Admiral Freebee vient donc d’enregistrer un nouvel album, « The great scam ». Traduisez : la grande arnaque. Il s’agit de son quatrième. Un disque enregistré sous la houlette de John Agnello, à New York ; et pour lequel il a reçu, entre autres, le concours de Steve Shelley (Sonic Youth), J. Mascis (Dinosaur Jr) et surtout de David Mansfield (NDR : au cours des seventies, il a milité au sein du backing group de Bob Dylan puis de T-Bone Burnett). Bonne surprise, ce nouvel elpee est excellent (voir chronique de l’album ici). Il méritait au moins que son géniteur, Tom Van Laere, nous en parle. C’est ce qu’il a accepté, et dans la langue de Molière. Sympa !
C’est donc John Agnello qui s’est chargé de la mise en forme du long playing. A la production et aux manettes. Pas n’importe qui, puisqu’il a notamment bossé pour Sonic Youth et Dinosaur Jr., mais aussi pris soin du dernier opus de Kurt Vile, « Wakin on a pretty daze ». C’est d’ailleurs après avoir écouté l’elpee du Philadelphien, que Tom a conclu que c’était le meilleur choix. Il s’explique : « J’aime beaucoup Kurt Vile et War on Drugs (NDR : l’ex-groupe de Vile). Et évidemment, le dernier album de Kurt. Mais John a réservé un traitement personnel au mien. J’apprécie quand un producteur sent ce qui colle le mieux au climat de tes chansons. » D’accord, mais en matière de prod, Agnello a un son bien à lui. Perso je me souviens d’une formation américaine –excellente, par ailleurs– que j’avais interviewée il y a une quinzaine d’années, et qui répondait au patronyme de Cell. Et John avait enregistré leur long playing dans une église en bois, près de Woodstock. Faut croire qu’il a un secret de fabrication… « Le secret, c’est qu’il utilise les même effets pour tous les instruments. Que ce soit les guitares, les claviers ou la batterie. » Les sessions d’enregistrement se sont déroulées à Hoboken, près d’Anvers. Amusant, quand on sait qu’il existe un autre Hoboken au Sud d’Anvers. Tom revient sur cette coïncidence : « Je lui ai raconté, mais il n’a pas vraiment compris. Par contre, c’était aussi sympa de savoir que Frank Sinatra est né à Hoboken… »
Quatre ans sans sortir d’album ! Panne d’inspiration ou envie de créer un effet de manque chez les fans ? Il se justifie : « Pas tellement une absence d’inspiration, mais oui peut-être afin de créer un manque. Cependant, quand tu enregistres un album, il faut au moins une bonne année avant qu’il ne sorte réellement. Et je suis entré en studio, à New York, en juin 2013. En outre, lors de la sortie du disque précédent, je suis de nouveau parti en tournée ; et deux ans passent vite sur la route. Enfin, il faut aussi vivre un peu ; rencontrer beaucoup de femmes et connaître de nouvelles aventures (rires). Il n’y a pas que la musique dans la vie… »
Tom a un jour déclaré qu’il était fan des erreurs brillantes. Lors d’une interview un peu folle, qui s’était déroulée en compagnie de tous les musiciens d’Ozric Tentacles, l’un d’entre eux m’a tenu le même langage. Car ces dérapages leur permettaient d’improviser. Notre interlocuteur approuve : « J’aime également les erreurs, car je suis un petit peu une erreur (rires). Si je n’aime pas les erreurs, je ne m’aime pas moi-même. Quand je me trompe, je dis toujours à mes musiciens, qu’au bout de la troisième fois, ce n’est plus une erreur… »
Le dessin est très important dans le processus de composition chez Tom. Il est étroitement lié à l’écriture. Il approuve : « Pour composer les chansons de cet album, j’ai beaucoup dessiné. Des visages. Et ces croquis m’inspirent pour jeter les bases d’une chanson que je consacre à la personne que j’ai dessinée. »
