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Didier Lockwood

Didier Lockwood, violoniste d exception

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A l'occasion de ses trente ans de carrière, et du concert accordé dans le cadre du 'Tourcoing Jazz Festival', 'l'enfant du pays', Didier Lockwood, a bien voulu se soumettre à nos questions. Il est sans conteste un des musiciens dont on peut dire qu'il a réellement apporté un nouveau sens au jazz et au violon. Un entretien aussi charmant que passionnant…

Quel bilan tirez-vous de vos trente ans de carrière, et pourquoi était-il il important de sortir un double album à cette occasion ?

Trente ans de carrière en milieu professionnel, ça vous donne un coup au cœur ! Le bilan de cette carrière, est évidemment très positif. Trente CD, 3000 concerts un peu partout, c'est évidemment formidable, et c'est pourquoi, j'ai voulu, dans " Globe Trotter ", retracer mes impressions de voyage. Je crois que je n'ai jamais voulu m'arrêter en si bon chemin, et peut-être est-ce une espèce de boulimie. Et puis fêter ces trente ans de carrière, c'était aussi important, dans le sens où la vie n'est pas indéfinie.

Les voyages vous ont-ils toujours inspirés ?

Oui, absolument. En fait, partir de Calais, découvrir des ambiances très différentes m'a vraiment enrichi, c'est évident, et sur " Globe Trotter " solo, j'ai vraiment essayé de retracer ces parfums, ces impressions de voyages tellement diverses. Cela m'a aussi permis de découvrir des musiciens, des compositeurs, ce qui est toujours très intéressant.

D'ailleurs, on passe de l'Inde au Maroc sans même se rendre compte des enchaînements musicaux. Ce travail a-t-il été si compliqué ?

En fait ce que vous me dites prouve que le but est atteint, donc tant mieux ! Il fallait en effet créer des liens entre ces voyages musicaux, et ces voyages tout courts. Il y a longtemps que je m'intéresse à ces techniques et, enfin de manière plus générale, à l'électro. Donc, comme aujourd'hui, on a la possibilité d'exploiter, de traiter les sons, autant s'y essayer, et que cela ressemble à des sons intéressants. Je crois, en tout cas, que c'est une voie à suivre.

Mais on a l'impression que vous ne jouez pas seul, alors que pourtant, c'est le cas. Comment avez-vous travaillé la superposition des sons, notamment sur " Globe Trotter in Argentina ", et " In Texas "…

Oui en effet, je me suis créé un accompagnement grâce à une machine qui tourne en boucle, ou si vous préférez, à l'aide de séquenceurs, d'échantillonneurs, de pédales d'effets. Le fait de jouer aussi avec un violon à six cordes donne peut-être cette impression. En réalité, c'est surtout vrai dans le morceau " in Andalusia " où la basse rythmique donne de l'ampleur à une musique hispanisante.

Quand vous dites que " Globe Trotter " a été enregistré dans les conditions du 'live', cela signifie t-il que vous avez voulu garder l'unicité de l'improvisation, et que par là-même, aucune erreur n'était possible ?

Oui, j'ai une passion évidente pour l'improvisation, et il s'agit en effet d'un solo en temps réel. Cela signifie surtout que je voulais offrir aux auditeurs de ce disque, les sensations qu'ils peuvent retrouver sur scène. Je voulais que l'essence de la scène transparaisse dans ce double album.

Le son du violon est parfois transformé. Diriez-vous que le violon est un instrument polymorphe ?

Ce qui est sûr, c'est que l'on peut produire des sons très nouveaux, qu'on ne pouvait pas faire avant. Il faut donc exploiter toutes les ressources de cet instrument.

Le deuxième CD de ce double album, avec la participation de Benoît Sourisse, André Charlier, et Stéphane Guillaume, est peut-être plus réservé aux initiés…

Oui, c'est peut-être un langage du jazz de plus haut niveau, mais qu'elle soit jazz ou rock, tant que la musique procure des émotions, peu importe. L'essentiel est vraiment le ressenti qu'ont les personnes quand ils écoutent tel ou tel morceau. C'est vrai que le solo est plus accessible, mais je voulais qu'il y ait un côté " grand public " pour fêter mes trente ans de carrière !

Et vous préférez jouer en solo, ou avec " le new quartet " ?

J'aime les deux, mais c'est vrai que jouer en solo est une totale introspection, sur " Globe trotter ", c'est donc ma vérité personnelle du voyage. Je crois que le solo me correspond plus, parce qu'il y a une extrême liberté à l'improvisation.

Vous avez écrit un livre, puis ouvert un centre musical en 2000. Vous sentez-vous quelqu'un de polyvalent ?

Oui, j'aime bien découvrir des horizons un peu différents, et certaines personnes me surnomment d'ailleurs " VTT " : violoniste tout terrain !

Vous avez donc créé le CMDL (Centre Musical Didier Lockwood) à Damaries-les Lys en 2000 (NDR : soyez rassurés, il ne s'agit pas de l'antre de la Star Academy, située également à Damaries-les Lys !) Pourquoi ce projet vous tenait-il à cœur ? En quoi la pédagogie est-elle un moteur ?

Oui, ça a été plutôt rapide. En fait, j'aurais préféré créer un Centre de Musique à Calais, mais je n'étais pas vraiment soutenu, enfin, disons que cela avait l'air assez compliqué. Mais la pédagogie, la transmission est très importante, car c'est une énergie positive, et aider les musiciens est épatant.

En ce qui concerne le recrutement des professeurs, avez-vous privilégié 'l'affectif' ?

Il est évident que j'ai choisi des musiciens que j'aimais. Ce sont tous mes lieutenants qui enseignent au CMDL ! En fait, je ne voulais pas prendre de professeurs titulaires, parce que je voulais qu'il y ait avant toute chose une passion, que la musique soit plus importante que tout le reste. Mais ce n'est pas une critique, puisque certains ont refusé de me suivre dans ce projet, et sans doute aussi parce qu'ils n'avaient pas la fibre pédagogique. C'est donc important d'être pédagogue, mais aussi passionné.

 

 

A.S. Dragon

La fureur du dragon

On les croyait voués à battre le fer kitsch rock de la tribu Tricatel, les voilà devenus un vrai groupe, avec une chanteuse, Natasha, et un album, " Spanked ". AS Dragon pourrait même être la meilleure chose qui soit arrivée au rock français depuis bien longtemps. Nous les avons rencontrés en plein milieu d'une tournée qui confirme, après celles des plages, de Burgalat et de Chamfort, leur excellence scénique. Où tout fût question d'attitude, de confiance et de persévérance.

Racontez-nous la genèse de cet album.

Hervé Bouétard (batterie) : On a rencontré Natasha en janvier 2002. Peu de temps après, on s'est mis à composer, en essayant les nouveaux morceaux en concert avec Bertrand Burgalat… Ca nous a permis de les roder, puis après on les a terminés à l'arrache au studio. Ca s'est fait très rapidement : cet album, c'est un peu une photographie de ce qu'on incarnait il y a un an. Certaines sont issues de jams, d'autres ont été apportées individuellement puis arrangées par le groupe ou bien composées ensemble… En fait notre méthode de travail est multiple. On essaie toutes les pistes possibles. C'est un vrai travail de coopération : il n'y a pas de leader. On est tous à même de composer, même si on n'est pas des foudres de guerre ! Mais il n'y a pas de dictature.

Avant l'arrivée de Natasha, on avait l'impression que vous étiez un peu le " groupe de studio " de Tricatel, le backing band de Burgalat ou de Houellebecq…

Michael Garçon (claviers) : On était un peu plus que ça, en fait. On ne se contentait pas de jouer ce qu'on nous demandait de jouer. On apportait déjà notre touche. C'est vrai que le groupe s'est soudé très rapidement autour de Michel Houellebecq… Mais si on fonctionnait bien en faisant notre travail de backing band, il nous arrivait aussi de travailler comme arrangeurs. A cette époque on commençait déjà à composer des petits trucs… On savait déjà qu'on pouvait composer, arranger. Donc le tournant s'est fait très facilement.

Hervé : On savait qu'on allait finir par devenir un groupe à part entière, avec nos compos, et puis on a rencontré Natasha, et là tout s'est accéléré. Le fait de trouver quelqu'un pour chanter nous a permis de canaliser nos compos… C'est à partir de là qu'on est devenu un vrai groupe.

Dans quelles circonstances vous êtes-vous tous rencontrés ?

Michael : Bertrand Burgalat cherchait un groupe pour accompagner Michel Houellebecq. En fait, au départ il voulait un groupe qui existait déjà, des gens qui se connaissaient entre eux. Il a d'abord demandé à Eiffel de participer au disque, mais vu qu'ils avaient une carrière à gérer, ils n'ont pas suivi… Comme la tournée de Houellebecq se préparait, Bertrand a donc dû lui-même monter un groupe. Il a récupéré Hervé et Stéphane (Salvi, guitares) du groupe Montecarl, moi qui venais de la musique électronique avec Kojak, et Fred Jimenez à la basse, qui avait proposé ses maquettes à Tricatel et dont le jeu lui a tout de suite plu. Il y avait aussi Peter Von Poehl qui travaillait beaucoup en compagnie de Bertrand, qui était un peu son bras droit. Puis Peter est parti au moment où Natasha est arrivée, et Fred en septembre 2002. C'est David Forgione qui le remplace.

Et Natasha ?

David Forgione : C'est Michael, qui sort beaucoup, qui l'a rencontrée. Et quand AS Dragon s'est mis en quête d'une chanteuse, il nous l'a présentée, et ça l'a fait tout de suite.

Michael : Elle ne connaissait ni Tricatel ni AS Dragon. Elle a écouté, et par politesse je pense, a dit qu'elle trouvait ça bien. Le lundi d'après, je l'ai appelé et dans la semaine on faisait déjà une télé et un concert.

Hervé : Depuis le début de cette aventure on a eu beaucoup de chance. Ca a fonctionné tout de suite.

A ce moment aviez-vous déjà des compositions toutes prêtes ?

Hervé : En fait on a quasiment tout repris à zéro, parce qu'on est parti du principe qu'avec Natasha il fallait une refonte : pas qu'elle colle à notre truc, mais qu'on fasse tout vraiment ensemble. Il a fallu qu'elle écrive plein de textes. Du gros boulot ! Mais on aime bien travailler dans l'urgence, saisir l'instant. On n'a fait aucune maquette, aucune pré-production : on a enregistré directement plutôt que de remachouiller des morceaux pendant des mois. C'est un peu la façon de Tricatel de bosser, et on s'y est fait. C'est assez créatif et surprenant.

