La substitution d’Edouard van Praet

Edouard van Praet a publié son nouveau single, « Remplaçable », ce 2 mai 2024, une chanson délicate et rêveuse à la basse hypnotique, aux synthés mignons et aux guitares discrètes. Entre pop et punk doux, les paroles en français à la reverb’ profonde évoquent…

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Le Yam 421 ou le 5 000 pour Bright Eyes ?

Bright Eyes sortira son nouvel elpee, « Five Dice, All Threes », ce 20 septembre. Ce sera son 10ème. Lors des sessions, Conor Oberst, Mike Mogis et Nate Walcott ont reçu le concours de plusieurs invités dont Cat Power, Matt Berninger de The National et Alex…

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Graham Nash

Nous n'avons qu'une planète…. et nous sommes occupés de la détruire…

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Ex-membre de Crosby, Stills, Nash & Young, Graham Nash sort son premier album ‘live’… à 80 ans !

Fondateur des Hollies dans les sixties, membre CS&N puis de CSN&Y, il peut se targuer d’une carrière impressionnante de musicien, mais aussi de photographe, voire d'auteur ; et bien que Britannique, il n'a jamais cessé de s'engager aux Etats-Unis pour la paix, la dénucléarisation ainsi que la justice sociale, et ce, jusqu'à aujourd'hui.

Jeune… octogénaire, il sort aujourd'hui un live qui reprend intégralement ses deux premiers elpees solos, assurément les meilleurs…

C'est votre premier LP ‘live’ depuis le début de votre carrière solo : pourquoi maintenant ?

L'explication tient en deux mots : mon épouse ! (rires)

Elle souhaitait absolument que j’interprète les morceaux de mes deux premiers albums solos dans leur intégralité. Vu cette pression maritale, j'ai monté ce projet.

Des titres comme "Military Madness" ou "Be Yourself" résonnent malheureusement toujours de façon très actuelle…

En effet. Je viens de terminer une tournée de 22 dates, et d'habitude je commence le concert par une chanson classique de mon répertoire, afin que les spectateurs s'installent tranquillement, rejoignent leur fauteuil, tombent la veste….

Mais à cause de la guerre en Ukraine, j’ouvre désormais mon set par "Find The Cost of Freedom" de Crosby, Stills, Nash and Young pour ensuite embrayer par "Military Madness", en parlant de l'Ukraine et de Poutine.

Comme cofondateur de MUSE (Musicians United for Safe Energy) en 79, une organisation qui luttait contre le développement des installations nucléaires, continuer encore et toujours à vous battre pour la dénucléarisation de la planète doit vous paraître insensé ?

Le reste du monde est complètement terrifié par la perspective que quelqu'un comme Poutine, dont beaucoup aujourd'hui pensent qu'il est actuellement une sorte d'handicapé mental, a le doigt sur le bouton de cinq mille têtes nucléaires. Chacune d'elles sont mille fois plus puissantes que les bombes qui ont détruit Hiroshima et Nagasaki.

Si Poutine est poussé dans ses derniers retranchements, il ne fait nul doute dans mon esprit qu'il appuiera sur le bouton.

Cette forme de ‘protest songs’ est donc toujours d'actualité ?

C'est certain, et pour d'autres sujets comme l'immigration ("Immigration Man", enregistré en compagnie de David Crosby), "Oh ! Camil", chanson que j'ai écrite au sujet du Vietnam…

Toutes ses compos prennent encore sens aujourd'hui. Rien n'a changé…

Et même lorsque vous avez participé à ‘Occupy Wall Street’ en compagnie de David Crosby ?

Absolument, et pourquoi pas ? A mon âge, j'essaie encore de vivre la meilleure existence qui soit.

Seriez-vous une sorte de Bernie Sanders du rock ?

(il rit). J'adore Bernie. J'ai voté pour lui et je l'ai supporté durant sa dernière campagne.

En ce qui concerne "Chicago : We Can Change The World", vous vous référez à Trump, mais en modifiant les paroles. Pourquoi ?

Parce que ce sont toujours les mêmes satanés événements qui se produisent encore et encore. On dirait que nous n'avons rien appris de l'histoire, de l’avènement et la chute des empires…

Je voulais faire comprendre au public que cette folie militaire dure depuis des siècles, et durera encore pour les siècles à venir. Parce que l'humanité, à ces niveaux de pouvoir, est tout à fait stupide.

Vous êtes également un pionnier en matière d'écologie…

Pourquoi pas ? Nous n'avons qu'une planète…. et nous sommes occupés de la détruire.

Qu'allons-nous faire ensuite ?

Déménager sur Mars ou la Lune et commettre les mêmes erreurs ?

Julian Assange peut désormais être extradé de Grande-Bretagne vers les États-Unis. Comme anglo-américain, qu'en pensez-vous ?

Il essayait d’accomplir ce qui était juste. Julian Assange a toujours tenté d’étaler la vérité au grand jour, et malheureusement il s'est retrouvé prisonnier de la politique britannique. Et je réprouve son extradition vers les États-Unis où il sera jugé.

Les journalistes devraient toujours être protégés.

Au cours de votre carrière, vos photographies se sont-elles révélées plus importantes que vos mémoires publiées en 2014 ou est-ce l'inverse ?

Ma musique, la photographie, mes écrits ou mes positions émanent tous de la même énergie. Je supporte l'underdog : je soutiens toujours l'équipe qui n'était pas sensée gagner, mais qui y est parvenue. Aux cow-boys, je préfère les Indiens…

Durant votre période Crosby, Still and Nash, vous aviez hérité du surnom Willy. Pourquoi ?

Parce que mon identité complète est Graham William Nash. C'est ainsi que je devine l'âge de mes amis… S'ils m'appellent Willy, c'est qu'ils me connaissent depuis au moins cinquante ans ! (rires)

Que faisiez-vous de votre ‘englishness’ à l'époque dans un groupe américain ?

Rien. Disons que j'ai juste apporté le savoir acquis chez les Hollies, que j'avais fondés avec Allan Clark, en décembre 62.

Mais vous étiez anglais ?

Oui, je crois (rires). J'ai amené avec moi la faculté d'écrire une chanson que vous ne pouviez oublier si vous l'aviez écoutée deux fois. Faculté que nous possédions chez les Hollies. Il est cependant vrai que nous alignions des tubes dont les mots n'étaient pas d'une profondeur vertigineuse.

Lorsque j'ai déménagé en Amérique pour rejoindre David Crosby et Steven Stills, je me suis rendu compte que si je pouvais mettre davantage de profondeur dans les paroles, je signerais de meilleurs morceaux.

Quelle est l'importance du skiffle dans votre carrière ?

Il est essentiel. Parce qu'il était à la fois facile de pratiquer ce genre musical et de former un groupe lorsque vous saviez en jouer : une guitare acoustique bon marché, la planche à laver sur laquelle votre grand-mère avait l'habitude de préparer la lessive, et des dés à coudre au bout de doigts qui servaient de percussion.

Après la Deuxième Guerre mondiale en Angleterre, la plupart des garçons de 15 ans n'avaient pas grand-chose à faire et manquaient d'argent ; mais si vous pouviez vous offrir une guitare acoustique bon marché, et que vous connaissiez trois accords, vous pouviez pour ainsi dire jouer toutes les chansons que Buddy Holly avait écrites.

Une sorte de musique do-it-your-self ?

Tout à fait.

John Mayall et vous êtes deux survivants d'une époque…

C'est sûr. Mais vous devez bien comprendre qu'il est bien plus âgé que moi ! (rires)

J'ai assisté au concert d’Andrés Segovia, le génie espagnol de la guitare à San Francisco alors qu'il avait 92 ans et il m'avait ébloui.

Si je parviens à vivre jusqu'à cet âge, je voudrais bien continuer à jouer de la musique comme lui.

Il n'y a pas d'âge pour le rock ?

Non, même Mick Jagger a plus de 30 ans ! (rires)

Graham Nash : « Live – Songs for Beginers / Wild Tales » (V2) paru le 6 mai 2022

 

The Dream Syndicate

Je ne suis pas américain, mais j'habite New York

Écrit par

Emmené par Steve Wynn, The Dream Syndicate Groupe est un groupe culte des eighties. Ressuscité il y a dix ans, il a pris une autre dimension depuis sa reformation, symbolisée par "Ultraviolet Battle and True Confessions" son dernier elpee, comme l'explique son leader…

Californien devenu new-yorkais il y a 25 ans, Steve Wynn a réactivé The Dream Syndicate en 2012, plus de vingt ans après sa disparition. Auteur, par ailleurs, d'une carrière solo intéressante, lui et son nouveau ‘syndicat’ ont depuis 2017 gravé autant d'albums studio, c'est-à-dire quatre, qu'au cours de leur période initiale. Le dernier confirme la tendance observée depuis la reformation, celui d'un passage des guitares noisy à un univers psychédélique krautrock mêlé de jazz et de shoegazing assumés et… assurés.

Qui a-t-il de changé depuis la reformation du groupe en 2012 ?

Ces quatre derniers albums, dont celui-ci, nous ont permis de réécrire la fin de notre propre histoire, tout en préservant le son, l'esprit et l'épopée du groupe initial, mais en les décalant vers un psychédélisme, en migrant d'une formation de guitares ‘en avant’ vers du rock alternatif au synthé à l'image des Headphones, une image plus fidèle de ce à quoi nous voulions correspondre dès le départ. Bref, nous sommes meilleurs aujourd'hui que nous ne l'étions à l'époque.

Votre carrière solo a-t-elle modifié votre vision du groupe ?

C'est certain. Je me souviens qu'au moment d'enregistrer ces quatre premiers albums, autant j'adorais ça, autant j'étais dans un état de panique constante en studio, craignant qu'avant la fin de l'enregistrement, nous ne soyons en mesure de finaliser le morceau tel que je l'avais imaginé. Au fil du temps, je suis devenu plus à l'aise tant pour composer, entrer en studio ou monter sur scène.

Ce n'est plus un problème, mais une sorte de seconde nature, exempte d'une quelconque nervosité ou insécurité. On peut appeler cela l'expérience… (il sourit)

Vous vivez à New York à présent. Le fait d'y déménager a-t-il influé sur votre musique ?

Absolument. J'ai déménagé de Los Angeles il y a quasi trente ans, après la première période du groupe. J'ai toujours aimé New York et souhaité y vivre. J'y suis venu pour la première fois lorsque j'avais 21 ans et suis tombé amoureux de la ville. Pas seulement à cause de la vitesse, de la vibe et du look de cette mégapole, mais également de sa culture musicale, que ce soit le Velvet Underground, Television ou les Ramones, la littérature, Norman Mailer, le cinéma avec Martin Scorsese... bref, tout ce qui était New York m'attirait.

Et lorsque j'ai déménagé, tout a changé pour moi. J'étais sans doute dans une période de doute et d'incertitude, plus jeune ; m’installer à New York m'a procuré un capital confiance. Je ne pourrais imaginer vivre autre part.

Est-ce un cliché de prétendre que New York est la plus européenne des villes américaines ?

Pas forcément européenne, mais certaines mégapoles vivent en dehors de leur propre pays. Quand on me demande ce que je pense en tant qu'américain, je réponds : ‘Je ne suis pas américain, mais j'habite New York’ (rires)…

Votre musique sonne un peu comme du punk new-yorkais justement, celui de Televison, d'Alan Vega…

C'est sûr. Je suis né et j'ai grandi à Los Angeles, et je serai le premier à défendre cette ville. Mais, même si j'apprécie les Beach Boys ou Buffalo Springfield, ces formations n’ont jamais fait partie de ce à quoi j'aspirais musicalement, ce côté ensoleillé, poppy. J'étais plutôt dans la veine de Suicide, plus noire. Nous, The Dream Syndicate, ne sommes pas des gens sinistres dans la vie, mais, musicalement, nous gravitons autour de ce genre d'ambiances.

"Damian" est une compo qui aurait pu naître de la rencontre entre Roxy Music et de Steely Dan ; et justement, ils étaient issus de New York...

S'il existe un groupe chez The Dream Syndicate qui met tout le monde d'accord au niveau des influences, c'est bien Roxy Music, dont nous sommes tous de grands fans. En compagnie de Jason Victor, le guitariste, nous avons monté, à New York, un groupe de reprises de Roxy Music auquel nous nous consacrons notre temps libre. Sal Maida, notre ami bassiste dans cette formation ponctuelle, était d'ailleurs celui de Roxy Music, au cours des seventies.

Quant à Steely Dan, il a toujours été un de mes groupes favoris. Ce qui est amusant à propos de ce duo new-yorkais, pour en revenir à la comparaison Los Angeles-New York, c'est qu'en surface ils possèdent ce côté harmonie et cette superficialité californienne, démentie par un propos souvent grave.

Et j'ai toujours aimé cette étrangeté sombre sous la surface ensoleillée.

"Damian" est en effet une sorte de chanson pop lumineuse, mais dans laquelle quelque chose se produit au niveau des personnages, des paroles, de l'histoire et même de la musique. Il y règne un trouble indéchiffrable et inquiétant. Une chanson, en effet, très Steely Dan…

C’est pareil pour le titre de notre album. Steely Dan communiquait à ce sujet quelques indices et il appartenait à l'auditeur d’imaginer le reste. Une idée qui nous plaisait...

À votre avis, quels groupes pourraient être vos successeurs ?

Certaines formations sont fan de notre musique comme Yo La Tengo, Galaxy 500 et même les Black Crowes. Je ne parlerais pas de successeurs, mais tous les musiciens que je connais sont avant tout de grands fans de musique possédant des collections de disques impressionnantes ; en tout cas ceux de ma génération. Nous étions tous des mordus de musique qui ressentaient le besoin irrépressible de nous intégrer nous-mêmes dans notre collection de disques... c'était notre plus grande motivation ! (il rit)

Je me souviens avoir jeté un œil sur la mienne en me disant : ‘Ah, the Dream Syndicate est avant Dylan, mais après les Doors’. Se voir soi-même rangé parmi les albums de vos artistes préférés vous rend fier. Les groupes d'aujourd'hui qui nous apprécient et sonnent un peu comme nous ont sans doute la même panoplie de disques que nous ; peut-être ont-ils écouté The Dream Syndicate, mais certainement le Velvet, Television et des artistes de ce genre. Nous appartenons à la même mouvance que les Modern Lovers, The Only Ones ou The Gun Club…

Etre culte vous laisse quelle impression ?

