L’Audi Jazz Festival a commencé ce 22 septembre 2007 et s’achèvera le 10 décembre, au Botanique de Bruxelles. Une opportunité pour interviewer le Peuple de l’Herbe. Les Lyonnais se produisent volontiers sur la scène belge et jouissent d’une réputation d’interlocuteurs affables. Pour mieux les connaître et en savoir plus sur leur dernier album, rien de tel de les rencontrer. En me dirigeant vers les loges, Asian Z répète sur scène. Leur ‘sound check’ m’intrigue et surtout aiguise ma curiosité. Quelques volées d’escaliers et de portes entrouvertes plus loin, N’Zeng et Spagg sont d’attaque pour répondre à mes questions. Le dictaphone est enclenché, la bière est servie et trinquée, rouleeeeez jeunesse…
Vous semblez apprécier Bruxelles. J’ai assisté, auparavant, à deux de vos sets dans une autre salle de la capitale. Que pensez-vous du Bota ?
N’Zeng : On connaît bien l’Orangerie. On y a déjà joué. Le lieu est super beau. En plus si tu tiens compte de l’esprit du festival et de l’excellent choix de la programmation, c’est vraiment sympa. C’est convivial surtout ; tu te sens proche du public.
Justement la proximité, ça m’a l’air d’être un besoin chez vous. Vous ne faites pas rock star en tout cas.
Spagg : (rires) on essaye du moins… ça va peut-être venir (re-rires)
N’Zeng : la proximité c’est vraiment ce qu’on aime. On se produit également dans d’énormes salles, des festivals. Mais le public est loin. Tu sens moins leur retour ou l’ambiance réelle. On se produit dans ce genre d’événement avec modération. On préfère plus petit, on y recherche l’écho de notre énergie.
Spagg : Nous apprécions nous sentir proches des gens, c’est toujours plus intéressant
Le line up de ce soir est presque identique à la formation d’il y a 10 ans. Un seul un membre n’y est plus. Une explication ?
N’zeng : DJ Stany est parti. Il a été remplacé par Spagg. Il y a plus ou moins 2 ans. Au début il y avait DJ Pee, DJ Stany et moi. Ensuite ça a été plutôt du ‘rajout’. Entre autres lors de l’arrivée de JC (JC 001) qui est apparu sur le deuxième album et a participé à la tournée. Il n’est plus reparti depuis. Sir Jean (ancien chanteur de Mei Tei Sho) a participé au morceau « PH Thème » sur « Triple Zero » (leur premier album). « PH Thème » a super bien représenté et super bien fait démarrer le groupe. Sir Jean est revenu poser sa voix sur le dernier album, et nous suit pour la tournée. C’est sympa, la boucle est bouclée comme ça.
Que représentent tous ces rajouts en termes d’efficacité ? Avez-vous besoin de vous multiplier ?
Spagg : Pour ma part je suis à la technique depuis 2002. Je n’étais pas sur les planches, mais je travaillais déjà à la conception générale.
N’Zeng : L’efficacité de ces rajouts c’est surtout le développement musical. Plus on avance plus on tend vers quelque chose d’organique, nous avions déjà amorcé ce concept sur l’album précédent, mais nous n’avions pas trop creusé. Justement Spagg est arrivé dans le groupe avec sa manière d’utiliser les machines et est parvenu à bien faire progresser l’ensemble. Après la précédente tournée on a opéré des recherches sur base de remix. Nous avons réussi à bien faire évoluer le travail, même si le principe de base est toujours le même. Nous travaillons tous les quatre. Chacun participe à l’évolution sur sa machine. Une méthode qui nous a permis de garder un équilibre sur les quatre albums. On ne souhaite pas qu’il n’y ait qu’une seule personne qui écrit dans le groupe. Ce qui pourrait mettre d’autres un peu ‘sur la touche’ quant à leur développement artistique. Tout le monde doit et veut être impliqué, on espère que ça continuera.
Spagg : Sinon au niveau de l’équipe, ce que les gens voient en concert, c’est le travail de 12 personnes, tant à la technique que sur scène. On communique très bien, on fait constamment évoluer les choses. Notre petite bande est bien soudée, en fait.
12 personnes et 4 albums en 10 ans, vous y allez calmement. N’avez-vous pas envie d’en faire davantage ? Un album live par exemple ?
N’Zeng : Il y a un live qui est sorti sous la forme d’un mini elpee. Il est paru juste avant « Cube » (NDR : leur troisième opus). Il est sorti un peu en marge. Distribué à 10 000 exemplaires, il recèle beaucoup de remixes en version live.
Votre boulot prend une autre dimension sur scène et vous semblez apprécier l’exercice. N’avez-vous pas envie de creuser davantage dans ce créneau ?