Mais ne craignez-vous pas en même temps d'être vite catalogués " Tricatel " ?

Hervé : Ouais… Mais on a l'impression que depuis qu'on est là, son image a un peu changé : pour beaucoup c'était un label élitiste, parisien, easy listening,… Je pense que nous lui avons insufflé - mais sans prétention ! - un truc nouveau, un peu plus rock, un peu plus urbain, un peu plus spontané. On n'est pas du tout second degré, kitsch… Même si je pense que Tricatel ne l'a jamais vraiment été ! Puis on préfère être sur un label indépendant que sur une major : il n'y a pas de sous, mais il y a plein d'autres avantages.

En live, votre structure rythmique est impressionnante. Vous êtes, techniquement, le groupe français le plus imposant sur scène… Sans pour autant être labellisés " Made in France ". Comment vous positionnez-vous dans le paysage rock français ?

Natasha : On écoute plus de musique anglo-saxonne que française.

Hervé : On n'est pas du tout influencé par la scène française, même s'il y a des groupes en France qu'on apprécie beaucoup, mais…

Natasha (l'interrompant) : Si, on aime tous Gainsbourg, mais on essaie d'éviter de le dire parce que c'est tellement évident… A part ça, c'est vrai que le rock français, ce n'est pas vraiment notre source d'inspiration.

Hervé : Les seuls groupes intéressants en France, ils ne vendent aucun disque, et on ne parle jamais d'eux. Nous on aime bien les Married Monk, ce genre… Mais on n'est pas très " chanson française ".

Vous estimez ne pas être influencés par la chanson française, mais en même temps certains de vos titres sont chantés en français. Qu'est-ce qui vous attire dans la langue française ?

Natasha : Les quotas ! (rires) Plus sérieusement, si le morceau peut fonctionner en français, c'est un plus parce que c'est notre langue. On s'exprime forcément plus directement en français, même si musicalement c'est plus facile en anglais… Mais il ne faut se priver ni de l'un ni de l'autre, même s'il est difficile de faire sonner un texte en français, surtout en rock, sans tomber dans un truc grossier. C'est compliqué parce qu'on ne peut pas se permettre d'être aussi simpliste en français qu'en anglais… Mais si ça passe bien, c'est finalement plus révélateur du groupe que ce qu'on fait en anglais.

En cas de problème, il y a toujours Baudelaire (le morceau " Un Hémisphère dans une Chevelure ") !

Natasha : La poésie du XIXe et le rock actuel, pourquoi pas ? Si ça peut fonctionner, tant mieux !

Et les poètes maudits sont assez proches des rockeurs d'aujourd'hui...

Natasha : Mais carrément !

Hervé : Ce sont toujours des gens qui ont du mal à supporter leur époque. A travers le temps on se retrouve… C'est le point commun.

C'est vrai que vous sonnez très rock'n'roll… Très soul aussi.

Hervé : Ben c'est notre tronc commun à tous : la soul, la musique black des sixties et des seventies,… Mais on aime bien aussi la new wave, le punk rock, la musique jamaïcaine, enfin de tout, quoi.

D'où les reprises de " Tears of a Clown " avec Burgalat, et ici, de Betty Davis ?

Natasha : On y est venu très vite parce qu'on s'est retrouvé sur scène 4 jours après notre rencontre, donc forcément… Betty Davis, c'est une espèce de challenge : avant d'arriver dans le groupe, je n'avais jamais vraiment chanté.

Sans blague ! ?

Hervé : On a vu directement qu'elle avait du potentiel… Mais depuis elle a beaucoup travaillé !

Natasha : Ce que j'ai amené surtout, c'est la fraîcheur, parce que je n'avais aucune expérience, et en même temps je suis assez spontanée, je me jette pas mal à l'eau. C'est ça qui a plu, au groupe et au public. C'est ça, en fin de compte, la définition du rock : le fait de se mettre en danger.

 

Tindersticks

En attendant la lune...

A l'occasion de la sortie du nouvel album de Tindersticks, " Waiting for the moon ", nous avons rencontré le pianiste du groupe, David Boulter. A la fois compositeur de certains titres et faux frère de Stuart Staples, David Boulter n'aura de cesse, pendant cette interview, de clamer son bonheur. Pour lui, cet album pourrait bien être le meilleur des Tindersticks, après les débâcles qu'a connues le groupe il y a quelques années (à l'époque de " Simple Pleasure "). Aujourd'hui soudés comme jamais, les six Anglais s'avouent satisfaits et sereins. A l'écoute, ces sentiments se traduisent par une certaine lumière, filtrée par la voix de Stuart et par son écriture, libre et aventureuse, par moment même presque guillerette. Un mot reviendra sans cesse pendant cette rencontre : " naturel ". Comme si David Boulter et ses collègues voulaient à tout prix nous convaincre que cet album avait été enfanté, non pas dans la douleur, comme ce fût déjà le cas par le passé, mais dans une atmosphère parfaitement détendue. Les Tindersticks se lâchent enfin : ça fait du bien…

Avant de parler de " Waiting for the moon ", peux-tu nous raconter ce qu'a vécu Tindersticks au cours de ces deux dernières années, depuis ce dixième anniversaire célébré ici, au Botanique, il y a deux ans ?

Nous avons beaucoup joué pour promouvoir " Can Our Love… ", qui paraissait au même moment, puis nous avons bossé presque plein temps… Cette tournée était assez imposante, avec l'orchestre, les cordes, les chœurs, … Mais au lieu de nous reposer et de calmer le jeu, nous nous sommes directement attelés à la composition d'un nouvel album.

Ce fut un processus difficile ?

Pas vraiment difficile, mais long, parce deux d'entre nous avons maintenant des enfants, ce qui fait qu'on ne pouvait pas se concentrer à 100% sur l'album… Il y eut pas mal de pauses. Sans cela, on aurait pu le terminer l'été dernier.

" Can Our Love… " possédait une tonalité très soul, avec des chansons qui s'entremêlaient, se fondaient l'une dans l'autre. Pour celui-ci, c'est encore autre chose… Une constante, finalement, dans l'histoire du groupe.

C'est vrai. Il y a quelques idées sur " Waiting for the moon " qui datent de " Can Our Love… ", mais qui ne correspondaient pas vraiment à la texture générale de l'album, qui n'auraient pas pu s'épanouir dans le canevas qu'on avait mis en place. Quand nous avons commencé à composer ce nouvel album, nous voulions vraiment faire un album cohérent de bout en bout, sans baisses de tension, ce qui était trop le cas avec " Can Our Love… " et " Simple Pleasure ". Le problème avec ces deux disques, c'est qu'on a l'impression que certaines chansons manquent ou que d'autres sont tellement fortes qu'elles éclipsent le reste. Pour celui-ci, on était tous d'accord pour essayer d'éviter cela. Et surtout, que tout le monde soit cette fois-ci sur la même longueur d'onde : il est fini le temps où chacun suggérait une idée et désirait la retrouver sur le disque, en dépit d'une certaine homogénéité.

Pourtant on sent encore une fois cette volonté d'expérimenter, notamment avec ce " Just a dog " aux consonances country…

Je crois qu'il est très important pour nous de toujours essayer un tas de choses différentes… On a toujours voulu se départir de cette habitude qu'ont les journalistes de nous coller l'étiquette " rock ". Je pense qu'avec ce disque, nous avons essayé de revenir à un son plus expérimental, de tenter encore plus de choses… Même si c'est toujours ce que nous avons fait par le passé, genre utiliser un tas d'instruments plus différents les uns que les autres. Ca nous vient plutôt naturellement, en fait !

Il n'empêche que les chansons de cet album semblent plus évidentes qu'auparavant.

Comme tu disais, les chansons de " Can Our Love… " ressemblaient plus à des jams, qui se chevauchaient… Ici, la plupart des chansons sont davantage écrites : nous savions exactement quelles directions elles devaient prendre, avec de vrais couplets-refrains. Je pense aussi que les arrangements de cordes sont les meilleurs que nous ayons faits jusqu'ici.

Et puis il y a ce duo, une autre constante chez vous… Qui est cette femme qui chante sur " Sometimes It Hurts " ?

C'est Lhasa de Sela, une chanteuse québecquoise aux origines mexicaines. Elle chante en français et en espagnol. Ian Caple, notre producteur, avait déjà travaillé avec elle par le passé, et comme elle a une sacrée voix, il nous a passé ses disques pour qu'on se fasse une idée. C'est toujours intéressant de collaborer avec des personnes extérieures au groupe, surtout pour Stuart (NDR : Staples, le chanteur), parce qu'il écrit souvent des chansons comme des histoires, qui se prêtent bien à ce genre de duos.

Comment l'avez-vous rencontrée ?

Nous l'avons tout simplement appelée, et elle fut directement intéressée. Elle est donc venue nous rejoindre à Londres pendant quelques jours.

Elle a une drôle de voix… Peut-être à cause de ses origines !

Quand tu écoutes ses propres albums, sa voix est vraiment au centre de la musique. Et le fait qu'elle chante en français et en espagnol renforce encore ce côté atypique, surtout pour nous qui ne comprenons pas ces deux langues… Sa voix sonne comme un instrument à part entière : c'est bien plus que quelqu'un qui, simplement, chante. Nous avons aussi fait beaucoup de duos avec des gens qui au départ n'étaient pas nécessairement des chanteurs, comme Isabella Rossellini. C'est très excitant de collaborer avec des personnes qui ont de fortes personnalités… Mais c'est vrai que ça fait parfois du bien de travailler avec quelqu'un qui possède une vraie base musicale, qui sait comment chanter.

Justement, concernant les voix et les duos, on a l'impression que Dickon Hinchliffe, votre violoniste, chante davantage sur ce disque. Il y a de plus en plus un équilibre vocal entre Stuart et lui.

