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Interviews

Orchestral Manœuvres in The Dark (OMD)

On a encore quelque chose à dire !

Paul Humphreys, cofondateur d'Orchestral Manoeuvres in the Dark (OMD), est un gentleman. En pénétrant dans sa loge du BSF, son grand sourire et sa simplicité forcent l'admiration. Qui pourrait croire que lui et son compère, Andy McCluskey, ont vendu plus de 40 millions de disques ? Une modestie qui est la marque des plus grands.

L’interview de Paul Humphreys se déroule avant le concert que le groupe va accorder sur la Place des Palais, en cette soirée de clôture du festival. Après John Foxx et Peter Hook, votre serviteur a la chance de côtoyer un autre de ses héros. Paul n'a pas tellement changé depuis les années 80. Evidemment, ses cheveux ont viré au gris, mais il a toujours cette bonne bouille de bébé rayonnant qui fait son charme.

La première question est très classique, elle concerne le patronyme du groupe. ‘Manoeuvres orchestrales dans l'obscurité’, c’est presque un gag, non ? « En fait, nous avions reçu un appel téléphonique émanant du Eric's Club à Liverpool », raconte Paul. « C'était en 1978. Les organisateurs nous proposaient d’assurer la première partie de Joy Division. On a répondu qu’on aimerait beaucoup le faire! Le gars nous a demandé alors : « C'est quoi le nom de votre groupe ? » On n'en avait pas. Il a ajouté : ‘Vous avez deux heures avant que nous imprimions les affiches’. Alors nous avons couru vers la maison d'Andy. A l'époque, on notait toutes nos idées de chansons sur le mur. On a parcouru la liste et quand on a lu ‘Orchestral Manoeuvres in the Dark’, on en a conclu qu’il nous distinguerait des autres formations. » Issues du punk, sans doute ? « Oui, Eric's Club était un club punk et nous voulions nous différencier. En plus, on était convaincu de ne jouer qu’un seul concert ; donc ce choix n’avait aucune importance » (rires).

Le destin en décidera autrement. En fait, l’épouse de Tony Wilson, le patron de Factory Records, la compagnie de disques de Joy Division, est tombée sous le charme de leur musique et elle a insisté auprès de son mari pour qu'il les prenne sous son aile. Pour Wilson, OMD était beaucoup trop pop, mais il accepte néanmoins de les engager à l’essai. OMD est donc invité à enregistrer un premier single, ‘Electricity’, sous la houlette de Martin Hannett, le légendaire producteur qui a, entre autres, créé le son de Joy Division. Petit problème : Andy et Paul ne sont pas satisfaits du résultat ! « En fait, nous avons accepté sa version d’‘Almost’, qui figurait en face B », rectifie Paul. « Mais celle d'‘Electricity’ était un peu trop 'ambient' à notre goût. Nous en souhaitions une plus dense, plus électro. Nous préférions la nôtre à celle de Martin, même si nous étions fans de son travail. C'était juste pas ce qu'on voulait. »

C'est donc la mouture enregistrée en compagnie de Paul Collister qui devient le très recherché single ‘FAC6’ de Factory Records. Grâce à cette carte de visite, OMD signe un contrat juteux chez Dindisc, une filiale de Virgin. « Andy et moi, nous avons alors décidé de consacrer l’argent encaissé, à l’achat d’un équipement studio. Nous avons construit le nôtre, conscients qu’il n’existait pas de marché pour ce type de musique et qu’en définitive, on allait être largués après le premier elpee. Mais au moins, on disposerait de notre propre studio ! »

Une fois de plus, le destin va en décider autrement. La 3ème version d'‘Electricity’, enregistrée dans leurs nouvelles installations, opère son entrée dans les charts anglais et européens, lançant ainsi leur carrière. Paul insiste beaucoup sur le contrôle qu'ils ont constamment voulu avoir sur leur son. « Andy et moi avons toujours eu une idée très claire de la façon dont notre musique doit sonner. C’est pourquoi nous avons régulièrement rencontré des problèmes auprès des producteurs. Nous avons même bossé en compagnie de Toni Visconti sur l’LP ‘Junk Culture’. Visconti a produit des disques fabuleux pour David Bowie et bien d'autres, mais il ne convenait pas pour nous. Dans son livre, il a écrit qu'on comptait trop sur la technologie. Mais nous sommes un groupe électro ; bien sûr que nous tirons parti de la technologie! » (rires)

Ce côté technologique, OMD le doit certainement à Kraftwerk, les pionniers allemands de la musique électronique. Le génie d'OMD a été de marier la technologie de Kraftwerk, le côté proto-punk hypnotique de Neu! et l’aspect sombre de la new wave. Paul Humphreys approuve mon analyse. « Quand nous avons commencé, nous écoutions 5 groupes ou artistes : Kraftwerk, Neu!, LA Düsseldorf, Can et David Bowie. Egalement le Roxy Music des débuts, celui de Brian Eno. Quand ce dernier a quitté Roxy, nous avons continué à suivre son parcours. C'est grâce à lui que nous avons acquis ce côté mélancolique, je pense… »

Il est vrai que le rôle d'Eno a été prépondérant dans la naissance de la new wave, surtout le feeling sombre, le ‘Weltschmerz’, le ‘Spleen’, que l'on rencontre sur les albums de Bowie dans sa période berlinoise. En intégrant, cette ‘noirceur’, Humphreys et McCluskey ont contribué à définir le son de la new wave électronique. Etonnant, mais certains artistes ont, au même moment, développé une musique similaire. Notamment The Human League et Gary Numan. Hasard ou synchronisme ? « A l'époque, Internet n’existait pas », explique Paul. « Nous n'avions aucune idée de l'existence de ces autres formations. En fait, certains magasins de disques importaient de la musique allemande. Et je pense que nous l’avons tous découverte au même moment. Personne n'était plus choqué que nous quand Gary Numan a atteint le numéro ‘1’ des charts grâce à ‘Are Friends Electric’. On s'est dit : ‘Il vient d'où, celui-là ?!’ Puis, nous nous sommes aperçus que nous n’étions pas les seuls à partager les mêmes influences. »

Parmi ces pionniers, n'oublions pas John Foxx ! Rappelons que ‘Hiroshima, mon amour’, un titre qui date de 1977, est probablement le premier titre 100% électronique new wave de l'histoire de la musique. Sur ce point également, Paul abonde dans le même sens. « Oui, je pense que c'est vrai. J'aime beaucoup John Foxx. Il a tourné avec nous en 2013. Très chouette de vivre en sa compagnie. Et puis, c'est un gars adorable ! » Ayant eu la chance de l'interviewer, votre serviteur ne peut que confirmer, ajoutant même que son attitude, très 'gentleman', donne envie de l'appeler 'Sir'. « Exactement », confirme Paul. « Il a ce style typiquement britannique. »

Impossible de ne pas parler de synthétiseurs quand on a devant soi un ‘synth wizard’ comme Paul Humphreys. Il paraît même qu'il construit lui-même des synthés. Est-ce une légende ? « Au début, on était fauchés ; donc j'ai fabriqué des synthés, c'est vrai. On les entend sur le premier long playing. J'ai aussi façonné une batterie électronique très 'kraftwerkienne', qu'on entend sur ‘Almost’. Après, elle est tombée en panne et je m’en suis débarrassée. Je la regrette maintenant ! »

Comme pas mal de groupes issus des eighties, OMD a connu un passage à vide pendant les périodes 'grunge' et 'britpop' des années 90 et 2000. Mais en 2006, le tandem est à nouveau rattrapé par le destin. « On a eu l'occasion de jouer quelques concerts. On s'est demandé qui peut encore être intéressé par OMD aujourd'hui ? Nous avions été absents pendant 10 ans. On a décidé d’accorder 9 prestations afin d’y interpréter ‘Architecture & Morality’, dans son intégralité. Certaines chansons n'avaient jamais été exécutées en ‘live’ et c'est de toute façon un LP emblématique. Les 9 spectacles ont été sold out en quelques heures et on a fini par aligner 49 dates. Soudainement, nous étions de retour… »

Petit problème technique : comment se débrouille-t-on pour rejouer les anciens morceaux à l'identique quand on n'a plus les synthés originaux ? « On a été obligé de racheter tous les synthés ! Je me souviens même qu'à un certain moment, on avait besoin d'un Korg Micro-Preset ; et, Andy et moi, on s’est mis à renchérir l'un contre l'autre, sans le savoir, sur eBay, pour l’acquérir ! » Pas question, par contre, d’emporter sur la route, ces vieux synthés. « Non, ils ne sont pas fiables. Ils se désaccordent et il faut avoir tout en double. Donc, on a échantillonné les sons. Ce qui exige beaucoup de mémoire mais les synthés modernes, comme la station Roland Fantom, peuvent y parvenir sans problème. »

Et si on parlait de la Belgique ? « On aime beaucoup la Belgique ! Nous y avons vécu pendant plusieurs mois, dans les eighties ! Nous avons loué une ferme près de De Haan (NDLR : Le Coq) pour y travailler. » N'est-ce pas là qu'a été enregistrée la version 'dub' de ‘Julia's Song’, qui vient de ressortir il y a quelques mois ? « En effet ! On l’a réalisée avec la section de cuivres des Frères Weir... »

Toujours concernant la Belgique, OMD a également travaillé en compagnie de la formation malinoise Metroland. « Oui, quand nous avons achevé la chanson intitulée ‘Metroland’, on s’est rendu compte qu’il existait un groupe baptisé Metroland. Donc, on les a contactés et il s'est avéré qu’il s’agissait de grands fans, donc ils ont réalisé un remix du morceau ! » Malheureusement, un des gars de Metroland, Louis, est décédé récemment… « Je sais, c'est tellement triste... »

A propos, n’est-il pas bizarre pour vous, de revenir dans le parcours, après autant d'années d’absence ? N'est-ce pas un peu comme si on vous avait accordé une seconde vie ? « Oui, c'est tout à fait ça ! Mais en même temps, on ne veut pas passer pour un groupe 'rétro', incarner un pastiche de nous-mêmes. Nous avons astreint notre reformation à une condition : avoir encore quelque chose à dire ». Donc, on est retournés en studio et on s'est rendu compte qu'on éprouvait encore beaucoup de plaisir à composer ensemble. Et manifestement, on a encore quelque chose à dire ! Ce qui a débouché sur la confection d’‘English Electric’, un album dont nous sommes très fiers. »

Y a-t-il de nouvelles compos en préparation ? « Nous disposons déjà de 5 chansons pour le prochain disque. Il paraîtra l’an prochain » Thank you, Paul ! « My pleasure... »

Merci à Nicky du BSF, à Simon Fuller, le tour manager d'OMD et bien sûr à Paul Humphreys ainsi qu’à Andy McCluskey.

Pour voir la vidéo d’OMD interprétant « Electricity » au BSF, c’est ici 

 

 

Cédric Gervy

Sans langue de bois…

Écrit par

C’est dans le cadre verdoyant du LaSemo que Cédric Gervy a accordé une interview à Musiczine. Un personnage particulièrement humain, disponible et d’une sincérité à toute épreuve. Sans langue de bois, il se livre au jeu des questions/réponses pour notre plus grand bonheur.

Les thèmes de tes chansons sont souvent dénués de tout stéréotypes et bien éloignés de ce fameux ‘compromis à la Belge’. N’est-il pas trop difficile de s’exprimer sous cette forme, où tout doit être politiquement correct ?

C’est une très bonne question ! Effectivement, je crains que mon discours puisse écorcher certaines âmes susceptibles. J’aborde des sujets qui peuvent effectivement parfois heurter la sensibilité des uns et des autres. La religion est un bon exemple ! L’exercice de style consiste à oser exprimer des propos virulents sur un ton sympathique. Je ne tiens pas à me mettre à dos qui que ce soit. Et ne suis pas davantage un donneur de leçons. On peut me contredire. Je n’ai pas la prétention d’avoir raison sur tout ! Au final, mes textes reflètent assez bien ce que je suis.

Te considères-tu comme un chanteur engagé ?

C’est une formule un peu bizarre parce que j’ai l’impression qu’elle renvoie aux manifestations socialistes. A mes débuts, mes textes n’étaient pas du tout engagés ! Ils se contentaient d’aligner des jeux de mots ‘en rafale’. A l’image de ce que peut proposer Sttellla. J’alterne des sujets légers et puis contestataires. Un artiste comme Renaud m’influence pas mal ! Je ne manifeste pas, mais les chansons me permettent, il est vrai, de mettre en exergue les travers de la société.

Comment appréhender tes albums ? Comme une récréation, une blague potache ou un cri du cœur ?

Il n’existe pas, à vrai dire, de grosse production autour de mes disques. C’est du ‘fait maison’. Ils sont réalisés chez des amis et les arrangements ne nécessitent pas la location d’un studio pendant plusieurs semaines. Lorsque les pistes sont pressées, je suis soulagé ! Il y a évidemment du potache. Lorsque j’ai enregistré cet album, le 22 novembre 2013, j’avais une opinion particulière sur un tas de choses. Sur scène, je risque de nuancer le propos en fonction des fluctuations de l’actualité. Certaines thématiques doivent être réactualisées parce qu’elles sont tout simplement devenues obsolètes ou sans intérêt.

Les textes abordent très souvent des sujets négatifs comme la crise, le divorce, l’addiction au jeu, … Combien en as-tu rédigés de positifs ?

Figure-toi que ma petite femme m’a dit un jour d’écrire des textes positifs ! J’ai donc accompli le chemin inverse en compilant un journal de bonnes nouvelles. Aujourd’hui, le concert débutera dans ce climat ! J’y aborde tout ce dont j’ai envie ! Il s’agit d’une pure utopie, j’en suis conscient. Et lorsqu’on l’écoute, on se rend compte que la vie serait bien plus agréable, si ces idées pouvaient se concrétiser… Ces textes ne sont pas les plus faciles à écrire ; surtout, si mentalement, tu n’es pas dans cette dynamique. Certains chanteurs y parviennent ! Mon créneau est de pointer du doigt les travers de la vie, en y ajoutant une pointe d’humour. J’aime aussi développer des thèmes plus abstraits. La Playstation, par exemple ! Je n’y aborde pas l’addiction aux jeux, mais cette compo est un tremplin à calembours. Parfois, je suis plus ‘terre à terre’. Ainsi, celui du divorce me plaît parce qu’il est universel. Il touche tellement de monde aujourd’hui. Ce qui est intéressant dans ce métier, c’est cette faculté dont on dispose pour émouvoir, puis déclencher le rire l’instant d’après.

Comment se déroule le processus d’écriture ? Pars-tu d’un sujet en particulier ou préfères-tu noter en vrac toutes les idées qui te passent par la tête pour les réunir ensuite dans un but précis ?

Le processus varie ! Parfois, j’ai une idée claire et le texte s’articule autour de celle-ci. J’y travaille constamment jusqu’à l’obtention d’un produit fini. Quelquefois, des tas de petites idées me traversent l’esprit. Je les note et lorsque j’ai suffisamment de matière, je compose une chanson. La question est de savoir si les gens ont besoin d’entendre dans une seule et même chanson, une thématique précise ou une kyrielle d’informations tous azimuts… Ont-il envie d’un morceau qui se consacre exclusivement aux problèmes rencontrés par la Grèce ? Sur le fric dans le foot ? Je pense qu’il vaut mieux en parler une fois ou deux et puis passer à autre chose, le message en sera d’autant mieux compris.

Les fans insulaires ont certainement remarqué que tu adaptes le titre « Bonne année quand même », en fonction de l’actualité. Lors d’un spectacle, tu as ajouté, entre autres trouvailles : ‘Paraît que même en Tunisie, dans les musées, on s’éclate’. Ce n’est pas un peu audacieux ?

