était une volonté de ma part. En concert, j’aime être soutenue par de vrais musiciens. J’ai rencontré Pierrick par l’intermédiaire d’Hadrien. Ils se connaissaient depuis des années. Ils ont tous les deux fréquenté l’école ‘Jazzstudio’ à Anvers. C’est un très bon batteur. Lorsque tu montes un groupe, il faut généralement du temps avant que la connexion s’établisse entre les membres. Ici, elles se sont mises en place beaucoup plus naturellement. Il ne me restait qu’à prendre le train en marche, ce qui ne m’a posé aucune difficulté.

Être accompagnée de musiciens est un luxe. Mon rêve a toujours été de pouvoir me passer des outils informatiques et de toutes ces machines lorsque je me produis en live. Aujourd’hui, nous sommes trois, mais la formule pourrait encore évoluer afin de pouvoir retrouver davantage cet esprit à l’ancienne.

Tu as terminé tes études en graphisme. Comment te projettes-tu professionnellement ? Est-ce que la musique constitue une réelle ambition ou s’agit-il juste d’une opportunité ?

J’ai toujours rêvé de faire de la musique. J’ai suivi des études en attendant de pouvoir faire autre chose. La musique est une priorité et il n’y qu’elle qui compte en ce moment…

 

 

 

Fishbach

C'est beau la musique quand ça te fait penser à des gens que tu aimes...

Si vous suivez Musiczine, vous savez que votre serviteur a un faible pour Flora Fishbach. Cette artiste basée dans les Ardennes françaises pratique une pop un peu dark inspirée par les sons et les atmosphères des années 80 et traversée par des références comme Rita Mitsouko, Niagara, Patti Smith, Daniel Balavoine ou Mylène Farmer. Fishbach navigue au sein d’un mouvement musical 'rétro-futuriste' impliquant également La Femme, Clara Luciani, Juliette Armanet et Requin Chagrin. Parallèlement à sa carrière de chanteuse, Flora est également comédienne. Elle était ainsi sublime dans le rôle d'Anaïs tout au long de la série culte ‘Vernon Subutex’.

À la suite du succès du ‘blind test’ paru en juin dernier, où nous lui en avions proposé un à la guitare acoustique, nous avons décidé de remettre le couvert, à nouveau en collaboration avec l'émission de radio WAVES. Pour la circonstance, Flora devra reconnaître des morceaux joués dans leur version originale ; et le style musical sera focalisé sur la new-wave dans le sens large du terme. 

La rencontre s’est déroulée au Théâtre National, à Bruxelles, en octobre dernier, avant le concert que Fishbach a accordé à la même affiche que Mansfield TYA dans le cadre du Festival des Libertés. Flora était en pleine forme car c'était le début de sa tournée d'automne, en compagnie de son nouveau groupe live...

Musiczine : Flora, merci pour cette entrevue !

Fishbach : Avec plaisir. Tu vas encore me poser des colles, comme la dernière fois (rires) ?

Cette fois, ce sera plus facile vu qu'on va passer les morceaux dans leur version originale, et pas dans une mouture interprétée à la guitare...

Tu connais mon appréhension pour les ‘blind tests’. Quand on reconnaît les morceaux, c'est chouette, mais quand on sèche, c'est une torture...

Allons-y...

Morceau n°1 :

“Los Niños Del Parque”, par Liaisons Dangereuses !

Bravo !

Ah ! Au moins, en voilà une facile ! C’est un de mes premiers coups de cœur dans ce style musical, avec D.A.F. J'ai découvert cette chanson très tôt et elle a été une révélation. Il y a plusieurs langues parlées, on croirait entendre des bruits de chiens qui couinent, c'est très étonnant. Je l'ai un peu trop écoutée donc je n'aime plus la passer telle quelle en dj-set ou alors il faut que je la mixe avec autre chose en faisant des boucles. Il faut que je la 'défonce' un peu parce que, en version complète, je m'en suis un peu lassée. Cependant, quand j'ajoute du 'delay' ou que je la rends un peu 'bruitiste', ça le fait encore...

Morceau n° 2 :

Toto Coelo ? Nina Hagen ?

Tu vas reconnaître...

Mais oui : “Singing In The Shower” ! Les Rita Mitsouko !

Et...

Et les Sparks ! Yes ! Au début, ça ressemblait à “Weird”, de Toto Coelo. Les Sparks, c'est génial. Ils ont un énorme succès en France. Et en Belgique aussi ! Dans les pays francophones, en général. Ils ont réalisé une superbe musique pour le film “Annette”.  

Morceau n° 3 :

Ah, je connais ça mais je ne trouve pas... Je crois que j'ai attrapé Alzeihmer... (rires)

D'ailleurs, tu connais le prénom d'Alzeihmer ?

Non...

C'est comme ça que ça commence !

Ha Ha Ha... (rires) !

C'est un morceau de John... ?

John Maus ! Mais oui !

“Hey Moon”

C'est sur un album qui est noir et bleu, avec une lune...

Avec un phare. (NDR : titre de l'album : “We Must Become The Pitiless Censors of Ourselves”)

C'est ça !

Il y a un morceau plus nerveux sur cet album, qui est fabuleux, c'est “Quantum Leap”.

Mais oui, il chante avec un effet ‘slap-back’, dans un style très germanophone...

Et John Maus, c'est un génie un peu fou. Je l'ai interviewé. Il est professeur de philosophie à l'université.

Morceau n° 4 :

Là, je sèche...

Pour t'aider, c'était la musique du générique de ‘Lunettes Noires pour Nuits Blanches’, l'émission d'Ardisson.

Je ne vois pas.

“Nightclubbing” d'Iggy Pop.

Là, tu vois, je vais être franche, je ne connais pas ce morceau.

Un morceau-phare de 1977. C'était la première fois qu'on utilisait la boîte à rythmes dans une chanson rock de ce type.

Il se la jouait un peu Bowie là, non ?

Ben oui ! C'est produit par David Bowie…

Comme quoi, il a une patte reconnaissable entre mille, le David ! C'est un morceau que je mettrais bien dans mes playlists.

Oui, c'est un morceau emblématique, qu'il faut connaître...

Pardon de ne pas connaître, pardon (rires) !

Pas de souci. Je suis là pour aider (rires) !

Morceau n° 5 :

Tiens, voilà une compo que je connais !

C'est de toi : “Tu Vas Vibrer”.

C'était le morceau d'introduction de mon premier Ep. J'arrivais de nulle part, du fin fond des Ardennes et je proposais ça.  

Dingue...

Auparavant, je le jouais en début de concert. J'ai bien envie de le réintégrer dans ma setlist, maintenant que j'ai un musicien qui joue de la flûte.

Morceau n° 6 :

Evidemment ! David Lynch ! Angelo Badalamenti ! La musique de ‘Twin Peaks’. C'est “Laura Palmer's Theme” ! J'ai découvert ‘Twin Peaks’ sur le tard, sur les conseils d'un de mes musiciens. Et j'ai trouvé ça grandiose.

Morceau n° 7 :

“Cambodia” de Kim Wilde ! On l'avait déjà eu dans le premier ‘blind test’ et j'avais dit tout d'abord : “Blondie ?” (Rires). Mais quel thème musical sublime ! Qui dit mieux ? Cette mélodie... Et les petites percussions avec 'phaser'... Qui dit mieux ??

Morceau n° 8 :

“Eyes Without A Face”, de Billy Idol !

Oui ! Billy Idol, qui cartonne encore de nos jours !

Carrément ! Et ce qui est fou, c'est qu'il est vieux, mais il a toujours le même look et la même tronche, mais maintenant, il a des rides...

Et il 'fait' des salles énormes en Angleterre... 

C'est son morceau le plus connu, un peu calme, alors que sa discographie est plus rock...

Plus ‘hard-pop’...

Oui, c'est ça, c'est de la ‘hard-pop’. Et peu hard-rock mais ‘variétoche’...

Et un petit côté punk dans le look. Il était dans un groupe punk, à ses débuts : Generation X.

Morceau n° 9 :

“More Than This”, de Roxy Music ! C'est de la musique de bagnole, ça ! Tu as quelques copains ou une amoureuse avec toi et tu écoutes ça, c'est le pied ! 

Morceau n° 10 :

Hey Hey Hey Hey ! Simple Minds ! “Don't You” !

Qui ressemble à ton morceau “La Foudre”...

Oui ! Entre autres, à cause des ‘Hey’ en introduction.

Ce n'est pas le meilleur morceau de Simple Minds...

Non, mais c'est le plus accessible. Et c'est un grand souvenir pour moi car il était dans la bande-son du jeu vidéo ‘Dave Mirra BMX’. J'ai passé des heures à faire du vélo sur mon canapé en écoutant cette musique.

Ce qui est fou, c'est que c'est le titre qui les a propulsés à la première place des charts aux Etats-Unis et ce n'est pas une de leurs compos ! C'est composé par Keith Forsey, le producteur de la musique du film “Breakfast Club”.

C'est pas grave. C'est ce qui leur a permis de faire une carrière, d'avoir une aura et de faire ce qu'ils voulaient par après.

Morceau n° 11 :

Evidemment ! “Dancehall Days”...

Par Wang Chung.

Je l'ai trop écoutée, cette chanson. Encore une musique de bagnole. ‘Take your baby by the hand...’

Morceau n° 12 :

Fishbach chante la mélodie...

Ah merde : j'adore cette chanson ; je l'ai dans mes playlists. Dis, tu as accès à mes playlists privées toi, ou quoi (rires) ? “Love My Way” ! C'est le titre. Mais de qui ?

Psychedelic Furs. 

Oui ! J'aurais trouvé ‘Furs’ mais pas ‘Psychedelic Furs’ (rires)

Morceau n° 13 :

Alors, c'est bizarre parce que j'ai ce morceau sur mes playlists, mais dans une autre version.

“The Anvil”, par Visage. Oui, il y a plusieurs versions.

A l'époque, ils sortaient systématiquement des versions ‘maxi’, qui avaient un côté plus dansant. Les ‘kick-drums’ avaient un effet de ‘gated reverb’...