Oui, et il écrit de plus en plus de paroles aussi… C'est pour cela qu'ils chantent davantage ensemble. C'est vraiment génial que deux personnes du groupe écrivent des chansons, même si ça rend parfois caduque l'équilibre de Tindersticks… Je ne sais pas (hésitant)… On verra bien ce qui va se passer… Ses chansons sont en tout cas très belles, très Tindersticks. Il s'investit de plus en plus dans le chant en tout cas, ça c'est clair, surtout depuis " Can Our Love… ". Mais c'est vraiment la première fois qu'il signe lui-même certaines des compositions.

Comparé à vos précédents albums, il y a vraiment un dialogue entre eux deux, comme un jeu de questions/réponses.

Oui, je suppose… Ce fût très difficile à faire : nous avons passé toute la période de Noël à tenter de faire fonctionner les chansons les unes avec les autres. Les gens voient souvent Stuart comme quelqu'un qui aime chanter avec un partenaire… Je ne sais pas… C'est assez étrange !

" Waiting for the moon " sonne assez relax, tout en étant très (bien) produit. Quelle fût l'importance de Ian Caple dans l'étape de production du disque ?

Cette fois, Ian et Stuart ont plus travaillé à quatre mains. Mais dans un certain sens, les chansons n'avaient pas besoin d'être fort produites. Elles possédaient une sorte de feeling naturel qui se suffisait à lui-même. Stuart a quand même beaucoup investi de son temps et de son énergie pour peaufiner ces chansons, dans le home studio qu'il s'est construit chez lui. Quant à Ian, je pense qu'il comprend très bien ce vers quoi nous voulions tous tendre. Il arrive toujours à trouver ce qui manque quand nous-mêmes nous n'y parvenons pas.

C'était donc davantage une collaboration, cette fois, entre lui et Stuart ?

On travaille avec Ian depuis si longtemps maintenant que je ne le vois même plus comme notre producteur. On est vraiment sur la même longueur d'ondes : il sait ce qu'on veut, quel son nous correspond, surtout au moment de l'enregistrement. Il est plus comme une sorte d'ingénieur du son en fait ; le genre à travailler avant tout sur les sonorités qui nous conviennent, contrairement à ce qu'il peut faire avec d'autres groupes.

Que signifie le titre de l'album, " Waiting for the moon " ?

C'est juste le titre d'une des chansons, celle qui donne le plus à l'album ce sentiment de naturel : on sent que c'est un morceau qui a été enregistré à la maison, puis sur lequel Stuart est venu poser sa voix, tranquillement… C'est ce feeling qui primait vraiment pendant toute la conception du disque… Il n'y a jamais eu de grandes discussions quant aux titres à donner à nos chansons : ça vient naturellement, quand on le sent. C'est un peu ça le message.

Et " 4.48 Psychosis ", alors ! ?

Cela vient d'une pièce de théâtre de Sarah Kane, qui s'est suicidée il y a quelques années.

Ce qui explique le fait que Stuart parle, monologue, au lieu de chanter ?

Exact. Nous avons donné des concerts au Royal Court de Londres, où il n'y a jamais de concerts, seulement des représentations théâtrales, et surtout d'auteurs contemporains. C'est là qu'on a entendu parler de Sarah Kane. Et puis jouer là, c'était comme un défi qu'on avait envie de relever.

Ca vous arrive de composer pour le théâtre ?

Non, mais dans ce cas-ci, Stuart se sentait proche de Sarah Kane. Elle était gravement dépressive, tu le sens quand tu lis ses pièces… C'était vraiment pour elle une sorte d'échappatoire, d'exorcisme. C'est la même chose quand Stuart écrit des chansons : il essaie de faire sortir des sentiments profonds, de les extérioriser.

Vous vous êtes ici inspirés d'une pièce de théâtre, mais vous avez aussi composé pour le cinéma (NDR : " Nénette et Boni " et " Trouble Every Day " de Claire Denis). Comment ça se passe exactement ?

Je pense que c'est différent pour chaque groupe qui a la chance de travailler sur la musique d'un film. Je crois que Stuart n'est influencé par rien en dehors de ses propres démons intérieurs. C'est un peu la même chose avec Claire Denis. Travailler avec elle fût très étrange, parce que tout le monde s'attendait à ce qu'on fasse une BO. Tout le monde a toujours qualifié notre musique de " cinématographique "… C'est pour cela qu'on s'est jeté dans l'aventure, comme si c'était naturel, tout en sachant qu'on ne voulait pas faire une BO traditionnelle…

Deux BO pour Claire Denis : est-ce que c'est une collaboration que vous aimeriez prolonger ? Vous sentez-vous proches de son univers ?

Je pense que sa manière de faire des films est similaire à notre manière de faire de la musique. Comme je le disais, ça vient de l'intérieur. Une fois qu'elle a une idée dans la tête, elle essaie par tous les moyens de l'exprimer à l'image. Nous aimons vraiment l'esthétique de ses films, surtout " Trouble Every Day ", que beaucoup de gens ont pourtant détesté à cause de sa violence et de son histoire (NDR : une romance sanguinaire entre deux cannibales, interprétés par Vincent Gallo et Béatrice Dalle). Pourtant c'est vraiment un truc à voir ! La manière dont elle filme est simplement incroyable, vraiment.

L'image, c'est important pour vous ?

Au début ça l'était. Maintenant beaucoup moins. Je pense qu'on en est venu naturellement à cette situation de tous porter des costumes, d'avoir ce look… C'est la même chose concernant les cordes, les violons… Peut-être que les gens croient toujours que Tindersticks est un groupe à orchestre ; mais c'est vraiment une image qu'on essaie aujourd'hui de briser. Pour la prochaine tournée, on essaiera juste d'être nous-mêmes… Je ne pense pas qu'on doive de toute façon se créer une identité pour exister : juste être naturel.

Dommage : c'est super branché en ce moment de jouer en costumes…

Je suppose que quand on a commencé, c'était pour marquer le coup. Jouer, c'est comme sortir un vendredi soir : tu veux être classe. Aujourd'hui, c'est juste devenu naturel, ça ne m'ennuie pas.

Je me suis toujours demandé comment vous pouviez supporter ces costumes en plein concert… Vous mettez du déo, au moins ?

Je me rappelle la première fois que nous sommes allés à New York, c'était en plein été, il faisait terriblement chaud, et on portait ces costumes… Tout le monde était en short et nous regardait de travers ! Pourtant, à cette époque, ça faisait du bien de se sentir différent. Je pense que nous sommes différents, mais maintenant on ne ressent plus le besoin de le montrer à quiconque. C'est comme ça, et voilà.

" Waiting for the moon " est en tout cas le genre de disque parfait à écouter un dimanche d'été ! Il donne envie de se la couler douce.

Je suppose que c'est dû au fait que la plupart des gens considèrent notre musique comme étant sombre : cela a sans doute affecté notre manière de composer cet album, de manière plus légère et reposante. Je pense qu'au fil des années, le chant de Stuart est devenu plus naturel. Il se bonifie avec le temps. Mais notre intention n'était pas de faire des chansons enjouées : c'est juste venu comme ça. Je pense que ça a beaucoup à voir avec le fait qu'on voulait tous faire un disque qui soit écouté par le plus de monde possible, et qui soit, surtout, composé dans une ambiance sereine.

Tindersticks, ce sont toujours les mêmes six personnes ?

Oui. Je pense qu'on est passé par des périodes difficiles, durant lesquelles certains se sont un peu perdus… Mais avec cet album, l'entente entre nous est à nouveau au beau fixe !

Une dernière question, pour la route : il y a deux ans, vous avez fêté vos dix ans de carrière ici, en Belgique. Pourquoi ce choix ?

On avait été approché par le Botanique, qui voulait organiser plusieurs soirées en notre honneur. Comme nous ne voulions pas seulement jouer trois ou quatre soirs d'affilée, on s'est dit qu'il fallait faire quelque chose de plus intéressant, dont les gens pourraient vraiment se souvenir. On a commencé à réfléchir à une expo de photos et de matériels, et petit à petit cette idée est devenue une occasion pour nous de célébrer notre anniversaire en grandes pompes ! On avait déjà réalisé plus ou moins la même chose à Londres, mais nous nous étions limités à des concerts ; et puis Londres, ça faisait un peu trop " autochtones ", genre " c'est d'ici que nous venons, que vient notre musique "… Je pense que nos fans ne sont pas typiquement anglais, mais viennent de tous les pays d'Europe : la Belgique, par son emplacement central, se prêtait donc bien à ce genre d'événement.

 

 

 

 

Thomas Fersen

Thomas Fersen passe du coq à " l'âme " !

Écrit par

Prenez quelques animaux (chauve-souris, papillon, oiseaux) ; faites les mijoter environ quatre ans dans une casserole ; ajoutez une pincée d'originalité instrumentale, et obtenez une très belle "Pièce montée des grands jours " ! Le chef-cuisinier, Thomas Fersen, a bien voulu nous donner les ingrédients de sa recette…une rencontre qui met en appétit !

Diriez-vous de " Pièce montée des grands jours ", que c'est un album rabelaisien ?

Oui, en effet, dans le sens de tradition populaire, et du pittoresque, et parce que je parle davantage des odeurs et de la bonne chère ! L'imagerie est également importante pour moi !

Vous avez mis de côté les fables où les animaux jouaient donc les rôles principaux. Peut-on parler d'une réelle évolution ? !

Oui, les animaux sont passés à la casserole dans " pièce montée des grands jours " ! …enfin, pas véritablement, puisque je parle d'une araignée dans " Rititi ratata ", et que sur la pochette, il y a cette tête de cochon (NDR : signée Jean-Baptiste Mondino qui confectionne les jaquettes de Thomas Fersen depuis son deuxième album)

Faut-il voir un sens plus profond dans vos fables ou devons-nous nous arrêter au premier degré des textes ?

Je pense qu'il faut y voir une peinture d'humanité, et un sens parfois plus métaphorique ou qui ne s'arrête pas à la compréhension de la première écoute. D'autant que l'écriture prend du temps si on veut être à la hauteur. Donc parfois, ce n'est peut-être pas aussi gratuit ou aussi simple que je ne pourrais le laisser transparaître.

Comment se dessinent vos albums ? Pensez-vous toujours à un leitmotiv ?

Oui, il y a toujours un thème de départ, une imagerie qui se dessine. Ensuite, des éléments autobiographiques viennent se greffer sur cela. Finalement je suis toujours un peu le personnage de mes chansons. J'ai toujours l'impression de ne parler que de moi. C'est un peu de ma vie qui est dans mes chansons.