Il serait évidemment malsain de le chanter devant une victime de ces horribles événements ! Charlie Hebdo est un bon exemple. Pendant vingt-quatre heures, on a subi l’onde de choc. Tout le monde a broyé du noir. On ne voyait que du sang. Et puis, les premières blagues sont apparues. Je crois qu’un sujet, même grave, doit continuer d’exister. Il suffit de lui donner la dose d’humour nécessaire pour que la pilule passe mieux. Sinon, on ne pourra plus parler de rien ! Le monde va déjà tellement mal, vu tout ce qui s’y passe. Aussi, si tu restes dans le noir, on te vend la corde afin de t’y pendre ! Je me souviens d’un jour où j’interprétais un texte abordant la religion. Une vieille dame est venue me sermonner arguant du fait que je n’avais rien compris. Je me suis excusé de l’avoir choquée, tout en assumant parfaitement mes propos, d’autant plus que les personnes qui m’entouraient, abondaient dans mon sens. Tu ne peux pas le changer en fonction du public cible. Je n’aime ni les compromis, ni la langue de bois. Donc, je dis les choses telles que je les perçois. Si mes propos ne plaisent pas, les censeurs sont libres de penser ce qu’ils veulent.

A propos, combien de versions existe-t-il de cette chanson ?

Depuis qu’elle a été créée, il doit y avoir, à mon avis, approximativement 180 ! Je ne la modifie évidemment pas complètement, à chaque concert. Seulement quelques phrases en fonction de l’actualité du moment. Le reste est pertinent et doit, de facto, le rester ! Prends un gars comme Jean-Luc Delarue. J’en parle sur ce morceau. Aujourd’hui encore, tout le monde s’en souvient ! Ce gars était un ‘golden boy’ à qui tout a réussi. Puis, quasi du jour au lendemain, il meurt à la suite de sa consommation de saloperies.

Si tu devais en interpréter là une, à brûle-pourpoint, quels sont les éléments sur lesquels tu insisterais ?

Aujourd’hui est une journée particulière ! Je suis hyper content d’être ici ! Je connais plein de monde. Tout est mis en œuvre afin que chacun soit installé dans les meilleures conditions qui soient. Je suis sur un nuage rose en quelque sorte. Si je devais en composer une, là maintenant, elle serait forcément positive. Mais, spontanément, rien ne me vient en tête.

Exerces-tu une autocensure dans ton écriture ?

Oui, évidemment ! Dans un texte, j’avais glissé ‘Fils de pute !’. Mais, cette expression est tellement moche que je l’ai remplacée par « Fils de P*** ! ».

Un blanc a substitué le mot…

Je n’aime pas l’idée que quelqu’un puisse se sentir blessé par ce genre de propos ! C’est la raison pour laquelle, j’essaie, dans la mesure du possible, de faire très attention à ce que je dis. Je ne supporterais pas qu’un enfant de dix ans écoute des grossièretés ! Tu sais, j’ai parfois assisté à des concerts de rap ; et j’ai été effaré par le verbiage… J’appartiens à cette catégorie de gens qui restent convaincus que l’on peut faire passer des idées revendicatives sans pour autant avoir recours aux insultes… Ce sont les fautes d’orthographe de la langue en quelque sorte !

Lorsqu’on écoute « Putain, j’ai failli être connu », on a l’impression que le star-système t’effraie alors qu’il fait partie du jeu finalement ?

Ce n’est pas qu’il m’effraie… A ma toute petite échelle, j’ai écumé certaines grosses scènes lorsque j’étais en formule groupe. Je me suis rendu compte, assez rapidement, que le côté surfait du métier ne me convenait pas. Je préfère, de loin, côtoyer la population et me payer une pita dégueulasse à l’aide de mes propres deniers, plutôt que de m’isoler et de prendre le repas qui est offert aux artistes par l’organisateur. Certains ont besoin de ce service. Moi pas ! Dans ce métier, on est également confronté à l’aspect ‘langue de pute’. Comme dans la publicité, la télévision ou encore le journalisme d’ailleurs. Je ne suis pas chanteur professionnel ! Mais professeur dans le secondaire. Il faut relativiser ! Ce sont des attitudes qui ne me plaisaient pas tellement et je pense ne pas avoir les épaules suffisamment larges pour supporter ce fardeau. J’aime mon approche artisanale ! Je n’ai pas besoin de roadies pour transporter mon matos. Se produire seul te préserve de tout cette logistique ; tu ne stresses pas, parce l’ingé son est en retard, etc. Ce sont des événements que j’ai vécus, à l’époque, dans le groupe… Un jour, j’ai tout arrêté parce que je voulais redevenir moi, c'est-à-dire un gars dans une formule épurée où je me sentais bien… Les compliments me sont directement destinés et dès que quelque chose ne va pas, c’est pour ma gueule…

Impossible donc de te revoir sur les planches en formule collective ?

Je m’entends très bien avec mon ancien band ! On s’est revu récemment lors de l’anniversaire de la Maison des Jeunes grâce à laquelle nous avons accompli nos premiers pas. Je joue quand même au sein d’une formation, mais les chansons sont écrites en anglais, sous un format qui n’a absolument rien à voir avec ce que je réalise actuellement. J’aime reprendre ma guitare électrique pour en extraire de petits effets. J’ai changé de direction le jour où les gens qui venaient me voir me confiaient que le son était tellement fort qu’ils ne percevaient même plus les paroles. J’ai donc repris ma gratte acoustique. La musique ne doit pas être que festive ! J’aime également qu’on entende le message véhiculé. La formule solo m’offre beaucoup de liberté : je m’arrête quand je veux, je peux casser une corde sans devoir stopper le concert. Je peux devenir un peu sournois. Je peux changer l’ordre de la set list… Dans une de celles-ci, quand je chante ‘J’y suis allé, j’en suis revenu’, c’est pour dénoncer ces travers. Je ne crache pas dans la soupe non plus ! Je respecte mes anciens collaborateurs. Mais, je me suis senti au bord du gouffre et j’avais trop à perdre en m’y jetant. C’était la porte ouverte aux excès en tout genre. Il y avait sans doute plus de pognon à récolter, mais je n’étais pas taillé pour cette aventure. Je m’en suis rendu compte. D’ailleurs, mon entourage me signalait que je changeais de comportement. Que je commençais à devenir arrogant… et j’ai préféré arrêter avant que la désillusion n’aille trop loin.

Que penses-tu de l’étiquette de ‘chanteur sérieux’, mais ne s’y prenant pas trop ?

Si ce n’est pas chanteur chiant, je veux bien (rire). Quand j’ai commencé on me comparait à  Sttella, Les Gauff’, et quelques autres du genre… Je les adore. J’étais aussi très fan de Renaud. Aujourd’hui, je me produis entre Bénabar et les Wampas. Finalement, c’est une chouette synthèse de mon profil. Je suis capable de proposer des trucs très rock’n’roll, comme les Wampas, puis d’aborder des sujets qui suscitent la réflexion. Si tout le monde s’y retrouve, j’ai tout gagné ! On m’a déjà signifié que je faisais du Krol en chanson. J’estime que c’est un très joli compliment. Le jour où je le rencontre, j’en serai très heureux. 

Penses-tu que ton concept pourrait s’exporter au-delà de nos frontières ou alors doit-on considérer la belgitude comme un concept figé et totalement insoluble ?

Perso, je me sens très belge et je crois avoir un petit côté ‘Renard et les raisins’. Je ne parviens pas à percer en France parce que je n’ai pas la structure adéquate. J’y ai joué à quelques reprises quand même ! A chaque fois, je devais adapter mes chansons. Je ne pouvais pas parler de Michel Daerden, parce qu’il est complètement méconnu là-bas. Je devais le remplacer par un politicien français. Il y a même des mots qu’il fallait changer ! Par exemple, outre-Quiévrain, on ne dit pas ‘torchon’, mais ‘serviette’, en caricaturant à peine. J’ai adoré ce public, car il est très réceptif. Je crois que l’on profite aussi d’un vent favorable qui souffle sur la Belgique, phénomène très bien incarné par Poelvoorde ou Geluck, par exemple. On a passé le cap des bonnes vieilles blagues belges pourries. Mon pays est un vivier de personnalités ! J’adore en parler ; et notamment de celles et ceux qui font l’actualité, comme Bart de Wever... De partager les même avis, car ce entourage à lu les mêmes journaux ou regardé les mêmes infos télévisées que moi ! Encore une fois, je ne suis pas chanteur professionnel et je n’ai pas l’occasion d’écumer, pendant des semaines, baluchon sur le dos, les salles de l’Hexagone. Je le ressens d’ailleurs un peu comme une frustration ! J’adorerais que l’on m’y invite ainsi qu’en Suisse ou au Canada où j’ai déjà participé aux trois Francos, grâce à celles de Spa. C’était une expérience fabuleuse. Mais j’ai été tout aussi heureux de me produire à Angre (NDR : petit village dans les Honnelles) et dans tous ces petits lieux bien sympathiques aussi. C’est mon terreau. Tu y croises des connaissances, des futurs amis, des anciens élèves qui ont bien grandi, … J’aime cette proximité ! C’est la raison pour laquelle je ne travaille avec aucune structure

De qui te sens-tu proche artistiquement ?

J’adore des artistes comme Souchon, Gainsbourg, Brel, Brassens, Renaud, Goldman, … J’aime aussi des artistes belges moins connus et en compagnie desquels j’ai assuré certaines premières parties. Ma culture est plutôt pop/rock, mais aussi métal. On ne l’entend peut-être pas à premier abord, car ma musique a un aspect plutôt ‘boy scout’ ; mais dans les paroles, cette référence est plus perceptible, parce que je m’en inspire. Par contre, je ne m’inscris absolument pas dans la veine de la world music… je ne la maîtrise pas du tout ! En outre, je reste aussi sensible à la scène contemporaine ! Je peux flasher sur une chanson, un texte ou encore une voix ! J’aimais par exemple un gars comme Bashung. Mais, je n’ai pas apprécié l’ensemble de sa carrière. Pareil pour Thiéfaine. On décèle des horreurs chez tout le monde, en fin de compte ! On ne peut pas aimer la totalité de la carrière d’un artiste ou d’un groupe au final… ou alors il n’y a qu’un seul album, ce qui arrive parfois (rires).

La symbolique de la fête nationale belge évoque-t-elle encore un sentiment particulier chez toi ?

A vrai dire, je n’ai pas beaucoup d’estime pour tout ce qui gravite autour de la royauté. C’est beaucoup de pognon et de tensions pour pas grand-chose ! Elle cimente aussi ce combat flamand/wallon. Je me sens très belge. J’adore le plat pays, malgré ses aberrations et contradictions, et jamais je n’irai vivre ailleurs. La Belgique possède un côté surréaliste qui n’existe nulle part ailleurs ! En France, tu ne retrouves pas ce second degré… Je ne suis pas un grand voyageur, donc il est difficile de porter un regard critique sur ce qui se passe dans d’autres contrées… J’espère que cette nation vivra encore longtemps ! J’essaie de la défendre comme je peux et si mes petits concerts parviennent à réveiller certaines consciences, tant mieux ! Je ne participe pas pour autant au Te Deum (rire). Le côté festif du 21 juillet me réjouit, comme la plupart des Belges.

Demandes-tu encore à tes élèves, quels sont ceux issus de parents divorcés ?

Absolument ! Ce qui me permet de mieux les connaître ! Parfois, tu marches sur des œufs, parce que certains enfants ont perdu leurs parents. J’en ai régulièrement en classe ; et lorsque je vois leur visage se décomposer, j’en comprends les raisons… A sein de mon école, les relations vont au-delà du rapport purement scolaire. Certains élèves me font parfois des confidences. J’ai un côté ‘grand frère’ qui me flatte énormément. C’est quasi le seul métier où tu peux avoir ce genre de rapports. Je côtoie des étudiants deux fois plus jeunes que moi. Mes parents n’étaient pas divorcés ! Aujourd’hui, un couple sur trois se sépare ! J’ai presque envie de dire que, dans certaines situations, c’est mieux ! Je connais des couples recomposés qui s’aiment nettement plus que lors de leur relation précédente…

 

Joe BeL

A l’instinct…

Écrit par

Elle est belle, rousse et a des yeux noisette. Une jeune artiste pleine de talent. Elle est timide aussi, mais capable de se transcender sur les planches. Et nous vient de Lyon. Joe BeL se produira dans le cadre du Brussels Summer Festival le 18 août 2015 et le 29 janvier 2016 au Club de l'Ancienne Belgique. Chaude, sa voix campe un hybride entre Nneka, Selah Sue, Nina Simone, Norah Jones et BJ Scott, le grain soul de Sarah Carlier, en plus. Elle a accordé une interview à Musiczine, dans le Château du Parc d'Enghien, lors du festival LaSemo.

Alors que tu suivais des cours d’histoire de l’Art, tu as quitté prématurément tes études, pour te lancer dans l’univers de la musique. Pas de regrets ?

Pas du tout. Mais, il est vrai que j’ai pris un risque. Ce monde m’était totalement inconnu. J'écrivais déjà beaucoup de chansons. A un certain moment, j’ai voulu partager cette passion avec d’autres ; et je n’ai plus eu le choix. C'est le point de départ.

Par quel hasard as-tu rencontré Asaf Avidan ?

Un coup de bol. Son producteur de spectacles lui avait proposé plusieurs artistes pour assurer le supporting act. Je figurais dans la liste. Je l’ignorais. Deux semaines avant de partir, j’ai reçu un coup de fil pour me signaler qu’Asaf m’avait choisie pour l’accompagner sur sa tournée. J'ai accepté et tout annulé tout ce que j'avais prévu. Et je l’ai suivi. C'était en 2013.

Quel est ton parcours musical ? Et à partir de quel moment as-tu décidé de t’entourer de collaborateurs ?

Je me suis produit sous différentes formules. D'abord, en solo avec ma guitare acoustique et ma voix. Puis en duo. Il y a deux ans. Benoît Richou alterne alors entre guitare et basse. Enfin, en trio. Lorsque Jean Prat est venu nous rejoindre pour assurer les drums. Nous sommes tous issus de Lyon. Je me consacre également au piano et Jean au synthétiseur. Fin janvier 2016, c’est sous ce line up que nous nous produirons au Club de l'Ancienne Belgique.

Ta chanson « Ten » abord le thème des premiers amours difficiles. Soit ça passe ou ça casse. Du vécu ?

Tomber amoureux une seconde fois est de l’ordre du possible. Souvent on imagine qu’on ne pourra jamais retrouver une relation aussi intense. Dans la vie, en général, on peut vivre des tas de premières fois. Mais ces histoires seront systématiquement différentes. Elles peuvent même devenir aussi fortes, si pas plus. Mais pas la peine de se faire de fausses idées, en amour, on ne revivra jamais le même scénario.

« Stronger » est une compo fragile. Est-ce le reflet de ta personnalité ?

Oui, je suis fragile et je l'assume. Nous avons tous des faiblesses. Ce qui va nous rendre plus fort, c’est de s'en rendre compte et les assumer, au lieu de les cacher, à soi-même est aux autres, pour paraître invincible. Il est important de bien connaître ses propres failles, et ne pas craindre de les révéler à autrui. C'est cela la vraie force. Et c’est le thème de cette chanson.

Lors de tes concerts, et je l’ai encore remarqué aujourd’hui, certains spectateurs son inattentifs et bavardent. C’est dérangeant ?

Au début de ma carrière, cette attitude m'indisposait quelque peu et surtout me déconcentrait. Comme je n’avais pas encore suffisamment de planches, j'étais perturbée. Lorsque j’assiste personnellement à un spectacle, il m’arrive de causer avec mon entourage, tout en écoutant la musique. Parler ne veut pas dire que les spectateurs s’ennuient. Peut-être ont-ils envie d’échanger leurs impressions. Mais lorsque certains individus se mettent à élever la voix ou à hurler, c’est parce qu’ils se fichent royalement du concert. En plein air, l’agitation apporte de la vie au show. Les conversations. Les mouvements de la foule. Certains spectateurs débarquent, d’autres partent, puis reviennent. Certains écoutent ou dansent, d’autres pas. C'est animé et ce remue-ménage me plaît.