Oui, comme dans “In The Air Tonight”, de Phil Collins...

Oui : une ‘reverb’ qui est très profonde et qui s'arrête tout d'un coup.

Un effet inventé par Phil Collins et Peter Gabriel.

Oui, tu connais l'histoire ? C'est arrivé par accident, en studio, à cause d'un micro qui se coupait automatiquement.

Oui : c'était le micro qui sert à communiquer avec les musiciens dans le studio.

Le micro ‘talk-back’. C'est génial !

Morceau n° 14 :

Wow ! C'est superbe, ça ! Des sons de synthés comme ceux-là, j'ai passé mon été à en jouer, sans créer de morceau ou de chanson, juste pour les ambiances.

C'est un 'supergroupe', composé de membres issu de différentes formations des années 80.

Je ne vois pas...

Il réunit des membres de Dead Can Dance, Cocteau Twins... C'est This Mortal Coil, et les titres enchaînés “Sixteen Days / Gathering Dust”.

Mais oui ! Je connais ! C'est génialissime ! Ça me saoule de ne pas avoir trouvé !

This Mortal Coil, et encore plus Cocteau Twins, font partie des précurseurs de la shoegaze.

Génial ! On parle le même langage.

Et il y a un autre morceau d'eux qui est sublime, “Song To The Siren”, la reprise d’une compo de Tim Buckley, chantée par Elizabeth Frazer, de Cocteau Twins.

C'est le genre de musique que je ne connais pas encore très bien, mais que je vais adorer découvrir plus tard. Les artistes que j'aime, je ne vais pas creuser trop vite pour tout connaître. Je me laisse le temps de découvrir à mon rythme pour ressentir, à chaque fois, cet émerveillement d'adolescent, que j'essaie de cultiver. Quand on vieillit, il n'y a rien de pire que de perdre son émerveillement. Et la musique nous permet cela : découvrir et faire ‘Wow, j'ai à nouveau 14 ans !’ (Rires)

Ça va : tu as encore de la matière à découvrir (rires) !

C'est ça qui est merveilleux, quand c'est infini ! Comme quand on compose à l'ordinateur. Il y a tellement de sonorités disponibles. Les possibilités sont vertigineuses. Ça fait peur, parfois.

Morceau n° 15 :

Bon, là, on est en Belgique donc, j'ai été un peu chauvin...

C'est Telex !

Bravo ! Je suis impressionné !

Passion Telex ! Ils ont un morceau que j'aime plus que tout, c'est “Rendez-vous dans l'Espace”, sur un disque un peu bizarre, “Looney Tunes”. C'est de la bombe ! Telex, sous-estimé, oublié... pourquoi ?

A cause de l'Eurovision ? Ils se sont retrouvés dans un placard...

C'est dommage parce que leur musique est géniale. Quand tu regardes le film, ‘The Sound of Belgium’...

Ah, tu connais ce film ?

Oui ! Et j'ai toutes les compilations ! Je ne sais pas qui a fait ça, mais je les félicite ! C'est un bijou !

Tu te rends compte que les gens venaient de tous les pays limitrophes pour danser en Belgique sur la new-beat ! Du samedi au dimanche soir !

J'aurais tellement aimé connaître cette époque. Je suis née à la fin de la new-beat et je crois que Telex étaient les premiers à initier tout ça.

Ils étaient influencés par Kraftwerk, évidemment.

Oui, mais ils avaient un côté 'gogol', un côté belge.

Un côté surréaliste à la belge.

Exactement.

Là, c'était le titre “Moskow Diskow”.

Morceau n° 16 :

Ça c'est un groupe anglais mais il y a une autre référence à la Belgique, cette fois dans le titre...

Je ne l'ai pas.

C'est “For Belgian Friends”, de The Durutti Column.

Mais oui, je connais ce groupe ! Spotify me suggère souvent des titres de The Durutti Column. L'algorithme dit : ‘Flora, ça va te plaire’, mais je ne les écoute pas, parce que je ne suis pas dans le 'mood'. Il faudra que je creuse... Ça sonne vraiment comme les groupes de la vague 'neo-psyché romantique' des années 2010 : Beach House, Cigarettes after Sex...

Là, on est en 1981. C'est juste un musicien, Vini Reilly, qui joue avec ses guitares et ses effets.

Morceau n° 17 :

Attends... C'est influencé par les rythmes africains. Ah oui, je connais mais j'ai oublié le nom.

C'est Bow Wow Wow : “I Want Candy”.

Ah oui ! D'ailleurs, la semaine passée, j'étais en studio avec Kirin J. Callinan (NDR : le chanteur australien) et une percussionniste new-yorkaise, Chase Noelle, qui joue dans un groupe de filles un peu 'trasheuses' qui s'appelle Cumgirl8 et cette musique me fait penser à elle.

Bow Wow Wow étaient un peu les pionnières des groupes de filles débridées, sans complexes, avec les Slits, Nina Hagen, Patti Smith, etc.

Oui, c'étaient les mamans... Ce titre me fait penser à Chase. C'est beau, la musique, quand ça te fait penser à des gens que tu aimes...  Des artistes qui t'inspirent et qui, en plus, deviennent tes copains / copines...

Morceau n° 18 :

Ah, c'était aussi dans la bande-son du jeu ‘Dave Mirra BMX’ !

On est dans la veine 'gothic rock'... Et le chanteur ressemblait à Jim Morrison... The Cult et “She Sells Sanctuary”.

Mais oui, The Cult ! Evidemment ! Qu'est-ce que c'est bien ça !

Morceau n° 19 :

On va aller un peu en France...

Marie et les Garçons !

Oui ! Et leur titre “Attitudes”.

... qui a inspiré La Femme...

C'est proche de Taxi Girl. Et tant qu'on y est...

Morceau n° 20 :

Ben voilà : Taxi Girl, “Cherchez Le Garçon”.

Morceau n° 21 :

C'est La Femme ?

Oui ! Le titre : “Si Un Jour”.

Morceau n° 22 :

C'est Mylène ?

Yeah ! “Beyond My Control”.

C'est fou comme on reconnaît la patte de Laurent Boutonnat. Mais je ne connais pas tout de Mylène. En dj-set, je passe la version club de “Libertine”. Elle tabasse ! Et elle est très intelligente, Mylène, car elle ne joue plus “Libertine” en concert. Madonna devrait en prendre de la graine et arrêter de chanter “Like A Virgin” !

Morceau n° 23 :

Je me demande si tu connais ça...

C'est Requin Chagrin !

Oui!! “Sémaphore”.

C'est un groupe que j'aime énormément. Elle (NDR : Marion Brunetto) a commencé dans des petites salles et puis elle a fait des stades avec Indochine. Et elle me touche beaucoup, elle est très secrète. Une fois, elle m'a refilé un mediator Frank Zappa !

Morceau n° 24 :

Marie Davidson! Plus précisément son groupe Essaie Pas: “Dépassée par le Fantasme”!

Incroyable !

Marie, je l'ai rencontrée par hasard à Montréal. J'attendais la chanteuse Julia Daigle, qui devait assurer ma première partie. Elle était sur le label Entreprise, comme moi, et voilà qu'elle se ramène avec une de ses meilleures amies. Je l'ai tout de suite reconnue : Marie Davidson ! Je la suis, elle et Essaie Pas, le duo qu'elle partage avec son homme. Soulwax, vos amis belges, ont remixé son morceau “Work It” et elle a, elle-même, été ‘dépassée’, non pas par le fantasme mais par le succès du track. Un carton total !

Je les connaissais bien au début de leur carrière. Je les ai interviewés plusieurs fois. 

Morceau n° 25 :

On dirait une chanson de Fishbach. Et pourtant c'est un titre obscur du début des années 80.

Mais je connais ! Je l'ai en playlist ! Tu as vraiment accès à mes playlists privées, toi (rires) !

Ça y est ! Je suis découvert ! C'est “Always Grown”, par The System.

Oui, c'est ça !

Morceau n° 26 :

Celui-ci, tu connais, c'est The Beach House et “Black Car”.

Voilà ! C'est la fin du blind test ! Tu as gagné !

Franchement, mon résultat est meilleur que la première fois. J'ai fait un bon 8/10 sur ce coup-là !

Et ça, tu connais ?

Bonus track :

Wow : c'est beau. Mais je ne vois pas.

La plus belle voix féminine au monde.

Rien que ça ? Tu oses !

Dead Can Dance : “The Host of Seraphim”.

Ah oui ! C'est vraiment ma 'came', ça ! Il faut que je creuse, Dead Can Dance !

Tu as un univers à découvrir... Et pas rien que musical... C'est carrément une ouverture spirituelle.

Oui, totalement. Je dois malheureusement partir. J'ai été ravie de te voir, comme toujours. A bientôt !

Merci, Flora. A bientôt.

Merci à Louise et Laetitia de Five-Oh, au Théâtre National, à l'émission de radio WAVES, aux Disques Entreprise et à Sony Music.

Pour écouter le podcast de l'émission radio de WAVES consacrée à ce blind test, c'est ici.

Pour lire les articles consacrés à Fishbach dans musiczine, il suffit de cliquer sur son nom dans le cadre informations complémentaires, ci-dessous.

 

Juicy

Notre société a atteint ses limites…

Écrit par

Julie Rens et Sasha Vonk ont sorti leur premier elpee, en mars dernier. Intitulé « Mobile », il a pris deux ans de retard à cause de la pandémie. Mais Juicy a surtout surpris en invitant un brass band ou un quatuor à cordes à les accompagner sur les planches. Le duo se produisait le 28 octobre 2022 dans la métropole de Lille, et plus précisément à la ferme du Bocquiau de Haubourdin. Le concert est d’ailleurs organisé par l’Aéronef. Avant ce spectacle, les filles ont accordé une interview. Dehors la température est encore clémente et l’entretien va se dérouler au sein du parc arboré entourant cette magnifique salle. L’ambiance est décontractée et Julie ainsi que Sasha vont répondre aux questions sans complexe, ni tabou…

Juicy est un duo de filles dont le r’n’b commence à engranger de plus en plus de succès ; ce qui lui a permis de s’exporter hors de frontières de la Belgique. Comment expliquez-vous cet engouement ? Seriez-vous comme le bon vin qui bonifie au fil du temps ?