N’Zeng : Absolument. Nous avions ce projet sur la tournée précédente, mais quand Stany a quitté l’aventure, on a abandonné l’idée. On devait laisser le temps au groupe de reprendre son équilibre et ses marques. Maintenant ça tourne bien. Nous avons décidé de récupérer tous les live depuis le début de cette tournée, pour voir ce qui en sort. Mais nous avons déjà connu quelques problèmes techniques…
Spagg : Arf !!
N’Zeng : …Spagg a quitté le noyau technique, mais nous n’avons pas engagé quelqu’un d’autre pour le remplacer. En outre, l’ingénieur su son a énormément de boulot pour tout gérer à la fois. On garde l’espoir d’y arriver. Nous avons le projet d’éditer un Dvd, mais ce travail est complètement différent.
Pourquoi ? Eprouvez-vous des difficultés pour maîtriser l’image que vous souhaitez apporter à votre musique ?
N’Zeng : Ce n’est pas simple en effet. Personnellement si je me tape un dvd d’une heure trente de concert, il a intérêt à être excellent et distrayant sinon je me lasse vite.
Spagg : A mon humble avis, il n’existe aucun format capable de relater fidèlement une ambiance concert. Faut y être c’est tout ! Ce que tu ressens sur la scène et dans le public ne se fait qu’au moment présent.
N’Zeng : La priorité des 43 dates de concerts sera l’enregistrement audio. Après, si on trouve quelque chose de sympa à mettre sur un Dvd, on y réfléchira à nouveau. Vu le stock d’archives accumulées lors des précédentes tournées, on pense proposer un panel de l’évolution de nos expéditions live, en mélangeant les années.
Au fur et à mesure des albums, vous ne souhaitez pas vous détachez de l’image de consommateur de pétards. Vous l’assumez d’ailleurs depuis le début… mais vous exprimez aussi, de plus en plus un côté réfléchi. Fumeurs oui, mais pas mou du cerveau ? C’est ça ?
N’Zeng : Ben on l’a bien cherché hein ! Depuis le début on provoque cette image via le nom du groupe, du label. A la base, cette démarche était purement ludique ; maintenant les choses évoluent, on ne se prend toujours pas au sérieux mais on mute constamment.
Spagg : Il est clair que ça date déjà d’une époque ou la légalisation allait dans tous les sens. Tout ça bougeait un peu partout autour en France. La gauche était au pouvoir, on s’est dit ‘on va pousser un peu’… A présent tout a bien changé. Cette époque est révolue.
N’Zeng : Tu sais, nous ne sommes pas toujours pris au sérieux. On nous considère plus souvent comme des amuseurs, malgré le parcours que nous avons déjà accompli. De plus, musicalement on nous catalogue plus vers le dub ou le reggae, même si on respecte complètement ce courant. C’est un peu réducteur pour nous… La conso’ c’est depuis la naissance du groupe notre marque de fabrique ; mais elle ne nous empêche absolument pas d’évoluer
En parlant d’évolution, la dernière qui n’a pas dû vous plaire, c’est l’arrivée de Sarko au pouvoir. Ca vous fout pas la trouille d’être français avec vos idées ?
N’Zeng : Ben si, ce n’est pas vraiment génial ce qu’il s’y passe !
Spagg : Nous voulons essayer de lutter de l’intérieur, on va pas se casser non plus. De toute façon pour aller où ?
Ben, chez nous en Belgique par exemple, ça reste relativement cool par ici.
Spagg : (rires) Ouais, c’est vrai ! C’est sympa la Belgique mais ce serait pas notre genre d’abandonner le navire, ce serait vraiment trop simple.
N’Zeng : Justement le ton de « Radio Blood Money », c’est une constatation. On y a intégré des références à nos idées. Les gens creuseront s’ils en éprouvent l’envie. On ne cherche pas à s’impliquer en politique, mais elle est omniprésente malgré nous. Quand tu vois ce qu’il y avait dans le passé, les luttes pour les acquis sociaux par exemple ou les droits de l’homme. Quand tu vois aussi que l’Europe a vécu des périodes sombres et que les gens font mine d’avoir oublié en votant comme ils l’ont fait ! Moi ça me fait super flipper. On tape sur l’immigration, les problèmes de réinsertion, tout est prétexte à discréditer la conscience de l’histoire. Le pire c’est que ce phénomène s’étend sur tout le Vieux Continent. Tu as vu en Suisse ? Le mouton blanc qui fout un coup de pied au mouton noir ? Ben y sont élus ces gens, c’est affreux !! Les médias français ont, eu aussi, beaucoup changé. Pour exemple, Pias notre label, avait proposé de diffuser une de nos chansons sur une radio française (NDR : que nous ne citerons pas). On leur a répondu, ‘Si Mr Sarkozy arrive au pouvoir, il n’est pas question de diffuser quoique ce soit du Peuple de l’Herbe’. Quand tu reçois une réponse semblable, tu as le droit d’être inquiet. Sans parler de la multiplication des tests ADN et du ‘fichage’ que l’on en fait. Le pire c’est qu’on essaye de te faire croire que cette situation n’est pas grave et que tu es juste un peu paranoïaque.