Est-ce à dire que l'éloge de la paresse sur " Deux pieds " et " Chat botté ", vous ressemble ?

C'est votre interprétation, et peut-être en effet qu'on peut voir dans ce personnage qui vend des mules en reptile, un vendeur de paresse. Mais là, pour le coup, c'est peu autobiographique, parce que je suis plutôt du genre travailleur. Pour faire des textes qui soient à la hauteur, il faut travailler. Ecrire des chansons n'est pas si simple, et je m'attache à trouver le mot juste, précis. Donc, cela prend beaucoup plus de temps qu'il n'y paraît.

Vous êtes un des rares chanteurs qu'aucun critique n'arrive à comparer à d'autres. Avez-vous conscience d'être atypique ?

Je fais tout pour essayer d'être un peu original ou disons, pour essayer de rechercher une nouveauté sur chaque album, qu'elle se situe à un niveau instrumental ou ailleurs. Mais que l'on dise cela de moi me touche évidemment beaucoup...

Comment s'était déroulée votre rencontre avec Marie Trintignant, pour le duo " Pièce montée des grands jours " ?

On s'était rencontrés pour une émission de radio, dans laquelle elle avait chanté deux de mes chansons. Et pour " Pièce montée des grands jours ", qui est un morceau à deux voix, où une femme parle de la manière dont elle va aider son mari à s'évader de prison, il me manquait la deuxième partie du duo. C'est pourquoi, j'ai pensé à Marie, d'autant qu'on s'était revus entre temps. D'ailleurs, c'est quelqu'un pour qui j'avais le projet de peut-être écrire un album, alors qu'en général, je ne sais pas faire cet exercice ou du moins je ne sais pas écrire sur commande…

 

 

Tété

En toute intimité

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Natif de Dakar, Tété a entamé ses aventures musicales à Nancy ; mais il a reçu l'illumination le jour où il a découvert Keziah Jones. Imposant en douceur un style tout en charme et en rondeur acoustique, il s'affirme depuis comme un des plus sûrs espoirs de la nouvelle scène française. Mais, connaissez-vous Tété ? " L'air de rien " (NDR : le titre de son opus précédent), il distille ses mélodies envoûtantes sur des paroles poétiques, mais aussi parfois drôles. Tête-à-tête avec un autodidacte à la voix chaude et douce.

Pourquoi avez-vous fait le choix d'utiliser une guitare folk ?

J'ai eu ma première guitare à 15 ans, et je crois que continuer à utiliser cet instrument plus que n'importe quel autre, c'est aussi me l'approprier. Je veux dire par-là que j'aime bien l'idée de me balader partout avec, et musicalement de pouvoir transposer le son de la guitare sur tous les morceaux ou presque. La guitare folk est pourtant un instrument qui ne permet peut-être pas autant de souplesse qu'une guitare électrique, mais c'est le choix que j'ai fait.

Vous aimez le hip-hop. Pourquoi ne pas avoir choisi cette voie ?

Parce que le hip-hop est un langage en soi, et que je serais bien incapable d'en faire. Et puis la seule manière d'apprendre la musique était, selon moi, de passer par la guitare. Ecrire et chanter du blues est aussi ce que j'aime faire par dessus-tout, parce que le blues, au sens littéral du terme est un sentiment universel, que j'aime exprimer. Chanter de cette manière, parfois en donnant l'impression de " pleurnicher " dans le micro est une réelle catharsis pour moi.

A qui est destinée la chanson " Une bonne paire de claques " ?

En l'occurrence elle était destinée à quelqu'un en particulier, mais je pense à des thèmes plus généraux. Autrement dit, cette chanson est dédiée à l'arrogance, et disons que c'est une chanson " défouloir " !

Vos textes sont très poétiques. Qu'est ce qui vous inspire dans ce mode d'expression ?

Disons que les thèmes que j'évoque sont en soi poétiques. J'aime bien traduire la nature, en filigrane. La mélancolie aussi, je trouve cela plutôt joli ; c'est un état que j'aime. Les rencontres humaines m'inspirent aussi beaucoup. Mais parfois j'opte aussi pour l'humour, moins poétique mais qui me permet d'exprimer des sentiments, avec pudeur.

Vous évoquez le Canada dans l'album " A la faveur de l'automne ". Qu'aimez-vous de ce pays ?

Les rapports humains me semblent différents ; ils me paraissent plus simples. La notion d'espace aussi est très importante pour moi. J'ai vraiment l'impression qu'ils sont moins " les uns sur les autres ". C'est vraiment un pays que j'aime beaucoup, et où je me sens bien. Le Canada me paraît vraiment être un pays très ouvert

 

 

 

Emilie Simon

Le monde enchanté d Emilie Simon

Emilie Simon est un sacré petit bout de femme. Une femme-enfant (24 ans, une voix acidulée). Une femme-papillon (timide, précieuse et fragile, comme sa musique, elle ne se laisse apprivoiser qu'avec inquiétude, trop soucieuse de préserver son petit monde à elle). Une femme qui vient de sortir un premier album délicieux, entre chanson française et expérimentation électronique, plein de perles pop et de miniatures électro-folk. Cet univers qu'elle s'est tissé durant sa jeunesse, entre ses passages au Conservatoire et à l'Ircam, n'a pas d'équivalent dans le paysage français. Au mieux pourrions-nous la comparer à Björk, pour cette aisance à manier l'évidence pop et la recherche sonore, à Stina Nordenstam, pour le timbre mutin, à Kate Bush, pour cet obsession farouche d'indépendance. Parce qu'Emilie Simon a composé cet album magnifique toute seule, sans aucune aide extérieure (ou presque). Pour préserver son monde à elle. Comme le papillon, qui, avant de déployer ses ailes et de s'envoler, connaît un long processus de maturation, de la chrysalide à la lumière. Et de lumière, cet album n'en manque pas, de ce " Désert " pas si aride à cette " Chanson de Toile " presque baroque, où l'on entend la voix d'Emilie (Jolie) épouser avec grâce les souffles d'une flûte puis d'un violoncelle. Idem sur " Il Pleut ", où le chant sonne comme l'eau qui s'écoule dans les rigoles lors d'une averse. Cette pluie remplace même la structure rythmique, comme si la jeune Emilie avait fait rentrer la nature sur sa table de mixage, son jardin secret. Rarement ces derniers temps aura-t-on entendu de si jolies chansons, menées à la baguette (magique) par une fée de studio. La poudre de pimprenelle qu'utilise Emilie pour rendre ses chansons si belles, c'est d'abord une impressionnante culture musicale (des Stooges, qu'elle reprend ici avec grâce, à Stockhausen), mais surtout une maîtrise évidente de la technique et de l'électronique, de la composition au mixage (secondée alors par Markus Dravs, collaborateur de… Björk). Mais attention : Emilie Simon n'est pas une souris de laboratoire. Son univers, malgré cette dimension de création en bocal (le studio), ne sent jamais le renfermé… Au contraire : cette musique délicate émeut et surprend, parfois même s'effarouche (" I Wanna Be Your Dog "), mais jamais ne déçoit. Le monde enchanté d'Emilie Simon n'a pas son pareil pour nous donner des frissons, et nous retourner (dans tous) les sens. C'est dire qu'après notre rencontre, nous étions tout chamboulés…

La musique, c'est une vieille passion ?

Mon père était ingénieur du son quand j'étais petite. Il y avait pas mal de passage de musiciens à la maison, ça a conditionné un peu mon goût pour la musique… Ensuite j'ai été au Conservatoire assez jeune, tout en essayant de m'exprimer à travers plusieurs mediums musicaux différents, que ce soit le rock, le jazz, la musique contemporaine, la musique classique et l'électro… Ca m'a aidé à construire ma musique.

On sent effectivement toutes ces influences sur ton disque, notamment au niveau de ta voix, souvent trafiquée. Est-ce que ça vient de ton expérience de Conservatoire, de la musique concrète ?

Non, pas vraiment… L'idée de trafiquer les voix était d'utiliser tous les paramètres physiques qui constituent le timbre, d'utiliser la voix comme un instrument électronique, mais d'une manière naturelle.

Justement dans " Il pleut ", on a l'impression que tu utilises ta voix pour la faire sonner comme des gouttes de pluie... Idem dans " I wanna be your dog ", où ta voix ressemble à un aboiement.

Sur l'album, il n'y a pas un seul effet qui se répète… Que ce soit dans " Il Pleut ", " I wanna be your dog " ou " Secret ", chaque effet est adapté au morceau. Mais en même temps, la voix peut être très sèche, par exemple dans " To the dancers in the rain ", où il n'y a aucune reverb. C'est aussi important que la voix soit parfois brute, naturelle.

Pour en revenir au Conservatoire, cette démarche fait un peu penser à celle de Karlheinz Stockhausen et de son fameux " Gezang der Jünglinge ".

C'est sûr qu'il y a un lien. Cette oeuvre m'a beaucoup marqué, parce qu'il y a ces voix d'enfants et ces bruits de cloches qui s'entremêlent, il y a un véritable travail sur le spectre. C'est ce que j'ai essayé moi-même de faire ressentir dans " Chanson de Toile ", avec ma voix qui se transforme en flûte ou en violoncelle. A cet égard, c'est sûr qu'on peut dire que " Gezang der Jünglinge " a été une vraie révélation.

On sent clairement chez toi un impressionnant bagage musical ! On suppose donc que la structure musicale vient avant le reste.

Je ne fais pas vraiment de différence entre le texte et la musique, parce que pour moi le texte fait partie de la musique. Le texte possède des consonances et des sonorités qui mettent en valeur des hauteurs, des mélodies. Je n'écris pas des textes pour dire quelque chose, seulement pour mettre en valeur la musique. La plupart du temps, j'utilise des images, en général très imaginaires… Jamais pour dire ce qui m'est arrivé dans la journée.

Ce qu'on ressent en écoutant ton album, c'est que tout semble fort réfléchi, du début à la fin. Ca a du te prendre un temps fou ! ?

C'est vrai que j'ai passé beaucoup de temps sur cet album, mais j'adore ça ! Je me régale à passer du temps sur mon ordinateur, sur mon piano, à écrire,…

Combien de temps a duré l'enregistrement ?