-Julie : (rires) On l’espère. Pourvu qu’on ne bouchonne pas ! Au départ, c’était sans prétention, pour rigoler, en quelque sorte. On a joué dans de nombreux bars et de nombreuses foires au boudin, en Belgique. Et puis grâce à nos deux premiers Eps, le premier paru en 2018 et le second en 2019, ainsi que notre premier album, paru cette année, on a décroché de belles tournées, profité de certaines opportunités et expérimenté des collaborations en compagnie d’un orchestre ou d’un brass band. Et nous sommes très heureuses de la tournure des événements.

Vos débuts n’ont donc pas été trop difficiles ?

-J. : Effectivement, ils n’ont pas été trop difficiles. La période la plus compliquée pour nous, c’est maintenant. La post-covid change la donne, car on doit assumer les reports de l’avant-pandémie. Et on a l’impression que l’on doit se battre pour se faire une place. Au début, tout était complètement décomplexé. Nous n’avions pas beaucoup d’ambition et ce qui arrivait n’était que du bonus. Alors que maintenant, il y a un tas d’attentes…
-S. : On a une grande envie de jouer. Comme Julie le disait, il y a tellement de projets, et il faut vraiment se démener pour rester là. Et il y a un petit moment qu’on y est…

Est-il possible de combiner féminisme (pas nécessairement pur et dur), second degré, simplicité, humilité et talent ?

-J. : Ben oui. Nous avons envie d’aborder des sujets sérieux qui nous touchent. Mais on souhaite aussi les aborder avec de l’auto-dérision. Il ne faut pas oublier que dans la vie on traverse des tas d’épreuves difficiles ; dès lors, il est nécessaire de se réserver des moments pour rire…
-Sasha : Et faire passer des messages tout en conservant une énergie très décomplexée sur scène. En y ajoutant beaucoup d’humour…
-J. : Et que Le public puisse choisir entre son intérêt pour les textes ou simplement profiter de la musique, sans intellectualiser les paroles…

La sortie de « Mobile » a été retardée à cause de la Covid. Au cours du confinement, qu’avez-vous apporté de neuf au contenu ?

-S. : Plein de choses. En fait, à la base, tous ces instruments acoustiques n’y figuraient pas. Jean-Marie Rens, le papa de Julie, avait arrangé tout le répertoire pour orchestre. On n’a pas pu concrétiser ce projet. Aussi on a reconsidéré la formule en ajoutant cette instrumentation. Et finalement, le temps supplémentaire dont on a pu tirer parti s’est révélé hyper bénéfique pour nous. Sans ce contretemps, on se serait privé de cette richesse musicale.  Et elle est devenue, un peu, le fil rouge de l’album.
-J. : On a également travaillé une combinaison à deux pianos. Dorian Dumont, le pianiste de Hecht a réarrangé nos morceaux pour cette formule. Ce qui a nécessité énormément de travail. Mais on ne le regrette pas, car nous n’aimons pas perdre notre temps à ne rien faire…

Puggy s’est chargé de la mise en forme pour deux morceaux de « Mobile ». Vous connaissez les musiciens personnellement ?

-J. : Pas vraiment ! Romain et Ziggy se sont chargés de la production additionnelle. Ils bossent ensemble pour la prod. C’était super d’avoir leur touche en plus. Mais pas Matthew ; il s’occupe de ses trucs de son côté…
-S. : Ce qui est chouette, c’est que l’on a travaillé par la suite avec eux. Habituellement, c’est Elvin Galland qui accomplit ces tâches. On a réalisé toute la pré-prod avec lui ; mais lorsqu’on entend les mêmes morceaux pendant des mois et des mois, il devient de plus en plus difficile de trouver des idées pour les améliorer. Il ne faut pas oublier qu’en 2020, l’album était déjà prêt à sortir. Et finalement, Ziggy et Romain ont apporté une note de fraicheur à nos chansons.

Dans vos premières compos, mais aussi à travers vos reprises, vous abordiez des thèmes forts, notamment en dénonçant les stéréotypes et les clichés de la société contemporaine. C’est toujours le cas ?

-J. : Ben oui. Tous les titres de « Mobile » traitent clairement de notre société qui a atteint ses milites. De nombreuses amies, qui sont devenues parents, nous parlent de leurs angoisses vis-à-vis du climat ou tout simplement à cause de la crise économique. Ce sont des sujets que l’on aborde bien plus qu’auparavant, dans nos textes. De la manière d’éduquer son enfant aujourd’hui, dans une société qui ne va pas très bien ou de thématiques du même genre… On peut relier « Youth » à celle que l’on abordait sur les covers et notre premier Ep, en évoquant la diabolisation de la vieillesse de la femme, de cette impression d’obsolescence programmée après 40 ans, dont on ne parle plus.
-S. : Car elles n’ont plus leur place dans l’industrie de l’art.
-J. : Et dans la vie en général… Et on a passé son tour. On estime, en tout cas, important de continuer d’aborder des sujets qui nous touchent dans la vie...

Quel est votre processus d’écriture ? L’une se charge de la musique et l’autre des paroles ou est-ce un exercice en commun ?

-J. : Il existe 1 000 méthodes. Certains morceaux sont écrits à quatre mains.
-S. : On a expérimenté des tas de système de composition. Mais les textes, on les écrits souvent ensemble.

Existe-t-il encore un espoir de revoir le Juicy Orchestra, en concert ?

-J. : Pourquoi pas ! Peut-être à Mons. Un programmateur est venu nous voir en concert, il y a 2 semaines, dans le cadre du festival des Libertés. Et il a déclaré qu’il allait trouver une date. A ce jour, on n’a réalisé ce projet qu’à deux reprises. Mais c’est un spectacle qui se bonifie au fil des représentations. Le concept est génial, mais il est coûteux, car il implique de nombreuses personnes…  

Sasha, ta sœur est également musicienne ?

-S. : Non, c’est la sœur de Julie. Elle joue du violon alto. Elle nous a également accompagnées lors du festival des Libertés.

Julie, dans le passé, tu as assuré quelques collaborations et notamment avec Thomas Akro…

-J. : Oh oui, au cours de mon adolescence. Je chante également dans un projet de musique bulgare. On va d’ailleurs bientôt sortir un album. On devait accorder un concert au Jazz marathon, mais il a été annulé à cause de la première pandémie, en 2021…

Commander Spoon, ce sont des amis ou des connaissances qui partagent le même ADN ? 

-J. : Ce sont de très bons amis avec lesquels on a adoré travailler. On va renouveler l’expérience. Et puis on est fans de leur musique…

Que préférez-vous, vous produire dans des grandes salles, comme l’AB, des petits clubs ou des festivals ? Où votre musique s’exprime-t-elle le mieux ?

-J. : Les petits clubs. Ce qu’on préfère c’est quand les gens viennent vraiment pour nous voir même si parfois, il n’y a pas grand monde. Ensuite, c’est aussi super de jouer lors d’un gros festival, surtout quand personne ne te connait Mais ce n’est pas le même plaisir. En fait tu es là pour te livrer et capter l’attention du public. Alors quand les gens viennent assister à ton spectacle en salle, il y a déjà quelque chose d’acquis et tu es déjà plus connecté à la musique que lorsque tu te produis au festival de Dour à 16 heures. 
-S. : Les petits clubs aussi ! Tu as parlé de l’AB. Alors oui, mais surtout lors de la ‘Release party’. C’était incroyable ! Le public était tellement attentif et concentré pendant notre prestation. C’était le pied. Parmi les petites salles bien remplies, on peut citer le Hasard Ludique à Paris. C’est un espace réduit, mais il y avait 150 personnes, et ce public était venu pour nous. Les spectateurs avaient acheté leur place et c’était trop bien. En fait, je suis plus stressée dans les petites salles, car ce sont des gens qui viennent nous voir. Tandis que lorsqu’on se produit lors d’un festival on va tout donner pour qu’ils viennent nous revoir...

En concert, de temps à autre, il y avait des floches. C’est ce qui faisait la particularité et le charme des ‘live’. Et puis, à une certaine époque, il y avait une guitare, mais elle n’était pas utilisée…

-J. : Oui ça va Didier ! On va la ressortir la guitare. Là on est trop occupée avec nos claviers…

Et si on parlait un peu de vos influences ou de ce que vous aimez écouter…

-J. : Pour l’instant, on écoute Rosalia, un groupe espagnol. On adore. Récemment, nous sommes allés assister au concert d’un groupe australien que l’on apprécie particulièrement : Hiatus Kayiote. Ce qui nous plaît, ce sont des musiques généreuses où il y a plein de trucs à écouter et de la complexité dans les arrangements. On aime aussi James Blake.

Et les musiques de film ?

-J. : On en compose un peu. C’est hyper chouette à faire, mais on entre dans un autre domaine. Et c’est un tout un autre travail.

Seriez-vous intéressées de bosser pour Tim Burton ?

-J. : Oui nous sommes intéressées. C’est un pote à toi (rires) ?

L’animation de vos clips est bien construite. Qui est le réalisateur ?

-J. : Jan Schmicker, un ami allemand qui vit à Paris. Il nous a monté deux clips. Le résultat est génial mais il a abattu un travail de titan alors que ce n’est pas un média qui lui rapporte beaucoup d’argent.

Y a-t-il longtemps que vous n’êtes plus allées manger chez Théo Franken ?

-J. et S. : (éclats de rires) On y va toutes les semaines. C’était une mise en scène et c’est notre plus grand fan. On ne le l’aime pas trop, mais on en n’entend plus parler…

 

Eosine

On essaie de combiner l'art et les sciences…

‘Eosine’ : retenez bien ce nom ! Basé à Liège, ce jeune quatuor emmené par la très talentueuse Elena Lacroix, est sur le point d'exploser ! Sa shoegaze mélancolique aux accents celtiques a séduit le jury du ‘Concours Circuit’, un tremplin qu’il a remporté il y a quelques jours au Botanique, à Bruxelles. Même si en écoutant sa musique, on pense parfois à Beach House, Ride, Low, All About Eve, Cocteau Twins ou aux Cranberries, le son proposé est unique et incomparable. 