Revenons à un sujet plus musical. Et en particulier vos influences. D’abord, j’imagine que vous devez y comptez un large panel d’artistes. Quels noms vous viennent d’abord à l’esprit ?
Spagg : Notre particularité est d’apprécier chacun des trucs différents et d’apporter ces influences au groupe. Nous ne sommes pas comme pas mal d’artistes, dont tous les membres écoutent le même truc ou sont d’accord sur les mêmes choses. Pour ma part j’écoute pas mal de métal, du lourd, du hiphop aussi. Le hiphop, étrangement, rassemble tous les membres du Peuple de l’Herbe. Beastie Boys, Public Enemy entre autres. Ce ne sont pas les seuls, il y en a plein d’autres. (NDR : Spagg portera ce soir là d’ailleurs un t-shirt noir placardé d’une énorme effigie de Public Enemy)
N’Zeng : La plupart des membres, sont des collectionneurs de vinyles depuis de nombreuses années. Pour certains, le stockage devient même problématique. Quand on débarque en Belgique, on visite souvent les disquaires. Nos recherches vont du vieux ska à tout ce qui touche la Jamaïque des années soixante et soixante-dix. Ca peut aussi tourner au funk, mais pas le ‘funk fluo’ années quatre-vingt, plutôt 60-70 avec Parliament, Funkadelic, la bande à Clinton. Le jazz a aussi une place importante. On ne nie pas non plus, une influence punk. Celle des Clash, par exemple. Strummer et sa bande ont sans cesse progressé pour faire évoluer leur propre son, et ce sans concession. Que ça plaise ou non, ils faisaient exactement ce qu’ils voulaient. Ca aussi on aime bien. L’esprit du Rock n’ Roll, transmettre du son et de l’énergie. Psychostick, le batteur, vient du milieu rock et punk, il a joué entre autre du rockab’. Toute cette énergie de la batterie est super importante pour nous.
Spagg : Mais le truc ou tout le monde kiffe dans le groupe, ce sont les bandes-son.
N’Zeng : Ah ouais, les bandes-son ! Nous sommes tous d’accord. Quand tu vois qu’il y a des gens comme Morricone qui n’ont plus rien à prouver, et dont tu retrouves sans cesse des enregistrements inédits ou des morceaux sortis de nulle part issus de films inconnus, c’est énorme. C’est super riche comme univers les bandes sonores de films. Elles nous servent énormément.
Spagg : Et même plus !!
Vous accordez de plus en plus de place aux ‘vrais’ instruments. Votre association machine – instrument prendrait-elle une tournure moins électronique ?
Spagg : On pousse l’un pour extraire l’autre, les machines sont sans cesse testées.
N’Zeng : Nous avons fait apparaître pas mal d’instruments en effet. La basse n’a pas sa place sur des morceaux plus electro, mais elle adoucit beaucoup de choses sur d’autres et on n’hésite plus à l’utiliser. La section de cuivres que nous avons utilisée comptait cinq instruments. Et un percussionniste est venu enregistrer sur deux morceaux. Ce qui représente beaucoup de travail sur du ‘vrai son’
Sur vos albums, vous blindez toujours vos morceaux d’intros, de dialogue de films, de bruitages. Comment les choisissez-vous et où les dénichez-vous ?
Spagg : Il n’y a pas de règle, ça peut venir de partout
N’Zeng : Films, documentaires, émissions télés. Une voix sortie de son contexte prend une autre dimension. Et cette recherche nous plaît assez. A une époque nous courrions les vinyles gravés dans les années 40-50-60. Ayant un but informatif ou éducatif, voire même médical. Un jour nous sommes tombés sur un stock incroyable de propagande communiste de cette époque. C’était des chants de ‘manifs’ entrecoupés d’interventions. On s’en est d’ailleurs servi pour la biennale de la dance à Lyon, l’année passée. On chipote toujours avec tous ces trucs là.
Spagg : Nous regardons pas mal de films qui influencent la création des albums. On utilise les VF en les posant dessus.
N’Zeng : Mais si on les cite on va se faire taper sur les doigts (rires)
Vous avez tellement de sons en stock, que vous pouvez même en refourguer à High Tone, entre autres sur leur dernier album. Vous leur en avez filé lors de la tournée de 2005 ?