Trois ans à peu près, entre le moment où j'ai écris les premières chansons de l'album et la finalisation. Mais ceci dit, " Vu d'ici " est un morceau que j'ai écrit quand j'avais 15 ans, mais que j'ai seulement achevé l'année dernière…

Tu chantes à la fois en français et en anglais. Pourquoi passer comme ça d'une langue à l'autre ?

Je ne sais pas. J’a plutôt une culture pop anglo-saxonne. Je n’ai pas grandi avec la variété française, donc forcément, c’est plus naturel pour moi d’écrire en anglais. J’écris comme ça vient, et ça vient d’abord en anglais.

Cette reprise des Stooges, c'est donc un souvenir de jeunesse ?

C'était un peu la chanson culte de la bande de copains que j'avais, qui revenait tout le temps pendant mon adolescence et que j'adore. C'est pour ça que j'ai voulu la reprendre sur mon album.

Cette façon de mixer expérimentation et musique pop est en tout cas la preuve d'un univers personnel atypique. A part ta culture pop anglo-saxonne, est-ce qu'il y a quelqu'un en France dont tu te sens proche ?

Pas vraiment… En ce qui concerne les textes, je serais peut-être marqué par Gainsbourg, mais c'est vraiment bateau parce que je ne suis pas très spécialisé dans ce qui se passe à l'heure actuelle en France. Je travaille davantage l'introspection : sortir ce qui est en moi plutôt que m'inspirer de l'extérieur.

Et au niveau musical ? On a déjà cité Stockhausen, mais on pense aussi à Björk, Leila, Stina Nordenstam, Anja Garbarek,…

Je comprends qu'on puisse rapprocher nos démarches, mais ma musique n'a rien à voir avec elles.

Comment te situes-tu dans l'univers de la chanson, française en particulier ?

Je m'y sens bien ! J'ai l'impression que ce que j'ai essayé de faire passer touche les gens ou du moins certaines personnes… Ca me conforte dans mon rôle musical, ça précise un peu mon idéal musical. C'est important d'avoir des choses à dire, surtout quand on a la chance de parler à des médias qui vont diffuser ces informations… J'ai envie de diffuser un message positif et créatif. Dire qu'on peut faire de la pop, et faire des chansons, et être chez Universal, et le faire comme on veut, du début à la fin.

Comment s'est faite la rencontre avec Perry Blake ? C'était une volonté de ta part de travailler avec lui, parce que tu sentais son univers proche du tien ?

Je l'ai rencontré un peu par hasard dans un concert, une amie en commun nous a présenté et on a commencé à discuter. C'était la première fois que je l'entendais chanter, et j'ai directement senti qu'il y avait vraiment quelque chose à tenter avec lui sur " Graines d'étoiles " et qui pourrait l'intéresser, qu'il y avait une place sur ce morceau pour sa voix. Je lui ai donc proposé, il a bien aimé, et on a enregistré le morceau.

A part cette collaboration, c'est un album 100% Emilie Simon, où tu t'es entourée d'autres personnes ?

Il y a des choses qui ont été partagées ponctuellement, dans un but spécial. Mais sur la longueur, c'est un travail vraiment personnel. David Maas a coécrit " Désert " et " Dernier Lit ". Puis il y a bien quelques instrumentistes qui ont participé, mais surtout au stade final. Quant au mix, il a été fait par Marcus Dravs. On s'entend très bien, on a vraiment formé une bonne équipe, parce que j'avais besoin d'être épaulée à ce moment-là. En fait j'ai vraiment essayé de collaborer avec des gens quand j'en avais envie, besoin, pour des questions précises.

L'aspect de recréation en live est également important.

C'est vrai, mais en même temps j'ai envie en concert de garder l'esprit des chansons, parce que chacune a son univers, ses couleurs. J'essaie de conserver l'essentiel du caractère respectif de chaque morceau, tout en les ouvrant davantage aux instruments, à l'interprétation live. Ca donne finalement beaucoup de liberté, comme si c'était une extension de l'album. C'est un autre éclairage.

Avec ce premier album, Emilie Simon vient d'accoucher d'un petit chef-d'œuvre, qu'elle aimerait sans doute garder jalousement, mais qu'elle nous offre en fin de compte avec bonheur, et humilité. Au moment de la quitter, tout émoustillés par ce sympathique échange, nous ne pouvions que nous incliner. Cette jeune fille est charmante. La prochaine fois, c'est sûr, on lui apportera des fleurs.

 

 

Mickey 3D

Mickey 3D respire l humanité !

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Auteur-compositeur, Mickaël Furnon a bien écrit le hit " J'ai demandé à la lune ", pour le groupe Indochine. Mais il est avant tout le leader de Mickey 3D, un groupe responsable de l'album incontournable " La Trêve ". Il a bien voulu répondre à nos questions...

Comment s'est formé Mickey 3D ?

Au début, j'étais chanteur dans un groupe qui s'appelait 3dk ; parallèlement, je fréquentais les milieux associatifs, et c'est donc comme ça que j'ai rencontré Jojo (Aurélien Joanin), notre batteur. On jouait donc pour le plaisir, et de fil en aiguille, on a présenté les premières démos, puis les premières parties (Louise Attaque, Tryo, Yann Tiersen) et " La Trêve ", qui marque notre rencontre avec Najah, aux claviers, et accordéoniste. Tout cela s'est donc fait très naturellement, avec des personnes motivées. Sur scène, nous sommes actuellement quatre, avec Greg, qui nous a rejoints, et a signé les arrangements sur notre dernier album. Il faisait également partie d'un groupe en milieu associatif.

Diriez-vous que " Tu ne vas pas mourir de rire " est un album de la révolte ?

Non, je n'irais pas jusque là, parce que je n'ai pas le sentiment d'avoir des comptes à régler. Nous avions simplement envie de nous exprimer sur des réalités qui nous énervaient, entre autres, les Harkis, le racisme…Plus que de révolte, je parlerais davantage de réaction citoyenne, que tout le monde a envie d'exprimer. C'est pourquoi, les textes sont parfois cyniques, mais la musique n'est pas forcément un engagement politique et nous faisons aussi des chansons plus légères. D'ailleurs, nous avions une quinzaine de chansons moins caustiques pour " Tu ne vas pas mourir de rire ", mais nous ne les avons pas retenues …

Cela signifie t-il que l'homogénéité d'un album, et des textes précisément, est importante ?

Oui, je crois que ça l'est, parce que sur " La Trêve ", nous partions un peu dans tous les sens. Cependant, tout n'est pas noir sur " Tu ne vas pas mourir de rire ", et je pense qu'il y a des chansons plus naïves ou légères, comme " Chanson de rien du tout ", ou " Les gens raisonnables " par exemple.

Exprimer des choses graves sur des mélodies légères et enthousiasmantes, est-ce volontaire ou inconscient ?

Je pense qu'il est beaucoup plus efficace de faire passer des messages graves sur des mélodies rythmées et pas sombres, avec une certaine ironie, et de temps en temps un zeste d'humour.

D'ailleurs, vous offrez une diversité de sons, et de rythmes vraiment agréables…

Parce qu'on aime tous les genres de musique, électro, rock. On aime beaucoup les Chemical Brothers, Air, les Beatles, Cure, mais tellement d'autres groupes. Il y a énormément de bons musiciens, et chanteurs.

Lors de la sortie du single " Respire ", on vous a classé comme un groupe " politico-écologiste ". Cela vous agace t-il ?

Je pense que " Respire ", étant le titre que l'on a entendu partout, il était difficile d'y échapper. Je crois aussi que les personnes qui ont effectué ces déclarations n'ont pas écouté l'album !

L'enfance revient souvent sur " Tu ne vas pas mourir de rire ". Vous pensez qu'on a beaucoup à apprendre des enfants ?

En fait, j'ai eu une enfance tellement tranquille que j'en suis parfois un peu nostalgique. L'idée est donc de dire qu'il faut parfois se retourner sur cette enfance, que cela ne peut-être que bénéfique.

Hank Harry

Un ami qui vous veut du bien

Le troisième album d'Hank Harry, " Far From Clever ", est une petite merveille de " pop sentimentale " et sucrée, qui parle d'amour sur un tapis doré de cuivres élégiaques et de guitares sautillantes. Parce qu'" il n'y a rien de plus important au monde que l'amour ", Hank Harry se sert des mélodies qu'il a dans sa tête pour séduire la fille de ses rêves. Grâce à l'aide précieuse de Thomas Van Cottom (ex-Venus) et d'Aurélie Muller (Melon Galia), sa musique se pare joliment d'oripeaux délicats, de soupirs d'enfance… Un univers fragile et décalé, mais d'une épatante générosité. Parce que même si Hank Harry est un grand timide, il aime se donner à qui prendra la peine d'entrer son petit monde bercé de jolies notes et de refrains mutins. Rencontre.

Hank Harry, c'est qui au juste ? Est-il fort différent du Christophe en civil ? Est-ce un personnage que tu t'es construit pour surpasser ta timidité, concrétiser certains fantasmes ?

C'est un peu ça, oui… La réponse est dans ta question ! Se cacher derrière un pseudonyme, un personnage, fait déjà plus rêver les gens… Et puis ça permet peut-être d'être encore plus soi-même. C'est comme quand tu vas à une soirée déguisée : si personne ne te reconnaît, t'as l'impression de pouvoir te permettre plus de choses, donc d'être plus naturel.

Cela masque donc bien une certaine timidité?

Oui, bien sûr. J'ai du mal à aller vers les gens. C'est dans ma nature. Ce sont les gens qui viennent me voir après un concert. Je fais la démarche de monter sur une scène, ce n'est déjà pas si mal… C'est un peu courageux, si on veut… Mais après, c'est bien parce que les gens viennent me parler. Cette manière de sociabiliser est beaucoup plus facile pour moi.

Mais tu t'es lancé dans ce genre d'aventure avant tout pour la musique, je suppose?

C'est venu naturellement, en fait. Petit à petit, j'ai trouvé un peu de matériel. Et surtout, l'envie de faire quelque chose qui ne ressemble qu'à moi.

Peux-tu nous raconter l'histoire d'Hank Harry ?

