Echange de quelques mots en compagnie du chanteur Jason Merritt à l’occasion de la sortie du dernier opus de Timesbold. Encore largement méconnu, c’est le genre de groupe que l’on espère pourtant ne jamais voir grimper aux sommets des hit-parades. On veut juste le garder pour soi, brandir fièrement ses albums comme si on en était le géniteur et surtout, surtout, ne pas se perdre dans un Foret National pour aller l’écouter. Petit tête-à-tête avec un tout grand…
D’où vient le nom de Timesbold?
C’est suite à un contretemps fortuit survenu dans une usine d’autocollants. Il fallait d’abord choisir la police et le caractère des lettres que nous souhaitions. Mais la machine s’est détraquée et les mots ‘times’ et ‘bold’ sont apparus partout. Alors on a gardé ce nom.
Pourquoi une telle pochette?
J’ai rêvé d’une ville gelée. Tous ses habitants aussi étaient gelés. Seul un coq hurlait à tue-tête pour essayer de les réveiller. Ensuite, un ami a peint la scène.
J’ai lu que lorsque vous écriviez vos chansons, c’était en compagnie d’un oiseau…
(Il m’interrompt en riant) Oh oui, c’est vrai ! Il y avait ce p***** de geai bleu qui me cassait les oreilles. Où que j’aille il me poursuivait. Son jasement était terrible. Et quand j’ai commencé à travailler sur le son de mes chansons, il s’est arrêté. Je pense que ma voix était peut-être aussi laide pour lui que la sienne l’était pour moi.
Vous jouez aussi en solo (Whip). Comment déterminez-vous à qui, de Whip ou Timesbold, s’adresseront les chansons ?
En général, les chansons elles-mêmes savent où elles veulent aller. C’est un peu comme si elles avaient leurs propres jambes. Je ne prends pas vraiment cette décision, je pense que ce sont les chansons qui la prennent.
Timesbold a vécu plusieurs changements de line up. Quelles sont les qualités requises pour en faire partie ?
On a accueilli pas mal d’‘invités’, mais le noyau principal est plus ou moins resté le même. En ce qui concerne les changements, une multitude de paramètres peuvent entrer en ligne de compte. Exemple : certains laissent leurs vies de côté pendant un moment pour partir en tournée ou travailler en studio une dizaine de jours. Parfois ce sont juste les circonstances qui déterminent les décisions.
Quels artistes écoutiez-vous pendant que vous écriviez vos chansons ?
Des artistes comme le chanteur de blues Blind Willie Johnson. Je l’ai beaucoup écouté! Il y avait aussi le songwriter d’Omaha, Simon Joyner. Je venais juste de découvrir Billy Childish et Holly Golightly. Des Britanniques ! Il y en avait pas mal…
Quelle est votre chanson préférée sur le dernier album ?
Je ne pense pas qu’il en existe une précisément. Pour tout dire, je ne suis même pas certain de savoir quelles chansons figurent sur celui-ci. Je pense en cerner quelques-unes, mais je n’en ai pas une favorite. Je crois que je n’y pense pas. C’est une sorte de libération.
Ecoutez-vous parfois vos propres albums ?
Jamais. C’est d’ailleurs assez difficile de parler de cet album. Je n’écoute jamais mes chansons. C’est dur d’écouter tes propres compos. C’est comme prendre un verre d’eau, cracher dedans et le boire après. Certaines personnes peuvent y parvenir, moi pas.
Je suppose et j’espère que vous n’avez pas la même impression sur scène…
Non, non ! J’aime me produire sur scène. J’y prends beaucoup de plaisir. Mais je n’écoute pas vraiment mes chansons, je les crée. C’est une situation différente. C’est plus intéressant. J’aime beaucoup jouer parce qu’on peut tout changer en ‘live’ : les arrangements, le tempo... On fait tout ce qu’on veut, on est libre à nouveau.
Vous abordez souvent des thèmes tels que la rédemption ou la mélancolie. Y en a-t-il d’autres que vous avez toujours voulu explorer sans jamais les avoir abordés ?
J’aimerais écrire plus de chansons drôles. Vraiment. Mes chansons préférées sont de tous les genres : chansons d’amour, chansons tristes, drôles, ridicules… chansons sur la nourriture … (rires) Je véhicule parfois cette image de misérable et de triste con ; mais elle ne reflète pas ma personnalité.
Des textes tels que ceux de Leonard Cohen vous inspirent-ils parfois ?
Bien sûr ! Et il a écrit des chansons vraiment très drôles ! Tout le monde pense que c’est un gars triste ou mélancolique mais il a écrit des textes vraiment sympas. Oui, bien sûr, il est chouette !