Après avoir gravé un premier Ep très convaincant, "Obsidian", Eosine a publié, il y a peu, un single. Intitulé "Ciarán", il annonce un nouvel Ep mixé et mastérisé par Mark Gardener (Ride). Excusez du peu !

Musiczine a rencontré la formation au Botanique, avant sa prestation en ‘live’,  dans le cadre du ‘Concours Circuit’.

La première question, vous vous en doutez, concerne le nom du groupe. Que signifie ‘Eosine’ ?

Benjamin : L’éosine (‘eosin’ en anglais) est un colorant qui permet de mieux discerner les coupes histologiques. Donc, par exemple, pour des tissus cellulaires observés au microscope, il permet de faire ressortir les nuances. Il en résulte des expressions abstraites très colorées.

Apparemment, vous êtes des mordus de science ?

Benjamin : Oui ! Mes trois acolytes sont tous étudiants en sciences : Julia en bio, Brieuc en géo et Elena en médecine. On essaie de combiner l'art et les sciences.

Elena, tu es à l'origine du groupe. Comment pourrais-tu décrire la musique et le concept qui la caractérise ?

Elena : Au départ, Eosine était un projet qui s’inspirait de la shoegaze et de la dream-pop, des styles apparus dans les années '90 et pour lesquels on avait pas mal d'affinités. On évoluait à l'intérieur des codes de ce style musical. Maintenant, on essaie d'enrichir le son en exploitant les singularités et les influences de tous les membres du groupe.

Au départ c'était un projet solo et maintenant, c'est une formation à part entière ?

Elena : Exact ! Et ce que tu avances à propos du concept est très juste parce qu'on essaie, en effet, de lier la musique, les paroles et les clips au sein d'un même concept. On projette les vidéos en concert, ce qui permet de créer un ensemble conceptuel cohérent.

En outre, les images apportent une coloration 'psyché' ?

Elena : Complètement !

On perçoit en effet bien les références à la dream-pop, que ce soit Beach House, Ride ou Slowdive ; mais on peut aussi remonter un peu plus dans le temps pour identifier des influences de la cold-wave, et tout particulièrement Cocteau Twins, les précurseurs de la shoegaze.

Elena : Tout à fait ! Cocteau Twins est une influence importante. Ce qu'on aime beaucoup chez eux, c'est la mise en avant du chant d'Elizabeth Frazer. Et nous, on aime combiner des moments éthérés dans le style de Cocteau Twins avec des passages plus terre à terre, plus bruts.

On ressent aussi l'influence de Dead Can Dance. Brieuc, dans une des vidéos, tu portes d’ailleurs un t-shirt de cette formation…

Brieuc : Oui, j'ai beaucoup écouté Dead Can Dance lorsque j’étais enfant car mes parents aimaient beaucoup ce groupe.

Merci, je prends un bon coup de vieux, là... (rires)
Pour décrire votre musique, j'ai inventé un nouveau style : la ‘shoewave’, une combinaison entre shoegaze et wave...

Elena : Ah oui, très sympa ! Ça me parle bien ça (rires) !

On y rencontre aussi ce côté 'dark', mélancolique, qui est inhérent à la new-wave. Et puis, il y a un aspect celtique, que j'aime beaucoup. Je suppose que ça vous parle ?

Elena : Oui !

"Ciarán", le nouveau single, c’est un prénom d'origine gaélique ou je me trompe ?

Elena : Oui et c'est la première fois que j'entends quelqu'un qui prononce le mot correctement (rires) !

C'est normal : j'ai été irlandais dans une de mes vies précédentes... (rires)

Brieuc : Moi aussi...
Elena : En fait, je suis également sensible aux influences de la musique médiévale, comme Dead Can Dance justement. C’est perceptible dans le premier morceau que l'on va présenter ce soir, "Incantations".

Précisément, allez-vous interpréter de nouveaux morceaux, ce soir ?

Elena : En fait, on ne jouera que des compos qui ne sont pas encore sorties.

Même pas "Ciarán" ?

Elena : Non.
Julia : Ce sont, pour la plupart des titres, qui figureront sur notre prochain Ep dont la sortie est prévue pour le début de l'année prochaine.

Comment êtes-vous entrés en contact avec Mark Gardener, de Ride ?

Elena : C'est une longue histoire. Benjamin s'est cassé le poignet juste avant l'enregistrement de notre premier Ep, "Obsidian". Et il a été remplacé par Jérôme Danthinne, un batteur belge qui a joué en compagnie de Mark Gardener, quand il était en Belgique. Jérôme lui a envoyé notre maquette et Mark a tout de suite accroché.

Et donc, vous avez enregistré à Oxford, dans le studio de Mark ?

Elena : Non, Mark a juste mixé et mastérisé l'Ep, ainsi que le single, "Ciarán". 

Et Maxime Wathieu, de Turquoise, il a également participé ?

Elena : Oui, c'est important de mentionner le super boulot de Maxime. C'est lui qui a enregistré l'Ep, ici en Belgique. C'est un génie de la production. Quant à Mark Gardener, dans son mix, il a cette capacité de retranscrire l'énergie 'live' dans un enregistrement studio. La combinaison entre les deux 'ingés-son' a bien fonctionné.

Par rapport à "Obsidian", le single "Ciarán" sonne beaucoup plus propre. A la limite, il sonne plus pop que shoegaze.

Elena : "Ciarán" est un morceau pop ; on l'a voulu comme ça. D'ailleurs il passe bien en radio.

Les autres nouveaux morceaux sont, on suppose, plus 'edgy ' ?

Elena : Oui, ils sont plus longs et un peu plus 'crasseux' (rires).

On sent bien une évolution très forte, au niveau du son, au niveau harmonique, dans les compositions. C'est plus sophistiqué.

Elena : Oui, on a beaucoup évolué.

Les harmonies sont plus fouillées, alors qu'auparavant, certains morceaux étaient construits sur deux accords, comme mi mineur et la majeur, répétés à l'envi... (rires)

Elena : Oui, tu as raison. Mais en fait, ça dépend. Dans le processus créatif d'Eosine, je dispose d'un vaste répertoire dans lequel on va puiser en fonction de notre état d’esprit et de ce qu'on cherche à un moment précis. Et donc, il est possible qu'on choisisse un morceau qui date de l'époque où je composais des chansons assez simples ou alors ce sera la maquette d'un titre plus récent et plus complexe. Résultat, le nouvel Ep est très diversifié et présente une large palette d'ambiances différentes.

A propos de labels, vous collaborez avec JauneOrange ?

Elena : Oui. JauneOrange s'occupe de l'édition, du 'publishing', pour les 'synchros' dans l'audio-visuel.

Pour le placement des morceaux dans les films, les pubs, etc. ?

Elena : Tout à fait ! En ce qui concerne la mise en forme, on a sorti "Ciarán" en autoproduction. Nous avons avancé les fonds pour l'enregistrement, le mixage, le mastering et la vidéo. Pour l'Ep et le booking, on négocie.

A mon avis, vous avez un très bon potentiel, y compris à l'international.

Elena : Merci !

Et le nom de Mark Gardener va ouvrir des portes.

Julia : On l'espère !
Elena : Si on pouvait faire la première partie de Ride, ce serait un rêve !

Et Low, vous aimez aussi ?

Elena : Oui, on adore. On a été très attristés par la mort de Mimi Parker. On aime beaucoup Low parce que ces musiciens ne s’appuient pas sur leur technique individuelle mais bien la puissance de leur collectif. Vu que nous ne sommes pas de très grands techniciens, nous essayons également de produire en groupe quelque chose de plus fort que la somme des parties. Créer une symbiose, atteindre une synergie...

On le ressent en effet très fort dans votre musique. Il y a même un aspect chamanique. Il vient probablement aussi du côté celtique, qui convoque un esprit tribal. On sent une âme très puissante dans la musique, plus que dans la shoegaze traditionnelle.

Julia : Oui, c'est exact ! Parfois, en concert, on entre presque en transe.
Elena : C'est comme un mantra.
Julia : Oui. C'est l'énergie de la musique qui monte, monte. Les voix qui se croisent, se recroisent, vont dans la même direction ou se séparent. On atteint véritablement un état de transe. Et quand on descend de la scène, on est autre part, comme sur un nuage (rires) …
Elena : C'est comme une alchimie entre nous. Notre musique repose sur la shoegaze comme socle et chaque membre du groupe apporte sa personnalité et ses influences, ce qui enrichit notre son.  

Oui, c'est comme un kaléidoscope de différentes couleurs et c'est le côté celtique, tribal qui sert de ciment de l'ensemble et communique à votre musique un caractère unique.

Elena : Merci ! Ton analyse nous touche vraiment…
Benjamin : Je voudrais ajouter que, précisément, dans le nouveau morceau "Above", qui ne sera pas sur le prochain Ep, on est précisément dans cet état d'esprit. Chacun apporte sa pierre à l'édifice et moi qui suis plutôt un batteur funk ou jazz, j'oublie totalement qui je suis et je me coule dans le collectif pour devenir Eosine en compagnie des autres. Perso, c'est notre morceau-phare. C'est mon préféré (rires) !
Elena : C'est un morceau où on s'assume vraiment, sans essayer de sonner comme quelqu'un d'autre. C'est d'ailleurs le tout dernier que j'ai composé. Ce qui démontre que, plus on avance, plus on parvient à affirmer notre personnalité. On a évidemment encore beaucoup de domaines à explorer et à découvrir, surtout en nous-mêmes, mais on est sur la bonne voie !

Merci beaucoup pour cette interview !

En cliquant sur le nom du groupe dans ‘Informations complémentaires’ vous retrouverez ses réseaux sociaux dont Bandcamp, Soundcloud et Spotify qui vous permettront d’écouter sa musique…

 

Eosine :

  • Elena Lacroix : chant, guitares, synthés, composition
  • Brieuc Verstraete : basse, chant
  • Julia Billen : guitare, chant
  • Benjamin Franssen : batterie.