(Il rit) Je suis très satisfait de ma vie, de ma carrière. J'ai en fait connu le parcours que la plupart de mes héros ont vécu.

Je connais beaucoup de formations qui rêvaient d'être les Beatles, que j'aime, mais je savais que ce ne serait pas moi. J'en ai observé d'autres qui ont développé et inspiré un public réduit, mais fidèle et dévoué, et qui procuraient l'envie à ceux qui les écoutaient de faire de la musique ou de trouver dans leur existence une certaine clarté. À mon tour, j'ai connu cette carrière... ce qui me convient très bien (il sourit)

The Dream Syndicate : Ultraviolet Battle and True Confessions (Fire Records / Konkurrent)

En concert

20 octobre 2021 – Het Depot, Louvain

21 octobre 2021 – De Zwerver, Leffinge

 

 

Duran Duran

Duran Duran, des nouveaux ou des anciens romantiques ?

Écrit par

Près de quarante-cinq ans d'existence pour Duran Duran, archétype des groupes de nouveaux romantiques au cours des eighties qui, malgré les changements de personnel, s'est maintenu à flots, a vendu plus de 80 millions d'albums, et sorti fin de l'année dernière « Future Past », sans doute l'un de ses meilleurs opus depuis... le premier. Rencontre avec le bassiste John Taylor, co-fondateur du groupe, qui lui aussi semble insensible au passage du temps. Ce qui atteste que Duran Duran est fait pour encore... durer durer…

Vous avez fondé Duran Duran en compagnie de Nick Rhodes lorsque vous fréquentiez une école d'art, tout comme Bryan Ferry de Roxy Music que vous écoutiez, et vous avez conçu la pochette du premier elpee. Quelle a été l'importance des arts dans la naissance de Duran Duran ?

Il existe une tradition, chez les musiciens anglais des années soixante notamment, de fréquenter les écoles d'art. Si vous ne vouliez pas passer par le versant académique de la musique, ce que très peu de musiciens rock ont fait, les écoles d'art ont toujours été une façon de prendre le temps. Par exemple, si vous ne voulez pas commencer un travail parce que vous avez un rêve, et certainement pas un boulot qui pourrait saper votre énergie et votre enthousiasme, vous optez pour l'école d'art ! (il rit)

Ce n'est pas que peindre et dessiner ne m'intéressait pas, mais, en même temps, à l'époque, en fréquentant ce genre d'école, il me semblait qu’il aurait été plus facile de rencontrer quelqu'un prêt à se lancer dans l’aventure d’un nouveau groupe. Et c'est ce qui s'est produit.

Vous êtes issus de Birmingham ; mais êtes-vous plus proche de Black Sabbath, originaire de la ville ou du club de foot local d''Aston Villa dont vous êtes ‘supporter’ ?

(il rit) Je pense que les deux appartiennent à la légende de la cité. Mais c'est une ville intéressante lorsque l'on grandit. Ce n'était pas une grande métropole comme Londres, mais tout passait par Birmingham. Et c'était une ville qu'il était facile à conquérir. Lorsque j'étais adolescent, je connaissais chaque salle de concert, chaque disquaire, chaque ruelle de la cité.

En Angleterre, les habitants des Midlands, les Midlanders, sont considérés comme humbles et tranquilles. Plutôt un profil ouvrier et pas du tout arrogant ou bling-bling.

Trois d'entre nous sommes issus de Birmingham et y avons grandi. Simon y étudiait l'art dramatique à l'université, tout en étant originaire de la région de Londres, et Andy Taylor, notre guitariste, venait lui du Nord-Est de l'Angleterre, de Newcastle très exactement ; un gars du Nord, plus rugueux, qui est descendu dans les Midlands pour rejoindre la formation.

Bien que le noyau dur soit originaire de Birmingham, nous possédions ces deux particularités : un côté plus brut, plus dur, qu'Andy apportait avec lui du Nord et de l’autre, une sophistication que Simon amenait de Londres. Quelque part, l’arrivée de ce dernier atténuait ce caractère des Midlands qu'aurait pu afficher Duran Duran ; cette image du type moyen que nous aurions pu incarner en provenant tous de cette région d'Angleterre. Cela nous a bien aidés...

Que reste-t-il, d'après vous, de l'image des nouveaux romantiques, aujourd'hui ?

Je ne sais pas… Focalisons-nous d'abord sur ce qu'elle était à l'époque. Commençons d'abord par le punk, qui était en colère, politique. Un genre autocentré, pas romantique, pas de la musique sur laquelle danser. Un mouvement plutôt rebelle.

La vague suivante, la new wave, admettait les chansons d'amour, au contraire du punk, et, opérait un retour à des morceaux sur lesquels il était permis de danser... et pas de pogoter.

Les nouveaux romantiques en étaient une forme sophistiquée et Simon était sans doute le parolier le plus romantique du début des années 80.

C'est certainement l'une des raisons pour lesquelles les jeunes filles aimaient tant notre musique.

C'était très ‘keatsien’, très poétique, et, en même temps, oblique, inhabituel : ‘des devinettes enveloppées dans des énigmes’ comme l'on dit en anglais, à l'instar de la chanson "The Reflex".

La situation est compliquée aujourd'hui, car musicalement, nous ne sommes pas dans une période hautement romantique

La vague suivante, illustrée par U2 et Sting, se voulait d'une intense réalité. De la musique pour les masses.

Simon venait du punk ?

Mais le punk se concentrait vraiment sur la singularité. C'était avant tout un esprit, qui donnait l'envie de jouer, mais je n'ai jamais voulu écrire de chansons politiques.

J'écoutais bien sûr les Clash et j'aimais leurs paroles et leur engagement, mais je savais que musicalement ce ne serait pas mon truc.

Notre dernier album « Future Past », sorti fin de l'an dernier, est très romantique et le line up du groupe est le même que sur le premier, hormis le guitariste. Il y a donc une philosophie légèrement autre dans le groupe, parce que désormais Graham Coxon de Blur nous a rejoint. Un musicien un peu plus intellectuel qu'Andy Taylor. C'est un tantinet plus existentiel, plus réfléchi, mais dans les grandes lignes, c’est le même mode opératoire que sur le premier album.

D'une certaine façon, quarante ans plus tard, Duran Duran est encore un groupe de nouveaux romantiques.

Nick Rhodes n'arrête pas d'asséner que nous sommes ‘un groupe moderne, un groupe moderne…’ Et j'avais l'habitude de lui rétorquer : ‘What the fuck does that mean ?’ (rires)

Mais désormais, je suis en mesure d'apprécier de ne pas être, bien sûr, un band de blues rock, mais que nous sommes capables d'inclure constamment de nouveaux éléments dans notre musique, si nous le souhaitons, et de les diluer dans l'approche Duran Duran.

Mais c'est un boulot délicat de s'ajuster, de s'adapter à de nouveaux sons et styles, et il faut agir prudemment. Parfois, l’expérience fonctionne et parfois... c'est un désastre. (il rit)

Vu la reprise de « Save the prayer » d’Eagles of Death Metal et des attentats de Paris perpétrés lors de son concert au Bataclan qui ont suivi cette version, l’impression est-elle différente depuis ces évènements lorsque vous l’interprétez ?

Cette chanson ne nous appartient plus. Elle est tombée, au sens propre, dans le domaine public...

Nous nous connectons aux émotions des fans qui la chantent avec nous… et même seuls désormais, nous devons juste nous asseoir et, dans mon cas, jouer de la basse.

Interpréter un tel morceau est incroyable, peu importe l’affluence du public qui nous fait face. Les auditeurs ont toujours eu une connexion très forte avec cette chanson, et ce, dès sa sortie. C'est un privilège que de jouer « Save a Prayer » …

 

 

Bertrand Belin

Un charpentier sans langue de bois…

Écrit par

En gravant "Tambour Vision", mais sans trompettes, Bertrand Belin propose un album dénudé, mais pas dénué d'intérêt…

Après avoir joué dans la comédie musicale des frères Larrieu, ‘Tralala’, dont il a composé la musique, c'est le mode du huis-clos qu'a choisi Bertrand Belin pour son nouvel et septième elpee. En fait, un tête-à-tête face à son complice de longue date, Thibault Frisoni.

Le Breton aux paroles parfois granitiques, qui est aussi écrivain et comédien, dépouille, dans "Tambour Vision", sa musique. Une musique qui évoque quelquefois aussi bien Erik Satie qu'une cold wave épurée, organique et parfois ironique, tout en rendant hommage, dans les textes et la voix, à Kat Onoma ainsi qu’au regretté Alain Bashung au travers d'une fantaisie qui n'a rien de gratuite ni de… militaire.

L'opus est à ce point dépouillé que "Carnaval", le titre de la première chanson, constitue plutôt un appel à tomber le masque…

Pour "Carnaval", je voulais plutôt nous montrer tel que nous sommes, l'envers du décor, de l'homme comme je le signale dans la chanson. De renverser les codes sociaux, les valeurs de comportement, les évidences, les genres, de mettre les choses cul par-dessus tête.

Le mot cul revient d'ailleurs souvent dans l'album ?

Me rendant compte que tout le monde en avait un, je me suis dit qu’en parler allait intéresser les Français. (rires)

"Que Dalle Tout" révèle un aspect Mathieu Bogaerts, mais également électronique dépouillée à la Ellie et Jacno.

C'est en effet très dépouillé comme chez Mathieu Boogaerts auquel le morceau ressemble dans la pulsation, la manière d'agencer les rythmes entre eux qui est assez méticuleuse. Mais il s'agit d'une autre esthétique

"Tambour" adopte un profil années 80, cold wave, Stranglers époque "La folie"…

C'est sûr ! Une époque où les synthés étaient très présents, mais où l'on n'en avait pas complètement fini avec le rock, le punk ayant sévi juste avant. Ellie et Jacno procèdent de ce post punk qui vient s'aciduler avec les synthés. J'aime bien cette période que je n'ai pas connue, car j’étais trop jeune. Les synthés sont revenus en odeur de… sainteté depuis une vingtaine d'années ; soit en revisitant des œuvres très savantes, dans l’esprit de Pierre Henry, soit en se référant aux productions des années 80, comme celles de Madonna.

Mais d'autres musiciens comme ceux de Can, Alan Vega ou Martin Rev taquinaient aussi ces machines. J'ai davantage le goût de cette esthétique rock plutôt que de la variété du style Michel Berger, qui a suscité beaucoup d'émules en France.

J'aime les styles râpeux.

Paradoxalement, vous utilisez le mellotron que l'on associe plutôt à la vague psychédélique ?

Je l'utilise surtout pour les instruments à vent, bien que je me serve souvent du sax ou des flûtes, mais pas à la façon des Beatles sur "Strawberry Fields". Dans cette ambiance de sons synthétiques et de boîtes à rythmes qui caractérise cet album, le mellotron apporte une dimension analogique. Les non-spécialistes ont l'impression d'entendre des saxophones.

Dans "Que Dalle Tout, vous chantez ‘je viens d'une ligne de zéros’.

Il y a un côté déterminisme social dans la chanson. Pierre Bourdieu, sociologue disparu il y a tout juste 20 ans, cela vous parle ?

Oui, bien sûr, mais je chante ‘je viens d'une longue lignée de zéros et de uns’. Bourdieu m'intéresse, mais c'est avant tout mon expérience personnelle qui me parle.

Et puis des ausculteurs de transferts de classes et de l'atavisme, il y en a d'autres…

Quelque chose se joue du côté de l'héritage dans la vie : il y a ceux qui héritent d'une lignée d'ivrognes et d'autres d'une multinationale. On pourrait peut-être organiser des petits passages entre ces deux ensembles afin de partager les choses.

Mas je ne parle pas d'une lignée de zéros au sens péjoratif du terme. Les zéros et les uns signifient d'abord qu'il y a couples ; cela évoque ensuite le code binaire de l'informatique, de la sécurité sociale, de gestion des générations. C'est une allusion ironique au fait que nous ne faisons que passer dans les méandres de l'économie planétaire.

"Le Maître de Luth" me fait penser à Robert Wyatt…

Vous ne pouvez pas me faire plus plaisir. C'est une chanson qui subit les influences du jazz et d'un certain lyrisme opératique réalisé avec trois bouts de ficelle.

Et puis il y a le chant élégiaque de Robert Wyatt. Ainsi que cette forme de liberté la plus large possible, même si le résultat est assez caressant. Chez Wyatt, les formes musicales ne sont pas aussi tarabiscotées, mais elles sont accessibles et singulières en même temps. On devine beaucoup de gentillesse et de bonté chez Robert Wyatt.

Sur cet elpee, on sent une liberté qui évoque Eric Satie : un côté ironique, une audace, tout en restant dépouillé…

Il y a d'ailleurs sur "Que Dalle Tout" une petite citation des "Gymnopédies" dans la ligne de saxophone.

Satie m'a toujours paru sympathique ; outre sa musique dont j'aime particulièrement "Pièces froides", il s'agit d'un personnage qui évolue à la lisière de la musique savante, mais qui, dans la forme, a réussi à intéresser les amateurs de pop et de rock. Il pratiquait une forme musicale qui se transmet sans doute plus facilement que Schoenberg… (il rit)

Satie influence beaucoup les musiciens d'aujourd'hui, y compris les adeptes de la musique électronique.

On vous compare souvent à Bashung à cause de votre façon de chanter et de vos paroles cryptiques, …

Ce n'est pas insultant. Je suis né dans un monde où il était déjà chanteur. Il représente pour moi une des modalités possibles de la francophonie dans la musique rock et la pop.

