La principale qualité de Tool procède de sa capacité à rassembler en un seul groupe un nombre considérable d'approches musicales et d'éléments sonores divers qui lui confèrent une identité aussi étendue qu'impressionnante. Au gré de ses albums, on le découvre successivement alternatif, sombre, trashy, complexe, pointu, esthétique, progressif, mélodique, percutant, visuel, aéré,... Et si on doit le rapprocher à des références connues, on pense à King Crimson (dont Maynard Keenan, le mentor du groupe est d'ailleurs un fan avéré) ; mais aussi à Jane's Addiction pour le côté troublé, ainsi qu'à Korn pour les aspects métalliques épais et noirs qui nappent le tout. Ce qui explique peut-être pourquoi, à sa façon et sans faire énormément de remous, Tool parvient à captiver autant de monde et à créer, à chaque sortie d'album, une saine curiosité et une sensation d'urgence. Et probablement également pourquoi il vend autant de disques ; même si ceux-ci sont livrés avec énormément de parcimonie : quatre albums en treize années de carrière, ce n'est tout de même pas un rythme frénétique (en fait, Tool a sorti un nouveau cd tous les cinq ans depuis « Aenima » en 1996). Lors d'un récent passage de Tool à Luxembourg, Justin Chancellor, le bassiste du groupe, nous a confirmé :
Nous tournons beaucoup. Cela prend du temps. Et nous ne sortons un album que lorsque nous en sommes vraiment satisfaits. L'important pour nous n'est pas d'être présents coûte que coûte mais d'apporter quelque chose et de concocter des disques qui valent la peine d'être entendus.
Et vus aussi ! « 10.000 Days », votre dernier cd, est un véritable modèle à ce propos (NDR : on raconte même que le groupe a poussé l'industrie du disque dans ses derniers retranchements pour fabriquer un boîtier de cd aussi magnifique que complexe. Rien que sa paire de lunettes intégrée et son feuillet peuplé de magnifiques images à découvrir en 3D valent le coup d'oeil). Souhaitiez-vous voulu marquer les esprits ?
On cherchait surtout à proposer autre chose que nos têtes pour illustrer le disque ! Non, sérieusement, on a voulu créer à travers ce digipack, une sorte de relation particulière avec la musique, via une expérience visuelle sensiblement élaborée et fine. En réalité, c'est Adam (Jones, le guitariste du groupe) qui a imaginé ce concept (il est d'ailleurs crédité en tant que 'art director' pour l'album). Nous avons toujours eu, néanmoins, un penchant pour les côtés visuels associables à notre musique. L'un de nos plus grands souhaits est d'ailleurs d'avoir, un jour, l'occasion de travailler sur une bande son pour un film. Je pense que ce serait un exercice très intéressant pour le groupe.
Revenons en à la musique : comme toujours, vous avez enregistré un disque à la fois conforme à ce que l'on peut attendre de vous ; c'est-à-dire susceptible d'aller plus loin et destiné à surprendre ; mais également hors normes dans la mesure où ce que vous jouez ne peut l'être que par Tool et ne s'entend que grâce à vous...
L'essentiel pour nous, quand nous travaillons sur un nouvel album, est de pouvoir matérialiser ce que nous avons en tête et qui est le résultat, à la fois de ce que nous avons appris et de ce que nous avons envie de découvrir et de développer. C'est la raison pour laquelle « 10.000 Days » est aussi bien un album qui contient quelques bases de Tool entendues sur les premiers albums ; mais aussi des éléments différents, dans la mesure où nous avons pu oeuvrer dans de très bonnes conditions, entre nous, et que cela a certainement favorisé le foisonnement d'idées. Nous étions tous dans un excellent état d'esprit, lorsque nous avons élaboré l'album ; et la communication au sein du groupe n'a jamais été aussi bonne...
« 10.000 Days » est un disque très intense...
C'est un bon terme pour qualifier l'album. Nous avons, nous, ressenti à l'intérieur, en tout cas, cette sorte d'intensité et ce 'magnétisme' qu'on nous rapporte aussi souvent. On ne peut qu'en être satisfaits, évidemment...
On sait que vous vous remettez invariablement et régulièrement en question. Est-ce un mode de fonctionnement élaboré ou un processus plus naturel ?
Il est vrai que nous prenons soin de nous 'challenger' nous-mêmes mais nous avons, aussi, c'est clair, des attraits innés pour ce genre de pratique. Je pense également que, comme nous ne sommes pas à la base des gens prétentieux, nous nous posons facilement des questions sur la valeur et les contours de ce que nous réalisons. Ce qui est toujours très sain. Quoi qu'il en soit, cela nous pousse à aller de l'avant et nous réussit bien.
On parle beaucoup de vous en Europe, en ce moment : d'une part parce que vous êtes à l'affiche de quelques gros festivals (dont le Rock Werchter, où le groupe se produira le 29 juin, juste avant les Red Hot Chilli Peppers et... Manu Chao !) ; mais aussi parce que votre firme de disques à mis la gomme pour la promotion de l'album.
Nous sommes venus passer trois semaines en Europe, en février, pour nous présenter et exposer l'album aux gens de SonyBmg. Cette rencontre a eu des effets bénéfiques : ils ont bien compris qui nous sommes et ce que nous pouvons faire. Tant mieux pour nous, donc, s'ils 'poussent' Tool aujourd'hui.
Votre programme des prochains mois, ce sont ces festivals d'été en Europe et puis des shows aux States ?
Exact. Et puis nous reviendrons ici pour tourner en salle. Nous adorons les concerts car ce sont, à chaque fois, de vrais moments de vie, de partage. Nous sentons les gens de près, c'est enthousiasmant. A l'inverse, une phase d'enregistrement d'album est assez statique et ne permet aucun retour en arrière à partir du moment où tout est mis en boîte. Quand tu joues tes morceaux en concert, même dix ans après, tu peux encore les faire évoluer !