 

Ozark Henry

Ma vie d’artiste était dans l’ombre et Bowie m’a donné la lumière…

Écrit par

Plébiscité par Bowie himself qui voyait en lui un artiste novateur, Piet Hendrik Florent Goddaer, alias Ozark Henry, se produit ce 14 octobre à Braine-le-Comte pour y célébrer le 20ème anniversaire de son album a succès, « Birthmarks ».

Certifié disque de platine et né sous le signe de la résilience puisqu’il va connaître non seulement les affres des attentats des tours jumelles à sa sortie, mais également celles de la Covid lors de sa réédition.

Ozark se livre comme jamais sur sa vie, sa musique. Mais pas que puisque l’écologie s’invitera dans un débat qui restera riche et dense. Sans oublier la politique dans laquelle il n’a plus confiance.

Enfin et surtout, un album hommage aux femmes fortes de sa vie : sa maman et son épouse dont il se confie avec bienveillance, amour et sincérité !

Décryptage !

Piet, « Birthmarks » a un vécu peu ordinaire. Il est sorti le 11 septembre 2001, lors des attentats des tours jumelles. Et 20 ans plus tard, au moment où tu souhaites célébrer l’anniversaire de sa sortie, la COVID s’invite entraînant un arrêt brutal du secteur culturel. Pourtant, cet opus signe ton premier gros succès commercial, se maintient 90 semaines dans l’Ultratop et est certifié double disque de platine. Alors, « Birthmarks », œuvre de la malchance ou de la résilience ?

Il s’agit de mon premier succès commercial, mais je ne crois pas qu’il s’agisse du plus important. « Birthmarks » constitue mon troisième album. Les deux précédents ont connu de bons retours auprès de la presse spécialisée, comme les Inrockuptibles. C’est à cette époque qu’on m’a donné le sobriquet de jeune Bowie flamand. Mais, ils n’ont pas obtenu le succès commercial escompté. Mon deuxième opus affichait beaucoup d’ambitions car je devais tourner en compagnie de Zazie, Tricky ou encore Moby. Hasard des événements, le label sur lequel j’avais signé est tombé en faillite. Le disque n'est donc jamais atterri dans les bacs. On m’avait annoncé un délai supplémentaire de 9 mois. Une période creuse et pourtant, paradoxalement, je ressentais des ondes positives. C’est alors que Sony me contacte et me propose de reprendre les choses en main et de réaliser un album. J’accepte évidemment, mais en pensant qu’il s’agirait du dernier essai, parce que j’avais l’impression que le public n’adhérait pas à mon univers. Mais la manière de travailler était différente puisque j’ai pu compter sur des instruments à cordes dans un studio à Londres. Ce qui a forcément influencé la direction artistique de l’enregistrement. Et si je n’avais pas eu le soutien d’un label, c’est un projet qui aurait été impossible de concrétiser. Mes deux premiers albums ont été fabriqués à la maison. J’étais seul et je n’avais besoin de personne. Ici, le défi était tout à fait différent. Alors, oui, « Birthmarks » est le disque de la résilience.

La résilience s’est aussi invitée dans le combat mené par ta mère face à la maladie. Elle a aussi influencé quelque part cet elpee…

Ma mère, Andréa, est décédée d’un cancer de la peau alors que je n’avais que 15 ans. Le titre du disque y fait effectivement directement référence. J’ai en tête cette image d’une tache petite et innocente, mais qui peu à peu va devenir énorme. Avec toutes les conséquences que l’on connaît. Qu’elles soient négatives ou positives. Oui, c’est aussi une histoire de résilience.

« Sweet Instigator » est une compo écrite pour ta femme. Pour l’interpréter, Ellen Ten Damm t’accompagne au chant dans la réédition de l’album. Pourquoi le choix du duo et comment s’est opérée la rencontre ?

Il s’agissait d’une chanson qui se prêtait naturellement à l’exercice du duo. Je devais dénicher la partenaire pour l’interpréter, car je l’avais écrite pour mon épouse. J’ai donc mis un peu de temps. Je me rends compte qu’après vingt ans, le message résonne de la même manière. J’ai contacté Ellen, car avant de me lancer dans la musique, je bossais au sein d’un théâtre, à Amsterdam, comme scénographe. C’est une grande dame de théâtre aux Pays-Bas. Je lui ai proposé ce projet de collaboration et elle a immédiatement accepté. Parallèlement à sa carrière de comédienne, elle bénéficie d’une expérience dans la chanson. 

Puisqu’on parle de collaborations, tu n’en es pas à ton premier coup d’essai. Je pense notamment à l’immense succès de « I’m Your Sacrifice »…

Oui, tu as raison ! Ce titre est une ode au sentiment vécu par tous les couples au début d’une relation, le moment pendant lequel tout semble permis et imaginable. Une invitation à retrouver cette sensation, cet engagement de se renouveler, de tout faire l’un pour l’autre.

Vu le nombre de séparations et de divorces, cette chanson aurait-elle encore le même écho dans nos sociétés contemporaines ? Excuse-moi, mais ton message me paraît utopique, replacé dans ce contexte…

Si tu te sens bien auprès de l’être aimé, ce n’est pas un sacrifice ! Je vis avec la même femme depuis trente ans. Nous n’avons, elle et moi, jamais eu l’impression de réaliser des sacrifices.

Pour la réinterprétation de « I’m Your Sacrifice », tu as choisi de l’interpréter dans la langue de Molière. Alors que la version de « Sweet Instigator » figurant sur la réédition de « Birthmarks » l’est, dans celle de Shakespeare. Le français n’aurait-il pas pu apporter davantage de subtilité dans le texte ?

« I’m Your Sacrifice » n’a pas été écrite en français, il s’agit d’une traduction. Je ne crois que cette adaptation était meilleure que l’originale. Il s’agissait d’une demande du label pour pouvoir exporter la chanson vers la France. Même si le français reste une très belle langue.

Proposer cette chanson, certes en duo, mais dans son jus original, est peut-être aussi une manière de minimiser les risques et de rester dans sa zone de confort. A moins, qu’il ne s’agisse d’une approche purement commerciale, l’anglais s’exportant d’autant plus facilement. Quel est ton point de vue à ce sujet ?

L’anglais est le plus proche du flamand, de mon dialecte. En tout cas au niveau des sons ; ce qui aide beaucoup. Et puis, je maîtrise mieux l’anglais que le français tout simplement.

Tiens, est-ce que tu as écrit d’autres compos en français ?

Effectivement, j’ai écrit des chansons en français. Malheureusement, je ne les ai jamais enregistrées ni sorties.

Certaines d’entre elles ont un parcours atypique. Je pense ici tout particulièrement à « This One’s For You », une chanson initialement écrite pour Robbie Williams. Est-ce que tu pourrais nous en dire davantage ?

Oui, c’est exact ! Tout comme « Sweet Instigator » ! Je séjournais à New York en compagnie de Boots Ottestad, un des compositeurs de Robbie Williams. Il préparait l’enregistrement d’un album et cherchait des chansons. Je lui en ai proposées trois. Mais comme il souhaitait changer de direction artistique, elles n’ont pas été retenues. Pour ce disque, j’ai aussi travaillé en compagnie de Martin ‘Youth’ Glover, qui a été le bassiste de Killing Joke. Je l’ai rencontré à Londres. Je cherchais un ingénieur du son pour les sessions et j’avais un rendez-vous avec un manager.

Martin Glover était présent lors de cette entrevue. Il me demande des démos. Deux années plus tard, il me passe un coup de fil pour m’annoncer que Martin souhaitait produire l’opus. Il venait de décrocher un ‘Award’ pour « Urban Hymns » de The Verve. A cette époque, il travaillait avec Paul McCartney. Je n’avais pas les moyens financiers d’assumer un producteur de renom.

Mais il semblait tellement intéressé de collaborer que le volet financier l’importait peu. Cette idée me paraissait difficile dans la mesure où je produisais moi-même mes albums et je n’avais jamais travaillé jusqu’alors sous la houlette d’un producteur. Il m’a proposé de venir chez lui durant trois jours en emportant une sélection de septante titres, des compos originales et des titres écrits pour d’autres artistes. Le deal était d’interpréter en live les morceaux sélectionnés le matin, de les enregistrer en compagnie d’un groupe, de me positionner par rapport à mes envies artistiques et enfin de lui laisser quartier libre, ce qui me convenait tout-à-fait. C’est lui qui a sélectionné « This One’s For You ».

Si ton premier long playing, « I'm seeking something that has already found me », n’a pas eu un succès retentissant, il t’a non seulement permis de recevoir quelques bonnes critiques dans les Inrocks, mais surtout de toucher David Bowie. Ce qui n’est pas rien quand même…

Effectivement, Bowie aimait beaucoup mon premier album. Lorsqu’il s’était déplacé à Ostende pour assurer la promo de son disque, il m’a demandé de le rencontrer. A l’époque, ma vie d’artiste était dans l’ombre et lui m’a donné la lumière.

Nous avons beaucoup parlé et tout à coup j’avais l’impression que nous étions devenus des amis. J’étais jeune et plein d’ambition. Lors de notre entrevue, il avait l’âge que j’ai aujourd’hui. Lorsque je me rendais à Londres ou New York, s’il était disponible, nous allions prendre un café. La dernière fois que j’ai eu l’occasion de le voir, c’était juste deux mois avant son décès.

Il aimait chez toi particulièrement tes méthodes non conventionnelles puisqu’à l’époque, ne disposant que peu de moyens, tu produisais un son tout à fait particulier à l’aide de bandes magnétiques Revox…

C’est exact. Je m’amusais à créer des loops grâce à une sampling machine.

Il avait cette sagesse aussi en te conseillant de continuer à travailler en fonction de ce qui te semblait juste…

Le secteur de la musique est un monde fait de hauts et de bas. Il m’a inculqué de toujours garder la tête haute quoiqu’il advienne.

Ta carrière musicale est jalonnée d’opus très différents, oscillant de la pop au classique, sans oublier l’électro avant-gardiste. Comment se construisent-ils ?