Apparemment, tu apprécies le public belge, et c’est réciproque…

Effectivement, je l’ai encore signalé au cours du concert. Et j’y pensais encore, il y a 5 minutes. Qu’a-t-il de si différent ? Peut-être l’envie d’être heureux ensemble. De partager certains moments. D’être là et de ne pas constamment juger. Je ne sais pas. Je ne veux pas émettre de comparaison avec d'autres endroits ; mais simplement qu’humainement, il en émane quelque chose de beau.

De festif surtout, tu ne penses pas ?

Absolument. J'espère revenir le plus souvent possible en Belgique. Chaque fois, l’ambiance y est particulière. Les Belges ont une envie de kiffer la vie.

Ce qui explique pourquoi tu te produis à LaSemo, puis à Louvain-La-Plage, au BSF et en fin à l'AB. Tu ne vas plus nous quitter ?

C’est parce que je me m’y sens bien. Et pas seulement à cause des concerts. J’ai déjà eu envie de m'y installer. J'y réfléchis. L’état d’esprit et la relation entre les gens me plaisent. C'est la base de l’existence.

Tu aimes te produire sur les planches ?

Oui, c'est l’endroit où la musique prend vie. Enregistrer en studio est passionnant. Ecouter un disque chez soi aussi. Mais le live contribue au partage. Se produire devant un auditoire, c’est ce qu'il y a de plus beau. C'est sûr.

Tu as assuré les premières parties d'Ayo et Milow. Tu en gardes de bons souvenirs ?

Que de bons souvenirs. Milow est un mec super, génial, hyper généreux et particulièrement sympa.

On en arrive à la question bateau, celle des influences. Elles sont surtout américaines, insulaires ou françaises ?

Perso, le dieu absolu, c’est Stevie Wonder. « Innervisions », son album paru en 1973, constitue le disque de référence. J’apprécie également la pop anglaise. La plus mélodieuse. Qui a l’air simple, mais pas si simple qu’elle ne paraît. Paul McCartney est mon autre idole. Je suis plus Paul que John. Mais les Beatles demeurent la source de la musique contemporaine. L'afrobeat me botte également. Surtout lorsqu’elle prend une coloration funk. Celle de Fela Kuti, par exemple, qui a marqué les années 70. La musique africaine est très chaleureuse. Elle me transporte. Ses rythmes endiablés m'inspirent, m’hypnotisent. Je n’ai jamais mis les pieds en Afrique profonde, et je ne sais pas pourquoi. J'aimerai beaucoup m’y produire et assister à des concerts…

Ton dictaphone t’accompagne partout. C’est pour immortaliser les bruits de la vie ?

C’est exact. Dès que j'entends un bruit qui m'intéresse ou qui m'interpelle, je l'enregistre. Mon inspiration se manifeste le plus souvent quand je marche dans la rue. Ou lorsque je me déplace en bus, en camion ou en voiture, pendant une tournée. Sans son concours, mes idées s’envolent…

Un premier elpee en préparation ?

J'ai tourné dans un film en France. Il sortira fin 2015. J’y joue le rôle d’une chanteuse. Et j’y interprète mes propres chansons. Ce premier album devrait paraître au printemps 2016, juste après le lancement de ce long métrage.

Joe, utilises-tu ta voix comme un instrument ou te sert-elle à simplement accompagner les mélodies et des harmonies? Elle est sableuse, rocailleuse, un peu soul également, tu la travailles ou est-elle naturelle ?

Difficile de répondre à cette question. Je pense que j'utilise ma voix comme un autre instrument. Je compose tout de a à z pour tous les instruments : la ligne de basse, les guitares, les claviers et la batterie. La voix, c’est un instrument qui se sert de mots. Il apporte ainsi un. Je dois t'avouer que je ne la perfectionne pas du tout. Maintenant que c’est devenu mon outil de travail, je devrais y penser…   

Es-tu instinctive, intro ou extravertie ou encore passionnée ?

Tout ce que tu as dit sauf extravertie. Monter sur les planches exige un effort pour moi. Ce n’est pas comme si j’allais faire des courses. Je dois me dépasser, affronter les regards de la foule. Ce n'est pas un comportement naturel. J’ai le trac. C’est une épreuve. Pourtant, vu de l’extérieur, cette démarche semble normale. Je ne suis pas extravertie de nature. Mais il faut que je fasse violence, car j'aime partager ma musique. Si je suis passionnée ? Absolument, sans quoi, je n’aurais pas embrassé cette carrière. Il faut vraiment de la passion pour exercer ce métier. Il exige beaucoup de travail. C'est parfois un peu difficile. Surtout quand on reste longtemps sans jouer. Et on est frustré. J’ai un petit garçon de 3 ans, et quand je pars 15 jours, loin de lui, c’est une souffrance. Instinctive, c'est le qualificatif qui me va le mieux. Je bosse constamment à l'instinct et dans l'impro. Toutes les chansons que j'ai écrites son accidentelles. Elles sont nées par hasard. Je me suis arrêtée et je me suis dit: ‘Là, c'est bien!’. Je vais l'enregistrer. Les textes émergent et je commence écrire. Cet instinct, je ne voudrais surtout pas le perdre. Dans ce domaine, réfléchir et calculer, ce n’est pas dans ma nature…

Envisages-tu un jour d’écrire tes textes dans la langue de Molière ?

J'adore la langue française. J'ai accompli des études en littérature et lettres modernes. Ce n'est pas du tout un choix que je rejette et qui ne m'intéresse pas. Comme je te l'ai dit, je travaille suivant mon instinct. Et cet instinct m’a poussé vers l'anglais. J'ai de plus en plus envie d'écrire aussi en français. Je ne dresse pas de barrière entre les langues. Cette option s’inscrit dans un processus d’évolution naturel...

 

 

Cali

Etre chanteur, c’est devenir égoïste…

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C’est dans le cadre du LaSemo, festival à épingler pour son approche conceptuelle, originale et pragmatique, que se déroule cet entretien. Cali est particulièrement décontracté. Dix petites minutes me sont accordées. Il va falloir sabrer dans les questions, sans quoi on risque allègrement de dépasser le temps imparti.

Merci Bruno pour avoir accepté cette interview destinée à Musiczine. En fait, faut-il t’appeler Bruno ou Cali ?

Comme tu veux ! Ce qui t’arrive dans la bouche le plus facilement.

Le titre de ton dernier opus fait référence à une chanson de Léo Ferré qui date de 1966. Sa poésie était écorchée, souvent ténébreuse. Cette compo est à l’antipode de sa discographie puisqu’elle est même chargée d’espoirs. Pourquoi ce titre plutôt qu’un autre ?

Ce n’était pas prémédité. A vrai dire, elle me hante depuis longtemps. Comme tu le dis très bien, Ferré est quelqu’un qui a écrit de très belles chansons. Pour moi, c’est le plus grand des poètes. Ses textes étaient merveilleux, souvent sombres, déchirants, tout en véhiculant des revendications. Ce morceau en particulier, je souhaitais qu’il figure en dernier, parce que c’était le plus doux. Il est teinté d’optimisme. Il ouvre les bras vers l’avenir. Cette mélodie est destinée aux enfants. Ils doivent comprendre que, dans la vie, tout n’est forcément ni tragique, ni sombre. Les rayons de soleil sont à portée de main. Ils doivent les agripper et leurs vies en seront plus belles… J’ai intitulé ce disque « L’Age d’Or » pour une autre raison. Je me suis aperçu qu’il était mon œuvre la plus lumineuse.

Il y a aussi, chez toi, une sorte de mimétisme. Tu adoptes un phrasé assez proche de Ferré. Etait-ce voulu et assumé ou alors y a-t-il une part d’inconscient ?

Il n’y absolument rien de prémédité. J’écoute tellement Ferré que son esprit doit couler dans mes veines. En même temps, je suis fan de groupes tels que U2, Simple Minds et les Waterboys. Comme une éponge, je m’inspire de ces courants et puise à droite et à gauche. Mais si ça peut ressembler un peu à Ferré, j’en suis très, très fier (rires).

Ton dernier elpee a très bien été accueilli. Tu as parfois, dans le passé, essuyé des critiques virulentes. Y es-tu sensible ? Qu’as-tu envie de dire aux détracteurs aujourd’hui?

Ce métier est fait de hauts et de bas ! Je pense que les critiques sont importantes parce que c’est le premier regard sur notre job. J’ai parfois râlé parce qu’on a colporté des propos vraiment pas sympas à mon égard. Un jour, une journaliste m’a traité de fou, de malade mental. Cela ne se fait pas ! Dans ma famille, il y a des patients qui souffrent de cette pathologie et sont soignés dans des unités spécialisées. Il faut être attentif à ce que l’on dit ! J’essaie d’être le plus honnête possible dans mon travail. Je raconte ma vraie vie et je ne chanterai jamais une chanson dont je ne suis pas fier. J’ai envie de dire aux détracteurs de tout poil : ‘Si vous aimez, tant mieux. Si vous n’aimez pas, tant pis !’ Le dernier album a très bien été accueilli. Ce qui m’a fait du bien parce que j’y parle beaucoup de mes proches.

Tu as écrit une soixantaine de chansons… et il y en a plus que 13 sur ton cd. Vu la quantité de matière, pourquoi ne pas avoir envisagé de publier un double LP ?

J’en ai déjà enregistré de très longs. Mais j’ai l’impression que ce choix doit rester un coup de feu. J’aime bien l’idée que lorsque le disque arrive en bout de course, on ait envie de réappuyer sur la touche ‘play’. Lorsqu’il contient trop de chansons, on peut se sentir pris en otage en quelque sorte. Je m’aperçois que celui que je considère comme ma référence –« This is the Sea des Waterboys »– ne comporte que neuf titres. Neuf perles ! Le mien aurait pu être plus court encore, mais j’ai du mal à choisir ceux que je vais éliminer. En ce qui concerne celles que j’ai écrites, mais qui ne figurent pas sur l’album, ce sont des moments de ma vie. Peut-être que dans deux ans, elles ne voudront plus rien dire ! Elles m’ont fait du bien au moment de l’écriture, mais elles ne verront jamais le jour ! 

On a l’impression qu’à chaque album, tu ressens le besoin d’immortaliser des polaroids de ta vie. « L’Age d’Or » fait référence à une époque révolue. Est-ce une manière de dresser le bilan de ton existence ?

Je ne sais pas si c’est le cas ! Aujourd’hui, j’ai trois gosses. A l’âge de 15 ans, je me souviens avoir déclaré à des amis : ‘Qu’est-ce que l’on va faire plus tard ?’ Perso, j’avais émis le souhait d’être un troubadour et avoir des enfants. Aujourd’hui, j’ai réalisé ce rêve. Ce n’est pas de la nostalgie, ni du regret. Je voulais plutôt exprimer ma gratitude à l’égard de celles et ceux qui ont construit ma vie. L’institutrice de mon village par exemple. Elle m’a donné le goût de la lecture et de l’écriture. Elle a exercé le plus beau métier du monde. Je remercie aussi ceux qui ont suscité chez moi l’envie de pratiquer le rugby. Mes enfants également. Sans oublier, mon premier amour évidemment. J’aborde tous ces thèmes ! Oui, c’est peut être, finalement, une manière déguisée de jeter un regard dans le rétroviseur de mon existence. Se dire qu’elle est faite de belles choses. Mais de terribles évènements aussi. En fait, il n’y a pas un âge d’or, mais plusieurs, selon les différentes étapes de la vie. 

Même si cet opus est parfois plus optimiste, on te sent encore aussi parfois très nostalgique. Cette mélancolie était déjà bien présente sur le disque précédent, « Vernet les Bains », qui se réfère au village où tu as grandi…

Ce disque est plus lumineux par rapport aux autres. Mais le mot ‘nostalgie’ est souvent collé au sentiment de ‘regret’. J’ai plutôt envie de l’associer au terme ‘heureux’. Je ne regrette pas. J’ai juste besoin d’un refuge. On en a tous besoin. J’imagine que toi aussi, il y a un endroit où tu as envie de te retrouver ou une odeur d’enfance dans laquelle tu as envie de plonger. Et j’ai besoin d’en parler ! C’est comme quand on ferme les yeux et qu’on veut s’immerger dans des endroits que nous chérissions parce qu’ils appartiennent à notre passé. Ca nous fait juste du bien ! Si tu écoutes une chanson que tu n’as plus entendue depuis 20 ans, mille souvenirs remontent à la surface.

Est-ce que le processus d’écriture diffère d’un opus à l’autre ?

Je fonctionne à l’instinct. Il est très compliqué de préméditer les événements. Sous peine de dénaturer ta muse. Je ne me dis jamais ‘Allez, il faut écrire maintenant !’ Bien au contraire, chez moi, le processus d’écriture est naturel. J’aligne des mots, qui deviennent des phrases. Elles-mêmes se transforment en humeur. Les chansons découlent de ces états d’âme. Je n’ai pas d’idée préconçue sur la façon dont ce processus va se dérouler. Le premier album était marqué par une rupture. Le second, par la naissance de ma fille qui a 10 ans aujourd’hui. Parfois, des relents politiques se sont manifestés, parce que j’étais engagé (NDR : à gauche). Rien n’a jamais été prémédité ! Je crois que dans le cas présent, je n’ai pas réalisé un disque triste. Ceux qui l’écoutent me disent qu’il leur fait du bien. Je crois aussi qu’il ne faut pas faire ce que les gens attendent. Etre chanteur, c’est devenir égoïste. Mais, c’est ainsi. J’essaie de vivre dans une vie qui peut devenir très compliquée. Le seul moyen que j’ai trouvé aujourd’hui pour m’en sortir, c’est d’écrire des chansons.

Cali, certains artistes préfèrent gommer leur accent pour interpréter leur répertoire. Tu adoptes la tendance inverse. Est-ce une manière consciente de revendiquer tes origines ?

Je suis né à Perpignan. J’habite dans un petit village situé à une encablure. Je suis peut être encore un de ceux dont l’accent est le moins prononcé chez moi (rires). C’est important de revendiquer ses origines. Par exemple, je suis heureux de me rendre à Marseille et d’entendre cette prononciation si particulière. Toi, tu as un accent qui est d’ici. Je suis comme je suis et ne changerai rien.

Dans ce métier, nombreux sont ceux qui souhaitent privilégier au maximum leur vie privée. Tu parles librement de tes origines, de ta famille, … Tu as choisi de t’exposer avec ta fille sur la pochette de l’album. Quel est ton sentiment par rapport à cette notion de ‘vie privée’, sachant que tu es une personnalité médiatique ?

Je pense qu’il y a une manière d’aborder la question. Je ne tombe jamais dans le voyeurisme. Ce sont essentiellement des déclarations d’amour ! Je me réfère à mes filles Coco Grace et Poppée. Je parle aussi de mon couple. On connaît des histoires comme tous les autres. On se jette des assiettes à la tête et on se réconcilie juste après. Je chante la vie de Monsieur et Madame ‘tout le monde’ en quelque sorte. Ce qui apporte un peu de bien-être à certaines personnes. Mais, je ne me pose pas vraiment ce genre de questions à vrai dire. Je pense que mes enfants sont plutôt fiers d’avoir un père qui les raconte sur un disque. Et lorsque je suis en concert, je suis content que ma famille soit auprès de moi.

On connaît Cali, chanteur. Mais, on connaît moins Cali, acteur de théâtre. Tu as joué dans une pièce qui s’appelait « Cowboy Mouth ». Comment as-tu vécu cet épisode ? Etait-ce un ‘one shot’?