Quand j'étais adolescent, comme tout le monde j'ai voulu monter un groupe de rock. J'ai acheté une basse et j'ai essayé de faire du rock'n'roll à la Rage Against The Machine, Biohazard, le genre de trucs assez durs que j'écoutais. Mais au bout d'un moment, je me suis rendu compte que ce genre ne m'amusait plus trop. En fait, j'avais l'impression qu'il ne m'épanouissait plus. Donc j'ai complètement laissé tomber. Ensuite, j'ai rencontré Miam Monster Miam, qui vient aussi de Liège, et je me suis rendu compte qu'il était possible de travailler seul en utilisant un 4-pistes. Chez soi. Sans te soucier de quoi que ce soit d'autre : juste effectuer des expériences, essayer plein de trucs. Quelque temps plus tard, je me suis retrouvé avec pas mal de matière. Et " Les Beaux Disques ", un petit label bruxellois, m'a proposé de sortir un album. A l'époque, il n'y avait pas l'envie directe d'enregistrer un disque : juste l'envie d'écrire des chansons dans mon coin. Je devais en avoir une bonne quarantaine. On en a sélectionné 18. A partir de là, tu te rends comte que c'est possible, et tu fais plus les choses dans l'optique de faire un disque. Donc il y a un deuxième, puis maintenant celui-ci, où la démarche est différente puisque j'ai travaillé en compagnie d'Aurélie (Muller, Melon Galia) et Thomas (Van Cottom, ex-Venus). L'idée était qu'ils produisent l'album dans le sens où, à partir des enregistrements que j'avais faits, ils accentuent mon univers. Comme je suis un peu limité musicalement, ils m'ont apporté du savoir-faire, et du recul. Toute une sensibilité qui est à eux mais qui ressemble à la mienne.

Comment les as-tu rencontrés ?

J'ai rencontré Aurélie à une soirée. On a sympathisé. Quand je suis venu m'installer à Bruxelles, on s'est revu par hasard, puis régulièrement, à des concerts, à des fêtes,… Un beau jour, alors que j'étais occupé de travailler sur mon deuxième disque (il n'y avait personne alors qui s'intéressait à ce que je faisais), elle m'a proposé d'assurer la première partie de Melon Galia, et d'apporter de petites choses sur leurs chansons. Et en échange, eux m'accompagneraient sur certains de mes morceaux. Beaucoup de titres de mon deuxième album ont ainsi été enregistrés en compagnie des musiciens de Melon Galia… Qui ont insufflé cette énergie de groupe. C'est un album qui était assez sombre au départ ; mais qui grâce à leur collaboration, a pris beaucoup plus de couleurs, y compris les morceaux que j'ai concoctés tout seul.

Et Thomas ?

Nous étions forcément amenés à se voir avec Aurélie (NDR : Thomas et Aurélie filent le parfait amour), et donc de temps en temps je lui faisais écouter mes morceaux. Plutôt que de bêtement jouer les instruments, ils m'ont alors proposé de s'occuper de l'album à partir de la matière que je leur donnais.

Jouaient-ils, en quelque sorte, le rôle d'arrangeurs, de " peaufineurs " ?

C'était plus que ça : je leur donnais un matériau assez brut, enregistré sur un 8-pistes, et quelques notes d'intention. Pour qu'ils aient une idée assez claire de ce que j'avais en tête… Puis ils se sont vraiment réapproprié les morceaux. Ils ont apporté leur sensibilité, certaines mélodies aussi, qui sont propres à eux.

D'où est venue cette idée de " Lovely Cowboys Orchestra " ?

C'est une idée de Thomas. Comme Aurélie et lui s'occupaient de toute la partie musicale, on se doutait bien qu'on allait devoir jouer les chansons en concert. Thomas est donc allé à la recherche de gens susceptibles de jouer les différents instruments présents sur le disque ; et qui en même temps étaient ouverts et disponibles pour le projet. Bref qui pouvaient consacrer du temps et de l'énergie à un projet qui au départ n'est pas du tout lucratif. Pour l'instant, le Lovely Cowboys Orchestra accomplit ce rôle par amour de la musique. C'est de la pure générosité ! Le côté humain était très important : il fallait qu'on travaille avec des gens qui soient sympathiques, ouverts, curieux, qui acceptent de vivre l'aventure jusqu'au bout.

Tu ne joues donc jamais d'un instrument sur scène ?

Je suis capable de toucher un peu à tout, mais ici on s'est dit que pour les concerts je n'allais jouer d'aucun instrument pour être libre de mes mouvements et me concentrer vraiment sur le chant. Plutôt que de faire deux choses à moitié, j'avais envie de n'en faire qu'une seule, mais très bien.

Vous accordez une place importante au visuel, à l'imagerie… Pourquoi des cow-boys ?

Encore une fois, c'est une idée de Thomas : elle colle bien avec " Hank Harry ", un nom qui fait un peu cow-boy. Et puis sur scène, elle donne une image forte : c'est un peu comme attaquer quelque chose, comme aller au front. Monter sur une scène demande quand même une énergie assez forte. Ce n'est pas comme se rendre au supermarché… C'est quelque chose, quoi : t'as le trac, t'as des gens devant toi, à qui il faut tout donner. Moi ce qui me plaît chez les cow-boys, c'est ce côté légendaire, les films de John Wayne,…

Ton univers, de fait, est assez singulier… Et fort empreint d'une certaine fragilité.

Musicalement, il n'a rien à voir avec de la country : c'est pour le show, qu'il se passe quelque chose sur scène. Parce que ce qui m'intéresse moi, musicalement, c'est de toucher aux sentiments. Toucher les gens dans ce qu'ils ont de plus intime, de plus intérieur. C'est la raison pour laquelle, lorsqu'on me demande ce que je fais, je parle souvent de " pop sentimentale ", dans le sens où elle doit toucher à la sensibilité. Et du coup, cette définition permet une variété énorme au niveau du style musical : certains morceaux par exemple expriment une certaine colère, comme " Hot Summer " où je hurle… C'est presque heavy metal ! Moi ce qui me plaît, c'est de pouvoir aller piocher dans tous les styles, y compris dans les choses un petit peu honteuses… comme la variété italienne des années 80. Il y a énormément de références, de clins d'œil.

" My Clock " par exemple, c'est une ode à la fille de tes rêves ?

Oui, tout à fait. Ce que j'ai voulu faire des deux versions - " My Clock (10:30am) " et " My Clock (10:30pm) "- est une déclaration d'amour. En imaginant, dans la version du matin, la déclaration d'amour qui est faite très tendrement, sur l'oreiller, chuchotée à l'oreille. Mais en même temps être amoureux, c'est aussi euphorique, d'où la version rapide. Il y a plusieurs façons d'envisager l'amour, comme la rupture d'ailleurs : il y a la rupture super triste qu'on vit très mal, comme dans " Lily of the Valley ", et puis il y a la rupture quasi euphorique d'" Anyway ", où je dis " Excuse-moi, je m'en vais, je respire enfin, je revis ".

L'amour occupe une place centrale dans ton univers?

Ah oui, je ne parle que de ça : de l'amour, sous toutes ses coutures. J'aime bien creuser et voir les différentes façons de vivre les choses et de les exprimer. Sur l'album une moitié des chansons parle de l'amour, des rencontres, du fait d'être heureux et d'être amoureux, et l'autre moitié d'être seul, de mal vivre une histoire, de ne plus la vivre, d'être content ou pas que ce soit fini,… C'est ce qui est le plus important parce que ça touche ce qui a de plus intime en nous. Pour moi, il n'y a rien de plus important que l'amour.

Es-tu toujours à la recherche du grand amour ?

Oui, en permanence. C'est mon Graal à moi ! En même temps, c'est quelque chose de vraiment particulier. On naît seul et on meurt seul… Donc il y a toujours cette envie de partager cette vie avec quelqu'un et de vivre plein de choses avec elle. C'est de ça que je veux parler dans mes chansons. C'est une manière pour moi d'y voir aussi plus clair, par rapport à qui je suis, à comment je vis les choses.

Ton univers musical, par sa douceur, sa fragilité, évoque parfois les contes de fées, Lewis Carroll, les BO de Danny Elfman…

L'introduction, c'est " La Nuit du Chasseur ", un de mes films préférés. J'aime bien l'idée de parler de choses très vraies et très sérieuses, mais de les mettre dans un environnement particulier. Parce que l'idée, c'est quand même de faire rêver les gens, les faire voyager par la musique. Donc le contexte est important.

Est-ce que l'arrivée de Patrick Carpentier comme " scénographe " (NDR : avant chez Venus) vous a-t-elle aidée dans la mise en place scénique de cet univers ?

Ce n'est pas un metteur en scène qui nous dit ce qu'on doit faire… L'idée est que ce soit joli sur scène, mais de rester surtout nous-mêmes. Son travail consiste donc à faire en sorte que le public soit dans le concert autant que nous. Et donc il y a des choses à ne pas faire pour ne pas ennuyer le spectateur : je n'ai pas envie que les gens viennent pour un morceau ou deux, puis aille boire une bière, discuter et revenir. J'ai envie que ce soit comme un film : que du premier au dernier morceau, ils ne s'ennuient pas une seconde. D'où ce besoin de variété dans les morceaux, que chacun ait une position, un habillement, une manière de bouger particulières, sans parler du décor… J'aurais presque envie de faire des choses en plus dans la salle et en dehors. Que les gens vivent les chansons, pénètrent vraiment dans notre univers.

Vous venez d'être sélectionnés pour représenter la Belgique francophone au Printemps de Bourges 2004. Qu'est-ce que cela représente pour toi ?

Cette sélection crédibilise surtout notre projet. Le légitime. En outre, je suis très touché parce qu'on a eu à la fois le prix du jury et celui du public. Personnellement, j'ai encore plus de confiance en ce projet : maintenant je sais que ça ne tient plus qu'à nous, qu'une multitude de gens le soutient et va nous aider. Elle nous rend à la fois beaucoup plus forts et plus enthousiastes.

C'est la première consécration d'un véritable parcours du combattant ! Je me rappelle vous avoir vus distribuer des badges à Dour, coller des affiches, sans même être sûrs de voir ce disque un jour distribué… C'est formidable de voir tant de persévérance, de courage, de volonté de se faire entendre.