Pour être franc, je ne sais plus exactement combien j’en ai réalisé. Je suis curieux de nature et j’aime travailler de manière différente. Je regarde le monde, j’absorbe ce qui se passe autour de moi et cela conditionne la réalisation du disque. Je n’ai aucun postulat de départ. Je place le décor et j’y conte une histoire. J’ai toujours eu de la chance de jouir de pas mal de liberté sur le label.

Le fait de disperser les directions musicales te permet-il d’éviter que l’on te catalogue dans un genre particulier ?

C’est évidemment plus compliqué de coller une étiquette en multipliant les genres. Et ce n’est pas nécessairement un avantage !

Je me suis laissé dire que tu écrivais une chanson par jour ?

C’est presque ça ! J’adore ça ! Mais je ne compose pas dans un but purement commercial. Chaque chanson correspond à une histoire. Lorsque tu la partages, elle plait ou déplait en fonction.

Ce qui doit représenter un bon paquet de compos…

A mon avis quelques milliers.

Comptes-tu en faire quelque chose un jour ?

Je n’en sais rien ! il y a cinq ans que mon album et paru. Si je sors toutes les chansons que j’ai réalisées, ça va devenir compliqué. Mais, il est vrai que parfois l’idée me tente. Cependant le format actuel ne s’y prête pas nécessairement.

Si je comprends bien, celles que tu as écrites il y a quelques années ne sont pas ou plus dans l’air du temps ?

Si je devais établir une liste des morceaux que j’aimerais partager, on en arriverait à 6 disques. Je te jure que si c’était possible, je les sortirais. Mais, je crois que mon label me prendrait pour un fou (rires).

Je sais que tu apprécies le mois de septembre. A ce stade de l’interview, j’ai pu me rendre compte à quel point tu aimais bosser. Mais cet amour inconditionnel de ce mois ne correspond-t-il pas à une période où la dynamique du travail reprend son cours normal après les deux longs mois de congé ?

Non, pas du tout. Lorsque j’étais à l’école, vers l’âge de 11-12 ans, ma mère était déjà très malade. Mes parents m’avaient inscrit à l’internat. Lorsque les vacances se terminaient, je ne voulais pas retourner à l’école. A la rentrée scolaire, dès que je rentrais en classe, je me rendais aux toilettes pour ensuite mieux prendre la poudre d’escampette. C’était ma tactique. J’aime l’idée d’avoir toujours le choix. Plus tard, lorsque je travaillais dans le théâtre, j’ai emboité le pas. Si j’avais une réunion en septembre, il m’arrivait le matin de me réveiller et de me dire que je ne m’y rendrais pas.

Ce sont des décisions courageuses, mais risquées…

Il faut juste accepter les conséquences de ses actes. Lorsque je n’ai pas envie de faire les choses, je ne les fais pas, peu importe les conséquences. Je m’en fous complètement…

Tu pourrais donc ne pas te produire ce soir...

Ne crains rien, septembre est derrière nous (rires) !

Piet, tu as été le premier artiste non classique à être invité par l'Orchestre National de Belgique. Ton père, Norbert Goddaer, était compositeur de musique symphonique et une sommité dans le milieu. Être le fils de ne t’a-t-il pas offert davantage d’opportunités ?

Non, pas du tout ! Mon univers musical n’est pas le classique. Il faut savoir que dans ce monde et celui du jazz, il existe une forme de snobisme. La pop et l’urban ne sont pas des références dans ce milieu. J’ai simplement prouvé qu’en maîtrisant mon sujet, je pouvais travailler en compagnie de l’ONB.

Tu as défendu de nombreuses causes durant ta carrière. Je pense ici tout particulièrement à la campagne choc de l’IBSR qui t’a demandé d’écrire une chanson pour rendre hommage à deux jeunes, Maxime et Kevin, tués dans un accident de la route. Elle s’intitule « 21 grams short ». Au fond, la musique constitue-t-elle le meilleur média pour communiquer d’une manière optimale ?

Oui, je pense ! Lorsque j’ai l’ai composée, j’avais en tête une image bien précise et je voulais y intégrer ces deux jeunes gens morts, à l’issue d’un accident de la route. Je reste persuadé que la musique peut avoir un impact retentissant. Je mène des recherches dans le cadre du son 3D, ainsi que de la manière dont le cerveau perçoit la musique et comment elle s’y connecte.

Justement, puisque tu abordes le sujet, l’album « Paramount » (2015) avait été sorti en ‘Auro-3D immersive sound’. 90 musiciens de l’Orchestre national de Belgique y avaient participé en cercle autour du public, ce qui donnait l’impression que le son provenait de toutes les directions.

J’ai consacré beaucoup de contenu à ce format. Je ne peux pas le partager, c’est sur mon bureau. La technologie est là, mais les outils doivent suivre. Pour utiliser une métaphore, c’est comme si nous étions passé du mono à la stéréo. Un monde de différence ! Lorsque j’ai réalisé « Paramount », j’ai été un des premiers à utiliser cette technologie. J’ai d’ailleurs été invité chez Google afin d’y présenter mon travail. Les interlocuteurs avaient été impressionnés par la manière dont j’appréhendais le son 3D. Cette démonstration m’a permis de voyager un peu partout dans le monde. Je me suis ainsi rendu, notamment, à San Francisco. Je suis convaincu qu’écouter de la musique sous cette forme deviendra la norme, mais cette adhésion prendra du temps. J’ai d’ailleurs construit un studio uniquement pour construire un son 3D. J’y réalise des démos et des concerts pour des petits groupes. Il y même des gens qui y sont venus du Japon, de Corée ou encore de Chine. J’estime que l’accès à cette technologie doit rester totalement démocratique.

Avant la Covid, il y avait une volonté d’y parvenir, mais depuis, la dynamique s’est un peu estompée. Aujourd’hui, c’est Apple qui domine le marché grâce à son Dolby Atmos System.

On connaît l’artiste, mais on connait moins l’homme soucieux de l’écologie et de la nature. On peut citer le DVD « Ecotone ». Mais aussi, les rénovations d’une ancienne maison bourgeoise à Oostdunkerque afin de la rendre quasi passive, sans oublier cette obédience pour favoriser les écosystèmes naturels. Si aujourd’hui, vu la crise que nous traversons, tout le monde s’accorde à dire que l’idéologie a fait place à la nécessité, tu restes en quelque sorte un précurseur en la matière. Tout comme dans la sphère musicale finalement…

J’ai été en effet un des premiers à installer des panneaux solaires en Belgique. Le matériel provenait d’Allemagne. J’étude les possibilités de l’updater. Je me souviens que le technicien à qui j’avais fait appel était assez surpris. Perso, c’est une évidence, il est grand temps que nous fassions un geste. Kyoto a quand même aujourd’hui 20 ou 25 ans.

D’une manière générale, tu restes en phases avec la nature…

Je reste en phase avec mon environnement tout simplement ! Tout comme ce qui m’entoure ! Lorsque je me rends aux Etats-Unis, par exemple, pays où les opportunités ne manquent pas et où tu peux rêver, j’ai un peu de mal vis-à-vis de certains comportements. On parlait tantôt de ma passion pour le monde immersif. Eh bien, c’est justement l’endroit qui te permet de rêver sans limite et d’expérimenter cette pratique. Tu essaies. Si ça marche, tant mieux, si pas, tant pis, tout le monde s’en fout. C’est aussi le pays du paradoxe. Si tu passes en rue et que quelqu’un est en train de crever, le premier réflexe serait de lui porter secours. Mais là, on te fait limite comprendre que si le gars est dans cette situation, c’est son choix. On ne fait plus attention à rien ni à personne. Lorsque je me suis rendu en Inde, c’était pareil. Je trouve cette attitude immonde. Pour la nature, c’est exactement le même topo. On peut ignorer et faire semblant. La situation s’aggrave de jour en jour. Il suffit de se remémorer ce qui s’est produit en Wallonie, tant au niveau de la sécheresse que lors des inondations. Tout le monde s’insurge, mais nous restons tous témoins de la situation. J’ai pris quelques jours de vacances avec des amis et nous nous sommes rendus à Las Vegas. Nous étions sur un bateau et on voyait très bien que le niveau du lac était très bas. On nous a expliqué qu’au début, la sécheresse était peu marquée, alors qu’aujourd’hui, elle prend des proportions importantes. Si j’établis le parallèle avec l’homme sur le point de mourir en rue, tu peux ignorer la situation sans essayer de comprendre son origine. Pour la nature, c’est la même chose. A force d’ignorer, nous allons tous droit dans le mur. On se souviendra longtemps de cet été.

J’habite à la côte où il ne manque pas d’eau et pourtant, il y avait pénurie, alors qu’ailleurs, des trombes s’abattaient. Vu que le climat belge est modéré, les écarts se creusent de plus en plus souvent et de manière de plus en plus conséquente entre ces deux extrêmes. Il faut réagir, mais les actions prennent trop de temps. Les politiques doivent prendre des décisions.

Prendre des décisions politiques est un acte qui nécessite du courage. La seule question n’est-elle pas de se demander si les politiques en ont suffisamment…

Je pense que le système est mal adapté. Les hommes et femmes politiques sont élus pour une période courte. Si cette situation présente l’avantage de les évaluer rapidement, le système ne permet pas d’avoir une vision à long terme. Et puis, il est conçu d’une telle manière que même si les gens votent pour quelqu’un et ses idéaux, ce ne sera peut-être pas lui qui sera en poste. Est-ce que les spectateurs présents ce soir accepteraient d’assister au spectacle d’un autre artiste, même si celui-ci est plus populaire et talentueux ? Bien sûr que non ! Ce n’est pas leur choix ! Nous ne vivons pas totalement dans un système démocratique. Alors est-ce que les politiques ont besoin de courage ? Bien sûr que oui !

Cali

La vie n'est pas une caisse d'épargne !

Écrit par

À mi-chemin entre chanson française et rock, Cali revendique depuis toujours une position d'artiste concerné par les problèmes de la société et du monde et n'hésite pas à s’investir publiquement.