Il y en a d'autres, mais mon goût me guide plutôt vers Bashung.

Quelqu'un qui s'intéressait à la fois à la musique dans son versant expérimental, et possédait en même temps un fort tropisme pour le rock blues américain… un appétit de modernité, un intérêt pour la poésie, contemporaine en particulier, une fantaisie dans le découpage de ses textes, combinée parfois à une profondeur tragique.

Je me reconnais dans ces éléments.

Charpentier comme lui, je travaille aussi le bois. Logique dès lors que nous partagions des troncs communs… (il sourit)

 

 

 

 

Emma Peters

L’esprit de famille…

Écrit par
Originaire de l’Oise, Emma Peters s’est fait connaître grâce à une série de reprises postées sur sa chaîne YouTube où elle cumule des millions de vues et comptabilise autant d’écoutes aujourd’hui sur Spotify.

Agée de 25 ans, cette auteure-compositrice et interprète a grandi en écoutant beaucoup de chanson française. Notamment des grands classiques comme Véronique Sanson ou Michel Berger. Elle a aussi découvert le rap, assez tard, car elle n’en avait pas une bonne image ; mais cette musique l’a littéralement séduite lorsqu’elle s’est mise à l’écouter avec attention et l’a encouragée vers cette écriture brute, sans fard.

Ce 25 mars, elle sort son premier elpee, « Dimanche », un disque qui fait suite à « Fou etc. », un Ep paru l’an dernier. Elle a accordé un long entretien à Musiczine où elle se raconte sans filtre, comme elle chante tout ce qu’elle vit…

Peters, c’est un nom néerlandophone ?

On m’a toujours répété que mes ancêtres étaient issus de la Belgique. Probablement mes arrières-arrières grands parents du côté de mon père. Mais de ma mère aussi, car le sien, c’est Callens. Donc je suis un peu à la maison là, finalement.

Tu aimes les frites alors ?

J’adore les frites et la bière aussi.

Quand et pourquoi as-tu commencé à chanter ?

Je ne me souviens pas du moment où j’ai commencé à chanter, car je suis issu d’une famille qui baignait dans la musique. Ma maman jouait du piano et elle chantait également. Elle n’en a cependant jamais fait son métier. Mon père écoutait beaucoup de musique. Mon grand-père chantait aussi, il s’est produit lors de petits concerts. Il était fan de Jacques Brel et interprétait ses chansons un peu partout à travers la France. Il était très naturel, quand on était en famille le dimanche, de pousser la chansonnette. J’ai commencé à m’accompagner à la guitare, dès que j’en ai acquis les rudiments.

Tu as appris en autodidacte ?

Non, un prof venait à la maison. Mais il me donnait des cours de guitare classique. A un certain moment, il a capté que je ne chantais pas trop mal et il a jugé qu’on allait mettre la guitare classique en pause pendant un an. Il m’a alors appris les accords de base pour que je puisse m’accompagner en chantant. Au début, on se contentait de comptines pour enfants. Par la suite, je lui ai soumis des chansons que j’avais répétées pendant la semaine. Finalement, je suis très nulle en solfège et j’ai donc perdu toutes mes capacités à la guitare classique, mais cet instrument me sert d’accompagnement.  

Pourquoi chantes-tu en français ?

Parce que je parle français tout simplement. C’est comme ça que je me fais le mieux comprendre puisque c’est ma langue natale. Les Français qui chantent en anglais m’ont toujours intrigué ; et puis les Anglais le font mieux beaucoup mieux. J’aime aussi la langue française. C’est une des plus belles langues au monde. Il existe plein de synonymes, pleins de mots qui sonnent très bien donc je chante naturellement dans ma langue maternelle.

Comment qualifierais-tu ton style musical ?

Un internaute avait concentré les mots pop et rap en ‘prap’ et m’avait envoyé cette suggestion par Instagram. J’estimais que son idée n’était pas mal, car ma famille écoutait beaucoup de variété française. Et puis, si j’ai été bercée par Michel Berger et Véronique Sanson, je suis également fan de rap français. Ce que j’aime dans le rap, c’est la brutalité des textes et l’honnêteté des paroles. Et c’est ce que j’essaie de répercuter dans ma musique : écrire des textes très bruts sur un fond de guitare classique.

‘…si j’ai été bercée par Michel Berger et Véronique Sanson, je suis également fan de rap français…’

‘Ce que j’aime dans le rap, c’est la brutalité des textes et l’honnêteté des paroles…’

En parlant de textes très bruts, on croise, dans ton écriture, des termes comme ‘niquer’, ‘putain’, ‘je m’en bas les couilles’, ‘nique ta mère’ etc. (rires). C’est à cause de ton côté rap ou parce que tu aimes bien jurer ?

Je dis pas mal de gros mots, ça c’est pas bien, mais je parle dans mes chansons comme je parle dans la vie. Parfois quand je suis en colère je glisse des termes un peu trash dans le texte. Mon grand-père me disait : ‘On n’a pas le droit de dire des grossièretés dans une chanson. Jacques Brel faisait passer ses idées, mais autrement. Il y a plein d’expressions qui existent et tu n’as pas le droit d’utiliser des gros mots’. Je lui avais répondu que si j’ai envie de dire que ça me fait chier parce que ça me fait chier, je vais dire ça me fait chier. Je n’arrive pas à le transposer différemment. Au tout début, quand j’écrivais des chansons, je me disais non, il faut que j’écrive dans un style plus poétique. Que mon idée, je la tourne un peu comme ça, que mon image je l’exprime un peu autrement. Mais ce n’était pas naturel, ça ne marchait pas trop. Je ne suis pas vulgaire non plus mais j’ai besoin d’être très honnête dans mes chansons ; ce qui explique pourquoi, on y retrouve des gros mots.

On jure tous un peu dans la vie courante.

Oui, j’ai forcément entendu ça quelque part (rires).

Tu as intitulé ton album « Dimanche ». Pourquoi ?

Lorsque je me suis lancé dans la musique, je postais beaucoup de reprises sur Internet ; et la première qui a bien marché sur les réseaux sociaux, l’avait été un dimanche. J’en ai conclu que ce jour me portait bonheur et donc j’ai recommencé à les publier tous les dimanches. C’est devenu mon jour de prise de paroles sur les réseaux sociaux. Aussi, quand j’ai commencé à écrire des chansons, je les sauvais toutes dans un petit dossier sur mon ordinateur que j’avais intitulé ‘dimanche’. Je me suis dit que ce serait déjà ‘ouf’ de sortir un album à ce moment-là et si en plus il pouvait s’appeler comme le dossier dans mon ordinateur, ce serait trop stylé.

Après avoir posté ces covers qui comptabilisent des millions de vues sur la toile, tu as donc décidé de sortir un album consacré à tes propres compos. C’était une stratégie de passer des reprises au répertoire personnel ?

Non, ce n’était pas du tout mon plan. Ma famille et mes potes m’ont encouragée. Ils estimaient que mes reprises étaient vachement bien et m’incitaient à écrire mes propres textes. Mais comme j’étais très timide et que je ne me sentais pas capable de composer des chansons, me contenter d’adapter celles des autres, me convenait parfaitement. Mais un jour, le déclic s’est produit. Les covers permettaient de me cacher derrière les textes de quelqu’un d’autre. Même que parfois je me suis vachement identifiée au texte que je reprenais. J’aurais trop aimé écrire telle ou telle chanson en racontant, par exemple, une histoire comme ça. Mais la décision de me lancer est venue très tard. J’avais vingt et un an quand j’ai écrit mes premières chansons. Et au début, elles étaient catastrophiques…

Quand as-tu commencé à poster tes reprises sur le net ?

Assez tard, vers dix-huit ans. Il fallait se filmer et j’avais un peu la trouille de me mettre en scène et de publier le résultat sur les réseaux sociaux. J’ai dû m’affranchir un peu de ce complexe ado où l’on a un peu la honte. Ce n’est que lorsque j’ai été plus sûre de moi, que j’ai franchi le pas. Une formule que j’ai exploitée pendant trois ans avant de me rendre compte qu’il serait bien de parler en mon nom aussi. Ce qui a libéré mon esprit. Je me suis donné tellement de mal sur les réseaux sociaux pour faire connaître ma musique, que je souhaitais que ça marche. J’ai écrit les compos de l’album très vite. Quand, à l’école, on nous demandait ce qu’on ferait plus tard, je n’ai jamais répondu chanteuse, mais simplement que je souhaitais travailler dans l’univers de la musique. J’ai bossé pour la télévision. J’étais chargée du casting pour une émission sur France 2. Il y avait toujours la musique en toile de fond, mais ce n’était pas ce que je voulais faire. En tout cas je suis bien plus heureuse aujourd’hui à travers ce projet…

Quel est le thème majeur exploré sur l’album ?

Holala, il n’est pas très original ! Tout ce qui tourne autour d’une relation amoureuse : la déception, la rupture et l’espoir… Il est assez thérapeutique comme album, car il reflète mes peurs et mes angoisses. Tout ce qui fait qu’on se cherche quand on a vingt ans.

‘Il est assez thérapeutique comme album, car il reflète mes peurs et mes angoisses…’

C’est ce que tu relates dans le bonus track qui figure à la fin de ton long playing ?

Oui il manquait un dernier son à l’album. C’est ce que je signale d’ailleurs dans ce morceau caché. Il révèle l’angoisse de la page blanche. Va-t-on écouter ce disque ? Tout cet investissement personnel sert-il à quelque chose ?  Un peu torturée Emma Peters, mais ça va hein !

Je pense que tous les artistes passent par cette étape...

Les artistes, et puis j’ai l’impression que c’est aussi une question de génération. On vit des moments un peu compliqués à cause du Covid. On a eu le temps de se remettre en question. J’ai eu le temps de réfléchir à ce que je voulais faire de ma vie. Est-ce qu’elle a un sens ? Ce sont toutes ces questions qu’on retrouve dans cet album…

Tu l’as composé à ce moment-là ?

Oui, à ce moment-là, car j’avais du temps. Certaines chansons sont nées un peu plus tard, car se rendre au studio est également une source d’inspiration. Et puis, la concrétisation du projet entraîne de nouvelles angoisses, mais également de nouvelles chansons. Tout est lié à des événements de mon existence…

Quelles sont les autres angoisses qui te poursuivent aujourd’hui ?

Pour l’instant, il n’y en a qu’une : c’est que personne n’écoute mon album ! Quand on m’a annoncé le 25 mars comme date de parution, j’en ai conclu que c’était dans tellement longtemps. Mais là, c’est dans deux semaines et je le garderais encore bien un peu pour moi. Car dès qu’il sort, mon travail ne m’appartient plus.

Après, je suis persuadé que tu auras toujours un public. Tous les artistes ont un public même s’il est restreint ou important. Il reste toujours un écho quelque part non ?

Je pense que oui. Mais j’aimerais bien qu’il soit écouté par le public le plus large possible.

Ta musique, c’est celle que tu achèterais ?

Ma réponse est hyper prétentieuse, mais oui.

Je pense qu’il est déjà essentiel d’être fier de sa musique.

Tu crois que des artistes ne le sont pas et n’achèteraient pas leur production ?

Certains peuvent ne pas être fier de ce qu’ils ont composé, car ils n’avaient pas encore atteint la maturité musicale et rédactionnelle.  

C’est vrai, parfois c’est aussi ce que je pense, mais un jour quelqu’un m’a interpellé afin de savoir comment je me sentais après avoir écrit les paroles et composé la musique d’une chanson ?’ J’étais super fière. Il faut se souvenir du moment où on l’a réalisée. Forcément, au fil du temps, on se demande si le thème développé méritait une chanson. On a ensuite un peu ‘la honte’, car après on doit l’interpréter sur scène. Mais c’est le moment de la création dont il faut surtout se rappeler

Tes textes semblent plutôt autobiographiques, mais sont-ils tous de ta plume ?

Oui sauf une chanson de l’album qui est signée Ben Mazué, un artiste que j’aime beaucoup.

Ah oui, super !

Oui, elle s’appelle « Allez salut ». C’est la septième piste du disque. Il m’avait contacté sur Instagram en expliquant qu’il travaillait sur la réalisation de son album en précisant : ‘J’ai un peu trop de chansons consacrées à la rupture. Et celle-ci elle me fait penser à toi. Si elle te plait, je te la donne’. Il avait ajouté un lien Dropbox pour récupérer la démo et tout le reste. Un truc de ‘‘ouf’’ ! Et effectivement, je me suis vachement reconnue dans le texte. J’ai réarrangé la compo à la guitare et finalement on l’a gardé pour l’album. C’est la seule qui m’ait été donnée. C’est un cadeau.

Dans le clip consacré au morceau « Le temps passe », tu abordes le thème d’un triangle amoureux. Pourquoi ?

J’aime bien que mes chansons puissent correspondre à tout le monde. Dès lors, pour le clip, il était important pour moi que le gens qui le regardent puissent considérer qu’il s’agit d’une chanson consacrée à n’importe quelle relation. Soit tu te dis que c’est une chanson d’amitié, soit tu te dis qu’elle est avec la meuf, soit elle est avec le mec, soit c’est la meuf et le mec qui sont ensemble et elle est toute seule, soit ils ont une relation à trois. J’aimais bien l’idée que l’on se pose la question de savoir ce qui se passe. De la sorte, tu peux t’identifier à un des trois personnages en fonction de ce que tu es et ce que tu vis.

C’est toi qui a eu l’idée de ce clip ?