J’ai adoré cette expérience. Dans un premier temps, je l’ai abordée comme une épreuve insurmontable. Le metteur en scène m’a mis en confiance. Ensuite, je me suis laissé aller naturellement. Le pitch est amusant. Il raconte l’histoire d’un type enlevé au Chelsea Hotel, en 1971. Une femme voulait le transformer en star de rock’n’roll alors que sa famille l’attendait ailleurs. Ensuite, mon personnage tombe amoureux. C’était une aventure enrichissante. Là, debout devant le public ! Sans micro ! On entendait les réactions des spectateurs : les applaudissements, les pleurs, les reniflements, les toussotements, … Tu vois, ça c’est la vraie vie. Pendant une heure trente, faire l’amour, se battre, jouer comme des enfants avec une actrice, c’était dingue. Je sortais de là remué. Un spectacle qui a duré quatre mois ! Je veux absolument le refaire. Le monde du théâtre m’a beaucoup touché et j’ai un très grand respect pour cette immense famille. Ils sont prêts tous les soirs, sur les planches, à donner le meilleur d’eux-mêmes…

EyeHateGod

On est juste un groupe de rock, c’est tout !

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La Belgique ne se distingue pas particulièrement pour ses étés caniculaires. Il faut pourtant reconnaître que c’est une chape de plomb qui recouvre le plat pays en ce début du mois de juillet. Je débarque devant le Magasin4, ancien hangar reconverti en salle de spectacle, notoire pour sa programmation alternative. Ses grandes portes de couleur beige lui confèrent un aspect plus qu’anonyme. Seule une petite ouverture au niveau des yeux permet de discerner les lieux.

Je sonne, on m’ouvre. J’explique qu’une interview est prévue en compagnie de Mike IX Williams, le chanteur d’EyeHateGod. Apparaît alors la ‘tour manager’ du band. « Je suis vraiment désolée mais ce ne sera pas possible de voir Mike maintenant… Pour l’instant, il dort », me signifie-t-elle. « Mais si c’est OK pour toi, le reste du groupe est d’attaque…’ Pas de bol, la majorité de mes questions se focalisaient sur la personnalité du vocaliste. Il va falloir improviser.

Je la suis au milieu de la salle de concert encore vide, contourne le bar et arrive dans une petite pièce aux murs jaunis par le temps, éclairée par quelques néons, conférant à la pièce un air plutôt glauque. Quelques tables, sur lesquelles reposent des paquets de chips vides, meublent la pièce. Trois divans occupent la gauche de l’espace. Sur l’un d’eux, Jimmy Bower, paquet de cacahuètes à la main, me lance un regard interrogateur. La ‘tour manager’ lui explique le but de ma présence. Le fondateur et guitariste d’EyeHateGod pose dès lors son précieux sachet, agrippe le dos d’une chaise à proximité et la fait glisser jusqu’à mes pieds. Je m’exécute et pose mon micro sur la table, à côté de ses arachides. Les autres membres du band s’approchent également, formant un cercle autour de l’enregistreur.

Il y a aujourd’hui un peu plus de vingt-sept ans qu’EyeHateGod arpente les scènes du monde entier. Mais la motivation est-elle restée la même depuis le début ? « Tu sais, depuis le temps, on a tous pris de l’âge et on a évolué… Mais au fond, rien n’a vraiment changé. La seule différence c’est d’avoir une plus grand liberté de faire ce qu’on veut et d’accorder davantage de shows aujourd’hui qu’hier…», explique Jimmy Bower. Et si le combo existe depuis aussi longtemps, sous un line-up quasi inchangé (à l’exception du poste de bassiste et de la disparition tragique il y a deux ans du, Joey LaCaze), c’est certainement grâce à leurs inspirations musicales communes. « On écoute tous un peu la même la chose… ce qui explique que lorsqu’on compose ensemble, le processus vient toujours très naturellement. Nous sommes tous des grands fans des Melvins, de Black Flag ou encore de Black Sabbath. Mais on apprécie également les Meteors ou encore Louis Armstrong. Nous disposons tous de collections importantes de vinyles et de disques à la maison, sans lesquelles EyeHateGod ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui et ne sonnerait pas de la même façon ».

En plus d’être une source d’inspiration, Louis Armstrong et le quintet américain partagent un autre point commun : la Nouvelle-Orléans. Ces terres, qui ont vu grandir ces artistes, sont apparemment également propices à la création musicale. « Tu sais, on est tous nés là-bas », explique Jimmy. « La Nouvelle-Orléans est vraiment une terre de musique et spécialement de rock’n’roll. On a vraiment baigné dans différents types de cultures musicales depuis qu’on est gamins. On a grandi en assistant chaque année aux Mardi Gras et aux Praise Parties (Jimmy mime les gestes d’un contrebassiste). On a vécu toute cette intensité musicale et son groove dans notre vie de tous les jours. Je pense que c’est vraiment un avantage d’avoir connu cette richesse musicale depuis qu’on est gosses… », poursuit-il.

Bien qu’actifs depuis bientôt trois décennies, les membres du band américain n’en sont pas pour autant productifs en termes d’elpees studio. « Mais ne t’inquiète pas, notre nouvel album ne mettra plus quatorze ans pour voir le jour », plaisante le fondateur du band, en se référant au laps de temps qui a séparé la sortie des derniers LP’s. « Nous tournons beaucoup pour l’instant, on a donc pas trop la chance d’être à la maison et de travailler sur de nouveaux morceaux… Mais bon, on a quoi… cinq ou six compos pour le moment. Il est probable qu’ils  sortent prochainement sur des splits ou des 7inches », embraie Brian Patton, second gratteur, avant de poursuivre : « On a d’ailleurs gravé le mois passé un split avec Psycho (NDR : un live enregistré en 2011), un groupe de Punk issu de Boston ; et on espère prochainement en sortir un autre avec Blast ». Quoi qu’il en soit, les artistes confient qu’ils graveront une nouvelle plaque d’ici la fin de l’année, et prévoient de la publier d’ici le printemps ou l’été de l’année prochaine.

Des compositions qui prennent en effet parfois du temps à voir le jour ; chez EyeHateGod les membres ne composent pas chacun dans leur coin. « On part souvent d’une idée de Jimmy et puis on la travaille pendant un moment. On aime vraiment bien s’approprier un riff qu’on va ensuite jouer pendant 15 à 20 minutes, en cherchant à le rendre le plus lourd possible, jusqu’à ce qu’on se dise : ok, ça va, on le garde ! On est moins dans une optique de type logique mais plutôt dans le ressenti », admet le bassiste Gary Mader. « Mais bon, au début d’EyeHateGod, je dois avouer qu’on n’était pas spécialement originaux… On essayait plutôt de marcher sur les traces de Slayer, Black Sabbath, Melvins, Sabbat, Obsessed ou encore d’autres formations taxées de Stoner ou de Doom », précise Jimmy Bower en rigolant.

Une belle occasion de rebondir sur l’étiquette de ‘pères’ du Sludge qui leur colle à la peau, bien malgré eux : « Tu sais, tout cela, ce sont des étiquettes qui ne sont vraiment pas nécessaires… Bien sûr, il est flatteur d’être considéré comme au top d’un genre musical mais… ce n’est au final qu’un mot. On sait ce qu’on est et c’est de loin le plus important… » se défend Jimmy Bower. « On est juste un groupe de rock, c’est tout ! », enchaîne Gary Mader, avant de poursuivre : « Ces classifications ne décrivent jamais qu’une facette de notre musique, on ne peut pas résumer ce qu’on fait à un adjectif… On a même lu qu’on pratiquait du Doom auquel on aurait ajouté une dose de Sludge et du Stoner, etc. Bref, à la fin, ça ne veut plus rien dire… On est simplement un Heavy Rock’n’Roll band ! », clame-t-il en souriant.

Avoir Jimmy Bower en face de soi, c’est également l’occasion de s’intéresser au grand retour sur scène de Superjoint Ritual, formation qu’il avait fondée au début des nineties, en compagnie de Phil Anselmo (chant) et Joe Fazzio (batterie). Hybride de Groove Metal à la Pantera et de Hardcore, elle avait vu son élan brisé en 2004, suite à des différents entre Anselmo et Fazzio. Dix ans plus tard, il revient avec du sang frais : Stephen Taylor à la basse et Jose Gonzalez derrière les fûts. Son patronyme est en outre amputé de son ‘Ritual’, puisqu’il est sobrement rebaptisé ‘Superjoint’. « Ce changement de nom est tout simplement dû à un line up différent et puis le groupe est dans une nouvelle phase », justifie Bower. Un crochet est-t-il prévu bientôt par la Belgique ? « Figure-toi que cette tournée devait impliquer les deux groupes. EyHateGod et Superjoint. On était en fait supposé tourner ensemble. Mais le Hellfest a voulu se réserver l’exclusivité du premier concert de Superjoint sur le continent européen, le 21 juin dernier… »

 

AqME

La foi déplace les montagnes…

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Formation parisienne, AqME a enregistré son dernier album, « Dévisager Dieu », début novembre 2014. Il s’agit du premier elpee dont les vocaux sont assurés par le nouveau chanteur, Vincent Peignart-Mancini ; un disque que le quatuor était venu défendre au Salon de Silly. C’est juste avant leur set que deux membres de la formation –soit Vincent, le dernier arrivé et Julien, le guitariste– ont accordé cette interview bien sympathique à Musiczine…

Vincent, ton arrivée a-t-elle permis de donner un nouveau souffle à l’aventure d’AqME ?

Vincent : Je pense, oui. La boucle est ainsi bouclée. Quand j’ai débarqué, c’était pour reprendre la route afin de défendre le précédent elpee, « Epithète, Dominion, Epitaphe », auquel je n’avais pas participé. Pour le dernier, on a pris le temps de soigner la composition, avant de tout mettre en boîte. Et nous sommes partis plaider sa cause, lors de cette nouvelle tournée.

Vincent, tu n'avais pas contribué à l'écriture du précédent elpee. Pourtant, sur les planches, tu y mettais tout ce que tu avais dans le ventre pour en interpréter les compos…

Vincent : Oui, au départ, la proposition était inhabituelle. Il est vrai que 20 millions de dollars ne se refusent pas. Ils m'ont offert 'Final Fantasy 7' dans la mallette. En fait, je l’ai considérée davantage comme un challenge. C’était quand même un superbe album et je suis content de me l’être réapproprié. Je n’ai donc pas à rougir d’avoir défendu un tel skud. Et puis, la tournée est passée si vite.
Julien : Vu le chèque qu’on lui a filé, il ne pouvait pas refuser.

Ce septième elpee constitue-t-il un défi ou un tournant dans votre carrière ?

Vincent : Non une étape de plus. Pas de défi, on fait ce qu’on aime. Sans contrainte. Il s’agit d’une nouvelle étape. Une de plus. Un album en plus. On ne se fait pas la course aux cds. Comme je te l’ai dit tout à l’heure, c'est notre premier disque sous ce line up. On va en graver encore d’autres, t'inquiètes.
Julien : On ne se pose plus trop de questions. Nous n'avons pas de plan de carrière. Le groupe avance. Profitons de chaque instant présent. Tant que l'envie sera toujours présente dans le groupe, nous serons toujours d’attaque.
Vincent : On ne peut jamais affirmer ce que sera demain. Vivons donc le moment présent.

Pourquoi avoir choisi « Dévisager Dieu » comme titre de votre nouvel elpee ?

Vincent : La vie est faite de challenges. Aujourd’hui AqME est en pleine croissance et pas du tout fataliste. Et on cherchait des mots forts pour décrire cette situation. On estime que Dieu a une place importante dans la culture contemporaine. Que l'on soit croyant ou pas. Clairement, tout se recroise. Et le fait de le dévisager est assez important. C’est lui dire : ‘Oui, nous, on est là’.
Julien : C’est ce thème qu’on souhaitait adopter pour le disque. En racontant un peu ce qui s'est passé au sein du groupe et les aventures vécues par ses membres. On a traversé des moments difficiles. C'est un peu aussi une manière de dire qu’on n’abandonne pas le combat. Qu’on lève la tête et la maintient très haute.

« Enfant de Dieu », c’est un message mystique ?

Vincent : J’en reviens à ce que je racontais, il y a quelques minutes. La place de Dieu est importante dans la société. On peut avoir la foi en adoptant différents codes ou croire en plusieurs dieux. Croire en un seul Dieu. Croire en nous. Croire en quelqu’un d’autre. A quelqu’un qui te permette d’avancer. Nous sommes tous des enfants de Dieu, mais on ne sait plus qui est le prophète. A l'intérieur de chacun de nous, il y a un prophète. C'est un peu l'idée, d'où l'expression : le prophète disparu. Simplement ouvre les yeux et avance. Accroche-toi aux valeurs positives et tu pourras avancer dans la vie…

« Au-delà de l’ombre », « Un appel », « L’home et le sablier », « Pour le meilleur, le pire » et « Les Abysses » en sont des autres ?

Vincent : Notre religion, c'est : ‘Crois en toi’. On croit en nous. On rencontre du positif dans tout être humain qui nous entoure. Il faut s'en servir. Surtout ne pas l'épuiser. Simplement, s'en servir…
Julien : Et permettre également à ceux qui t'entourent de s’y ressourcer...

Finalement, lors du concert, je pensais voir débouler sur les planches, trois curés et une bonne soeur ?

Vincent : S'ils sont sympas, pourquoi pas. On n'est pas contre. On salue le Père David. Trente ans qu’on a plus accordé de concert dans l'Est et que l'on ne l'a plus vu. Mais les retrouvailles, c’est pour bientôt. D’ailleurs on lui dédicace personnellement le morceau « Blasphème ».

Tout baigne pour ce périple destiné à promotionner l’album ?

Vincent : La tournée se déroule en toute convivialité. Nous ne nous produisons pas dans de grandes salles, mais dans des clubs. Et l’accueil est excellent. Cette proximité permet un meilleur partage, d’être le plus proche possible du public.

Chouette pochette, mais étrange. Pourquoi cet homme à deux têtes ?

Vincent : Nous avons laissé carte blanche à Stéphane Casier de Yeaah Studio pour réaliser la pochette. Dans le cahier de charges on lui a simplement demandé de se référer à la dualité, la fraternité et la religion. Et puis, démerde-toi. Il a pondu cette illustration. Bingo !
Julien : On a approuvé le projet du premier coup et on n’a même pas dû lui demander de rectifier. C'était parfait. Il ne restait plus qu’à déposer le logo.

La fidélité à votre label, c’est aussi un acte de foi ?

Vincent : On est parfaitement soutenus par notre label. Nous étions en fin de contrat, après lui avoir réservé 6 albums. C’est à ce moment-là que je suis arrivé. J’ai pensé que je me pointais à un mauvais moment. Eh bien non, il n’a même pas fallu leur faire écouter les morceaux pour les convaincre. Ils souhaitaient que j’intègre le projet. Que me m’investisse dans la composition. Comme j’en voulais, pour eux, c’était une évidence. Et la décision est tombée tout de suite. On a eu des putains de conditions pour enregistrer en studio. Je n'en avais jamais connu de semblables. Et je ne les remercierai jamais assez pour les avoir vécues. Tout en espérant que ce ne soit pas la dernière fois. Ils ont tous bossé sur le projet, alors que l’industrie du disque traverse des moments difficiles. En fait, ils n’ont pas du tout envie de lâcher l’affaire…
Julien : J'aurais préféré boire des ‘Leffe’ que de niquer le job.

C'est vrai qu'actuellement, sortir un album est un fameux challenge ?