Véritable touche-à-tout, Cali multiplie ses engagements, tant dans l’univers du théâtre, de la poésie, de la littérature que, bien sûr, de la musique.

« Ces jours qu’on a presque oubliés », son nouvel opus, paraît ce 14 octobre 2022 ».

Tout au long de ce nouvel elpee, le troubadour de la chanson française s’expose encore un peu plus en opérant une véritable mise à nu.

Humaniste, mais surtout profondément humain, Cali se confesse avec une sincérité désarmante tout en affichant un bel élan d’empathie.

Il cause finalement de ce qu’il connaît au fond le mieux : lui-même.

Sur ce disque, tu relates des moments forts vécus en compagnie d’êtres chers ; des femmes essentiellement, parties, quittées, envolées. Signaler leur disparition est-il le meilleur moyen de les garder auprès de soi ?

Mon prochain album parle de la disparition des femmes ? Ah bon, je ne sais pas trop... (rires). Elles ne peuvent pas partir ! Tu sais, j'ai perdu ma maman à l'âge de six ans. Pourtant, je lui parle tous les jours. Je lui raconte ce qu'elle n'a pas vécu. Elle est avec moi tout le temps. Même chose en ce qui concerne mon papa. Plus on avance dans l'âge et plus les proches disparaissent. J’ai l'impression que ce sont des anges. Ils sont toujours là, autour de nous, même si nous n'en avons pas conscience. Je ressens le besoin de l’extérioriser, que ce soit dans les bouquins ou dans les chansons.

Mais pour avancer, ne vaut-il pas mieux déchirer la page que de la tourner ?

Non, c'est une erreur ! Les enfants sont toujours là ! Ce sont eux qui tirent le chariot. Il ne faut jamais oublier ce que ces personnes ont laissé. Jamais, je n'oublierai le profond respect qu'avait mon père pour les êtres humains. Je me souviens que lorsqu'il dessinait des maisons derrière son bureau, des gens venaient le voir parce qu'ils étaient dans l’incapacité d’écrire. Il lui arrivait parfois de rédiger des lettres d'amour. Il voulait les protéger tout simplement. Je considère, quelque part, que c'est lui qui m'a montré le chemin. Je reste persuadé que le plus intéressant et le plus important, c'est de tenir la main des êtres humains et d'avancer tous ensemble. Je n'ai pas beaucoup connu ma maman. Mais je sais juste, en regardant sa photo, que c'est elle qui me donne l'envie de sourire aux autres. Tu sais, plus le temps passe et plus j'y pense. Quand on plonge dans l'enfance ou l’adolescence, on se remémore ces moments d'une intensité rare où la vie était devant nous auprès de ces femmes et de ces hommes dont la mission consistait à nous protéger. Lorsque je me réfugie dans ces souvenirs, je me sens préservé. Aujourd'hui, le monde est devenu tellement difficile à cause de ces sacs de chagrin et toutes ces guerres. Quand on était innocent, le cœur disait ses vérités. J'essaie parfois d'aller les chercher. Je ne veux rien effacer

En amour, lorsqu’on se quitte, la plupart des ex sont persuadés avoir perdu du temps en compagnie de cette personne. Et si l’on partait plutôt du principe, qu’au contraire, c’est gagner du temps sur la vie parce que chaque rupture permet d’avoir une angulaire précise et d’affiner ses postulats ?

Purée, j'aime cette réflexion ! Oui, je partage totalement ton point de vue ! Parfois, quand ça va trop bien, j'ai la fâcheuse tendance à me tirer des balles dans le pied. Les blessures permettent aussi de se poser. Je crois que c’est en tout cas la position à adopter en ces circonstances.

Il y chez toi cette volonté de ne jamais abdiquer et de s’enivrer par et dans l’amour et ce malgré ces années qui passent. L’amour est-il le seul intérêt de la vie ?

Oui, bien sûr ! Inconsciemment, j'écris des chansons qui plaisent aux gens. Elles me permettent aussi de tourner. Mais composer, c’est égoïstement prendre du temps pour soi et soigner ses propres blessures. Ce n'est que de l'amour. Que l’on aime ou que l’on soit aimé, il existe cette petite étincelle. Le mal du siècle, c'est la solitude. Quand personne ne t'aime, tu deviens un fantôme qui ne sert à rien. Tu sais, on vit, on meurt. On s'en fout. La vie n'est pas une caisse d'épargne !

L'amour se consomme et se consume aussi...

Oui, tu as raison, l'amour se consomme et se consume. L'amour, c'est comme un cheval, il traverse notre destin, sans savoir où l'on va. Mais, un jour ou l’autre, il faut lui donner à boire. L'amour, c'est pareil, il faut le nourrir. Vivre cette vie magnifique appartient à mes contradictions et mes difficultés. Je ne peux pas être à mille pour cent ni avec l'être aimé, ni les êtres aimés. J’en déduis que l'amour s'en va, mais lorsque je reviens, il revient. Mais quand je ne suis pas là, il n'est pas là non plus.

Les individus heureux en amour perçoivent-ils le sens de tes chansons ?

Je n'en sais trop rien ! Je crois qu’ils comprennent mes chansons, car il ne s'agit pas de philosophie. J'aime l'idée d'attraper des mots qui m'arrachent le ventre. Ces mots ne sont pas les plus compliqués. Me font-ils du mal ou du bien ? Je pense qu’ils peuvent faire du mal ou du bien aux personnes qui sont à mes côtés. Et puis surtout ce que je vis, d’autres le vivent tous les jours en rencontrant des situations différentes. Certains me témoignent d’événements incroyables et vont percevoir dans mes chansons un contenu que je n’aborde même pas moi-même.

J'ai eu la chance de pouvoir écouter ton dernier opus et j’ai l’impression que l’acoustique permet de s’approprier et d’exprimer au mieux cette intimité...

Je partage entièrement ton avis ! Je me suis réveillé un matin, chez moi, avec un tas de chansons. Je suis un très mauvais technicien, alors je dépose mon téléphone, j'allume le dictaphone, je joue du piano et de la guitare et j'y pose ma voix. J'enregistre en compagnie de Julien Lebart, un ami de longue date et un pianiste hors pair, qui a réalisé le disque avec moi. J'adore ce gars, il m'accompagne depuis le début. Il n'est pas présent aujourd'hui. Je n'ai pas envie d’accepter la musique que l'on me propose si elle ne me ressemble pas. Ce matin, j'ai écouté Johnny Cash, Bruce Springsteen (« Nebraska ») ou encore Bob Dylan. J'aimerais que le prochain Cali ressemble à ça. Pour ce disque, j'ai placé le micro à 1m50, j'ai pris l'harmonica et ma guitare. On a fait une prise. Steve Wickham des Waterboys (NDLR : en 2006, Cali était monté sur scène lors du rappel accordé par la bande à Mike Scott, à l’Ancienne Belgique – à lire ou à relire ) est venu y ajouter son violon magique. Un autre ami, de la guitare flamenco. Parfois, il y a de la contrebasse aussi. Le résultat oscille entre des chansons guitare-voix et violon-guitare-voix. Ce que je souhaitais exprimer à travers ce disque, je le murmure encore un peu plus ici. Nous allons bientôt fêter les 20 ans de la sortie de mon premier album, « L'amour parfait ». A côté de cette tournée, une autre s'intitule ‘Ne faites jamais confiance à un cowboy’. Je suis seul sur scène avec ma guitare. Dommage que ce soir, mon groupe et moi n'ayons pas le temps, sinon nous aurions interprété quelques compos. Mes amis sont très rock. Ils ont arrangé les morceaux différemment pour pouvoir être interprétées sur un banc à l’aide d’une guitare.

Tu as enregistré ces chansons en prise unique. Cette méthode te permet-elle d’accentuer le volet authentique ?

J'ose espérer que ceux qui empilent les choses le font de manière authentique ! Quand tu as des mots et une mélodie, deux choses l’une : soit tu habilles le tout pour aller au bal ou tu préfères la nuisette pour aller au lit. La différence se situe à ce niveau ! Perso, je préfère la petite robe de mariée en lin, avec la couronne sur la tête, dans la forêt en Irlande. C'est ce que j'ai fait de mes chansons (rires).

J’ai l’impression d’être en présence un homme différent de celui que j'écoute, plein de nostalgie et d’amertume, et de celui qui prend un malin plaisir en s’appropriant la scène.

Je ne suis pas d’accord avec toi en ce qui concerne l’amertume. Je n’en veux à personne et je ne suis pas aigri ! Vraiment, je ne me reconnais pas dans cette description ! Tu sais, dans la vraie vie, je suis quelqu'un de pétillant. On ne le voit pas forcément ici parce que je viens juste de me réveiller (rires). Mais, crois-moi, habituellement, je suis un gros déconneur. J’aime faire le pitre. D’ailleurs, je me suis blessé tout récemment au niveau du ligament. Heureusement, ce n’était pas sur scène. Lorsque je me produis en live, j'aime garder le côté sauvage tout en absorbant cet amour du public. J’en profite un maximum. C’est un moment récréatif, je suis avec mes potes.

Justement, pourrais-tu nous parler des musiciens qui t’accompagnent sur cette tournée ?

En réalité, je n’étais pas certain de pouvoir tourner cet été. Finalement, nous avons décroché une vingtaine de festivals. Je suis accompagné du guitariste de Mylène Farmer, du bassiste de Peter Doherty, du claviériste de Paul Personne et du batteur de Louis Bertignac. Ce sont des amis qui font du rock ou du blues. Je leur ai dit qu'on était là pour s'amuser. Dans le bus on s’éclate. Tout comme dans la vie d’ailleurs...

Un des titres qui a permis au public de te faire connaître est « C’est quand le bonheur ». Malgré la reconnaissance, le succès, les rencontres, les critiques positives et le rendu du public, tout est relatif. Je crois que la seule est vraie question à se poser serait ‘C’est quoi le bonheur’ ?