Non, c’est Lou Zidi qui l’a réalisé. On travaille beaucoup ensemble. Elle s’est aussi chargée de la vidéo clip d’« Envoie-moi une musique » et de « Love » qui sortira le 25 mars. C’est ma partenaire image. Elle a très bien compris qui j’étais. On avait déjà eu l’idée de tourner un clip dans une voiture. Je le signale aussi dans mes textes, j’écoute beaucoup de musique sur la route. Pour savoir si une chanson est bonne, il faut la valider dans une voiture. Alors, on a eu l’idée de se balader en voiture, à travers un paysage sympa. Mais c’est elle qui a eu l’idée du triangle. Au début du tournage le climat était particulièrement amical, d’autant plus que c’est ma meilleure pote qui joue dans le clip. Mais comme il s’agissait d’une histoire d’amour, il fallait qu’il y ait de la séduction dans les regards. Les premières prises de vue ont été hyper difficiles, car j’étais morte de rire. Mais finalement, je suis assez contente de l’intrigue. Les gens se posent des questions du style : ‘Est-ce c’est la meuf qui est avec le mec ou la meuf avec la meuf ?’

Dans « Terrien », tu racontes que tu vivais au sein d’une famille où ils sont tous devenus fous à force de se hurler dessus. Pourtant l’image reproduite sur la pochette est celle d’une photo de famille heureuse ! Quel message veux-tu faire passer ?

Le texte de « Terrien » est un peu hard. J’avais décidé de le placer en début de disque, afin qu’il serve d’intro pour qu’on sache qui je suis.

J’ai trois frères et sœurs. Je suis l’ainée. Mes parents s’aiment et sont très unis. Tous les six on est super forts. Par contre, ma maman est issue d’une famille qui s’est déchirée suite à un divorce très douloureux. Elle en a gardé des séquelles, dont la peur de l’abandon, etc. Et mon père c’est pareil. Il s’est disputé avec son frère. Conclusion, que ce soit du côté paternel ou maternel, il n’y a pas trop de liens de famille. Les frères et sœurs de ma mère ont été très marqués par ce divorce. Ils ne se sont jamais mariés. Ils ne sont pas fous mais ils en ont été affectés. Ma maman a parfois des accès de colère. Elle est très instable. C’est mon père qui l’a un peu sauvée de cette situation. Ce qui explique pourquoi, tous les six, on est très soudés. Et pourquoi j’ai choisi cette image pour la pochette de l’album. J’ai été le témoin de nombreuses disputes et les enfants en souffrent, et donc oui, j’ai peur. C’est ce que je relate dans une chanson, car j’espère que ce n’est pas héréditaire. Ma maman est très fâchée avec sa mère. Je ne connais pas ma grand-mère. J’ai toute une famille recomposée de ce côté-là. En fait, ma grand-mère n’est pas ma grand-mère et mes cousins ne sont pas mes cousins. Elle craignait très fort la relation mère/fille, donc elle avait la trouille d’avoir une fille. Et quand elle a su qu’elle était enceinte et que c’était le cas, elle en a pleuré. Par conséquent, je pense avoir été également marqué par cette histoire. Dès lors, j’espère que quand j’aurais des enfants, une famille, tout se passera bien et que j’arriverais à faire comme ma mère.

Bin oui pourquoi pas. Tant qu’on a l’envie c’est déjà le principal.

Oui malgré ces difficultés, ma mère a réussi un mariage solide et les enfants s’entendent super bien.

Tu chantes avec ta sœur aussi ?

Oui je chante avec ma sœur et mon frère. Ils figurent tous les quatre sur la pochette de l’album.

C’est un peu comme Billie Eilish et son frangin Finneas.

Oui (rires). Sauf que mon frère est trop jeune. J’essaie de le guider vers la production en lui conseillant de suivre absolument les traces de Finneas ; mais il a seize ans, et pour l’instant, il a les idées fixées sur les jeux vidéo et n’est pas intéressé par ce profil.

Tu conduis souvent, les yeux fermés ?

Pas souvent, mais c’est déjà arrivé et tu vas flipper si tu sais que je l’ai déjà tenté le coup pour voir ce qui va se produire. Mais quand je suis sûr qu’il n’y a personne autour de moi, hein ! Je ne m’y risque pas en plein Paris au milieu des bouchons. Plutôt sur autoroute, quand elle est déserte…

Sois prudente, quand même ! (rires)

Bien sûr, mais je ferme les yeux pendant deux secondes, car je suis une ‘flipette’. Je ne peux pas prolonger l’expérience plus longtemps. Mais en cherchant une montée d’adrénaline, je fais des trucs un peu chellous (rires). Ça marche mieux les yeux ouverts hein, de conduire ? (rires).

‘… en cherchant une montée d’adrénaline, je fais des trucs un peu chellous…’

Pourquoi ne pas sauter en parachute, alors ?

Oui mais non car j’ai trop peur. Je pense que je n’y arriverais pas. Je suis très terre à terre. Je ne suis à l’aise ni en bateau ni en avion. En fait, j’ai surtout la trouille, parce que j’ai la poisse, parce que je crains qu’il ne s’ouvre pas. Non, je ne suis pas prête à prendre de tels risques. Par exemple, je déteste les parcs d’attraction. Mais quand je conduis, je me sens invincible. Je cligne des yeux, c’est tout.

Tu te vois où dans cinq ans ?

J’ai déjà du mal à me projeter demain… Aujourd’hui, j’ai un planning très chargé donc ça va, mais demain… Dans cinq ans, j’aimerais avoir sorti un deuxième album, accomplir des tournées complètes dans des grandes salles et y rencontrer le succès. Ce serait bien.

Et dans quinze, voire vingt ans ?

Humm !?! Franchement je n’en sais rien. J’aimerais bien être propriétaire d’une grande maison. Avoir des enfants. Être posée. Peut-être écrire pour les autres, parce que j’aurai fait mon temps. Wah, tu t’imagines ! Dans vingt ans, j’aurais quarante-cinq ans. C’est le double de mon âge. Je ne sais pas, c’est trop compliqué. Imaginer une telle projection dans le futur m’angoisse… (rires)

Quels sont les artistes de chanson française qui t’inspirent ?

Il y en a beaucoup.

Si tu devais un citer trois.

Véronique Sanson, d’abord. Je suis très, très fan. Ensuite, Camille. L’utilisation de son corps et de sa voix est intrigante. J’aime beaucoup Juliette Armanet pour les belles mélodies. Et Billie Eilish de ‘ouf’, mais elle ne chante pas en français…

Que penses-tu des piliers de la chanson française ? Trenet, bien sûr, mais aussi Brel, Barbara, Brassens et Ferré, notamment ?

De ‘ouf’, Barbara, j’adore. Ses textes sont tellement bien racontés. Ils riment chaque fois avec des images, des descriptions de ‘ouf’. Je pense à « Nantes », par exemple. Woah, c’est impressionnant ! Jacques Brel était énorme. Outre ses textes, ses mélodies sont sublimes. J’espère me tromper, mais je crains fort qu’on ne parvienne jamais à atteindre leur niveau. Et puis, on ne s’exprime plus de la même manière. Finalement, c’est peut-être mieux qu’ils ne soient plus de ce monde, pour qu’ils ne voient pas comment on massacre leur répertoire, nous les jeunes. Bien sûr, on n’est plus à la même époque. Suffit de regarder des documentaires d’alors et d’écouter les commentaires. Notre façon de parler a changé ; le discours était beaucoup plus élégant avant.

‘Notre façon de parler a changé ; le discours était beaucoup plus élégant avant…’

En compagnie de quels artistes aimerais-tu développer des projets ?

Avec des rappeurs.

Lesquels ?

Si je rêve un peu, j’aimerais bien réaliser un feat avec Damso. Peut-être Dinos ou Lomepal. Ou un truc rien à voir genre Soolking. J’aime bien tenter une expérience très différente et surtout me faire plaisir ; et je pense qu’auprès d’un rappeur je pourrais vraiment kiffer le truc…

Méthode chanson

Photo Elisa Parron

En concert

30/04 aux Nuits Botanique
05/08 à Ronquières
28/08 à Scène sur Sambre

Stephan Eicher

Grauzone a une véritable valeur historique...

Célèbre dans la francophonie grâce à ses hits, “Déjeuner en Paix”, “Combien de Temps”, “Pas d'Ami (Comme Toi)“ etc., Stephan Eicher a connu un début de carrière moins marquant ; mais depuis, il est considéré comme 'culte' par toute une catégorie de fans de new-wave, dont votre serviteur. C'était en 1981, au sein du groupe Grauzone, dont le hit, “Eisbaer”, est encore dans toutes les mémoires. Présent à Mons pour présenter sa tournée baptisée ‘Dans le Ventre de la Baleine’ et son nouvel Ep digital “Autour de Ton Cou”, le chanteur suisse s'est prêté de bonne grâce à un exercice de nostalgie musicale.

En quelle année as-tu commencé ta carrière ?

En 1979, au sein de Noise Boys et ensuite, Grauzone.

Comment es-tu entré en contact avec la musique électronique ?

Il y a deux processus qui m'ont amené à la musique électronique. Le premier, via mon père. Il était électricien et aimait construire des instruments électroniques en manipulant des oscillateurs. Il a construit mon premier ampli de guitare à partir d'une vieille radio. Il assemblait aussi des boîtes à rythmes. Tous ces bricolages traînaient dans notre cave et Martin, mon frère, et moi, on adorait y descendre pour expérimenter. On avait aussi deux enregistreurs à cassettes, qu'on utilisait pour copier les pistes les unes après les autres. Ce côté ‘nerd’ reste un des liens les plus profonds qui nous unit. Plus tard, quand j'habitais au Spex Club, à Berne, des musiciens ont laissé traîner des synthés dans la cave suite à une descente de police. Je me souviens qu'il y avait un Promars de Roland, une boîte à rythmes CR-78 et un MS-20 de Korg. Mais également une pédale Big Muff, que j'ai branchée sur la boîte à rythmes, parce que je voulais que ça sonne comme du Suicide...

Ah oui, avec un son saturé ?

Oui. J'ai donc bricolé des trucs et enregistré des cassettes.

C'est à ce moment-là que tu as sorti “Noise Boys Song” et “Miniminiminiminijupe” ?

Oui. Et le morceau intitulé “Noise Boys” est en fait une reprise de “Sweet Jane”, de Lou Reed.

Et puis, vous avez formé Grauzone ?

Grauzone, c'était plus conceptuel. Au départ, le groupe impliquait Marco Repetto à la batterie, mon frère Martin au chant et à la guitare et GT à la basse, un grand fan des Ramones. GT qui, d'ailleurs, te ressemble pas mal…

Ah bon ? (rires)

Oui. Et au moment d’entrer en studio, mon frère m'a demandé de les accompagner pour bricoler des trucs à l’aide des synthés et des boîtes à rythmes.

Mais tu chantes aussi sur certains morceaux ?

Pas au début. Mais en effet, sur l'album, je chante sur “Der Weg Zu Zweit”, “Hinter Den Bergen” et “Wütendes Glas”.

Et que faisais-tu sur “Eisbaer” ?

Je jouais des synthés. Entre autres, je reproduisais le son du vent, au début...

Ah oui ! (rires) Et la batterie, je crois qu’il s’agissait d’un enregistrement acoustique joué en boucle ?

Oui. En studio, on bossait en compagnie d’Etienne Conod, l'ingénieur du son, et on s'est rendu compte que Marco ne parvenait pas à tenir le rythme, qu'on voulait très stable, sans 'crashes', sans 'fills'. Etienne a proposé de s’inspirer des morceaux disco et d'enregistrer une boucle.

Un peu à la manière de Giorgio Moroder ?

Oui. Ce qui a débouché sur le son caractéristique d’“Eisbaer”, hypnotique et terriblement dansant. Et quand on a entendu le résultat, on a tout enregistré en boucles, bien avant l'invention du sampler !

Pourtant, on a l'impression que c'est un sampler qui est utilisé, par exemple, à la fin de “In Der Nacht”. C'était donc une bande qui était ralentie, je suppose ?

Oui, c'était une bande de 7 mètres de long ! “In Der Nacht” est vraiment un titre spectaculaire, avec des détails très précis, un peu comme une musique de film. C'est une bouteille de bière cassée qui produit le son de l'explosion finale. On dirait celui d'une maison qui s'écroule.

Ces effets sont vraiment précurseurs de ce que les samplers vont permettre plus tard. C'est d'ailleurs une caractéristique étonnante de cet album de Grauzone : les morceaux sont très différents les uns des autres et ils sont avant-coureurs de plusieurs courants musicaux 'wave' apparus ultérieurement. Tout le monde parle de “Eisbaer”, mais chaque titre de cet album est précurseur de quelque chose...

Je partage ton avis...

Par exemple, “Wütendes Glas”. C'est incroyable, le nombre de groupes qui ont créé des morceaux dans ce style, par la suite.

Oui...

Puis, “In Der Nacht” est carrément précurseur de tout ce qu’on a appelé 'dark gothic ambient'.

Wow...

“Schlachtet!” me fait penser à l'EBM de groupes comme Front 242, Liaisons Dangereuses ou The Klinik.

Intéressant...

Et alors, il y a évidemment la 'Neue Deutsche Welle', comme dans “Ich Lieb Sie”. Personne n'avait chanté de cette façon en allemand auparavant...

Oui c'était abordé avec une approche ironique, presque parodique. Il y a aussi “Kunstgewerbe” tramé sur le riff au synthé, un ARP 2600.

Et je suis sûr que j'en ai oublié un... (NDR : c'est “Ein Tanz Mit Dem Tot”, qui préfigure la darkwave goth hardcore des années '90)

Parlons maintenant du projet de 2e album de Grauzone, qui pourrait sortir, plus de 40 ans après le premier. Un disque que l'on attend impatiemment !

Oui, il a fallu patienter 15 ans avant que Martin ne me joue des nouveaux morceaux. Il me les a fait écouter et j'en ai pleuré... parce que c'était d'une beauté inouïe... Je lui ai proposé de sortir un disque mais il a tout détruit pour recommencer à zéro.

Il faudra, à un certain moment, lui dire 'stop' car, il est un peu irrationnel. Il est atteint d’une sorte de folie, c’est un génie un peu fou...