Vincent : C'est la raison pour laquelle on palpe la chance qu'on a. Et encore une fois, ce n'est pas donné à tout le monde.
Julien : C'est chouette de constater qu’il existe encore des gens qui ont la foi en des projets de longue haleine et qui ne veulent pas les abandonner. Qui vont de l'avant et qui surtout développent des idées. Qui s’investissent, quoi. Ce qui fait plaisir et met du baume au coeur et nous donne surtout l'envie de continuer. Non seulement le label nous soutient, mais aussi notre public. Il n’y a donc pas de raison de jeter l’éponge.
Vincent : Effectivement. Mais il faut rester honnête. AqME a un public fidèle. Mais, il ne remplit pas les ‘Zénith’ ou d’autre grandes salles. On ne doit plus y penser. Ni calculer. Mais si ce phénomène se reproduit, on pourra remercier nos aficionados. Car il ne sert à rien de faire de la musique et de ne pas la partager…

Vos textes sont écrits dans la langue de Molière, jamais eu envie de les exprimer dans celle de Shakespeare ?

Vincent : Chez AqME, les textes ont toujours été rédigés en français. Au sein du groupe, je n’ai jamais eu à en débattre. Ils sont écrits dans notre langue maternelle et on continuera à les exprimer ainsi. Nous y somme fidèles. Et puis notre musique s’y prête bien.
Julien : Cette option a, dans le passé, souvent suscité des controverses. Mais, je précise, à l'extérieur du groupe, d'après ce que j'ai pu comprendre. Début du millénaire, la plupart des labels signaient les groupes qui chantaient exclusivement en français. Mais aujourd’hui, si tu chantes en français, on va te demander de chanter en anglais. Il est vrai qu’il n’est pas toujours facile, vu le style de musique, de faire passer ce choix. Que le chant soit hurlé ou chanté. Tout est une question d'habitude. C’est un peu comme lorsqu’un ado boit habituellement de la bière et qu’il goûte du vin pour la première fois. Il estime que c’est dégueulasse. Et puis, au fil de l’âge, il finit par l’apprécier. L’exotisme ne branche pas les Français. Si notre démarche pouvait mieux s’exporter, la langue utilisée pourrait devenir une force. Ce qui prouve qu'il ne faut pas systématiquement chanter en français pour exister. Un exemple ? Rammstein. La formation s’est servie intelligemment de sa langue : l’allemand. Et ce n’est pas du tout évident à réaliser. Pourtant, elle a réussi brillamment ce challenge.
Vincent : En France, il n’existe pas vraiment de culture rock. Disons que l'influence américaine est plus facile à digérer que la française. Elle est plus généraliste. Le mélomane ne se pose pas de questions pour savoir si c’est bon ou pas. Nous, Français, on doit persévérer dans notre démarche.

Vincent, ta voix est à la fois puissante et mélodieuse et surtout tu parviens à t’en servir pour communiquer toutes tes émotions. En es-tu conscient ?

Vincent : Après avoir lu les chroniques sur les sites internet, je les ai montrées à mon épouse. Et elle m’a confié ceci : ‘Vincent, je ne te l'avais jamais dit, mais c'est vachement bien ce que tu as fait. Je n'aime pas le chant en français. Mais là, tu m'as fait découvrir quelque chose de cool. Dans chaque morceau, tu as mis un petit peu de toi. Tu as tellement mis tout ce que tu avais à donner qu'il y a une partie de toi qui est partie’. J’en ai eu de frissons. Putain, c’est complètement dingue. Et elle a ajouté : ‘Peut-être au tu ne le perçois pas. On dirait que tu ne réfléchis pas et que tu y vas ». C’est le plus beau compliment qu’on m’ait fait sur ma collaboration à l’album. Et il vient de ma femme. Maintenant, je crois un peu ce qu'on me raconte. Et les réactions me font plaisir. Mais ces sessions m’ont mis une grosse pression et ont exigé énormément de boulot.  

Un groupe de métal sans guitare, c'est un peu comme un chien sans queue ? Julien, qu’en penses-tu ?

Vincent : Didier te compare à une queue.
Julien : Merci Didier pour la comparaison. On va faire avec. Ben, je ne joue que de cet instrument. Comme tout le monde, je pianote. Je suis capable d’y exécuter 2 ou 3 notes. Je ne joue pas de la batterie. En fait, la guitare me possède depuis 20 ans et me suffit largement et amplement. Elle est tellement riche et te permet de faire tellement de choses différentes. Tu peux transformer le son de la guitare ou le conserver très pur. Tu peux en jouer en solo. Ou dans un groupe. Je n’ai pas envie d’en changer. Cet instrument me convient et je m’en contente. La guitare ne me lasse pas.
Vincent : C’est un instrument universel.

Charlotte, la bassiste, incarne la touche sexy au sein d’AqME. Une fille au milieu de mâles, c’est un plus ou un moins ?

Vincent : Hormis ses nichons et ses cheveux longs, elle se comporte comme un mec. C'est marrant, auparavant, je n'avais jamais joué avec une meuf. Sans quoi, je ne vois aucune différence. Une fille dans un groupe apporte un peu de douceur...
Julien : J’avais déjà bossé, dans le passé, en compagnie de filles au micro ou à la guitare. En fait, une nana au milieu de 'couillus', c'est toujours une personne en moins pour le chargement et le déchargement du matériel.

En 2005, votre drummer Etienne a apporté son concours à Indochine pour la chanson « Aujourd'hui, Je Pleure ». Comment est née cette collaboration ?

Julien : Etienne m'en a parlé. Donc je connais l’histoire. A l’époque, le magazine 'Rock Sound' réalisait souvent des 'blind tests'. Il en a fait passer un à Nicola ; et, dans cette épreuve, il y avait une de nos compos. Il ne nous connaissait pas ; mais le morceau a suscité sa curiosité. Il a contacté notre management et nous a proposé une collaboration. A cette époque, nous avions un titre que nous aimions pourtant bien, mais que nous n’étions pas parvenus à inclure sur « Polaroïds & Pornographie ». On lui a donc proposé. Et ce titre lui a plu. Si bien qu’on s’est retrouvé ensemble pour enregistrer cette chanson destinée à l’album « Alice And June ». Et Indochine nous a ensuite invité à participer à la tournée destinée à promouvoir ce disque…

Etienne le batteur vient de pénétrer dans la salle. Vincent et Julien m’avaient confié en aparté qu’il était important pour lui de manger bien à l'heure. Evidemment il prend un sandwich en main. Ce qui provoque un fou rire général.

Etienne, as-tu une ligne directrice dans ton drumming ?

Etienne : Dis donc, tu as préparé un texte ou quoi ? Ma ligne directrice ? Suivre simplement ce que le morceau exige. C'est lui qui dicte ma conduite. Il ne faut pas aller plus loin. Tout dépend du groove ou du break requis par la compo. C’est instinctif ! Et je ne me pose pas de question. C’est ma ligne directrice…

Etienne, on en parlait tout à l’heure, en 2005 AqME a apporté son concours à Indochine pour enregistrer une de vos chansons, « Aujourd'hui, Je Pleure ». Tu t’en souviens encore.

Etienne : C'était il y a longtemps… En fait, Indochine nous avait invités à nous produire pour certains concerts du X Festival, à l'époque. On a sympathisé. (NDR : il relate ensuite ce que Julien nous a raconté quelques minutes plus tôt). Une simple rencontre entre musiciens.

Etienne, tu es le plus ancien membre d’AqME. On te considère même comme sa force tranquille. Mais quel impact l’arrivée de Vincent a produit sur l’existence du groupe ?

Etienne : Il a apporté beaucoup de bien à l’équipe. Du sang neuf est une bouffée d'air frais. Et il nous permet d’ouvrir des portes. Il a aussi changé l'ambiance. Il est beaucoup plus positif que Thomas, notre ancien chanteur. Et il possède des capacités vocales exceptionnelles. Ce qui a permis de se renouveler tout en conservant notre propre style...

 

Karavan

On voyage en Karavan et puis on se gare à Bruxelles…

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Karavan est un collectif réunissant 8 chanteurs : Nicole Bongo - Letuppe, Marie-Ange Tchaï Teuwen, Fredy Massamba, Myriam Gilson, Djubebe Kalume, Epolo Mabita, Mister Mo et Soul T. Une découverte faite à l'Ancienne Belgique, en première partie de Sinead O'Connor. Le répertoire de ce groupe afro-bruxellois est essentiellement composé de reprises d’Arno. Interprétées a cappella. Nicole et Marie-Ange se sont fait les porte-parole du team, un entretien qui s’est déroulé dans les loges de l'Ancienne Belgique, juste après la ‘release party’ consacrée à la sortie de leur premier album, « Arnoquins »…

Que signifie « Arnoquins » ?

Nicole : C’est un projet qui a été réalisé par 8 chanteurs/musiciens. Nous appartenons à un collectif baptisé ‘Les Anges Compagnie’ qui existe depuis une bonne quinzaine d'années. Arno nous a sollicités pour exécuter des choeurs sur différents projets, émissions télés et aussi lors des festivals. Mais avant tout pour son dernier album, « Future Vintage ». Puis on est tombé sous le charme du personnage et de son répertoire. Et on en a conclu qu’il aurait pu être intéressant d’adapter des chansons d'Arno a capella, à la sauce Karavan. Nous sommes tous d'origine africaine. Nous adorons Bruxelles. Il y a plus d'une dizaine d'années que nous y vivons. Nous sommes devenus des Afro-bruxellois. Certains affirment que les Africains n'apportent aucune valeur ajoutée à la Belgique. Et bien, musicalement, on démontre le contraire. On a ajouté notre petite touche afropéenne au répertoire d'Arno. Ce qui s’est soldé par la confection d’« Arnoquins ».

Sur la scène pop/rock belge, Arno est considéré comme un extra-terrestre, un artiste un peu déjanté. Vous confirmez ?

Nicole : Tout à fait ; et c'est ce qui nous plait. Il faut dire que nous sommes de la même famille. A cause d’un cousin très lointain dont nous sommes à la recherche depuis longtemps. Un albinos… Et nous sommes également issus d’une famille bien déjantée. Lui, il a continué dans son 'albinoserie' et nous dans notre 'noiraterie'. Et nous nous sommes retrouvés à Bruxelles pour élaborer ce projet qu'il soutient, tout comme l'Ancienne Belgique…

Il y a d’autres structures qui vous épaulent ?

Nicole : Oui. La maison de la Culture de Saint-Gilles. Le café concert ‘Le Bravo’. Ce n'est pas très loin d'ici, nous y sommes allés travailler quelquefois. Egalement la ‘Maison Des Cultures’ de Molenbeek. Beaucoup de gens ont été sympas avec nous. Ce qui a permis au projet de libérer de bonnes énergies. C'est un peu magique. On a l’impression d’être sur un coussin d’air qui nous guide vers les personnes adéquates et les endroits propices. Je ne vais pas tomber dans le mystique et compagnie. Je crois qu’on attire ce qu’on projette. Il n'y a pas de mystère. On met tout son cœur et on s'éclate. C’est alors que les bonnes énergies naissent et que les bonnes rencontres se concrétisent...

Pas facile de concilier vos goûts musicaux, quand on est aussi nombreux au sein d’un groupe ?

Marie-Ange : C’est ce qui est intéressant. Nous sommes un peu des univers différents. Il y a 8 personnes, mais le line up a changé au cours de la dernière année. On se connaît cependant depuis assez longtemps. Nous avons également d’autres projets. Nous avons enregistré un disque a capella, il y a 15 ans. Il était plus classique et plus pointu dans son approche vocale ; notamment dans les harmonies et les polyphonies. Nous nous rendions dans les centres culturels en Allemagne. Le concept était très sérieux. Nous voulions aborder une formule plus légère. Il fallait donc réunir des personnes à la sensibilité plus urbaine. Parce que « Arnoquins », c'est aussi une façon de voir Arno dans les yeux des citadins. C'est à Bruxelles que l'on s'est rencontré. C'est Bruxelles qu’on raconte. Tout comme Arno. Il fallait impliquer des artistes plus proches du hip hop. Les influences des membres du groupe sont différentes. Fredy Massamba milite dans l'afro soul. Mais chacun apporte sa propre touche : old school ou new school. Myriam est ainsi la chanteuse classique du groupe. Nous sommes une petite brochette d'extra-terrestres.

Qu’est-ce que le collectif ‘Les Anges' ?

Marie-Ange : Un collectif qui a gravé un album en l’an 2000.
Nicole : C'est par respect pour son fondateur qu’on en parle ; mais pour Karavan, c’est du passé…

Votre répertoire est constitué de versions a capella de chansons signées Arno. Vous en interprétez d’autres ?

Nicole : Nos premières expérimentations figurent sur ce disque paru au début du millénaire. Il s’agit de chants traditionnels slaves ‘gospellisés’ et africanisés. C'est cet album qui a incité Arno à nous rencontrer. Des blacks qui chantent du russe et du roumain en gospel, il estimait que c’était original. Il était intéressé ; et à l’issue de notre rencontre, il nous a invités à apporter notre collaboration au projet. C'est le point de départ. Le premier volet a été réalisé en Europe de l'Est, le deuxième à Bruxelles, en compagnie d’Arno. Peut-être que pour le troisième, on s’attaquera au répertoire de Joe Dassin. L’an prochain ? On n’en sait rien…

Lorsque vous avez assuré le supporting act pour Sinead O'Conor, la setlist n’était pas intégralement composée de reprises d'Arno…

Nicole : Sur l’album, deux titres ne sont pas issus de la plume d’Arno, « Bruxelles » et « Karavan ».

Y a-t-il, dans le répertoire d’Arno, une compo qui a une signification particulière pour Karavan ?

Marie-Ange : « You Gotta Move », un vieux morceau de blues issu des années 50 qu’il reprend en ‘live’.
Nicole : Cette plage remonte aux sources. Aux origines de l'esclavage. Les champs de coton aux Etats-Unis. C’est une chanson qui nous parle. Elle ouvre notre spectacle. On voyage en Karavan et puis on se gare à Bruxelles. Et le show peut commencer…

Pour réaliser un voyage entre différentes cultures. Sur une base d'Arno?

Marie-Ange : Déjà Arno, à la base, c'est un être hybride.
Nicole : Si on me dit qu'Arno est un nègre blanc, je le crois. C'est un albinos qui nous vient de l'espace.

La pochette est plutôt réussie. Qui s’en est chargée ?

Marie-Ange : Lara Herbinia, une photographe talentueuse. Encore une belle rencontre. Comme la nôtre. De voir qu’on s’intéresse à nous et à notre projet te file du peps. Et nous permet d’être davantage bookés. Une dame est venue nous voir et nous a promis qu’elle allait essayer de nous dénicher des dates. Pour la pochette on est parti du personnage 'Arlequins'. Il est intemporel. Un saltimbanque dont on ne sait pas trop bien s’il est riche ou pauvre, gentil ou méchant. Ses vêtements son couverts de losanges. Entre Arlequins et Arnoquins, le rapport était facile. Mais pour l’illustration, Lara a dû effectuer des recherches sur ces losanges. On lui a quand même refilé quelques idées. Mais la gestation a nécessité quelques mois, quand même…

Lara vient justement de débarquer…

Lara Herbinia : Lors de notre première rencontre, votre idée était bien claire, ce qui était pratique. Vous souhaitiez une galerie de portraits dont les gens portent des masques. Et vous m’avez précisé qu’il ne fallait pas qu’on vous reconnaisse, afin d’être interchangeables. Et évoquer votre belgitude tout en se référant quelque part à Arno…

(Photo Lara Herbinia)

Tom McRae

Mes influences ne sont pas nécessairement musicales…

De son véritable nom Jeremy Thomas McRae Blackall, Tom MacRae est né le 19 mars 1969, à Chelmsford, en Angleterre. Son premier elpee est paru en 2000. Il est éponyme et est suivi d'une tournée qui passe par les Transmusicales de Rennes, une première partie pour Autour de Lucie à Paris, puis 11 dates en tête d'affiche ainsi que la participation aux festivals d'été. Au cours de son premier périple, il s’intéresse au répertoire d’artistes français majeurs : Alain Bashung (en compagnie duquel il partagera l'affiche lors de sa tournée destinée à promotionner son deuxième LP), Miossec, Keren Ann, Françoise Hardy et Dominique A. Tom est nominé, sans pour autant remporter de prix, au Mercury Music Prize ainsi qu'aux Q Awards. Il y a plus de 15 ans que Tom sévit sur le circuit rock conventionnel. Il est également considéré comme l'un des meilleurs chanteurs/compositeurs insulaires. Pour enregistrer « Did I Sleep And Miss The Border », son 7ème opus, il a rappelé son fidèle backing group, un disque dont les sessions se sont déroulées au Pays de Galles et dans le Somerset.