Nous, notre idée, est de créer une musique qui nous tient à cœur. Qu'on trouve belle ! Qui nous plaît ! Mais qui n'est pas forcément une musique que les médias ont envie de programmer, parce que c'est un peu particulier. Comme on sentait qu'on n'allait pas avoir un soutien énorme des radios, on s'est dit qu'on allait enregistrer un single à distribuer gratuitement aux gens, pour que tout le monde puisse l'écouter… J'ai l'impression que les radios sous-estiment leurs auditeurs : cette façon de les nourrir de choses très digestes mais dans le fond un peu fades… Moi ce que j'ai envie, c'est de leur donner du foie gras ! Donc si on ne passe pas par les médias, on va trouver directement les gens nous-mêmes.

Cette victoire, c'est donc aussi celle de la musique sur les préjugés façonnés par les médias, sur le consumérisme aigu, sur la médiocrité ambiante (je m'emballe, là ?) ?

Oui, c'est un peu ça… Nous étions vraiment très émus par cette victoire. Ce que je retiens surtout, c'est qu'on nous fait confiance. Il ne nous reste plus qu'à continuer à faire du bon travail ! Peaufiner notre univers, gagner en force, en assurance. Garder à la fois tout ce côté spontané et naturel tout en évitant de devenir le " groupe bizarre " de service. Il faut quelque chose de vraiment solide.

Le mot de la fin ?

Le plus important, c'est de faire ce qu'on aime et de le faire bien. D'être généreux. Les musiciens qui jouent avec moi sont là par générosité, et moi sur scène j'ai vraiment envie que les gens passent un bon moment. Quelqu'un m'a dit après avoir gagné qu'il était important que, pour une fois, on mette en avant un groupe généreux. Et ça, on en a vraiment besoin.

Ghinzu

L attitude Ghinzu

Ghinzu nous revient après plus de trois ans d'absence flanqué d'un album qui transpire le sexe et le rock'n'roll. Loin de John Stargasm (chanteur) l'idée de caresser l'auditeur dans le sens du poil : le rock, c'est d'abord une affaire de couilles. Pas de perruques ni de frontières linguistiques. Pour " Blow ", Ghinzu prend donc le risque de ne pas plaire à tout le monde. Il se pourrait pourtant bien que cet album fasse un carton… Car ce qu'il fait (du rock solide et mélodieux, sans cesse sur le fil du rasoir), il le fait bien. John nous explique tout, sans langue de bois. C'est ici, mot pour mot, sur Musiczine.

Qu'est-ce qui a changé pour vous depuis " Electronic Jacuzzi " ?

Techniquement, la formation a changé : Sanderson, notre contrebassiste, ne joue plus avec nous (même s'il a joué sur l'album), et Kris Dane a participé en jouant de la guitare, des claviers et en faisant des chœurs. Un autre changement, c'est notre rapport à la musique en termes d'investissement personnel : l'album nous a conduit à vivre encore plus notre musique, à vraiment plonger dedans jusqu'à s'y perdre… Et puis il y a le fait qu'entre les deux albums on a fait beaucoup de scène, beaucoup de promotion. Tout cela fait qu'aujourd'hui, nous ne sommes plus les mêmes…

Quoi qu'il en soit, ça fait plaisir d'avoir enfin de vos nouvelles ! Trois ans, c'est long, non ?

On a pris notre temps, c'est clair ! On a beaucoup plus travaillé sur cet album : c'était 30 morceaux, 20 mixés, 11 qui figurent sur l'album, sans parler de tous les mixes qu'on a jeté à la poubelle ! La différence par rapport au premier album, c'est qu'on voulait que le travail et la matière soient quelque chose d'acquis, pour qu'après on ait le luxe de faire l'album qu'on voulait avec la matière qu'on avait. On a voulu un album pas trop confortable, dont les chansons peuvent être piano-voix ou punk. Y en a marre des albums d'une seule couleur…

On sent une certaine rupture par rapport à " Electronic Jacuzzi " : celui-ci est plus brut, plus tendu, plus rock'n'roll.

C'est vrai qu'il y a des passages où on s'amuse à casser les mélodies… Mais d'un autre côté c'était dur de travailler plus d'un an et demi sur cet album, sans tomber dans le piège d'avoir quelque chose de surproduit. C'est pour ça qu'on a volontairement décidé de mettre une batterie plus vicieuse, plus claquante… Des choses qui à la première écoute peuvent choquer, mais qui dans l'ensemble de l'album, une fois qu'on est rodé à l'écouter, se révèlent assez efficaces. Mais ce n'est pas un album 100% confortable : il y a des morceaux hyper différents, comme chez Blur où tu peux trouver un truc punk puis un truc plus pop ou world… C'est cet esprit-là qu'on aime : pouvoir voyager à travers différents univers, tout en imposant à travers nos chansons une certaine cohérence. C'est hyper cynique, violent, sexuel, mais cela reste toujours musical.

Il y a toujours cet équilibre entre la tension et la détente, entre le piano qui en partie rassure et les riffs de guitare qui se déchaînent.

Ce qui est sûr, c'est qu'on ne voulait pas faire un album de rock cliché ! On a voulu voyager dans des sonorités un peu rétro, dans un univers particulier qui soit légitime, intrinsèque au rock.

Justement, tout ce garage revival vous a-t-il servi d'inspiration pour la composition de " Blow " ? Le titre, déjà, semble révélateur…

On écoute du rock, donc forcément l'environnement rock a une incidence sur nous. Je ne pense pas que cet album-ci est plus garage que le premier : notre style est resté. On a un son qui reste le son " Ghinzu ". Quant au titre, " Blow ", c'est un mot qui peut exprimer à la fois un vent doux et une explosion. Une bombe et une pipe. C'est un mot qui s'intègre bien dans notre univers : douceur, violence, sexe. C'est un mot qui nous va bien.

Et le rock, c'est aussi l'absence de compromis, le risque perpétuel, le rejet - comme tu dis - de tout confort, de toute certitude. Sur ce deuxième album, vous prenez des risques, ce qui le rend d'autant plus important.

Tout le monde sait que le deuxième album en rock est l'exercice le plus redoutable qui soit ! Le deuxième album, t'es un vrai ou t'as juste été une poule aveugle qui est tombée sur un grain… Donc on ne l'a pas pris à la légère ! On a tous une culture rock : on a été voir des concerts, on est habitué à une attitude rock sur scène de la part des groupes, on est habitué au deuxième album de groupes, que ce soit les Melvins, Shellac,… On sait ce que c'est, un deuxième album de rock ! On sait qu'il faut savoir prendre des risques, que cela sonne avec énergie et spontanéité… C'est ça notre force.

C'est clair que vous auriez pu rogner les angles, sortir un album plus consensuel pour plaire au plus grand nombre…

On a pas mal de recul sur tout ce qui est " radio friendly ". On a fait l'exercice du single avec " Do You Read Me ", mais sans avoir l'impression d'être dans le compromis. Sans jouer les emmerdeurs, je crois qu'on est dans une musique que tu aurais du mal à écouter pendant que tu bouffes… Il faut y être attentif : une fois que tu rentres dedans, tu peux même t'y perdre ! Parce qu'il y a de la folie.

Un morceau comme " Until You Faint " exprime de fait une certaine révolte ! On sent clairement que vous n'avez pas envie de caresser l'auditeur dans le sens du poil…

C'est une chanson qui parle d'un gars qui baise et qui a décidé de la faire jusqu'à ce que sa partenaire tombe dans les pommes… C'est une spirale, un truc qui ne s'arrête pas. L'intérêt, c'est que ça sonne hyper frais par rapport au rock qui se fait aujourd'hui. Ce n'est pas formaté.

Tu fais référence à la spirale : d'autres morceaux comme " Blow " et " 21st Century Crooners " sont aussi construits de cette manière. Ca crée un effet hypnotique.

On fonctionne pas mal à l'impro quand on compose, ce qui fait qu'on tourne souvent sur le même thème tout en le transformant. Le côté crescendo, ce n'était pas spécialement une idée pour " Blow " : on voulait plutôt faire 3 morceaux en 1, mettre 3 morceaux parallèlement et les faire écouter en même temps… Quant à " 21st Century Crooners ", c'est plutôt une sorte de western romantique : Rondo Veneziano vu par l'œil de David Lynch. Mais c'est vrai que des morceaux qui ne font que monter, comme " High Voltage Queen ", c'est plus fort que nous !

Vous venez de jouer à l'Ancienne Belgique à guichet fermé en compagnie de Sharko et de Girls in Hawaii : qu'est-ce que représente pour vous le fait de jouer à l'AB, temple musical flamand, et d'en plus faire sold out un mois à l'avance ?

Honnêtement, je pense que c'est le concert le plus important qu'on ait jamais fait, et peut-être qu'on ne fera jamais. Je n'ai pas envie en tout cas de transformer cet événement en une histoire politique : c'est une des plus belles salles d'Europe, elle est sold out un mois à l'avance, point barre, quoi ! C'est fabuleux pour nous. On n'en a même pas rêvé, même dans nos rêves les plus mouillés. On est super contents !

Le succès, c'est une dimension importante à vos yeux ?

C'est super relatif, le succès. Ca peut se compter en notoriété, en nombre d'albums vendus,… Mais à partir du moment où tu te donnes à fond, la reconnaissance est quelque chose d'essentiel. Le succès, on a forcément envie de le caresser. Si on vend 100.000 plaques, on sera plus qu'heureux ! Mais le plus important, c'est d'avoir la " gnak " !

Et vos perruques dans tout ça ? Ne penses-tu pas que votre accoutrement ait pu créer par le passé un certain malentendu ? Il y a sûrement des gens qui connaissent plus Ghinzu pour leurs perruques que pour leur musique… L'image est-elle à ce point importante ?

De nouveau si je reviens sur ma culture rock, j'ai eu des trips quand j'étais gamin où je voulais n'écouter que du live pendant six mois. Pas un album chez moi, pas la radio : rien que du live. J'ai baigné là-dedans. J'aime ça. Moi je pense que ce qui nourrit le rock, c'est forcément la compo, mais aussi l'attitude, l'image. Je ne suis pas un artiste : je fais du rock. Je n'ai pas envie de rentrer dans ces clichés de l'artiste " vrai ", plein d'inhibitions, etc. Ca me gave le cul, quoi ! Moi, je fais du rock. J'aime bien les shows, quand la lumière s'éteint : il y a une réalité qui se crée. Moi je trouve que, graphiquement, voir cinq mecs débarquer coiffés de perruques ou quoi que ce soit, avec des dégaines comme ça, c'est génial ! Sans être les Gauff aux Suc. L'idée de la perruque, pourquoi ceci, pourquoi cela,… C'est juste du spectacle ! Ca fait partie d'un univers esthétique, d'une image, et faut pas avoir honte de ça.