Oui c'est ça... Quelque chose me dit qu'il va bientôt me proposer de sortir le disque. Perso, c'est très important de sortir ce nouvel album. Car la reconnaissance a toujours été tournée vers moi et c'est injuste vu que Grauzone, c'est surtout Martin Eicher. J'étais principalement musicien, accompagnateur, un peu coproducteur mais la voix, c'est mon frère...

L'âme noire, c'est lui...

Absolument. J'ai un respect énorme pour mon frère. C'est un artiste hors pair ! Dans “Eisbaer”, je me limitais juste aux 'pilip-pip pilip-pip'… (rires)

Martin est en effet un artiste sous-estimé !

Son statut est occupé de changer. L'année dernière, on a ressorti la 'Anniversary Box' via le label genevois 'We Release Whatever The Fuck We Want Records' et on s'est rendu compte qu’une nouvelle génération de musiciens est informée que c'est lui, le cœur de Grauzone. Et je défends les droits de Grauzone maintenant, pour lui et pour les autres membres de la formation. J'ai ainsi réussi à récupérer les 'masters' des enregistrements, qui étaient, figure-toi, à vendre sur eBay ! J'ai aussi racheté les droits pour pouvoir maintenir Grauzone en vie. En fait, je suis même davantage motivé de garder le groupe en vie que ma propre carrière solo ! Grauzone possède une véritable valeur historique, que je veux mettre en exergue. Quelque chose d'énorme va d’ailleurs être annoncé bientôt concernant Grauzone mais je ne peux pas en dire plus... Quand l’info va sortir, il y aura encore une nouvelle génération qui va s'intéresser au groupe.

Impatient de découvrir tout cela ! Merci pour cette interview, Stephan !

Merci à toi...

Pour écouter le nouvel EP de Stephan Eicher : “Autour de Ton Cou”, c'est ici

Pour commander les albums et la 'box' de Grauzone, c’est

Pour écouter l'interview audio dans l'émission Waves, c'est ici

 

Amy Morrey

Je suis anglaise et fière de l’être !!!

Écrit par

Bien qu’elle vive dans le Brabant Wallon, Amy Morrey est anglaise, et fière de l’être. Elle est surtout connue comme compositrice et collaboratrice, une fonction qu’elle remplit régulièrement pour des artistes comme Loïc Nottet, Franky Fool ou Alex Germis. Elle a décidé de passer de l’autre côté du décor en gravant un premier single. Il s’intitule « Parachute ». L’interview se déroule dans les couloirs de la RTBF, juste avant qu’elle n’y accorde un showcase accompagnée, pour la circonstance, d’un guitariste.

Amy Morrey, c’est ton véritable nom ou ton patronyme pour la scène ?

C’est mon véritable nom. Je suis d’origine britannique comme mes parents.

Tu vis dans le Brabant Wallon, tout comme Nicolas Testa, Konoba, Alex Germis (Lucas) et Franky Fool. Cette province deviendrait-elle un véritable vivier de talents ?

J’ai fréquenté la même école qu’Alex Germis. Alex Lucas (NDR : Alex Lucas Schönfelder) est également issu de la même région. Il fréquentait des membres de ma famille. J’ai commencé à m’intéresser au monde de la musique à l’âge de 21 ans. Au sein de cet univers, comme on est issu de la même région, on finit par tous se connaître ; et finalement on a commencé à se réunir en petit comité, dans le même coin.

C’est ainsi que tu t’es lancé dans l’écriture pour des artistes comme Loïc Nottet, Franky Fool, Kid Noize et Alex Germis. Mais pourquoi as-tu finalement décidé de chanter tes propres chansons ?

Mes premiers pas, je les ai faits pour Alex Germis. C’est lui qui m’a ouvert les portes pour un premier titre (« Sweet Afterglow »). Et en fait j’ai adoré ce rôle dans l’ombre. Me concentrer sur l’écriture, le travail en studio et la collaboration. C’est vraiment tout ce qui me passionne le plus. Je n’avais pas trop confiance dans ma voix. Je composais beaucoup de titres. Juste des chansons que j’écrivais à la maison. Il m’a fallu plusieurs années pour que je prenne de l’assurance. Et puis après avoir trempé 4 ou 5 ans dans le milieu, j’ai découvert une véritable passion pour la musique et pour la chanson. Quand je me suis sentie plus sûre de moi et que j’ai mieux cerné l’environnement et le milieu, je me suis dit que j’étais prête à m’y investir personnellement. C’est un nouveau challenge, et c’est une première…

Quel est ton processus d’écriture ?

Tout dépend s’il y a déjà un projet en cours. Souvent, on m’apporte un morceau qui a toute la musique derrière. De mon côté, je compose les mélodies. Quand elles sont abouties, j’essaie de trouver un thème, une inspiration, un univers. A partir de là, les idées commencent à foisonner. Puis elles subissent un peu l’effet entonnoir et je les trie pour que ce soit plus clair dans ma tête, afin que les mots choisis correspondent le plus possible avec le thème et l’univers. C’est ainsi que je travaille. Et en anglais. Comme je suis d’origine britannique, c’est plus facile. Je n’ai toujours pas eu la chance d’écrire en français, mais je suis toujours ‘up for chalenge’…

Quelles sont tes influences majeures ?

Il y en a beaucoup, mais parmi les principales, je citerai Paolo Nutini, Matt Corby et puis sous un angle plus contemporain, Billie Eilish et Dj Edd. Côté harmonies j’aime beaucoup Sabrina Claudio et Dennis Lloyd.

Est-ce que tes influences te servent pour l’écriture et la composition de tes chansons ?

Oui. J’ai fait mes premiers pas en compagnie de Tori Kelly. C’est vraiment la personne avec qui je m’associe le plus en tant qu’artiste. C’est elle qui m’a donné l’envie d’écrire et de composer de la musique. Pendant 2 semaines, je me suis acharné sur ma guitare afin d’interpréter mes chansons. Forcément, on va entendre cette ardeur dans mes compositions. Et c’est la raison pour laquelle il sera intéressant de suivre mon parcours cette année ? Il va explorer des styles où on pourra découvrir mes influences musicales.

Ta chanson du moment ?

Celle d’Amy Morrey, « Parachute » (moment de silence, suivi d’éclats de rires). Je rigole ! Ce que j’écoute en ce moment ? J’ai une longue playlist et il y a beaucoup de nouveautés. Mais aussi des morceaux plus anciens. Je consulte mon spotify.

Lost Frequencies, Henri PFR, c’est la relève ?

Ce sont deux styles tout à fait différents. J’ai déjà collaboré avec Funky Fool. Il est signé sur le label de Lost Frequencies. Je raffole travailler en compagnie de Nico et ce milieu-là. C’est un autre style que je veux développer, mais en ciblant le public. J’adore créer ce genre pour d’autres ou en collaboration. Mais pour l’instant, je bosse beaucoup sur mon projet personnel.

Tu prépares certainement une suite à « Parachute ». Tu envisages de sortir un Ep ou un album ? Penses-tu poursuivre tes collaborations en même temps que ta carrière solo ?

Je vais essayer de conserver les deux créneaux. La solution idéale serait d’y parvenir. Je dispose de pas mal de chansons. Elles sont prévues pour un Ep ou un album. Je vais regarder les opportunités qui vont se présenter, cette année. Mais c’est l’orientation que je me suis fixée, c’est sûr…

Mustii

Je peux vivre mes émotions de manière décuplée…

Écrit par

Acteur de formation, Thomas Mustin, décroche des rôles au théâtre, à la télévision ou encore au cinéma et remporte, en 2019, le ‘Magritte’ du Meilleur Espoir Masculin du Cinéma Belge

C’est en 2014, qu’il se lance comme chanteur, auteur et compositeur sous le pseudonyme Mustii. Son premier Ep sort en 2016 et le single « The Golden Age » lui permet de se produire dans de nombreux festivals. Son succès, couronné par le trophée de la Révélation de l’Année aux ‘D6bels Music Awards’, est suivi par la sortie de son premier album, « 21st Century Boy », en octobre 2018. Son second elpee, « It's Happening Now », est paru ce 21 janvier 2022. Une œuvre qui s’inspire d’un drame familial, en l’occurrence la schizophrénie de son oncle disparu tragiquement. De quoi entrer immédiatement dans le vif du sujet…

Se mettre à nu demande du courage et une bonne dose d’introspection. Est-ce une manière pudique de lui rendre hommage ou d’exorciser quelque chose de plus profond qui sommeille en toi ?

Je crois qu’il y a un peu des deux. Mais l’objectif premier était de lui rendre hommage et de me reconnecter avec lui. De me connecter, devrais-je dire. En effet, je n’ai pas eu l’occasion de le faire précédemment parce que sa maladie l’emprisonnait dans une carapace, d’une part, et je n’étais qu’un jeune adolescent, d’autre part.

J’étais moi-même un peu renfermé. On ne se rencontrait pas vraiment. Le désir de créer quelque chose qui puisse établir cette connexion était en moi depuis toujours. C’est ce qui m’a véritablement marqué. Je ne suis jamais parvenu à mettre des mots là-dessus. Je me suis donc demandé si j’allais écrire un court métrage, un texte ou me servir d’une autre formule… Et puis, au cours des dernières années, j’en ai conclu que la musique pouvait être le bon outil pour réaliser cet objectif. En prenant un peu de recul, afin de ne pas rester dans le littéral. Il ne s’agit pas de raconter l’histoire de mon oncle en détail, mais de le faire revivre à travers l’album. C’est thérapeutique aussi, quelque part. De quoi enlever le tabou qui existe toujours autour de la schizophrénie, maladie encore inconnue et ultra complexe. Chaque individu est différent et chaque schizophrénie est différente. Il n’y a aucune prétention de traiter la maladie d’un point de vue médical, mais de l’aborder sur le plan humain. Il faut pouvoir en causer ouvertement. C’est aussi une manière personnelle d’en parler en famille et d’ouvrir le dialogue.

Ne crains-tu pas de devenir, en quelque sorte, le porte-parole des malades mentaux ?

Ce n’est pas du tout mon intention. Je ne souhaite pas devenir le porte-parole des malades mentaux. Il faut le comprendre comme une marque de reconnaissance intime et personnelle. Si ma démarche peut libérer la parole ou si certaines personnes peuvent s’identifier et être touché d’une manière ou d’une autre, tant mieux. C’est un sujet que je voulais aborder, c’est tout. Je veux vraiment éviter d’être considéré comme un donneur de leçons.

En abordant des sujets aussi personnels, qui va finalement se retrouver sur les planches ? Mustii, l’artiste ou Thomas (Mustin), l’homme ?

Pour moi, c’est un peu les deux. J’aime reconnaitre qu’il s’agit de moi, exposant dix. Les émotions sont littéralement passées à la loupe. Il n’existe donc pas deux personnes distinctes. Que ce soit sur scène ou via le projet Mustii, je peux vivre mes émotions de manière décuplée. C’est l’endroit où je me sens le plus libre. Je peux exprimer mes opinions haut et fort et totalement les assumer. C’est vraiment lié à ma personnalité. Je ne joue donc pas deux personnages différents. Mais un seul, évolué, exposant dix. J’aime beaucoup cette métaphore.

De « 21st Century Boy » à « It's Happening Now », la musique est devenue plus électrique, mais en demeurant pop. Pourquoi ce changement de style ?

Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un changement de style radical. Je parlerais plutôt d’évolution. C’est toujours un album pop. J’assume les références rock, new-wave et parfois j’adopte un son plus électrique. Il s’agit de sonorités dans lesquelles je baigne depuis que je suis tout petit. Il s’agit d’un retour aux sources, même si j’ai effectivement connu une phase électro pop au cours de laquelle j’en écoutais beaucoup. Ici, il y avait cette intention de revenir à ce que j’écoutais auparavant, grâce notamment aux vinyles un peu ‘rentre dedans’ et rageurs de mon père ; ce qui m’a fait du bien. Je ne veux surtout pas me cantonner à un seul créneau. Qui sait si le prochain album ne sera pas plus jazz ou hip hop ? Je considère la musique comme un outil. Je suis bricoleur et je teste.

Cet opus a-t-il été taillé spécifiquement pour le live ?

C’est un processus totalement inconscient. Je suis tellement attaché au ‘live’ et à la manière dont les chansons peuvent y prendre une autre dimension qu’il se déroule de manière naturelle lorsque je suis en studio. Effectivement, il a une dimension épique et un peu théâtrale qui se prête bien au terreau de la scène. Je ne réfléchis pas trop. Je crois que c’est tellement dans mon ADN. C’est ce que j’aime faire et pour moi, c’est une fin en soi. Un album est destiné à être transposé sur scène et partagé avec les gens.

« Give me a hand » lance un appel à l’aide, alors que la chanson, imprimée sur un tempo entraînant, est plutôt fédératrice…

C’était en effet le challenge que je me suis imposé dès le départ. L’idée était que je puisse revivre, à travers cet album, la vie de mon oncle et sa maladie. Sa vie était en dents de scie. Il a traversé tour à tour des moments d’euphorie, d’autres plus délicats mais également dangereux. Le disque devait suivre cette courbe et donc surtout ne pas ressembler à un encéphalogramme plat. Il fallait que je puisse rester dans le mouvement en permanence. Les chansons épousent ainsi tantôt un aspect rock et adolescent, tantôt une forme plus directe ou encore une veine plus club. Il recèle aussi des compos plus fragiles ou plus sensibles. Bref, des chansons à l’image de sa vie et de ses émotions. L’inspiration émane à la fois de mon imaginaire et des conversations que j’ai eues avec mon père. 

Tu as choisi la langue De Shakespeare pour interpréter tes chansons. Cette option est-elle liée à une quelconque stratégie d’exportation ou s’inscrit-elle simplement dans une culture musicale bien ancrée ?

Il s’agit purement d’un choix lié à ma culture musicale. Mais je ne suis pas fermé. Je pourrais tout aussi bien essayer de chanter en mandarin ou en allemand. Mais, vu la musique que je compose et la direction que j’ai prise, c’est ce qui me vient instinctivement. J’ai toujours baigné dans l’anglais. Mon meilleur ami est américain et reçu le concours d’une Londonienne talentueuse pur l’écriture. Elle s’appelle Ariana. Ce choix n’est donc pas lié à l’exportation.

