Il écoute Asian Dub Foundation, les productions de labels comme Wall Of Sound et Cup Of Tea, et il attend impatiemment la sortie du nouveau dEUS. Il n'avait pas prévu de devenir chanteur et semble aujourd'hui se méfier du succès qui pourrait le guetter. Pas facile à prendre, le Miossec!
Intituler son album ‘A Prendre’ ouvre la porte à toutes les interprétations imaginables. Apprendre, à prendre... ou à laisser, allez savoir. Christophe Miossec ne se tracasse pas. Et s'il s'est quelque peu calmé (ou du moins, il essaie) côté excès, il continue à pratiquer son art avec cette conception qui n'appartient presque qu'à lui : « Je n'ai pas de message personnel à délivrer, autrement je ne ferais pas de musique, quoi. Je ne prends pas les choses comme ça en fait. Je fais un disque et puis voilà... C'est un peu ‘advienne que pourra’. Mais je n'attends pas de questions précises, et je n'ai pas non plus de réponses précises à fournir. Ce que je veux dire, c'est que je comprends complètement quelqu'un qui n'aime pas le disque ; je peux me retrouver en accord avec lui, et ça ne me pose pas de souci majeur. Et vice-versa. » N'empêche, les albums du Breton, trois à ce jour, n'ont jamais suscité l'indifférence. Après ‘Boire’ et ‘Baiser’, certains espéraient même le voir toucher un auditoire plus large. « Il y a quand même un truc marrant dans ce que j'ai pu lire, c'est que des gens ont été étonnés que je ne fasse pas le grand saut. Quelque chose de plus populaire. Que je devienne une usine à tubes. Mais je sais que c'est complètement à côté de la plaque, parce que ce n'est pas du tout dans ma façon de fonctionner, de faire de la musique. Ce qui est vraiment drôle, c'est de voir que ces réactions sont même issues de journaux indépendants ou dits comme tels. C'est tout de même marrant de lire des journalistes spécialisés qui te reprochent pratiquement de ne pas faire des tubes... »
Miossec ne fait pourtant pas la fine bouche sur les quelques 140.000 exemplaires écoulés du précédent ‘Baiser’. D'autant, explique-t-il, que dans sa logique de départ, il pensait en vendre 5 ou 6.000 et jouer partout en Bretagne. « Si ce miracle pouvait en rester là, éviter le gigantisme, ce ne serait pas plus mal pourtant. » Au-delà, ce serait une erreur car il avoue ne rien faire pour que ça décolle. « C'est bizarre parce qu'au départ, j'étais musicien. J'avais un 8-pistes et je bricolais tout moi-même. Comme j'étais tout seul, il a fallu chanter. Et puis après écrire mes paroles. Mais à l'origine, mon truc, c'était de faire de la musique, pas du tout devenir chanteur. Enfin, si je m'écoute, ce n'est pas le genre de voix dont on se dit : ‘Tiens, elle est magnifique, je vais devenir chanteur.’ » Ce qui séduit, ce serait donc plus le style que l'organe. Un style dépouillé, une écriture qui pourrait être crue s'il n'y avait le démenti de l'auteur : « Pas pour moi, non. Normale. Enfin, ce qui devrait être normal. J'ai l'impression d'écrire mes textes naturellement, et puis c'est mon truc. J'ai le sentiment d'être honnête dans ce que je raconte. Je ne crois pas être à côté de la plaque. Les choses trop calibrées, je ne m'y retrouve pas du tout. Ce qui fait que je n'écoute pas beaucoup de chanson française en fait. »
En une période qui semble propice à cette ‘nouvelle chanson française’ (notez les guillemets), le succès ou l'intérêt pour les uns poussant les firmes de disques à en signer d'autres, Miossec fait parfois figure d'ouvreur de portes. Encore que cette étiquette le laisse quelque peu sceptique : « Je crois que cela devient aussi une facilité. Je suis loin d'être fan de tout ce qui sort dans le genre. Il y a beaucoup d’imposture intellectuelle dans toute cette... Enfin, je ne balancerai pas de noms pour m'éviter les emmerdes, mais j'ai un peu l'impression que cette situation pourrait vite devenir une tarte à la crème. Je me sens aussi proche de Sloy ou de Noir Désir, pour d'autres raisons. Humainement, même avec Zebda, on s'entend bien. Les Roadrunners aussi. Comme on fait partie de groupes qui tournent beaucoup, il y a des amitiés qui se créent. Ce n'est pas du tout une affaire de sensiblerie à la française, c'est plutôt une histoire d'attitude. L'autre jour, un journaliste qui est dans la techno m'a dit qu'après deux jours de rave, il écoute Miossec parce que ça lui fait du bien. Ça me fait plaisir. Je préfère cette réaction à un mec qui étudie Jean Ferrat. »
Ce que le Breton préfère par-dessus tout, on s'en doute, c'est la scène. Une scène qu'il n'a pratiquement jamais quittée depuis le premier album, notamment parce qu'il a débarqué fort tard dans le milieu. C'est du moins ainsi qu'il l'explique. « Et c'est surtout le fait d'avoir auparavant vécu autre chose dans ta vie. Et puis là, tu te retrouves dans un fourgon rempli de fous furieux! Je n'ai pas arrêté de rouler, c'est formidable. Enfin, c'est autant la vie de fous que les concerts eux-mêmes. Je sais que je n'arrive pas du tout à être calme et serein sur scène. C'est aussi dû au fait que j'ai vachement le trac avant, donc la tension se transforme en violence. Enfin c'est un truc assez bizarre... » Voilà qui ne risque pas non plus de s'arranger au fil de temps. Du moins, Miossec ne le croit pas : « Je ne pense pas qu'un jour je me dirai : ‘Tiens c'est normal, je monte sur scène, y'a du monde dans la salle’. Par contre, je pourrais prendre du plaisir. Ça, c'est énorme. C'est plutôt du plaisir chimique... Mais ça peut être horrible; sortir d'un très mauvais concert, ça te fout le moral en l'air. Si on peut se fendre la gueule, c'est bien. Mais je ne pense pas que j'arriverai à être cool, serein sur scène... J'ai un côté 'tite teigne qui ressort… »
Interview parue dans le n° 73 (mai 99) du magazine Mofo