Tu sais, la vie d’artiste est faite de hauts et de bas. J’aime dévorer les biographies et les autobiographies. Est-ce que tu as lu celle de Springsteen intitulée ‘Born to Run’ ? Je te la conseille vivement ! Ce type est un extraterrestre ! Il ne faut pas nécessairement aimer l’homme pour lire cet ouvrage. C’est quelqu’un qui connaît l’être humain. Celle de Charlélie Couture décrit également des périodes de son existence très hautes et très basses. Pareil pour des gars comme Hubert-Félix Thiéfaine ou Bernard Lavilliers. Ce sont des totems, ils sont toujours là ! Le monde musical côtoie beaucoup de fake et de faux ! Heureusement que parfois tu croises des gens vrais dans un instant de grâce…

Lors d’une interview accordée à Muziczine, il y a quelques années, tu déclarais : ‘Pour moi le bonheur, ce n’est ni le passé, ni le futur, mais ces moments où l’on réalise ce qu’on vit sur l’instant’. Alors que dans le passé, tu semblais vivre l’instant présent, aujourd’hui, tu me donnes l’impression de te questionner davantage…

Je me souviens que lorsque j’avais 13 ans, sur la place de mon village, j’avais prédit que lorsque je serai grand, je deviendrai troubadour et que j’aurai plein d’enfants. Je suis devenu troubadour. Pour ce qui est des enfants, là aussi, j’ai accompli mon rêve puisque j’en ai quatre. Je souhaitais aussi vouloir mourir en Irlande. Navam (NDLR : une ville du comté de Meath, en Eire) me plaît beaucoup. J’aimerais effectivement un jour m’y établir. Mes musiciens irlandais y habitent et il m’arrive de leur rendre visite. Perso, le bonheur serait de vivre dans un petit cottage auprès de mes enfants et regarder les moutons et la mer, tout simplement.

Il y a aussi cette notion du temps qui passe. Dans l’une de tes chansons, tu cites : ‘Mes boucles noires ont disparues/Je perds mes cheveux sur le dessus’. Quel est ton rapport au temps et comment l’appréhendes-tu ?

Je suis fasciné par le temps ! J’ai assisté au concert des Rolling Stones, la semaine dernière, à Paris. Malgré ses 79 printemps, Mick Jagger est impressionnant de vitalité. Quand on dit de quelqu’un de cet âge qu’il est en forme, on sous-entend qu’il arrive à marcher, à se nourrir, etc. Jagger sur scène est un gosse. Ses musiciens, pareil. Ils ont ce soir-là saupoudré le public de quelque chose de magique. Je dois dire que ce show m’a communiqué une énorme pêche. En ce qui concerne le rapport au temps à proprement parler, tout va trop vite, comme un élan. Il y a un instant, nous parlions de « C’est quand le bonheur ». L’album dont est issu cette chanson est paru en 2003. Tu imagines, l’année prochaine, je fêterai ses 20 ans ! J’ai l’impression que c’était hier ! Tout le monde vieillit, c’est étourdissant ! Mais attention, ce processus ne me perturbe pas pour autant ! Sans doute, faut-il en profiter davantage, encore plus croquer la vie et faire n’importe quoi pour rigoler.

L’hommage rendu à Alain Souchon est émouvant. Pourtant, il y a plein d’autres artistes qui auraient mérité autant d’égards. Pourquoi lui et pas un autre ?

C’est une histoire particulière ! Il ne me connaissait pas, mais il est parvenu à se procurer mon numéro de téléphone et m’a passé un coup de fil. A l’époque, j’étais à Orly. Il adorait mes chansons. J’estime ce geste tellement touchant. Je l’ai croisé à plusieurs reprises ensuite. Souchon est un homme bourré de talent, d’une gentillesse et d’une tendresse exemplaires. Au fond, aimer, c’est admirer. Et admirer, c’est aimer. Il m’a peut-être influencé. Je crois qu’un jour, je vais consacrer une chanson à chacun de ces personnages. Ce sera une manière de leur dire merci.

Dani mériterait également sa place…

Je viens de perdre effectivement mon amie Dani. Sa disparition me bouleverse totalement. Je me suis saisi de mon stylo et j’ai griffonné quelques lignes en sa mémoire. Est-ce l’ébauche d’une chanson ? Je le pense, oui ! Je vais continuer à lui murmurer plein de choses à l’oreille. Si je réalise une rétrospective de mes chansons, j’y ai déjà cité pas mal de monde. Je viens du bal de village. Je faisais exactement ce que les gens souhaitaient. J’y prenais énormément de plaisir. Les gens adoraient parce qu’on savourait ce qu’on faisait. Même si certaines compos étaient plus obscures, les gens dansaient quand même, uniquement parce qu’on parvenait à les jouer et qu’on les appréciait. Pourquoi d’ailleurs, aurions-nous dû prendre le parti de s’attaquer à des chansons que nous n’aimions pas ? Il m’arrive aussi parfois de m’approprier celles des autres.

Tes long playings sont très différents. Comment se construisent-ils ? Le label impose-t-il une direction ou un genre particulier ? Que se passe-t-il entre la page blanche et l’album ?

Je conseille aux jeunes qui débutent d’engager un réalisateur. Je ne le voulais pas. C’est pourtant une démarche importante parce qu’il va amener un regard extérieur primordial, tout en y apportant des conseils judicieux. Daniel Presley a apporté sa collaboration lors du premier album. Il avait été conçu à l’origine en guitare/voix. Presley a pu y apporter sa patte sur les arrangements. J’ai pu bénéficier, au cours de ma carrière, du concours de Mathias Malzieu (NDLR : le chanteur/compositeur de Dionysos), Scott Colburn qui a bossé avec Arcade Fire ou encore Geoffrey Burton, guitariste belge. Puisqu’il existe un contrat qui te lie à ces personnes, ils possèdent un droit de regard sur ce que tu fais. Effectivement, il faut prévoir des chansons pour la radio, c’est une question inévitable. Tu sais, il semble que je commence à me faire vieux pour y passer. Je crois qu’il va falloir sans doute attendre encore un peu avant d’y être à nouveau programmé… dans la catégorie des vieux (rires). Nous sommes quelques-uns dans cette situation. Personnellement, je m’en fiche. Pour ce dernier disque, je suis en licence. Par conséquent, je suis responsable du produit fini. Julien (Lebart) et moi, nous ne nous sommes posé aucune question. Quand on crée de la musique, c’est pour être libre. Malheureusement, souvent, ce n’est pas le cas. Il s’agit d’un commerce, il faut vendre. Aucun patron ne me dirige et je ne suis pas le patron non plus. Ceux qui m’entourent sont davantage des conseillers. Jamais ils ne me donneront des directives contraignantes. En y réfléchissant, c’est quand même un luxe (rires).

A t’entendre, l’industrie du disque est une machine qui pourrait bouffer de l’intérieur les artistes…

J’ai écrit mon troisième roman ‘Voilà les anges’ sur cette thématique. Je débute cette histoire par un chanteur aigri. Mon dernier spectacle s’ouvre par ce même type de personnage. L’histoire d’un clochard, qui après s’être endormi avec sa guitare sur un banc, s’éveille face au public. Je raconte aux spectateurs qu’avant j’étais chanteur. Je leur demande s’ils s’en rappellent pour enchaîner par « C’est quand le bonheur » et une kyrielle de belles chansons. J’explique au public que je ne pouvais plus écrire parce que j’étais en quelque sorte empoisonné et que c’était malhonnête. Aujourd’hui, j’écris des chansons pour les jeunes qui passent et me regardent. C’est un peu le thème du spectacle.

Arno, un artiste belge, nous a quittés tout récemment. Sa seule limite était l’imagination. Touche à tout, tour à tout acteur de théâtre, écrivain, et chansonnier, je crois que vous avez ce point commun. Est-ce que je me trompe ?

Je me réfugie souvent derrière cette phrase ! Tantôt, on parlait de gentillesse, lui était un gentil. Certains l’ont connu plus que moi, mais nous avons eu l’occasion de partager quelques nuits ensemble. Arno était un protecteur. Un jour, en compagnie de ma famille, nous l’avons croisé à Bruxelles. Je lui exprime mon envie de manger des moules frites. Il se gratte la tête d’un air interrogatif. Une vieille dame s’approche et lui explique qu’il ne s’agit pas de la saison des moules tout en lui tapant la tête avec un parapluie. A cet instant, il y avait tout de la Belgique. Quand on regarde dans le rétroviseur de sa vie, il a creusé cinquante millions de choses. Sa mort provoque aujourd’hui de la souffrance, du chagrin et du désespoir, mais à côté de cette compassion, il y a une petite lumière qui s’appelle la vie, il faut s’y accrocher.

J’aimerais revenir sur une de tes collaborations avec James The Prophet lors d’une émission de ‘Taratata’. Vous vous étiez réapproprié magnifiquement un titre de Prince, « Purple Rain ». Chacune de tes collaborations sonne comme une évidence. Pourrais-tu imaginer un jour réaliser un album centré sur celles-ci ?

J’ai eu la chance de croiser Augustin Charnet. Nous bossions sur le projet de Léo Ferré. Ensuite, nous avons réalisé l’album « Cavale ». C’est un ami. Il n’est pas présent aujourd’hui car il s’est cassé deux doigts cet été. Cet homme m’a permis de découvrir une jeune génération, mais aussi de nouveaux sons. Je me suis beaucoup amusé lors de cette émission de ‘Taratata’. Cette jeune génération détient les clés en s’ouvrant davantage sur le monde. Il n’y a plus de limite, on chante dans la langue que l’on veut. On doit prendre exemple sur ces jeunes artistes. J’ai été subjugué par le travail de James. Ma fille, Coco, est violoncelliste et pianiste. Elle baigne dans le classique. Elle me fait écouter des musiques étonnantes qui me touchent énormément alors qu’elle n’a que 17 ans. Elle a vu le film retraçant la vie d’Elvis dont elle ne connaissait rien. Elle l’a trouvé exceptionnel. Je lui avais conseillé de regarder le ‘biopic’ pour découvrir l’homme parce qu’il est à la source de tout. Je suis très fière de ma fille. Elle vient de rentrer au Conservatoire de Paris et a obtenu 20/20 au bac de français…

 

 

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