Parfois les sonorités d’une langue sont liées aux compositions, au type de production. A vrai dire, c’est ce qui matchait le mieux avec le travail que j’ai produit ces derniers mois.

Tu continues à multiplier les casquettes artistiques. La musique est arrivée sur le tard. Quelle importance revêt-elle parmi l’ensemble de tes projets ?

Je fonctionne projet par projet. Je ne fixe aucune hiérarchie. Je vais retourner sous peu au théâtre et il me passionne tout autant. Ce sont des allers-retours en quelque sorte. Je me nourris de toutes les disciplines. J’aime l’idée que l’on puisse utiliser les outils et s’exprimer de plein de manières différentes.

Existe-t-il d’autres champs d’exploration dans lesquels tu aimerais t’essayer ? Comme la danse, l’écriture, la peinture, etc. ?

Je rêve de réaliser un court-métrage. C’est un projet auquel j’aspire depuis pas mal de temps déjà. Mais, il faut savoir que porter un projet et une équipe sur ses épaules demande un investissement de 3 à 5 ans. Ce n’est pas rien ! Mais clairement, j’en ai très envie.

Tes concerts sont toujours extrêmement théâtralisés, stylisés et millimétrés. Jouer un personnage à outrance, ne risque-t-il pas de dénaturer le naturel et la spontanéité du show ?

Justement, j’essaie au maximum d’éviter de m’installer dans la chorégraphie. Garder une place pour la spontanéité me paraît essentiel. Il faut qu’il y ait du risque et de la vie ; que chaque soir soit différent. Si j’aime effectivement donner une ossature au show, j’ai aussi besoin d’espaces de liberté pour pouvoir vivre et laisser la place à l’intuition. J’admire le travail opéré par Florence Welch (Florence and the Machine). Si effectivement chez elle, on peut distinguer le récit du show, elle demeure une prêtresse libre de ses actes et de ses mouvements. Lorsqu’on la regarde, on imagine que tout est possible. L’instinct et la spontanéité restent des sentiments auxquels j’essaie humblement d’accéder. Il s’agit d’un fil ténu entre l’aspect chorégraphique et l’aspect totalement libre. C’est d’autant plus vrai dans le style de musique vers lequel je m’oriente. Sinon, je ne vois plus l’intérêt.

Chacun de tes shows suscite beaucoup d’engouement. Lorsque tu te produis lors d’un festival, le public n’est pas nécessairement venu pour te voir et d’entendre. Il est parfois difficile de s’y faire une place lorsque l’artiste n’est pas la tête d’affiche. A titre personnel, je me souviens d’une prestation de Patrick Juvet au festival de Dour, recevant tellement d’insultes et de projectiles qu’il est resté une poignée de secondes sur scène avant de repartir. As-tu déjà ressenti une certaine hostilité ou des réactions virulentes à ton égard ?

Personnellement non. C’est aussi le travail du booker de te dénicher des dates là où tu as tout à fait ta place. Il doit pouvoir prendre la mesure des risques. J’ai eu de la chance jusqu’à présent car je n’ai pas vécu de retour négatif, même s’il peut arriver qu’un concert se déroule moins bien parce que je suis moins en forme ou carrément à côté de mes pompes.

Au tout début de ma carrière de chanteur, je me suis produit dans le cadre d’un festival à Mons où il y avait à peine trois personnes sur une grande plaine. C’était un peu particulier. Sinon, je ne me souviens pas d’avoir été victime d’animosité manifeste.

Je me rappelle également ce concert. Je figurais parmi ces trois spectateurs.  C’était en 2016… (rires)

C’était absurde. Ce festival était axé sur l’électro !

Tu travailles en compagnie de Tom Eerebout, un styliste anversois et grand ami de Lady Gaga. Comment s’est déroulée cette rencontre et pourquoi ce choix ?

Il s’agit d’une nouvelle collaboration. Pour réaliser ce nouvel album, je ressentais le besoin de m’entourer de nouveaux visages. C’est une manière de prendre des risques, d’éviter de se reposer sur ses lauriers. J’avais très envie de voir ce qui se passait de l’autre côté de la frontière linguistique dans l’univers de la vidéo et des visuels. J’estime qu’on ne crée pas assez de ponts avec la Flandre. J’ai découvert son univers sur Instagram. Non seulement il apprécie bosser sur des projets internationaux, mais aussi en compagnie d’artistes en développement. Le courant est immédiatement passé. Il aime les challenges. Nous allons travailler une silhouette aussi bien pour la tournée que les concerts.

L’artistique en général est un domaine dans lequel il est difficile de pouvoir se projeter sur le long terme car, il est très aléatoire. Cette crise sanitaire a entraîné des conséquences dramatiques et impactent encore aujourd’hui le monde culturel. Certains artistes ont besoin d’adrénaline pour avancer et finalement, quand on évolue dans l’incertitude la plus complète, la situation ne devient-elle pas plus excitante ?

L’incertitude et l’insécurité sont irrémédiablement liées aux métiers artistiques. En acceptant cette vie, je savais que j’y serai confronté. C’est ainsi que je vis et me sens le mieux. Je ne peux pas tout prévoir et tout tracer. Ce qui peut causer déceptions et frustrations. Mais, en même temps, c’est un moteur énorme en ce qui me concerne. Cette crise sanitaire reste anxiogène. Les artistes craignent en effet que les gens boudent les spectacles vivants, s’isolent ou ne partagent plus les choses ensemble. Ce serait évidemment catastrophique et j’espère vivement que les politiques pourront s’en rendre compte.

Tu as la chance de pouvoir exercer ton métier aussi bien en France qu’en Belgique. Sur le plan artistique, quels sont les points de convergences et de différences entre ces deux cultures ?

Je travaille en France pour le cinéma. Il s’agit d’une question à laquelle il est difficile de répondre. Je dirais que tout dépend des équipes. Je ne suis pas convaincu qu’il faille y voir des différences fondamentales. Cependant, il existe un vrai phantasme sur l’image du Belge et la belgitude. Du point de vue musical, je viens seulement de signer chez AEG, un gros booker. J’ai décroché une première date parisienne en avril qui devrait me servir de tremplin pour me produire en festival. C’est une chouette nouvelle. Les Parisiens sont un peu plus angoissés et stressés. Mais évitons de tomber dans les clichés faciles…

S’il y a un artiste belge qui est parvenu à s’exporter, c’est bien Stromae. La carrière d’un artiste passe inévitablement par la communication pour exister.  Il y a quelques jours, il a créé un véritable buzz médiatique en passant un dimanche soir au journal de TF1. Si les uns pointent le talent ce jeune Belge parti de rien, les autres stigmatisent cette prestation dénonçant une certaine connivence entre le monde artistique et journalistique et la perte ou à tout le moins, le manque d’indépendance qui en découle. As-tu vu cette interview ? Quel est ton avis sur le sujet en tant que non seulement jeune chanteur belge, mais aussi citoyen lambda ?

Ah, je n’étais pas au courant (rires). Personnellement, je trouve dommage qu’un tel ramdam se soit produit autour de cette prestation. Finalement, cette polémique cache la chanson, la thématique et l’interprétation.

J’ai vraiment été très impressionné, je dois le dire. Je préfère m’attacher au fond. Je ne suis pas un grand fan du journal télévisé de TF1. Il me parait plus opportun de consacrer dix minutes à un artiste que de voir certains reportages qui, à mon sens, ne sont pas toujours des plus réussis. Objectivement, cette prestation n’a cependant rien de dommageable par rapport à l’information. Cette affaire me dérange parce qu’on perd en substance le fruit de cette chanson. Je peux comprendre que certains s’offusquent parce que tout y était évidemment préparé. Et alors ? Après tout, plein d’autres artistes, comme les acteurs, franchissent les pas des journaux télévisés pour y faire leur promo. Il y a toujours un moment dédié à la culture. Stromae a parlé de son album et il a chanté. Où est le problème ? Au plus, il y a de la culture, au mieux c’est !

Nous allons bientôt te retrouver au cinéma, aux côtés de Pierre Deladonchamps et Camélia Jordana, dans ‘Vous n’aurez pas ma haine’. Une histoire relatant les attentats au Bataclan. Tu as aussi interprété, il y a quelque temps, le rôle de Patrick Dils qui raconte l’histoire et le fiasco judiciaire d’un homme injustement condamné pour le meurtre d’un enfant, puis relaxé. Ce sont des sujets graves, complexes et très délicats. On raconte que pour jouer ce genre de rôle, il faut véritablement s’imprégner de ces histoires. Comment parviens-tu à faire la part des choses et sortir indemne de ces rôles ?

Il faut prendre de la distance. C’est un travail. Tu rentres dans le personnage durant les séquences tournées, mais il faut pouvoir en sortir. A vrai dire, j’ai un peu de mal avec le mythe de l’acteur qui incarne son rôle en dehors du tournage. Justement, le propre de l’acteur est de jouer à l’instantané, juste au moment où on lui demande. C’est la performance qui prime plus que tout. L’interprétation peut effectivement laisser des souvenirs, des émotions. Il y a des rencontres qui sont marquantes. En revanche, le rôle en lui-même n’existe que le temps du tournage dans la journée. Il ne doit pas te hanter. C’est beaucoup plus sain sinon tu deviens fou. Je ne pense pas que l’acteur a pour vocation de devenir fou. Il faut pouvoir se protéger. C’est un métier au cours duquel la fragilité et la sensibilité sont exposées. Et il faut être capable de conserver cette forme de distance.

Plus anecdotique, ton obsession pour les ‘Babybel’ est-elle toujours d’actualité ?

Parfaitement ! D’ailleurs, juste après notre conversation, je vais aller m’en ouvrir un (rires). C’est justement à cette heure que je les mange habituellement. Il s’agit peut-être de ma plus grande emprise…

Y a quand même pire comme vice finalement…

Oui, bien sûr (rires). C’est quand même un peu gras, je dois donc faire attention… (rires)

Nouvel album « It's Happening Now », paru ce 21 janvier 2022


 

Le Noiseur

Je milite pour le retour du slow !

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Il jongle avec les mots pour chasser les maux en y enfonçant cette pointe de second degré qui le caractérise. Lui, c’est le Noiseur.

Derrière ce pseudo, se cache Simon Campocasso. Un idéaliste à la mélancolie douce et au verbe acéré. Il navigue entre l’eau et le feu. Et si Le Noiseur était un poète écorché vif ?

La musique constitue pour lui une échappatoire dans laquelle il s’enfermera alors qu’il fête à peine ses 16 ans.

Depuis, lorsqu’il ne chante pas, il chuchote. D’un grain de voix qui n’est pas sans rappeler Biolay. On entre immédiatement dans le vif du sujet…

Simon, tu possèdes un grain de voix proche de celui de Biolay. Elle a quelque chose à fois d’envoûtant et de nonchalant, tout en en recelant cette touche de pudeur. On a l’impression que, parfois, tu chuchotes plus que tu ne chantes. Le Noiseur est-il un artiste dans la douceur ?

Sur le premier album, je n’assumais pas totalement ma voix. Effectivement, je chuchotais. Ici par contre, je suis plus à l’aise tant avec ma voix que le chant. Je suis moins dans le chuchotement. En tout cas, j’essaie de m’en détacher. C’est un ressenti personnel que d’autres ne partagent peut-être pas. C’est un disque qui reste dans la douceur, oui. Mais, je suis plus généreux dans l’interprétation.

« Le Noiseur » est le pseudo utilisé par ta mère car enfant tu étais turbulent. L’image que tu reflètes aujourd’hui semble en tout cas très éloignée, voire totalement opposée de celle que tu incarnais. Au fond, devenir artiste et monter sur les planches est en soi une démarche schizophrène.

Effectivement, enfant j’étais assez turbulent. Je me suis assagi depuis lors. Simon Campocasso (NDR : son nom à l’état civil) était plus difficile à prononcer, j’ai donc conservé ce pseudonyme. Tu as raison, dans la démarche artistique, il y a quelque chose de schizophrénique. J’ai l’impression que lorsque je suis sur scène, je suis celui que je ne parviens pas à être dans la vie. Par exemple, au sein d’une assemblée, je ne suis pas celui qui va monopoliser la parole ou qui va raconter de longues anecdotes. Sur scène, j’aime parler avec le public, car je sais qu’il va m’écouter.

« Du bout des lèvres », ton premier elpee, était largement autocentré. « Musique de Chambre » se signale par cette ouverture au prochain. Quelle est la genèse de ce processus ?

Le premier album était intimiste. Ensuite, je me suis retrouvé seul à composer des chansons. Cette période de solitude m’a incité à s’ouvrir aux autres. La période Covid a accéléré le mouvement. Le second est ainsi plus fédérateur que le précédent. Je voulais que mes chansons puissent s’exporter en ‘live’. Ce qui explique pourquoi elles sont donc plus généreuses et ouvertes aux autres.

Tes textes véhiculent des messages puissants, mais pour les faire passer, tu as recours au ‘second degré’. Pourquoi ?

Ce second album m’a permis de mettre plus de distance dans l’écriture des chansons. Il est conçu comme je le suis. En y révélant, à la fois, un côté mélancolique et un côté amuseur. Ces deux pôles cohabitent parfaitement. Le second degré permet aussi d’exprimer des opinions plus profondes et de sensibiliser davantage les gens.

Chanter la mélancolie est quasi un passage obligé chez la plupart des artistes. Qu’en est-il du bonheur ? Il se vit plus qu’il ne se chante ?

C’est ce que je pensais au début. Finalement, il est tout aussi intéressant d’écrire des chansons tristes que plus légères. A titre d’exemple, « Summer Slow » ou « Stone de toi » se réfèrent à ces instants de bonheur. Ces compos permettent d’apporter ce petit côté ‘feel good’ sur scène.