Sous un superbe soleil, nous débarquons au Huis 123 de l'Ancienne Belgique. Il est 16h15. Bien installés dans de confortables fauteuils, l’entretien peut commencer.

Question bateau pour commencer, peux-tu nous parler du processus d’enregistrement de ton dernier elpee, « Did I Sleep And Miss The Border » ?

En 2010, j'ai tourné en compagnie de musiciens avec lesquels je me produisais –pour certains et un peu moins pour d’autres– depuis une quinzaine d'années. Après cette aventure, je ne souhaitais plus reprendre la route immédiatement sous une même formule. Je voulais tenter une autre expérience. J'ai donc gravé un disque plus personnel, davantage épuré, en 2013. Mais dans ma tête, je repensais toujours aux moments au cours desquels nous étions tous ensemble et à ce que nous étions capables de proposer. J’ai donc eu envie de composer une œuvre qui soit dans leurs cordes et qui leur permette d’apporter la pierre à l’édifice. L'écriture des chansons et l’exercice des démos ont pris un peu plus de temps de prévu ; mais finalement, après quelques années de séparation, on s’est retrouvé en studio. Sous leur impulsion, certains morceaux ont été retouchés. Et très progressivement, le résultat a pris forme, tenant compte du témoignage de nos existences, lorsque nous formions ce bon groupe…

Tu as vécu pas mal de temps à New York. Tu es revenu en Angleterre ?

Oui, j’y vis à nouveau, depuis cinq ans. Mais, je compte encore déménager. Je pense m’installer en France quelque temps. J’ai constamment l’envie de changer d’air…

Tu ne te plaisais plus à New York ?

J'ai aimé y vivre. J'y retourne régulièrement. J'y ai passé un mois à Noël cette année. C'est un endroit qui te communique une inspiration incroyable. Un peu comme Londres, Paris ou Bruxelles. Une énergie prodigieuse émane de toutes ces grandes villes. C’est peut-être un cliché, mais New York évoque une forme de romantisme et de poésie qui t’ouvre l’esprit, un peu comme dans les films et les livres. C'est aussi une métropole où on peut circuler très facilement. J'y ai vécu et je m'y sens comme à la maison. Je sais où je suis et où je vais. J'ai des amis là-bas. Il n'y a pas beaucoup de vrais New-Yorkais qui y sont nés et y ont grandi. Elle est tellement grande et mythique. Elle a une telle envergure et pas uniquement d'un point de vue géographique. Il est agréable de s'y abandonner, s'y laisser porter par le courant des événements. Et j'aime ça, ce sentiment de disparaître dans le ventre d'une cité qui est tellement plus que ce que vous ne serez jamais. En plus, c’est assez rassurant.

Tes parents sont pasteurs. La religion est-elle importante pour toi ? Dicte-t-elle ton écriture ?

Non, la religion n'est pas importante à mes yeux. D'un point de vue sociologique, le comportement des gens par rapport à la religion, leur manière d'y répondre, m'intéresse, mais je ne suis pas quelqu'un de pieux. J'ai grandi dans une famille religieuse et tout un temps, j'ai dû faire partie de ce monde. Mais je l'ai très vite rejeté, car ce n'était pas pour moi. Il est très intéressant de grandir dans cette sphère afin de ressentir le pouvoir de la musique, le pouvoir de chanter dans un choeur dans une église, de vivre cette expérience spirituelle, mais cette implication était étrangère à Dieu ou la Bible ou n'importe quelle religion. Non, elle n'est pas importante pour moi. J'aime ses images, que j'utilise dans mes chansons. J'ai grandi en lisant la Bible, en allant à l'église trois fois par semaine. Ce passé fait partie de moi, mais dans un contexte poétique plutôt que spirituel.

Tu ne te produis pas souvent en Belgique. Pourquoi? Tes concerts y sont pourtant chaque fois sold out ?

J'ai de la chance ! C'est une bonne question. Je ne veux pas solliciter le public trop souvent. Je ne veux pas que les gens s'habituent à ma présence. Quand un concert est programmé, je préfère que le public soit enthousiaste et qu’il se dise ‘Il faut qu'on y aille !’ plutôt que ‘Oh, c'est encore Tom McRae, il reviendra l'an prochain’. Je souhaite que ce moment soit spécial. Proposer quelque chose de différent, innover, afin que chaque concert soit unique en son genre, que ce soit en compagnie d’un groupe, d’un quatuor à cordes, en solo ou autre. Et il me faut du temps pour savoir comment y parvenir.

Tu as sorti un LP ‘live’ en 2007. Sa diffusion est confidentielle. Pourquoi uniquement le vendre en concert et sur ton site et pas en magasin ?

Bonne question ! Je pense qu'aujourd'hui il existe une évolution dans notre manière de diffuser la musique et de la partager avec le public. Encore une fois, c'est une question de sollicitation. Si tu sors officiellement un cd afin de le retrouver dans tous les magasins et que les médias en parlent, tu mobilises ce support à un moment précis. Et c'est la formule que j’adopte quand il y a une matière nouvelle ; car je veux que tout le monde se focalise dessus. Pour ce ‘live’, c’est dans le but de faire revivre les spectacles, de les rendre fun. Je les publie après les tournées. Je ne souhaite pas qu’on y prête trop d'attention. Il s'agit plutôt d'un souvenir d'une certaine période. Je ne veux pas que les mélomanes s'ennuient. Et les journalistes n’ont certainement pas envie d’écrire un papier sur le même artiste chaque année. Sinon ils vont s’exclamer : ‘Oh, encore un nouvel album de Tom McRae’. C’est l’explication et ma manière de dire : ‘Voici un petit album, juste pour vous. Je reviendrai avec quelque chose de plus consistant plus tard’.

Tu as démarré ta carrière en France où tu y jouis d’une certaine notoriété. N’est-ce pas un paradoxe d’y avoir rencontré le succès, avant la Grande-Bretagne ?

Oui, j'ai vraiment eu de la chance de fidéliser un public en France et un peu plus tard, en Belgique. C'est très intéressant d'être reconnu dès la sortie de ton premier album, car si on l’espère, on ne s’y attend pas. Et le vivre sur un autre territoire, puis ailleurs encore et voir ce phénomène se propager, c’est quand même particulier... et même formidable. Aussi, dans un pays comme la France, que je connaissais déjà un peu, où j'avais passé du temps, où j'avais voyagé, c'était assez spécial. J'avais le sentiment que si le succès tardait à venir au Royaume-Uni, ce n'était pas grave. Car la France, la Belgique et la Norvège me l’accordaient. Je me suis rendu compte que peu importe qui vous êtes, quelle que soit votre nationalité, quelle que soit la langue que vous parlez, nous sommes tous pareils. Et si vous parvenez à établir une connexion quelque part, un lien très fort se tisse auprès des gens qui se sont manifestés d’abord. C'est un peu comme les premiers qui débarquent lors d’une soirée : ils reçoivent toujours le meilleur accueil.

« Christmas Eve, 1943 » est une ballade empreinte de mélancolie. Mais de quoi parle-t-elle exactement ?

J'ai vu une photo –je ne me souviens plus très bien où, peut-être dans les toilettes– d'un soldat américain de l'armée de l'air, qui était en garnison à Sorrente, pendant la guerre. Il avait épousé une fille du coin. Et j'ai utilisé ce cliché comme point de départ à la chanson, avant d’imaginer ce que cette situation aurait pu entraîner. Et comme j’ai inventé la suite, la fin est devenue tragique. Il la tue et se suicide ensuite. J’avais l’intention d’écrire un texte narratif. De raconter une histoire autre qu’autobiographique, tout en y ajoutant des éléments auxquels je m'intéresse et des petits bribes de moi. J’ai essayé de ne pas uniquement envisager la réalisation d’un album dans on ensemble, mais plutôt comme de petites saynètes, de courts-métrages, de romans, mis bout à bout. Et tout particulièrement ce morceau. Il a été abordé comme un film. Il retrace leur vie commune et leur séparation. Les images y sont nombreuses. C’est aussi le titre dont le mixing a été terminé en premier lieu. Et il est devenu la pièce centrale. J’ai donc placé la barre assez haute pour le reste, car je voulais que les autres plages soient à la hauteur, aussi bonnes, aussi parfaites et intéressantes. Sans quoi, elles n’auraient pas eu leur place sur le disque. Donc c'est une chanson importante.

Pourquoi ne pas avoir inclus « What A Way To Win A War » sur l’elpee ?

Pour deux raisons. J’aime beaucoup ce single ; mais j’avais l’intime conviction qu’il ne collerait pas à l’album. Il aurait rompu son charme, détonné dans son atmosphère. Or, je souhaitais que l’ensemble soit cohérent et propice au voyage. Suis pas sûr qu’un autre label aurait accepté mon point de vue. On m’aurait peut-être imposé d’y ajouter cette compo. Il s’agit de mon disque et je veux en garder le contrôle, dans la plupart des pays où il sortira. Chez les Beatles, « Penny Lane » et « Strawberry Fields Forever » ne devaient pas nécessairement figurer sur « Sgt. Pepper’s Lonely Hearts Club Band ». Et ils sont restés à l’état de 45trs. Pourquoi faire payer les gens deux fois pour le même morceau ? J’en ai donc conclu que la formule pourrait être fun. Je l’ai filée aux plates-formes légales, comme Spotify. Je voulais simplement annoncer la sortie de « Did I Sleep And Miss The Border », que cette chanson soit juste, un avant-goût. Et finalement, j’estime le processus intéressant.

Tu vas te produire dans une église, à Courtrai. Dois-tu réadapter tes chansons lors d’un événement aussi particulier ?

Oui, il va bien falloir. C'est toujours différent de jouer dans une église. Tout dépend des musiciens qui vont participer au projet. Pas vraiment facile en compagnie d’un groupe, car il n’est pas possible de faire du rock dans une église. Donc j'imagine que je vais devoir tempérer les ardeurs, mais j’ignore encore comment. Nous n'avons d’ailleurs pas encore commencé à répéter. Repose-moi la question, après le concert.

Certains medias comparent ta voix à celle de Jeff Buckley. Qu’en penses-tu ?

Drôle d’idée ! C’est tout à fait faux. Jeff Buckley avait une voix phénoménale. D’ange même. Je ne chante certainement pas comme lui. Je n’ai pas dit que je chantais faux. Je crois même que ma voix est belle, mais je ne boxe pas dans la même catégorie. C’est une méprise, même si je suis flatté de la comparaison.

Quelles sont tes principales sources d’inspiration ?

La pauvreté, la faim dans le monde… c’est peut-être désinvolte de ma part, mais mes influences ne sont pas nécessairement musicales. Bien sûr, j'écoute de la musique et il y a des compos que j’apprécie et que je volerais bien. J'aime la manière dont quelqu'un peut créer un univers. Mais, je ne peux pas le copier, il a déjà été réalisé. Pour composer, je me sers de tableaux que j’accroche dans mon studio et j’y épingle des cartes postales, des pages déchirées d'un magazine ; et j’y inscris aussi des idées, des remarques. Une chanson par support. Et lorsque j’entame l’écriture, je récolte toutes ces sources, panneau par panneau. Elles sont multiples et illimitées : des conversations que j’ai entendues dans la rue, à la TV, dans des films, que j’ai lues dans des magazines, etc. Je lis pas mal de recueil de poésies. En fait, je fonctionne comme un aspirateur.

Quels sont les artistes qui t’ont le plus marqué et incité te lancer dans la musique ?

C'est une bonne question. J'estime beaucoup Bruce Springsteen, Paul Simon et Bob Dylan, mais mes références ne se limitent pas à l’americana. Les plus grandes influences résultent d'une période où on est le plus à même d'être influencé. Adolescent, j’étais complètement tombé sous le charme de deux artistes. Tout d’abord Paul Simon. Personnellement, j’ai toujours estimé qu’il écrivait les meilleures chansons, les meilleures mélodies, les textes les plus significatifs. J'avais l'impression qu'il me parlait, qu’il voulait me communiquer une certaine vérité que je devais comprendre ou un message qu'il voulait transmettre et qu'aucune autre musique n’était capable de me procurer. « Bridge Over Troubled Water » a été un album important pour moi. C'était l'un des trois seuls 33trs pop que mes parents avaient achetés. J'écoutais « The Only Living Boy In New York City » en boucle en pensant que c'était ce que plus tard, je voulais faire. Et puis Billy Bragg. J'ai acheté son premier long playing et je l'ai écouté. Ce n’était pas la plus belle voix du monde. L’ensemble était un peu désordonné. La production était sommaire, mais le disque allait tellement à essentiel. C'était juste un gars avec une guitare. Je ne jamais entendu une de ses chansons à la radio. Je ne l'ai jamais vu à la TV. Ce n'était pas une grande star et pourtant sa musique me parlait plus que tout ce que je pouvais voir ou entendre d'autre. Je voulais devenir comme ces deux gars.

Et Miossec, Dominique A ainsi qu’Alain Bashung ?

C'est triste qu'Alain Bashung soit mort. J'ai eu l'honneur d’assurer sa première partie, il y a quelques années et de le rencontrer. Ce sont des artistes majeurs de la chanson française. Ils ont vécu suffisamment longtemps pour avoir eu le temps d’observer tout ce qui se passe autour d’eux tout en continuant à vivre leur musique. Difficile de croire que la future génération parviendra à atteindre leur statut. Dans 25 ou 30 ans ? J’en doute ! En fait, la carrière des artistes contemporains semble tellement éphémère. Difficile se faire une place au soleil, mais encore plus difficile d’y rester. Tellement difficile, qu’un jour on regardera en arrière vers ces Serge Gainsbourg, Alain Bashung ou Johny Cash. Nous n’en connaîtrons plus d’une telle envergure. J'ai eu la chance de pouvoir chanter « La nuit je mens ». C'est vraiment une bonne chanson.

Quel est le dernier album qui t'a le plus marqué et que tu as éventuellement écouté en boucle ?

« Metals » de Feist. J'adore Feist. Quand il est sorti, juste après « The Reminder » qui lui a permis de percer, j'ai pensé que c’était vraiment un disque unique en son genre. Accrocheur, très dur, intéressant et sombre, en même temps. Et une voix vraiment tranchante. J’en ai conclu qu’en matière de recherche sonore, il avait exigé énormément de travail. Que techniquement, c’était difficile à réaliser. Je l’ai écouté en boucle. Puis le « Bad As Me » de Tom Waits. La plupart des gens ont sans doute pensé qu’il s’agissait d’un autre cd de Tom Waits. Mais, pas seulement ; car il est tout bonnement époustouflant. Ces deux albums, je les ai écoutés pendant les sessions d’enregistrement du mien. Pour concocter deux œuvres pareilles, les deux artistes devaient être au sommet de leur art. Vraiment.

As-tu encore des contacts avec Scott Walker ?