N’Zeng : Ouais on s’entend super bien, nous nous serrons les coudes. Les ingés s’échangent du matos, on se soutient les uns les autres. Chacun a aidé l’autre à monter son studio, il n’y a pas de concurrence.
Spagg : C’est comme pour Asian Z qui assure notre première partie ce soir, nous signons tous chez Jarring (NDR : Jarring Effect, leur label). Eux aussi sont issus de Lyon. Nous les croisons souvent là bas. Tu connais Asian Z ? Tu vas voir c’est particulier. Avec eux et High Tone, nous sommes de vrais potes. Nos liens se sont resserrés davantage en 2005 avec les gars d’High sur la tournée européenne du Lyon Calling Tour (23 dates dans toute l’Europe en un mois réunissant Le Peuple de l’Herbe, High Tone et Mei Tei Sho ). Une trentaine de personnes sur la route, c’était bien ! C’est clair que ça favorise l’échange.
Expérience à refaire ?
Spagg : Ah ouais direct !!
N’Zeng : Très chouette, mais dur. Il y a quand même des endroits où, quand tu arrives, genre Mostark ou Sarajevo, tu te sens privilégié. L’Europe de l’Est c’est souvent triste. Tu as l’impression que la guerre s’est achevée un an plus tôt. Tout est à reconstruire. Ils manquent de tout. C’est hyper dur pour eux. Parfois nous arrivions et il n’y avait même pas de courant. Nous étions obligés de nous approprier l’endroit vierge et de complètement le transformer pour faire tourner les machines. C’était intéressant de voir la relation entre l’endroit et notre technologie, mais déroutant aussi. Tout ça à coté de chez nous. Nous avons vécu des aberrations administratives aussi. Jean de Mei Tei Sho s’est vu refuser l’entrée d’un pays de l’Est parce que Sénégalais, il ne pouvait présenter de document médical sur lequel était stipulé qu’il n’avait pas le Sida. Cette épisode à inspiré le morceau « Judge Not » qui figure sur « Radio Blood Money ».
Spagg : Pauvre Jean, à chaque frontière il y avait un nouveau problème. Nous, nous passions sans stress en montrant nos passeports européens. C’est fou !
Vous vivez les problèmes que vous soulevez, juste parce que vous travaillez avec d’autres nationalités ? Ca motive vos compostions du coup, ce n’est pas innocent.
N’Zeng : En effet on peut dire qu’on le vit de l’intérieur. D’origine galloise et hindoue, JC (JC001) vient d’Angleterre ; et son point de vue sur la situation était déjà bien rôdé vu ce qu’il avait vécu là bas. Il a vécu l’apparition des caméras en rue et la surveillance à outrance des quartiers défavorisés. Il pose une réflexion cynique mais pertinente sur les caméras de rue justement. Il dit que ‘c’est beau d’avoir vu les mecs poser les bombes à Londres ; mais elles ont quand même explosé. C’est bien la preuve que ces caméras ne servent à rien !’
Comment voyez-vous le futur du Peuple de l’Herbe
Spagg : On t’avoue que pour le moment, nous vivons au présent. Nous ne sommes pas dans la phase de projection. Nous profitons de l’album qui vient de sortir et de la tournée qui en découle.
N’Zeng : C’est vrai. Au début, vu que nous avions super bossé sur l’album avant de l’enregistrer, on le maîtrisait en se contentant de le reproduire tel qu’on l’avait enregistré. Mais au fur et à mesure nous apercevons des pistes. On y réfléchira certainement après la tournée.
Spagg : Surtout que nous avons beaucoup de dates en préparation. Si tu y ajoutes les festivals de l’été prochain, ça nous laisse le temps d’observer. En plus nous sommes contents de ce qu’on vit. Tous ces live sont la récompense de notre travail.
N’Zeng : Nous sommes dans la phase de digestion.
Ok, merci beaucoup les gars, c’était très sympa
Spagg : Ben, merci à toi
N’Zeng : Ouais merci, on espère que tu passeras une bonne soirée
Ravi d’avoir partagé ces quelques minutes en leur compagnie, je prends congé de mes hôtes. Les poignées de mains sont franches. N’Zeng me promet de prendre la pose sur scène et de sourire à mon appareil photo lors de leur prestation du soir. Quelques réflexions personnelles partagées sur l’incompréhension du problème belge, et je quitte définitivement la loge pour m’en retourner vers la scène, où les Asian Z sont toujours en train de faire les pitres… Spagg les rejoint pour leur filer un coup de main. N’Zeng m’avoue qu’il va se reposer un peu avant d’affronter le public. Je sors rejoindre des amis. Cette soirée s’annonce sous les meilleurs auspices.