Après « Musique de chambre », une plage qui figurait sur ton premier Ep, tu as composé « Musique de stade », un morceau qui figure sur ton dernier long playing. Mais si tu souhaites leur donner une suite, quel titre comptes-tu choisir ?

C’est difficile d’aller au-delà. Ici, je suis dans le dernier vote des Victoires de la Musique. Alors je dirais simplement « Musique des Victoires de Musique ».

« Relax », titre éponyme, aborde le regard qu’on peut porter sur les années d’adolescence lorsqu’on vieillit. Qui étais-tu ? Qui rêvais-tu de devenir ?

Enfant, je voulais faire de la musique. Mais, c’est vers mes 16 ans que l’envie d’écrire des chansons et de monter sur scène s’est enfin révélée. Après le BAC, j’ai fréquenté deux universités où j’ai suivi des cours consacrés à la musique. La première m’a permis d’appréhender de manière approfondie la théorie. La seconde était davantage axée sur celles réservées au cinéma. Je n’avais pas d’autre envie. Mes parents se sont parfois inquiétés, je dois bien l’avouer. Mon parcours a finalement démontré que je ne m’étais pas trompé.

Dans « Jimi Hendrix », tu abordes le thème de la mort. Quel est ton rapport au temps qui passe ?

J’ai perdu ma mère lorsque j’écrivais ces chansons. J’ai dû faire face au deuil. Cet évènement a complètement bouleversé mon rapport au temps et a impacté forcément l’écriture des compos. Cela se ressent. Il y a désormais ce facteur d’urgence. J’en parle dans « Jimi Hendrix ». J’ai effectivement peur de ne pas pouvoir concrétiser mes projets et notamment à travers des albums. Cette chanson constitue un appel à la vie. En évoquant ces morts du club des 27 et d’autres qui sont décédés si jeunes, je voulais rendre hommage à la vie et ce rapport au temps qui a changé.

S’il te restait 24 heures à vivre, que ferais-tu ?

Je les passerais avec les gens qui me sont les plus chers, c’est certain.

Parlons un peu de « Summer Slow 88 » qui relate une rencontre durant un slow. Pratique souvent jugée comme ‘has been’ par de nombreux jeunes. En ce qui te concerne, j’ai bien compris que tu étais plutôt vieille école. La meilleure manière d’emballer pour toi ?

Je milite pour le retour du slow.  C’est une pratique qui favorise les rencontres, surtout pour les personnes timides. Elle permet de se rapprocher et de discuter. Il faut vraiment revenir au slow.

Le clip de cette chanson a été tourné lors d’un véritable thé dansant. Une manière de t’imprégner de la vie des gens et de leur milieu ?

J’ai tourné plusieurs clips sur ce même principe. Perso, il s’agissait d’aller à la rencontre de personnes et d’observer le milieu dans lequel elles évoluent. Cette méthode permet aussi d’atteindre des résultats plutôt inattendus et surprenants. Les retours ont été assez positifs tant en ce qui concerne les équipes de tournage que des figurants lambda qui ont participé aux clips. Nous en retirons de jolis souvenirs. A titre anecdotique, j’ai gardé le contact avec certains d’entre eux. Cette aventure demeure une belle expérience.

Le rapport au numérique est abordé dans « Week-end à Rome 2.0. ». Le téléphone est devenu aujourd’hui un outil dont nous sommes devenus dépendants. Internet en est également un autre qui a été créé par l’homme sans qu’il ne puisse plus le maîtriser. Etait-ce mieux avant ?

Je ne sais pas. Il y avait des choses intéressantes avant, c’est certain. Aujourd’hui, la technologie permet de réaliser des trucs géniaux. En ce qui me concerne, elle a facilité mon rapport à la musique. Je dispose d’un petit studio chez moi. Tu peux le mettre dans une valise et te rendre où tu veux. Pratique qui était rendue impossible il y a encore quelques années. Je suis content de vivre dans cette époque. En revanche, je reste convaincu que le téléphone et toutes les applications périphériques (Facebook, Instagram, etc.) doivent rendre difficile la vie des adolescents. Je dirais que, de ce point de vue, c’était mieux avant.

Les réseaux sociaux permettent pourtant des rencontres plus faciles et plus rapides que le slow dont on parlait tantôt…

C’est sûr que pour draguer, c’est mieux aujourd’hui (rires).

« Aston Morphine » rend hommage à Françoise Sagan. Un personnage plein de contradictions. Correspond-t-elle à ton image ?

Elle était contradictoire sous certains aspects effectivement. J’aime les voitures et la vitesse. Les points communs que l’on partage m’ont en effet inspiré. Son amour pour le jeu était inconditionnel. Sa vie était uniquement tournée vers le plaisir finalement. C’était une artiste, elle écrivait. Une personnalité très référentielle. Le postulat de départ n’était pas de consacrer une chanson à Françoise Sagan. En fait, elle a traversé mon esprit et a fini par guider toute la composition.

Ce disque a été conçu après le premier confinement. Cette crise sanitaire a été catastrophique pour le monde de la musique. Elle a littéralement castré les artistes de l’univers de la scène. Comment as-tu vécu cette période en tant qu’homme et artiste ?

J’ai trouvé cette crise amusante au début parce que nous étions tous confrontés à la même situation. Nous étions tous enfermés, devant nos PC ou sur Instagram. Un artiste avait beaucoup de réaction lorsqu’il postait quelque chose sur la toile. On avait du temps. J’ai créé quelques vidéos marrantes. J’ai été sollicité par les médias pour leur offrir du contenu. Par la suite, la situation est devenue pesante et compliquée parce qu’elle s’installait dans le temps. Jusqu’à aujourd’hui encore. Au début, cette situation était inédite et on pouvait encore en retirer quelque chose. Aujourd’hui, tout cela est terminé.

L’esthétique est omniprésente tant dans les clips que les photos de presse. Son et visuel, même combat ?

Je ne me pose pas ces questions en ces termes. Les clips m’intéressent, oui. Je m’implique dans tout ce que j’accomplis et j’y mets beaucoup d’énergie. Je n’accorde pas plus d’importance au clip qu’à la musique. J’essaie de réaliser un travail cohérent. Les vidéos constituent un moyen supplémentaire de s’amuser, de réfléchir, d’emmener le projet ailleurs, d’aller plus loin, sans en oublier le plaisir que cette activité procure.

(Interview réalisée par visioconférence le 1er décembre 2021)


 

Pauline Croze

Après le heures grises, chanson française urbaine…

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Pauline Croze, c’est une voix immédiatement identifiable, un jeu de guitare particulier, des chansons légères ou bouleversantes (dont « T’es beau », repris par Imany et Angèle), et surtout, une forte personnalité, qui a enregistré quatre albums originaux dont un de reprises, en 2016 (NDR : s’autorisant une incursion dans la musique brésilienne, et la bossa nova en particulier), toujours interprétés avec élégance et sobriété.

Pauline Croze sur scène, c’est un public qui la suit depuis environ 15 ans. Mais aussi la révélation aux Transmusicales de Rennes en 2003 (suivi en 2004 du Prix Sacem du Festival Chorus des Hauts de Seine), des tournées régulières rassemblant un public fidèle - jusqu’à celle de 2018 / 2019 en compagnie d’Astérios.

L’année 2020 a démarré par la mise en ligne sur Youtube du documentaire de Didier Varrod, « Pauline Croze, mise à nu ? », réalisé il y a bientôt 15 ans peu de temps après la sortie en 2005 de son premier long playing éponyme.

Gravé en 2007, son deuxième opus, « Un bruit qui court », lui a permis de décrocher ‘Le prix de l’Eden’, en 2012.

Son avant dernier LP, « Ne rien faire », remonte à 2017.

En 2019, Anne Claverie, via sa société Absolute Management, a retrouvé Pauline pour préparer, comme éditrice et directrice artistique, son nouvel elpee.

Quatre nouveaux titres devaient être enregistrés en avril 2020, après un déménagement. Suite au confinement, il est resté au stade de projet. En attendant de pouvoir s’installer, Pauline a séjourné dans une maison de la campagne sarthoise où heureusement, elle a découvert que le grenier sonnait très bien pour ses prises de voix.

C'est donc à distance, en mode enregistrement ‘confinement’, entre ce grenier, Reims, Roanne, Paris, les Landes et Montréal que quatre premiers titres ont finalement pu être enregistrés en compagnie de Charlie Trimbur (Camp Claude, Eddy de Pretto), Pierrick Devin (Lomepal, Phoenix, Benjamin Biolay), Nk.f (PNL, Angèle, Damso), Romain Guerret (Aline, Alex Rossi... co-auteur et réalisateur de « Kim ») et enfin Voyou (à la trompette sur ce même titre).

Trois plages –dont « Kim » et « Le Monde »– ont été mixées par Alf Briat (Air, Sébastien Tellier, Flavien Berger) et masterisées par Alex Gopher.

« Kim », le premier single de ce nouveau chapitre, est paru le 14 mai 2021.

Début juillet, le suivant, baptisé « Le Monde » (réalisé par Charlie Trimbur), lui a succédé.

Et un troisième, « Je suis un renard », a embrayé cet automne, avant que ne soit publié son nouvel album, « Après les heures grises » ; une période au cours de laquelle elle a accordé de nombreux concerts, toujours avec Astérios.

Pauline Croze est bel et bien de retour !

 

Qu’est ce qui a changé depuis la sortie du single « T’es beau », issu du ton premier opus, et le sixième, « Après le heures grises », qui vient de paraître ?

Plein de choses. Il y a quand même seize ans qui se sont écoulés depuis le premier album. Je pense que je suis plus apaisée. Ma musique est différente.

J’ai voulu aussi explorer d’autres styles musicaux. Ne pas forcément rester dans la veine ‘chanson française’. Il y a eu pas mal de chemins de traverse. Aujourd’hui ma musique c’est toujours du ‘Pauline Croze’ mais j’ai voulu aborder d’autres sons. Notamment plus électroniques et un peu plus urbains. En résulte un album assez éclectique. Dont je suis plutôt fière.

« Nuit d’errance » est un morceau très intimiste, juste piano-voix. D’autres sont, comme tu dis, très électroniques. Que penses-tu de ce virage électronique de la chanson française ?

A partir du moment où la chanson est bien écrite, bien composée et que l’arrangement la sublime, ça me va. C’est-à-dire que je peux très bien être séduite par ces nouveaux habillages. Il y a pas mal de jeunes artistes de chansons tels que Voyou où l’électronique est un peu moins présente ; mais c’est quelqu’un qui s’ouvre de nouveaux horizons, a un superbe univers, joue super bien et a une poésie magnifique. Il est un peu plus proche de la musique contemporaine car il collabore avec des orchestres symphoniques.

Tim Dup parvient également à naviguer de manière hyper fluide grâce à un son très proche de l’univers de Barbara, très piano-voix, très classique. Mais il est aussi capable de nous entraîner dans un univers dansant, électro, club avec une aisance que j’estime fabuleuse.

Quel est le rapport entre le renard et le bagnard dans ta chanson « Le renard » ?

Je verrais le bagnard comme quelqu’un qui est exclu. Le renard, quand il suit ses instincts, peut parfois provoquer des accidents. Il peut faire des choses que l’on n’attend pas de lui. Par conséquent, il peut être écarté comme un bagnard. Pour ce morceau, je n’ai pas écrit le texte, je me suis chargée de la musique. L’auteure s’appelle Olivia Brun. Elle souffre de bipolarité. C’est tout ce cheminement, ces états d’âmes bouleversés qu’elle décrit. Cette chanson m’a beaucoup touchée même si je ne vis pas ces chamboulements à un degré aussi extrême. A ma mesure, je vis ces pics où je me sens très exaltée et des descentes au trente-sixième dessous où on a peur de tout et on devient parano. Cela m’a donc fortement parlé.

‘…je vis ces pics où je me sens très exaltée et des descentes au trente-sixième dessous où on a peur de tout et on devient parano.’

Dans le clip consacré à « Le renard », vous dansez à deux dans une chorégraphie filmée par des drones. C’est assez graphique, visuel. Et il y a de belles couleurs. Quel est l’idée du clip, son message ?

L’idée du clip est que le corps décrit ce cheminement de l’âme. Il y a les côtés très exaltés, volontaires et frondeurs et les côtés où il s’abandonne, se laisse tomber. Il s’enfonce dans quelque chose de sombre, de triste. Le drone est le témoin extérieur, le regard des gens. C’est un personnage à part entière. Il scrute la moindre de nos failles. C’est là que se joue la parano. Quand on vit cette bipolarité et des montagnes russes, il est difficile de se montrer sous ce jour-là car ce n’est pas un comportement dit ‘normal’. On sait que l’on ne va pas être accepté comme on est.

Ne pas être accepté comme on est te touche à quel stade ?

Cela me parle car pour être intégrée socialement, il faut adopter certains codes, une certaine attitude, un certain comportement. Dire que l’on est dépressif aujourd’hui est encore un discours qui fait peur. On ne le dit pas. Il y a des confidences que l’on doit garder pour soi parce qu’elles créent une distance avec les autres. On leur renvoie un miroir qui n’est pas rassurant.

Et à ton échelle, as-tu déjà ressenti ce malaise ?

Oui, à mon échelle, je l’ai déjà ressenti car je suis quelqu’un d’assez solitaire, de discret, de réservé. Je ne suis pas forcément très sociable. Une attitude qui ne fédère pas les gens autour de soi. Ne pas réagir aux mêmes choses et de ne pas aimer les mêmes choses que les autres, m’isole un peu. J’ai toujours eu du mal à vivre en groupe, à me créer des familles. Après, c’est mon tempérament.

Se sentir à côté ou à part, je le ressens. Inconsciemment c’est peut-être une barrière que je crée pour me protéger. Pour ne pas être en vis-à-vis par rapport aux autres, pour ne pas me confronter.

Il y a la posture dans laquelle on se met et le socialement correct. On doit tous s’agréger dans des attitudes communes.