Oui, on s'envoie des messages tout le temps ! (rires) Non, en fait depuis bien longtemps. Scott Walker m'avait demandé de me produire au Meltdown Festival (NDR : en l’an 2000 !) Elliott Smith était alors à l’affiche. J'ai pu le rencontrer et passer un moment en sa compagnie. Une entrevue inoubliable. Mais quand on me parle de Scott Walker, je pense immédiatement à Elliott Smith.

En 2015, tu as écrit « Love More or Less » pour Marianne Faithfull, une composition qui figure sur l'opus « Give My Love To London ». Que représente-t-elle pour toi ? Et pourquoi lui avoir écrit une chanson ?

Elle a appris que je connaissais Rob Ellis, le producteur de cet album. Elle était à la recherche d’un auteur-compositeur qu'elle appréciait afin de mettre ses mots en musique pour une ballade destinée à ce disque. Ils avaient une liste, et finalement, ils m'ont choisi. Et quand Marianne Faithfull te demande un service, tu acceptes, parce que c'est Marianne. Donc elle m'a envoyé son texte et je l’ai mis en chanson. Après, j’ignore ce qui peut se passer dans sa tête. Soit elle aimera ou pas. Soit elle l’utilisera. Ou pas. Mais c’est simplement incroyable de l’écouter chanter cette compo en concert. Qu’elle figure sur un long playing auprès de titres signés par des auteurs aussi illustres que Nick Cave, Warren Ellis ou Steve Earle. Elle appartient à cette catégorie d’artistes qui ont du vécu. Comme Alain Bashung. Elle recherche constamment de nouveaux défis. Et son attitude t’inspire.

Tu sembles dégoûté par le système néo-capitaliste. Pour toi, qui tire les ficelles sur cette terre ? Le monde politique ou financier ?

Certainement pas le monde politique. Ce n’est plus le cas depuis bien longtemps. Il sert de paravent. Tout se trame en arrière. Ce sont les marchés, les banques et la haute finance qui contrôlent notre mode de vie. Nous sommes en danger. Nous vivons une époque périlleuse. Et nous sommes impuissants. C’est inquiétant…

L'Europe sociale et économique est malade. La situation des réfugiés qui débarquent en Italie n’est toujours pas réglée. Tous les pays regardent dans leur assiette et finalement, rien ne bouge. Quel est ton avis à ce sujet ?

C'est ce qui se produit quand l'économie va mal. Les gens ne voient plus au-delà de leurs propres frontières. Certains disent qu’il s’agit de patriotisme, mais c'est plutôt du nationalisme voire du paternalisme. C'est effrayant. Cette situation s’est déjà produire dans le passé et elle n’a pas encore servi de leçon. On a vu ensuite quelles ont été les conséquences. Les termes du débat changent et les gens sont dépouillés de leur humanité. On commence par leur attribuer d'autres noms, puis à attaquer les pauvres, les sans-abris, les chômeurs et enfin les immigrants. Comment résoudre ces problèmes ? En construisant une Europe unie. En adoptant une politique européenne commune afin d’aider ces êtres humains qui fuient la persécution et la précarité. Nous sommes tous des êtres humains. Et je suis toujours surpris... ou finalement, ce n’est pas une surprise... Ces événements me désolent, car personne ne prend en charge le véritable problème. On manque d'imagination. Malheureusement, la question des immigrés est loin d’être résolue. On essaye de limiter les dégâts et on se contente d'attendre, car une juste solution coûte trop cher...

Ta chanson « You Cut Her Hair » a fait l’objet d’une pub pour Kenzo. De quoi t’apporter une forme de notoriété, du fric, ou du plaisir ?

Du parfum ! Elle figure sur mon premier album et remonte à 2008 ou 2009. Bien plus tard après l’avoir écrite. Très étrange. A mes débuts, je n'aurais jamais accepté un tel deal, pour ne pas la dévaloriser. C'est étonnant qu’une telle compo consacrée à un tel sujet puisse servir, par la suite, à une campagne de pub pour un parfum. Et je suppose que comme beaucoup de mes congénères, je me suis retrouvé face à un bon vieux dilemme. Je souhaitais qu’un public le plus large possible puisse écouter cette chanson. Mais en même temps, j’avais l’opportunité de la rentabiliser un max. Tout en bénéficiant du support TV à travers des images d’une jolie femme. Et bien oui, j’ai accepté. Aussi quand je me connecte sur YouTube, ce n’est pas la vidéo tournée au préalable qui est diffusée –soit celle de la visite d’une maison étrange en compagnie d’un vieux monsieur, et qui me met en scène drôlement coiffé– mais d’une femme, à moitié nue, traversant un champ de coquelicots. Et finalement, c'est génial !

 

Bastian Baker

Plus observateur qu’engagé…

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C’est lors de sa tournée accomplie en Belgique que votre serviteur a pu rencontrer Bastian Baker. D’un naturel enjoué et fort sympathique, le bellâtre s’est livré à une interview sans langue de bois dans l’enceinte de la salle montoise ‘L’Alhambra’ avant de monter sur les planches.

De nombreux artistes imaginent que le monde de la musique est facile et accessible et qu’il est possible de gagner facilement sa vie en grattant simplement trois cordes. Pour ta part, tu as rencontré Patrick Delarive à un moment crucial. Le facteur chance est important finalement.  Quel est le conseil que tu donnerais à un jeune qui souhaite se lancer dans la musique et en faire son métier?

J’ai effectivement eu la chance de faire des rencontres très intéressantes dans ma vie. Au sein de l’inconscient collectif, la notion d’accessibilité à la musique est très légère. Comme tu le soulignes, beaucoup de mes amis sont persuadés qu’il suffit de gratter trois cordes pour gagner sa vie. C’est une hérésie, bien sûr! Seules les personnes actives dans ce métier ont véritablement conscience des difficultés qui y sont liées. Je n’aurais pas un conseil à donner, mais trois en réalité ! Tout d’abord, je pousse les artistes à écrire leurs propres chansons. Cette démarche permet de se différencier et d’innover. Les reprises sont malheureusement devenues la panacée chez de très nombreux bands. Certaines sont cependant très bonnes, mais d’autres aussi, très mauvaises… Ensuite, il est impératif de se faire connaître un maximum en jouant le plus possible et ce quel que soit l’endroit proposé. Ce qui peut déboucher sur des contacts. C’est toujours bon à prendre ! En ce qui me concerne, j’ai joué dans des bars, à l’occasion de fêtes et de mariages aussi. Lorsque j’ai été découvert, j’étais simplement venu fêter l’anniversaire d’une amie. Au petit matin, pris dans l’euphorie festive, j’ai pris ma gratte et j’ai été repéré. Cette histoire est le point de départ de ma carrière de chanteur aussi simple que cela puisse paraître. Enfin, il faut aussi être persuadé et se persuader de faire de la musique pour les bonnes raisons. Aujourd’hui, on glorifie les stars trop rapidement. Certains livres proposent même des recettes toutes faites pour devenir une vedette… C’est de la foutaise ! Le public a une vision parfois tronquée de la vie d’artiste. Je ne loge pas dans un cinq étoiles et je ne vole pas en première classe tous les jours ! Il ne s’agit pas d’un job ‘9h-17h’. C’est une passion qui nécessite beaucoup de travail en amont ! Les tournées et les engagements à tenir impactent inévitablement la vie privée ! C’est une existence de bohème et de vagabond qui exige des sacrifices. J’ai choisi ce job tout jeune, simplement parce que j’aime ça. Cette raison doit rester prioritaire !

Tu as déclaré un jour ne pas être matérialiste. Pourtant vendre des milliers de disques et gagner des thunes, tout le monde en rêve dans le showbiz, non?

J’ai effectivement la chance de gagner ma vie grâce à la musique. Pour un artiste, il est clair que vendre des disques est intéressant. Mais, je ne suis pas matérialiste. Pour te donner un exemple, je ne me souviens pas avoir pénétré dans un magasin pour y acheter des vêtements ou des objets luxueux.

Tu as été coach pour ‘The Voice’. On a souvent l’impression que la carrière des candidats de ce genre d’émissions s’arrête avant même de commencer. Quel est ton point de vue à ce sujet ?

J’ai adoré participer à cette aventure. Elle repose avant tout sur le coaching. Je déteste ces émissions de ‘musique scandale’ où le principe même de fonctionnement consiste à juger et casser les candidats uniquement dans le but de faire de l’audimat. ‘The Voice’ a une mission : accompagner le jeune talent. On décide ensemble du morceau, de la structure, de la tonalité, de ce qui va passer en télé et au son. Ce n’est pas un karaoké ! C’est une précision importante ! Les talents sont entourés de douze musiciens. Il y a une réalisation et ils doivent assurer le show durant deux minutes. Le côté spontané est aussi important. Afin de les y aider, je les ai emmenés faire une ‘jam’. Dans ce métier, il y a deux choses importantes. La musique, certes, mais aussi l’entertainement. Je pense qu’une telle émission peut être véritablement fédératrice pour ceux qui sont déjà dans le métier ou ont des projets en cours, des démos ou encore des Eps. Ce qui peut déboucher sur des contacts avec des maisons de disques, voire attirer des bookers.

Tu rencontres beaucoup de succès dans la musique et à la télé. Les dates belges sont pratiquement toutes sold out. Tu tournes aussi au sein de nombreux pays. Tu as assuré pas mal de premières parties, dont le supporting act pour Elton John, Bryan Adams, Johnny Hallyday, et j’en passe… Comment gères-tu ce rapport à la célébrité ?

J’ai énormément de veine d’exercer ce métier. Je suis un privilégié ! J’ai la chance de jouer un peu partout, que ce soit dans un grand stade ou une salle de taille plus modeste. A vrai dire, je n’aime pas beaucoup cette étiquette de ‘célébrité’ derrière laquelle se cache souvent une connotation négative. Je travaille comme un fou pour obtenir cette reconnaissance ! J’ai sans doute gardé ce côté compétiteur qui m’est resté lorsque j’ai quitté le milieu sportif. Je ne crache évidemment pas non plus dans la soupe aujourd’hui ! Les fans me suivent, viennent me voir et achètent mes disques. Ce métier m’apporte des accès privilégiés. Il m’autorise à faire des rencontres qu’il m’aurait été impossible d’imaginer auparavant. Je dirais que c’est le côté positif de cette carrière.

Je pose souvent cette question aux chanteurs francophones qui chantent dans la langue de Shakespeare. Les textes en français, c’est pour quand ?

L’anglais vient tout simplement de mon éducation musicale. Mon père est suisse alémanique et ma mère francophone romande. J’ai grandi dans cette double culture. La musique que nous écoutions à la maison était principalement folk et rock : Bob Dylan, Queen, Led Zeppelin, Eagles, Simon et Garfunkel, Cohen, etc. Je me suis inspiré de ces grands noms. J’apprécie également les belles mélodies. J’estime que la langue de Molière est la plus belle au monde à parler. Celles et ceux qui ont choisi de la chanter sont souvent des conteurs d’histoires, à l’instar d’un Renaud pour qui je voue une admiration sans bornes. Je chanterai moi aussi peut-être un jour en français, mais je n’en ai pas encore ressenti l’envie, ni le besoin. L’anglais donne cette liberté de pouvoir me permettre de dire absolument tout dans la plus grande transparence.

On sent chez toi une réelle énergie sur scène, difficile à capter en studio. Je sais que cet aspect des choses est important pour toi. C’est la raison pour laquelle tu aimes privilégier les conditions live. Est-ce que ce choix va s’imposer de facto lors des prochains enregistrements ?

Le premier album s’est construit de manière un peu étrange. J’avais en tête les riff de guitare et la voix. J’avais également une vague idée de tempo et des arrangements. Le fait d’avoir bossé en compagnie de bons musiciens a été un fameux atout. Il en découle un premier disque plutôt spontané. Pour le second, nous avons choisi l’enregistrement dans des conditions ‘live’. Tous les musiciens étaient réunis dans la même pièce. Ce qui donne un rendu particulier. Le feeling est plus naturel, moins métronomique.

Le titre de l'opus, "Too Old To Die Young", signifie trop vieux pour mourir jeune. Une phrase vue sur le mur d'un club en Allemagne. A ton avis, celui qui a écrit ces mots était un type complètement bourré, un illuminé ou un philosophe en herbe ?

Les trois vont de triplet. Cette phrase m’a littéralement interpellé. Je ne sais qui l’a écrite. Elle est contradictoire à souhait. Presque illogique… Je pense qu’il faut considérer l’histoire dans son ensemble. Celle qu’il y a autour de nous, celle qu’il y a eu avant nous et celle qui aura lieu après nous. Le monde devrait être plus relax. Je suis miné par les news que je lis tous les jours dans la presse. Je suis sans doute utopiste, mais pourquoi les gens ne peuvent vivre ensemble tout simplement ? « Too old to die young » résume bien cette forme de pensée unique. De même, toute la symbolique autour de dates fixes telles que la Noël et le Nouvel An, par exemple, m’insupporte. Je ne la comprends pas vraiment ! Sans doute parce qu’elle éveille en mon for intérieur des événements pénibles. Lorsque quelqu’un prend une bonne résolution le 1er janvier, j’ai envie de lui dire que si nous sommes le 8 août, il n’est pas obligé d’attendre le passage à l’an neuf pour réagir. Il s’agit pour moi d’une forme de désacralisation de l’âge dans sa forme matérielle en quelque sorte… Ma chanson « Dirty Thirty » parle de ces gens qui se marient à 25 ans et qui ont soudainement une prise de conscience à trente… En ce qui me concerne, j’essaie d’écarter cet aspect nocif !

Le premier elpee était essentiellement centré sur ta vie et tes problèmes d'ado. Pour le deuxième, tu es devenu spectateur de la vie. Les thèmes abordés sont très variés et différents. "Kids Off The Street", par exemple, parle des enfants des rues. Te considères-tu par moment comme un chanteur engagé ?

J’ai un côté relax qui me permet de vivre ma vie tranquillement. J’observe tout ce qui se passe autour de moi. Les chansons permettent de faire passer un message. Mais, je ne me considère pas comme un chanteur engagé ! Tout simplement parce que ce n’est pas mon rôle ! Ton analyse est bonne. J’ai effectivement écrit l’album lorsque j’avais 17-18 ans. J’y abordais les problèmes d’adolescents. Les jeunes se sont identifiés aux textes assez naturellement. Je me suis tout à coup senti moins seul. J’ai vécu ce processus comme une véritable thérapie ! Le second est moins dans ce registre. J’ai essentiellement écrit par rapport à ce que j’ai vu ou entendu. Je me suis un peu distancé ! Cette chanson en particulier est la plus complexe dans sa structure et sa composition, mais c’est celle que j’ai écrite le plus rapidement. Elle était réglée en cinq minutes à peine !

Se produire à Mons, capitale culturelle de l’Europe, dans une salle sold out, ça t’interpelle ?

J’y suis venu, il y a environ un an et demi, à l’occasion de l’exposition consacrée à Andy Warhol. J’avais beaucoup aimé ! Sinon, je me suis promené tantôt dans les rues de la ville. Le soleil était de la partie, les terrasses étaient bondées. On s’y sent bien ! La salle dans laquelle on se trouve est plutôt sympa. C’est typiquement le genre d’endroit où j’aime jouer. Je suis très excité d’assurer le show ce soir.

Finalement, de tous les peuples de la Gaulle, les Belges sont les meilleurs. Tu confirmes ?

Je confirme ! Je ne pense pas que ce soit une légende ! J’ai pu tourner en Amérique du Sud, et plus particulièrement au Brésil. Les gens sont très chaleureux, enthousiastes et festifs. Ils viennent pour prendre du plaisir, sans jamais juger. En Europe, l’équivalent, voire mieux, c’est la Belgique. Je le pense vraiment. C’est sans langue de bois. A chaque fois que je mets les pieds dans ce pays, je m’éclate comme un fou ! Encore hier soir, nous avons prolongé le concert en jouant pratiquement deux heures. Nous étions contents d’être là. L’interaction avec le public était réelle. Le peuple belge fait preuve de beaucoup d’authenticité ! Je trouve qu’il y a beaucoup de similitude entre la Suisse et la Belgique à ce niveau d’ailleurs !