Tes chansons véhiculent-elles des messages ?
Eh bien, je n’aime pas dire aux gens ce qu’ils doivent penser. J’aime qu’ils retirent ce qu’ils veulent de mes chansons. Je préfère quand ce ‘processus’ reste ouvert.
D’où votre inspiration provient-elle?
Du subconscient. Toujours. C’est toujours un vrai travail d’accomplir quelque chose de cohérent.
Selon vous, quel lien pourrait-il y avoir entre votre état d’esprit et vos chansons ?
Il existe certainement un lien, mais je n’essaie pas pour autant de rédiger une biographie ou des chansons typiques. Mais le lien est certainement présent, car mes chansons émanent d’un certain endroit inconscient. J’écoute souvent ce que les gens disent. Parfois, sans m’en rendre compte, je reproduis leurs propos. Mais il est évident que cette opération transite par le subconscient. Comme si c’était un job. Au quotidien. Je suis capable, pendant quatre heures, de me rendre dans un endroit spécifique, comme une bibliothèque. Je regarde les titres des livres, j’écoute ce qu’on raconte autour de moi. Et cette situation m’inspire. J’essaie de leur donner du sens. Et là, il y a un travail intérieur, qui rassemble le tout comme les pièces d’un puzzle. C’est comme du recyclage.
Tout le monde a ses dépendances. Quelles pourraient être les vôtres ?
Pour l’instant, je ne sais pas trop… La cigarette. ‘I think I’m addicted to addictions’. Mais ces jours-ci, rien de trop dangereux.
Si vous pouviez choisir un artiste avec lequel vous pourriez travailler, qui choisiriez-vous?
Marcel Duchamp ! Définitivement. Une telle collaboration pourrait être drôle. C’est vraiment un grand farceur.
Selon vous, quelle pourrait être la différence entre le folk aux USA et le folk européen ?
Il y a probablement plus de points communs qu’il n’y a de différences. Le folk est en général écrit par les gens pauvres, peut-être pas toujours gâtés par la vie mais qui essayent de se sentir mieux en le transposant en chansons. Mais je parle ici de la vraie musique folk.
Vous avez déclaré un jour vous sentir particulièrement bien en Belgique.
(Montrant le cadre du Botanique, ensoleillé) Comment ne pourrais-je pas l’être ?
Qu’aimez-vous dans ce pays ?
Les endroits comme celui-ci. J’aime vraiment beaucoup Bruxelles. C’est une ville vivante peuplée de gens différents. J’aime la bière, qui est fantastique. J’aime que tous les endroits soient près les uns des autres et qu’il ne faille pas conduire plus de deux heures pour atteindre une destination. Oui, j’aime beaucoup la Belgique. J’y séjourne souvent, plusieurs fois par an pour mes tournées et parfois, lorsque j’ai un jour de repos, alors j’en profite pour visiter, regarder et écouter les gens.
Le public belge jouit, en général, d’une bonne réputation. Qu’en pensez-vous ?
Tout à fait ! Les gens sont très gentils à mon égard. Vous savez, la chose la plus chouette qui vous arrive, lorsque vous voyagez, alors que vous ne parlez pas le langage local, c’est de pouvoir entendre le bruit des conversations. C’est sympa de ne pas être capable de comprendre ce que les gens disent. Ca repose bien l’esprit.
Vous ne parlez pas un mot de français ?
Non. Je crois que je peux seulement dire ‘close your mouth’, mais je ne vais même pas essayer de le prononcer (rires).
Y a-t-il une question que vous aimeriez que l’on vous pose et que j’aurais oubliée ?
Non. Mes chansons comptent déjà un nombre important de mots et je n’aime pas en dire davantage. Pour être honnête, j’aimerais ne pas devoir répondre à toutes ces questions. Mais j’apprécie tout de même ces conversations, car elles font partie du métier. Certaines personnes, par contre, ne se limitent pas à mes chansons et cherchent à sonder ma vie privée. Ce que j’aime beaucoup moins.
J’espère que mes questions ne vous ont pas trop dérangé ?
Non, non ! Cette interview était plutôt sympa. Ne vous inquiétez pas. (Sourire)
C’est sur ces paroles que l’interview s’achève et je le remercie. Bien que souriant, il a toujours gardé cet air mystérieux. Apaisée et euphorique, je le quitte tout de même à regret. Néanmoins, en sachant qu’il accomplit une moyenne de deux tournées par an en Belgique, il y a de quoi se réjouir déjà d’une prochaine rencontre. A nos agendas, donc !
Merci à Geert
Photo : Julie Moors