Tu te sens un peu à côté, parfois ?

Parfois oui. Et je ne fais pas partie des gens qui n’ont pas envie de crier ‘cinq, quatre, trois, deux, un, zéro !’ le jour de l’an. Quand on a un tel comportement, par exemple, on est traité de rabat-joie.

Il y a des événements auxquels je n’ai pas envie d’adhérer, dans lesquels je ne me reconnais pas. Je ne participe pas mais je laisse les gens vivre.

Il en existe d’autres comme toi tu sais…

Oui il y en a d’autres comme moi. Mais on n’est pas nombreux.

Se sentir décalée est toujours quelque chose que j’ai ressentie mais je le vis probablement moins mal qu’avant.

Et ce côté-là sur les planches ?

Sur scène, en général j’essaie de bien m’entourer, d’être auprès des musiciens qui comprennent ma musique et mon propos. Sur scène je le ressens moins.

Quand tu as conquis ton public et qu’il vient te voir, tu en conclus qu’une reconnaissance mutuelle s’établit.

C’est vrai que dans mon public on ne rencontre pas forcément des gens très exubérants. On est toujours en miroir avec un artiste je pense.

Dans « Phobe », tu évoques la crise sanitaire à demi-mot. Tu dénonces la folie des hommes, la nature qui se dégrade. Mais tu dis qu’il ne faut pas hésiter à miser sur l’avenir. Comment mises-tu sur l’avenir ?

Dans « Phobe », on est poussé dans les extrêmes. On n’a plus le temps ni l’art de la nuance. On doit fonctionner de manière binaire. On s’extrémise quand il s’agit d’adopter ou de détester quelque chose.

Parmi les exemples on pourrait évoquer l’aspiration des êtres humains, l’angoisse face à la planète qui se dégrade. Nous vivons au sein d’un univers où on doit prendre parti très vite. Sur les réseaux, on nous envoie des messages par lesquels on est pris par le tripes, pour lesquels il faut réagir rapidement. Ce qui nous pousse à être tout l’un ou tout l’autre. Cette situation m’inquiète.

Et du coup je ne sais plus quelle était la question (rires)…

Comment mises-tu sur l’avenir ?

Ma manière de voir plus loin et de viser plus haut se résume tout simplement à continuer de faire de la musique. Qu’elle fasse rêver les gens, les divertisse, les transporte. Ma victoire par rapport à l’incertitude que l’on vit c’est de toujours réussir à en créer, à m’exprimer. Ce qui me permet de me projeter dans la vie. Pour moi une chanson c’est comme un message que j’envoie, c’est quelque chose que je veux transmettre à quelqu’un. C’est ma manière de ne pas me laisser décourager. Parfois ce n’est pas évident. On vit dans un monde qui est difficile. Le monde de la musique prend beaucoup de coups. Que ce soit à cause de la pandémie, à cause du marché du disque qui est très chamboulé. Les artistes sont conscients qu’ils ne vont pas vraiment vivre des revenus des plates-formes.

Je suis contente d’avoir sorti cet album, car c’est une lunette astronomique. Elle permet de me projeter. D’envisager reprendre la route en compagnie des musiciens et de vivre de ma musique. Que je vais la partager en communion avec des gens. C’est le but de ma vie quand je me lève le matin. C’est l’étoile que je peux toucher.

Comment as-tu vécu le confinement ?

Pas trop mal. Avant que la pandémie n’éclate, j’étais déjà occupée d’écrire et de composer. Chaque fois que je me consacre à l’écriture et à la composition, je suis un peu en confinement ; je m’enferme dans ma chambre, dans ma bulle…

‘Chaque fois que je me consacre à l’écriture et à la composition, je suis un peu en confinement ; je m’enferme dans ma chambre, dans ma bulle…’

Je vivais à la campagne dans une maison du Loir-et-Cher qui dispose d’un petit jardin. Je n’ai donc pas été enfermé comme les gens qui ne pouvaient sortir qu’une heure de leur appartement. Je n’ai pas subi de plein fouet cet isolement.

Et si je l’ai mal vécu, c’est par empathie, vis-à-vis de celles et ceux qui n’étaient pas aussi bien lotis que moi. C’est plutôt leur sort qui m’a chagrinée, m’a peinée et préoccupée.

Mais dans ma vie personnelle, cela n’a pas changé grand-chose. Hormis nettoyer ses courses. Ce n’est pas grave en soi, j’avais le temps de le faire. Mais cette pratique a dû mettre des gens dans des situations impossibles. Tout prenait un temps fou.

Que vas-tu faire si on retourne en confinement ?

Cette éventualité me préoccupe parce que j’ai une tournée en cours. Et là vraiment, transformer les heures grises en quelque chose de plus lumineux, ça va être compliqué.

Mais je prendrai mon mal en patience. Je resterai chez moi et me remettrai à composer d’autres chansons. Ou continuerai à peaufiner le jeu de guitare, le chant.

Comment arrive-t-on à se faire une place dans cette période de fin d’année un peu spéciale de 2021 ? Période pendant laquelle tous les artistes ont des projets à présenter dus au confinement.

Ce n’est pas évident. Bien sûr, des attachés de presse sont au front en Belgique et en France. Il y a beaucoup de travail de fond. Il était déjà conséquent auparavant, mais là il faut insister pour dire que l’album est présent. C’est très difficile car de nombreux artistes souhaitent présenter leur travail, veulent continuer d’exister. Malgré tout, les événements sont favorables, car le disque a reçu un très bon accueil chez les médias en France.

Evidemment, annoncer des dates permet à l’album de prendre sa place, petit à petit. Mais les fenêtres sont assez petites.

« Crever l’écran » traite de l’addiction aux écrans, aux réseaux sociaux. Comment gères-tu ce nouveau type de médias ? Car un artiste, aujourd’hui, est un peu obligé d’alimenter les réseaux sociaux.

Effectivement ce titre parle de l’addiction mais il aborde également pour thème une cause de rupture d’un couple. Que quelqu’un soit constamment sur un ordinateur crée de la distance. On a dès lors l’impression qu’une troisième personne s’est invitée. Ce n’est pas une critique des réseaux sociaux en tant que tel. C’est simplement savoir quelle place on donne à cet outil. Comment on l’utilise. Quelle place on veut qu’il prenne dans notre vie. Car on voit bien que c’est une cause de séparation. Les mômes, par exemple, sont constamment, tête baissée, sur leur téléphone. Il y a un moment où, si possible, on doit pouvoir faire preuve de savoir-vivre…

‘Les mômes, par exemple, sont constamment, tête baissée, sur leur téléphone. Il y a un moment où, si possible, on doit pouvoir faire preuve de savoir-vivre…’

Bien sûr, je ne me considère pas comme une exemple ; mais pour parler de sa musique et de se rendre visible, il est difficile pour un artiste de ne pas y avoir recours, effectivement. Que ce soit Instagram ou Youtube. On réalise des clips, des capsules vidéo, des sessions live. Honnêtement, je ne crois pas que l’on puisse s’en passer aujourd’hui. Même si je suis favorable à cette idée, car ils appartiennent aux GAFA. Et je ne les porte pas spécialement dans mon cœur. Vu ce qu’ils font des données par exemple. Mais c’est vrai qu’on est un peu obligés de passer par là.

Et puis, je me consacre quand même à des activités qui me ressemblent. C’est-à-dire que je ne me filme pas toute la journée. Je ne filme pas tout ce que je mange. Cette attitude me correspond, car je pense qu’il faut rester soi-même. En y ajoutant un peu de mystère, ce n’est pas plus mal. On voit trop de choses. On est submergé d’images.

Même moi, je me rends compte que je consulte mon téléphone toutes les deux minutes et je suis consciente qu’il faudrait uniquement l’utiliser pendant une demi-heure pendant la journée pour régler plein de trucs et ne plus y revenir ensuite.  

Mais c’est l’ennui qui pousse à t’en servir. Parfois je suis là à ne rien faire. C’est dur d’accepter de ne rien faire. C’est un rapport d’amour-haine par rapport aux écrans et aux réseaux.

Dans ton titre « Kim », tu t’adresses directement au dictateur de la Corée du Nord de manière assez familière. Penses-tu qu’une chanson peut changer le monde ?

Jimi Hendrix racontait que la musique changerait le monde. J’ajouterai que ce changement doit être accompli collectivement. Ce n’est pas une chanson. Ce sont toutes les chansons qui apparaissent dans notre vie, dans la vie collective, qui feront bouger les choses.

Et parfois, j’ai l’impression qu’on est toujours au même point qu’il y cinquante ans voire cent ans…

Je ne sais pas si une chanson peut transfigurer le monde, mais elle peut changer la vie de certaines personnes. Ils renaissent à l’issue de ce bouleversement. Ils changent leur environnement et par conséquent, ils transforment le monde. Cela passe par l’individu et par ce qu’il fait de ce qu’il reçoit. Comment il l’intègre à sa vie et comment il oriente ses choix de vie.

Maintenant, c’est du zoom. Le monde ne va pas changer radicalement…

Tu as une solution ?

Soit on admet qu’il n’y en a pas et on vivote. Soit on accepte que le monde est imparfait et on accepte de bricoler pour que la vie avance et permet de progresser.

La solution est propre à chacun. Chacun peut faire son état des lieux de vie et se dire ‘Je vais renoncer à ça et je vais partir dans cette direction pour que ma vie change ; pour ne pas se retrouver dans les mêmes situations, dans les mêmes schémas’. C’est individuellement qu’on doit se poser des questions et changer notre mode d’existence.

La solution ne doit pas être parfaite et performante. On attend trop qu’elle le soit. Il faut accepter qu’elle survienne à moyen terme. La solution pour certaines personnes est de s’enfermer dans le déni. A un moment ou un autre, elles vont se casser la gueule ; mais cette forme de dénégation leur permet de poursuivre leur vie. Donc quelque part c’est une solution. Actuellement on ne peut pas prétendre à une solution mathématique.

Pour cet elpee, tu as reçu le concours d’un tas de collaborateurs. Pourquoi ?

Je souhaitais que cet album se distingue du précédent. Je voulais aborder des sonorités plus contemporaines. J’écoutais pas mal de rock électro. Un groupe comme Tame Impala, par exemple, que j’adore. Mac Demarco ou Frank Ocean.  De la musique urbaine, comme celle de Damso dont je raffole. Perso, il s’agit d’un des plus grands en ce moment dans l’univers ‘urbain’. C’est pourquoi j’avais envie d’approcher ce genre de son. Pour y parvenir, j’ai appelé Charlie Trimbur. C’était le claviériste et choriste qui a participé à ma tournée précédente. Il a fait ses armes dans le domaine de la réalisation et maintenant il a acquis une certaine expérience. J’ai l’ai sollicité en lui signalant que j’avais envie de conserver ma couleur ‘guitare’, car c’est quand même mon ADN ; mais que je souhaitais me frotter à des sons plus actuels, plus contemporains. Je trouve qu’il est parvenu à les intégrer avec élégance et intelligence. Ma musique reste du ‘Pauline Croze’ mais avec une coloration un peu urbaine tout en respectant l’esprit ‘chanson’ quand même et sous un autre habillage. J’estime qu’il a vraiment bien travaillé.

Puis j’ai sollicité d’autres réalisateurs comme Fils Cara. Lui, c’est plus une couleur chanson sur « Je suis un Renard ». Pour presque chaque compo, j’ai fait appel à un producteur différent. Je n’ai pas proposé à Charlie Trimbur de travailler sur « Je suis un Renard » parce que je savais que ce n’était pas sa couleur. Ce n’était pas là où il allait être le plus efficace. Je l’ai donc présenté à Fils Cara. Je lui ai aussi soumis un deuxième titre parce que j’aime beaucoup son approche de ma musique. Il y a quatre à cinq réalisateurs qui créent une unité, finalement. Même si l’album est éclectique il y a un fil quand même.

Je voulais que cet album navigue entre les deux mondes. Sans choisir de n’être que chanson ou qu’à sonorité urbaine, car je ne prétends pas du tout être une artiste urbaine.

‘C’est individuellement qu’on doit se poser des questions et changer notre mode d’existence…’

Quel style de musique ou de chanson aimes-tu ?

J’aime plein de styles musicaux. J’adore le jazz, Duke Ellington, Nina Simone, Thelonious Monk. J’aime Tame Impala et tous les groupes rock électro des années 70. J’adore la musique africaine, mandingue, la kora. Je peux adorer Damso, Orelsan. J’écoute des tas de musiques différentes qui me font vibrer. En chanson, j’aime Voyou et Mathieu Boogaerts.

Quels sont les artistes qui t’inspirent ?

Tous. C’est tout ce que j’écoute qui qui me stimule et m’inspire. Je ne suis pas monodiète. Il n’y a pas un artiste particulier qui se détache des autres. J’adore écouter des styles très différents qui font un tout dans ma tête.

Les artistes qui ont établi le fondement de mon inspiration pour la composition sont Jeff Buckley, Keziah Jones, les Beatles, Nina Simone, Billie Holiday et Ella Fitzgerald. C’est la base, mon noyau, quand j’ai commencé à faire de la musique, à quatorze ans. Depuis le temps, j’ai écouté plein d’autres choses.

Et en chanson française particulièrement ?

Voyou, Tim Dup, Fils Kara et Zed Yun Pavarotti.

Bertrand Belin ?

C’est quelqu’un pour qui j’ai beaucoup de respect. C’est un excellent musicien et surtout un guitariste hors pair. Et il est entouré de très bons musiciens. Mais ce n’est pas un miroir pour moi. Je ne retrouve pas mes repères dans sa musique.

J’apprécie également Mathieu Boogaerts, J.P. Nataf ainsi que Thiéfaine. Il est issu d’une génération différente, mais sa poésie est incroyable. Brigitte Fontaine, aussi. Tous ces artistes dont la poésie est très forte…

Album « Les heures grises » paru le 8/10/2021

Méthode Chanson

 


 
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