Tes concerts attirent le plus souvent un jeune public féminin. Aimerais-tu élargir ton auditoire ?

C’est davantage une question de perception à mon sens ! En tout cas, perso, cette situation ne me dérange pas ! Tout ce qui m’importe au final, c’est que les spectateurs sortent d’ici, le sourire aux lèvres en ayant passé un bon moment. En Belgique ou en France, le public est assez féminin. Les premiers rangs sont constitués de jeunes, c’est vrai ! En même temps, c’est le créneau de pas mal d’artistes pop, rock ou folk. A contrario, en Allemagne, j’ai commencé en assurant des premières parties pour Everlast, l’ancien leader de House of Pain. Il s’agit d’un projet solo guitare/voix accompagné d’un pianiste. Son univers est plutôt folk. Mon premier public, là-bas, est constitué de gros mecs, tatouages sur les bras, coiffés de queues de cheval et vestes de bikers sur le dos. Tu n’assistes pas à un concert pour la gueule d’un mec. Si tu aimes sa musique, tu viens ! Tout simplement ! J’adore par exemple James Blunt, non pas parce qu’il est beau, mais parce son univers me touche. Les commentaires de la foule, à la sortie des concerts, sont aussi très révélateurs. Si on arrive encore à convaincre en se produisant en live, tant mieux finalement.

Le disque traverse une crise sans précédent. Est-ce que tu serais prêt à enregistrer uniquement en numérique ?

L’industrie du disque traverse effectivement une crise sans précédent. La musique a connu différents supports : le vinyle, les quarante-cinq tours, les trente-trois tours, le CD, etc. Aujourd’hui, pour beaucoup, il est normal que la musique soit gratuite. Deux possibilités s’offrent alors à l’artiste. Soit, il l’accepte. Soit, il essaie d’innover. Il y a un an et demi, j’ai soumis une application pour IPhone. Elle permet d’obtenir mon catalogue musical moyennant un abonnement de 8 francs (suisses) par année. Nous avons été les premiers à le faire. Mais, je pense que c’est encore trop tôt pour que ce système puisse fonctionner de manière optimale. Mais, dans le futur, pourquoi pas ? Les plates-formes comme Spotify ou Deezer offrent un service fantastique, mais la rémunération des auteurs n’est pas encore au point. J’ai un pote dont la chanson a été écoutée 300 000 fois en Irlande et il a reçu en tout et pour tout 45 francs suisses. C’est dramatique lorsque l’on pense aux coûts de production d’un album ! Il y a quelques années, on pouvait imaginer que ce déclin allait permettre de revaloriser le ‘live’ et d’en tirer parti notamment en terme de cachets. Aujourd’hui, il y a tellement de concerts et de festivals que cette vision des choses est quelque peu dénaturée. En Suisse, par exemple, il y a plus de 300 festivals durant l’été. Il devient difficile de s’y frayer un chemin. Nous réfléchissons beaucoup à cette problématique. J’ai enregistré quelques titres et je dois bien t’avouer que je ne sais sous quelle forme, je vais les sortir. C’est très excitant aussi.

Avec quel(s) artiste(s) rêverais-tu de bosser sur de futurs projets ?

Je fonctionne énormément au relationnel. Lorsque j’ai participé à l’émission ‘The Voice’, BJ Scott et moi avions beaucoup d’affinités musicales. Elle va d’ailleurs collaborer à l’enregistrement du prochain album. Un sentiment que je n’ai pas ressenti auprès de Marc Pinilla et Natacha Saint-Pierre. Sinon, j’aime beaucoup Robert Francis. C’est un guitariste et chanteur américain. Ses chansons sont magnifiques et ses textes hallucinants ! Il est un exemple à mes yeux ! J’ai déjà eu l’occasion de le rencontrer, notamment en Suisse. Si un jour, la question d’une collaboration devait se poser, je signerais à deux mains.

Que connais-tu de la scène musicale belge ?

J’aime bien Selah Sue. C’est une très bonne musicienne ! Sans faire dans l’originalité, je citerai Stromae. Girls In Hawaï aussi ! Je les ai vus en live au Montreux Jazz Festival. C’était excellent. Arno a une carrière impressionnante, mais j’aime un peu moins. dEUS, je les connais un peu. J’avais rencontré Noa Moon sur un plateau télé ; elle est très gentille. Sans oublier Puggy ; nous nous sommes retrouvés à plusieurs reprises sur le même plateau également !

Adoptes-tu un rituel précis quand tu débarques en Belgique ? Tu ne te prends pas une ‘guinze’ ou ne t’empiffres pas d’une bonne mitraillette ?

J’adore la nourriture locale ! Les bières aussi ! Les fans nous en offrent d’ailleurs souvent ! C’est très sympa ! Le chocolat suisse par contre est meilleur (rires) !

As-tu profité de cette escale montoise pour caresser la tête du singe en passant sur la place de Mons, afin d’attirer le bonheur?

Je n’ai pas caressé la tête du singe sur la Grand Place, mais j’ai goûté ses couilles (rires) !

Bastian, c’est quoi la suite artistique ?

On termine cette tournée belge pour laquelle on se réjouit beaucoup. Je repars ensuite en Suisse et en France durant une semaine. Je vais y enregistrer des cuivres pour l’album. J’ai envie d’amener un peu plus de couleurs. Ensuite, on tourne au Canada pour sept dates. Enfin, je participe à un festival à Singapour. Après, je rentre au pays pour me préparer à la saison des festivals. On continuera de bosser sur le prochain disque aussi. Mais parallèlement, j’ai encore d’autres projets…

(Photo : David Olkarny)

The Experimental Tropic Blues Band

Ce disque est invendable...

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The Experimental Tropic Blues Band se produisait ce samedi 19 avril, au Salon de Silly, afin d’y présenter un curieux concept intitulé ‘The Belgians’. Après une bonne heure trente d’un show particulièrement déjanté et décomplexé, votre serviteur part à la rencontre d’un des deux guitaristes : Jérémy dit ‘Sale Coq’. Sans doute, le plus exubérant de la bande ; et pourtant il a la tête bien sur les épaules. Entretien.

Comment est née l’idée de réaliser une ode patriotique et électrique à notre drôle de pays ?

Elle est née suite à un simple concours de circonstances. Aux Etats-Unis, les gens ne nous surnommaient pas les ‘Tropics’, mais ‘The Belgians’. A notre retour, nous avons accordé un concert dans le minuscule Lou's Bar, à Liège. Nous voulions rendre hommage à notre pays. Nous avons dès lors choisi de conserver ce sobriquet plutôt sympa. Le programmateur du Festival de Dour, Alex Stevens, y était. Il estimait le concept original et nous propose alors de nous produire le jour de la Fête nationale, tout en gardant ce nom, afin de marquer le coup. Dans un premier temps, on a estimé l’idée saugrenue. Mais finalement nous avons joué le jeu à la condition que nous puissions projeter quelques images propres à la Belgique sur un écran, durant le set. Les étapes se sont construites intuitivement pour finalement aboutir à ce que nous avons présenté ce soir.

Un concept album consacré à la Belgique, est-ce sérieux ?

Le spectacle de ce soir est un condensé d’évènements qui ont marqué la Belgique. Parfois drôles, parfois dramatiques, comme les tueries de Liège, par exemple. Ils constituent le miroir de notre société. La Belgique est-elle sérieuse ? Est-ce sérieux de vivre dans un pays qui n’existe même pas aux yeux des Belges et du monde ? Nous voulions présenter, naïvement, la vision que nous avions de notre propre patrie sans prise de position aucune. Il s’agit d’une démarche plutôt artistique, proche de celle des dadaïstes.

Cet elpee serait-il plutôt le reflet d’une récréation, d’une blague potache ou d’un cri du cœur ?

Il résulte de la culture et de l’expérience de Jon Spencer. Il nous a inculqué un principe, celui de pouvoir exercer ce métier tout en restant soi-même et en acceptant ses erreurs. Sa philosophie est la nôtre. Nous sommes issus de la même école. Lui comme professeur et nous comme ses élèves. Pour ma part, je n’aime pas du tout les disques léchés. Je préfère de loin ceux dont l’imperfection est palpable. Ceux qui trébuchent le plus en quelque sorte. Le lâcher prise est essentiel dans ce métier.

Quelle symbolique souhaitiez-vous développer en adaptant ‘La Brabançonne’ ?

A vrai dire, nous n’avions jamais imaginé enregistrer un album intitulé « The Belgians ». La mise en place s’est opérée en fonction des rencontres et des circonstances. Lorsque le projet a mûri, la Brabançonne s’est imposée d’elle-même. Cependant, nous la voulions ‘façon’ Jimi Hendrix, afin de nourrir davantage le disque et le spectacle. Encore une fois, rien n’a jamais été calculé. Nous avons d’abord réalisé l’album. Le visuel a été conçu par ‘Film Fabrique’ et ‘Sauvage Sauvage’, deux structures qui avaient déjà bossé sur nos clips. Les morceaux prennent tout leur sens à l’appui des images. Il était important que notre démarche soit bien comprise, et tout particulièrement la signification que nous voulions communiquer à notre définition du surréalisme. Par exemple, pour « Belgian Hero », il était intéressant d’appuyer la dichotomie entre un chômeur qui noircit ses cases et celle d’une Justine Hénin savourant une victoire. Nous fonctionnons à l’instinct à vrai dire. C’est essentiel ! Le jour où nous changerons cette perspective, nous sommes morts.

Les paroles sont sans langue de bois et bien éloignées de ce fameux ‘compromis à la Belge’ !

Oui, effectivement.

On a l’impression qu’en gravant un tel LP, le groupe n’a pas voulu s'enfermer dans une routine et a osé prendre des risques, notamment celui de ne s’adresser qu'à une partie de son public potentiel. Est-ce exact ?

En Belgique, la prise de risques n’existe pas. Un groupe belge ne parviendra jamais à révolutionner le milieu. Seuls ceux issus du pays de l’Oncle Tom parviennent véritablement à imposer leur propre vision des choses. En Belgique, il n’y a que Hooverphonic, Stromae et dEUS, même si ce dernier est à la traîne aujourd’hui, qui y soient parvenus sur notre territoire. Pour notre part, nous sommes juste une bande de potes qui prennent plaisir à faire un truc complètement barré. Nous avons l’opportunité de poursuivre cette voie et le public nous suit. Que demander de plus ? Notre prochain projet sera différent, mais tout aussi décalé. Nous y avons travaillé pendant une année complète. Ce qui a exigé beaucoup d’investissement, mais le plaisir est omniprésent…

Lorsqu’on écoute "Belgians Don't Cry", on ne peut s’empêcher de penser aux sonorités new beat des Confetti’s…

C’est exact. Les Confetti’s restent une référence. Tu sais, lorsque nous avons enregistré « She Could Be My Daughter », nous recherchions clairement cette identité noir/jaune/rouge en y insérant des sons propres aux fanfares belges. Tu y entends beaucoup de percussions. Toute cette culture appartient à notre patrimoine et nous ne pouvons l’ignorer, en fin de compte.

La pochette du disque nous projette dans un univers proche du communisme. Qui a eu cette idée et pourquoi ?

Le postulat de départ était d’y voir des personnes sur une plage belge. A la place des yeux, nous avions imaginé des gaufres. Puis, Pascal Braconnier (NDR : Sauvage Sauvage) avait une autre idée en tête. Il nous avait suggéré de retranscrire les dernières images du film ‘La Planète des Singes’ où sur fond d’apocalypse, la statue de la Liberté reste figée. Nous estimions ce concept très intéressant. Nous avons donc pris le parti de mettre en exergue le symbole national qui est l’Atomium et l’avons transposé sur la jaquette. Le produit fini est une forme d’art en quelque sorte. Il y a une pochette, des chansons à textes et un spectacle.

Que pensez-vous de l’étiquette de ‘groupe sérieux qui ne se prend pas trop au sérieux’ ?

Ecoute, on s’en fout. On peut écrire ce que l’on veut sur nous, ces réactions ne nous touchent pas. Le pire serait de tomber dans l’indifférence complète. Nous essayons de faire partager notre univers à un maximum de personnes, sans aucune pensée manichéenne. Nous ne sommes pas dans une optique carriériste. Il y a quinze ans que le groupe existe et pourtant nous ne passons toujours pas à la radio. Mais au fond, ce n’est pas important. Tu sais que lorsque nous avons commencé, le batteur était complètement néophyte. Il était guitariste et n’avait jamais mis la main sur une batterie auparavant. Nous voulons pratiquer naïvement de la musique, sans se fixer d’objectif précis. Il n’existe vraiment aucune volonté arriviste chez nous.

Tu déclarais, lors d’une interview, que tu avais voté blanc pour la première fois de ta vie et que tu ne te rendrais plus aux urnes, à l’avenir. Coup de gueule ou coup de com’ ?

Je ne crois plus en la politique belge. Je recherche une certaine forme d’utopie en quelque sorte. J’ai l’impression que les gens sont pris d’une forme d’aliénation. Nous ne voulons pas communiquer un message politique à travers nos chansons. Mais plutôt d’afficher notre propre perception des événements. En fait, notre discours est politique, mais sans le vouloir. Je ne m’y intéresse absolument pas, ni aux programmes proposés par les partis. Ils ne prennent pas leurs responsabilités. J’assume complètement et ouvertement ces propos.

Une formation qui prend pour patronyme ‘The Belgians’, mais qui ne s’est pas encore exportée en terres néerlandophones, n’est-ce pas un peu paradoxal ?

Les Belgians n’ont jamais été invités en Flandre, c’est vrai. Par contre, nous nous sommes déjà produits à l’Ancienne Belgique. Mais, ce jour là, la salle était quasi francophone.

Quels pourraient être vos homologues flamands ?

Je me sens assez proche d’un Mauro Antonio Pawlowski, même si son univers est assez différent (NDR : il a entamé sa carrière en 1992 comme chanteur d’Evil Superstars et a ensuite rejoint dEUS).

La belgitude est-elle soluble dans le rock ?

Les étrangers parviennent difficilement à comprendre ce qu’est la belgitude. Pour un belge, c’est un concept assez naturel somme toute.

Difficile de l’exporter, et notamment en France ?

Nous avons déjà joué en France à deux reprises. Les Français ne parviennent pas à comprendre toutes les subtilités liées de notre culture. C’est tout à fait normal. Nous nous inscrivons dans une démarche plutôt spontanée. Dans le cas contraire, nous n’aurions jamais pu tourner ailleurs qu’en Wallonie avec tout au plus dix dates. Nous ne sommes ni carriéristes, ni arrivistes. Notre aventure ne nous permet pas de gagner notre vie. Nous voulons juste nous amuser et donner du plaisir. Pour de nombreux artistes, faire de la musique, c’est d’abord se façonner une identité avant même de pouvoir proposer quoique ce soit de concret. Cette démarche n’a jamais été notre truc. Nous avons réalisé un spectacle sur la Belgique, sans même imaginer qu’on allait le mettre en scène par l’image. Jamais, nous ne calculons.

C’est le ‘live’ qui vous permet de bénéficier d’un certain écho auprès du public. Ce nouvel opus semble d’ailleurs davantage taillé pour la scène. Etait-ce calculé ?

Ce disque est invendable, c’est clair. Je considère qu’il s’agit avant tout d’un concept album. Une fois complètement achevé, on passe à autre chose, c’est tout. Nous travaillons pour l’instant sur le projet suivant. Ceux qui s’installent d’ailleurs dans la routine sont pathétiques...

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