La pochette ?

J'avais envie d'un truc assez pur visuellement, que quand tu la regardes il y ait une sorte d'évidence inattendue. C'est simple mais en même temps tu ne l'as jamais vu ! J'adore l'univers de Tim Burton.

C'est une référence à " Sleepy Hollow " ?

Ouais, sublime ! La force de Tim Burton, ce ne sont pas ses histoires, mais la logique de son univers : c'est tellement logique que c'est vrai. Quand j'ai vu le film, je me suis dit : " Evidemment ! ".

Il n'est pas encore trop tard pour les résolutions de nouvel an… Alors, que souhaites-tu à nos chers lecteurs ?

Je ne suis pas très… résolution. Désolé de tomber à plat, hein ! Mais les résolutions, c'est si on regrette quelque chose. Moi, je ne regrette rien. Je trouve même qu'à chaque fois qu'on fait une connerie, on en sort grandi. Donc ce serait ça mon conseil : faites des conneries ! Ca te va, ça, comme réponse ? (rires)

 

Austin Lace

Ménage à cinq...

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Apparu en 1997 aux alentours de Nivelles, c'est désormais à Bruxelles que la vie d'Austin Lace suit son cours. Tout au long de leur deuxième album, mystérieusement intitulé "Easy To Cook", les cinq musiciens réalisent une belle mosaïque de musique pop, bricolée aux sons d'illustres anciens répondant aux noms des Beatles, des Beach Boys ou des Papas Fritas. Travailleurs acharnés, les garçons viennent d'ouvrir une brèche dans l'univers des mélopées joyeuses, gorgées d'insouciances. Fabrice (chant) et Fred (batterie) nous confient les secrets de cette étrange recette :

Depuis votre premier album, quatre ans auront été nécessaires pour en arriver à " Easy To Cook ". Quatre longues et difficiles années, non ?

Fabrice : Nous sommes passés par différentes périodes de déchirements, de tensions…

Fred : C'est vrai, sauf que la séparation n'a jamais été mise sur le tapis. Il y a bien eu des tensions entre certains membres du groupe. Mais jamais nous n'avons évoqué l'idée de nous séparer. Ce groupe, on y tient comme à la prunelle de nos yeux. C'est vraiment la chose qui nous tient le plus à cœur. Une des principales raisons pour laquelle on apprécie la vie. En plus d'être amoureux, bien sûr…

Amoureux ! L'un de l'autre ?

Fabrice : (rires) On nous a toujours dit qu'il y avait un côté féminin chez Austin Lace. En fait, on l'assume totalement !

Comment sont apparus ces problèmes au sein du groupe ?

Fabrice : Pour trouver cinq personnes du même avis, il faut énormément de temps, de patience. Inévitablement, les problèmes rencontrés au sein de la formation sont apparus suite à des problèmes d'ego.

Fred : Dans un certain sens, Austin Lace est un couple. Mais au lieu d'être deux, nous sommes cinq !

Au niveau des influences musicales, êtes-vous souvent du même avis ?

Fabrice : Non, pas du tout ! Il y a un admirateur de Creedence Clearwater Revival, par exemple. De mon côté, j'écoute un peu de tout…

Que pensez-vous de la hype qui plane au-dessus des groupes belges ? Ne craignez-vous pas d'être englobé dans la masse, que le soufflé retombe aussi vite qu'il est monté ?

Fred : Pour moi, il s'agit davantage d'une rampe de lancement. Cette situation nous permet de jouer devant un public. Sincèrement, si nous parvenons à réaliser de bonnes chansons, le public suivra…

Fabrice : Nous étions présents avant la hype, nous le serons après ! Pour l'instant, c'est une bonne chose que le rock belge comble ce public. Si cette situation perdure, tant mieux. Mais si le soufflé devait retomber, tant pis…

Vivez-vous de votre musique ?

Fabrice : Absolument pas… Nous avons tous des activités professionnelles secondaires, nos activités principales, celles qui nous permettent de vivre. Dès lors, le temps que nous consacrons à la musique est vraiment du temps voulu, arraché…

Fred : Combiner les deux (boulot et groupe) n'est pas forcément évident ! Mais Austin Lace reste un choix personnel. Après la journée de boulot de " monsieur tout le monde ", chacun de nous se donne encore plus pour répéter, enregistrer et donner des concerts.

Fabrice : De toute façon, il est nettement plus agréable de vivre de la musique que d'opter pour une vie de fonctionnaire, conduite par un rythme répétitif et monotone…

Fred : Notre mode de fonctionnement reste la preuve que les artistes ne sont pas des fainéants. Chez Austin Lace, il y a une vie après le boulot !

Sur scène, Austin Lace se produit souvent en compagnie du Lovely Cowboy Orchestra. Comment explique-t-on cette collaboration ?

Fabrice : Au niveau humain, il existe entre nous une grande entente. Au-delà de la musique, il existe une sorte d'harmonie, de compréhension, d'humilité qui fait que l'on se comprend.

Fred : Pour l'album, nous avions besoin de cuivres. Comme ce sont de très bons amis, nous avons fait appel à leurs services ("Accidentally Yours"). Et s'ils sont disponibles le jour d'un de nos concerts, ils viennent toujours avec un plaisir non dissimulé pour nous donner un petit coup de main (NDR : de cuivres) !

Vous vous êtes rendus en Scandinavie. Comment s'est passée cette aventure ?

Fred : A la base, John Wayne Shot Me, une formation hollandaise signée sur notre label (62 TV) avait projeté de se lancer dans une tournée scandinave. Ainsi, nous sommes partis avec eux voici trois ans. A l'époque, nous ne les connaissions pas. D'ailleurs, les premières soirées étaient (hésitations)… particulières ! Nous restions chacun dans notre coin : Austin Lace d'un côté, John Wayne Shot Me de l'autre. Mais rapidement, nous avons constaté que nous avions de nombreux points communs…

Fabrice : Le fait qu'ils soient hollandais avait déjà nourri de nombreuses appréhensions. Mais après quelques jours, la situation s'est débloquée… On les adore !

Cette tournée était une aventure ou de la promo ?

Fred : A cette époque, notre premier album n'était pas sorti en Norvège ou au Danemark. Il s'agissait donc d'une aventure humaine avant tout. Depuis ce premier départ vers la Scandinavie, nous y sommes retournés trois fois !

Fabrice : La Scandinavie demeure une région honteusement oubliée par le marché de l'industrie musicale. C'est scandaleux ! L'ouverture du public y est pourtant incroyable...

Fred : Les gens sont très accueillants, très réceptifs. Le plus amusant, c'est que les jeunes sont restés dans un trip sixties. Tout le monde s'habille "rétro" !

Certaines rumeurs circulent à propos de drôles de cookies. Austin Lace serait-il un groupe de junkies ?

Fred : … (rires) L'histoire se déroule au Danemark dans un quartier de Copenhague. Il s'agit d'une entité un peu particulière dans la mesure où l'état danois n'a aucune compétence sur cette parcelle de territoire. C'est indépendant en quelque sorte…

Fabrice : Nous sommes arrivés dans ce quartier en cherchant la salle dans laquelle nous devions jouer. Pour la circonstance, j'avais emmené mon père avec nous. Il était le chauffeur du bus. En plus de nous conduire, il assurait la comptabilité de la tournée. Un jour, on lui a demandé un peu d'argent pour s'acheter de drôles de cookies. Normalement, un cookie convenait pour deux personnes. Mais nous ne l'avions pas bien compris… (rires) Maintenant, on en rigole mais je jure que jamais je n'en reprendrai ! A l'heure du café, il arrive souvent que je propose un petit cookie à mon père. Ma mère n'y comprend jamais rien mais pour nous, cette aventure nous fait toujours bien rire !

Sur votre album, on retrouve davantage de sonorités électroniques. Austin Lace va-t-il bientôt troquer ses guitares contre des ordinateurs ?

Fred : Effectivement, nous sommes attirés par les machines mais nous n'abandonnerons jamais nos guitares ! Quoi que nous fassions, nous resterons toujours Austin Lace. De toute façon, la base du groupe ce sont les lignes de voix!

Fabrice : Par contre à l'avenir, il serait chouette d'évoluer vers un son très lourd, proche du hip-hop, avec des mélodies pop qui continuent de planer au-dessus de ces nouvelles sonorités. Mais je reste également partisan des morceaux folk et hyper dépouillés.

Vous êtes hébergés sur le même label que Girls In Hawaïï. Le succès de ce groupe ne peut que vous encourager. Vous reposez-vous sur le travail de votre label ?

Fred : Se reposer ? Pas vraiment. Mais il est certain que leur succès nous encourage énormément. Parfois, il arrive qu'on se dise : 'Girls In Hawaïï à réussi. Pourquoi pas nous ?' Cependant, il convient de souligner qu'ils y sont parvenus à force de motivation, pas seulement grâce au label. A leur image, c'est à nous de travailler dur pour que leur belle aventure puisse aussi être la nôtre. Pour moi, Girls In Hawaïï reste le déclencheur de cet engouement nouveau pour les formations belges. Néanmoins, notre musique demeure assez lointaine de celle de Girls In Hawaïï…

Fabrice : Lors de la sortie du mini album "Wax" (e.p.), certains journalistes nous ont comparé à Girls In Hawaïï… Franchement, il y a des journalistes qui ont du crottin dans les oreilles ! Ces journalistes n'écoutent pas les disques ! Ils ont une idée préconçue de notre musique avant même de déballer l'album…

Fred : Le piège de la scène belge est là ! Pourquoi écouterait-on un groupe francophone belge différemment d'un groupe américain ? Pourquoi ?

Que signifie "Easy To Cook" ?

Fred : "Facile à cuire"!

Fabrice : Ce titre se retrouve dans les paroles de la chanson "Your Heart Is A Hook". Ce côté facile et rapide à cuisiner s'applique davantage à notre musique. Soit, on la dénigre facilement en invoquant son côté fragile, voire gentillet, soit on tombe sous son charme pour ces mêmes raisons. Ce côté facile à cuire est une des facettes d'Austin Lace. On se donne simplement, et le public choisit ce que bon lui semble !

 

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