‘The great scam’ se traduit par ‘La Grande Arnaque’. Tom réagit : « C’est la traduction en français ? C’est bon à savoir ! Alors, quand je vais causer avec des journalistes francophones, je vais pouvoir leur déclarer que je suis le Monsieur de la Grande Arnaque. » Par rapport à la symbolique du titre, est-ce bien l’image, l’apparence qu’il considère comme une grande arnaque ? Ce qu’on appelle vulgairement de la com’. Très présente dans l’univers de la politique, par exemple. Afficher un visage différent de celui que nous devrions montrer ? Considérer l’authenticité comme un produit ? Mais est-ce la raison pour laquelle il a déclaré que le monde serait meilleur s’il était plus vulnérable ? Il commente : « Le plus bel exemple de tape-à-l’œil, c’est certainement Facebook. Ah oui, le commun des mortels affirme que la solution de tous nos problèmes passent par les réseaux sociaux ; que grâce à eux, tout baigne. Mais ce n’est pas la réalité. Aujourd’hui, il est de bon ton de nager dans le bonheur. C’est pourquoi j’ai écrit la chanson ‘I don’t want to feel good today’, car j’estime que quand tu n’es pas heureux, ce n’est pas grave. Tout le monde traverse des moments difficiles. Mais pourquoi simuler un état de bonheur quand on ne le vit pas ? Pour faire croire à ton entourage que tu es constamment heureux ? C’est un peu difficile de l’exprimer en français, mais l’authenticité est devenue une façade. Le paraître a pris le pas sur l’être. Et ça c’est la plus grande arnaque. Donner l’illusion que tu es sincère, alors que tu ne l’es pas. Et être convaincu de ta sincérité. Perso, j’estime qu’il est quand même préférable de savoir quand tu joues la comédie… »
Il a aussi déclaré que ses chansons étaient à la fois un testament et une résurrection. Là manifestement, on entre dans le domaine de la religion. Tom confesse : « Simplement, je ne suis pas particulièrement religieux, même si je crois en Dieu. Lorsque je regarde une femme noire très belle, je pense réellement que Dieu en est le créateur. C’est aussi comme quand j’écris une bonne chanson ; ce n’est pas moi l’auteur, mais Dieu… »
En écoutant son album, trois références me viennent à l’esprit : Ryan Adams, Chuck Prophet et Lloyd Cole. La réponse fuse : « Lloyd Cole, je l’ai beaucoup écouté. Tu es le premier qui m’en parle, et tu as raison. Mon album de chevet, c’est… il est de couleur bleue, je ne reviens plus sur son titre… » (NDR : ‘Broken Record’ ?)
David Mansfield, un ancien et illustre collaborateur de Bob Dylan s’est chargé de la mandoline et surtout de la pedal steel, lors des sessions d’enregistrement. « Il est incroyable. A l’âge de 15 ans, il tournait déjà en compagnie du band de Bob Dylan. Il était très jeune et côtoyait déjà des vétérans. Il a participé à l’enregistrement de 7 elpees de Bob Dylan, et a également bossé pour Tom Waits et T-Bone Burnett. » On suppose que c’est John qui a eu l’idée de l’inviter. « Oui, il le connaît très bien. Il travaille beaucoup avec lui. Mais le plus impressionnant, c’était sa rapidité d’adaptation. Je voulais lui expliquer les accords et lui me répondait que ce n’était pas nécessaire. Il les écoute et les reproduit instantanément. Et quasi à la perfection. Il se plante rarement… »
John Mascis joue sur un des titres de son nouvel album, « Finding my way back to you ». S’il a joué aussi fort en studio qu’en live, toute l’équipe devait se protéger à l’aide de boules Quiès… Tom précise : « Sa collaboration s’est effectuée via internet. Il ne s’est pas déplacé à Hoboken. On a d’abord communiqué via skype ou e-mail. Puis il a exécuté sa partition dans son home studio. C’était mieux ainsi, car il était loin de nous ; mais c’était déjà trop fort pour nos oreilles. » (rires)
Tom a tourné aux States, il y a un quelque de temps, en compagnie de Neil Young. Un musicien dont il apprécie particulièrement la musique. Mais comment est-il parvenu à concilier son agenda et le sien, souvent considéré comme démentiel, quand on sait que l’Anversois n’aime pas trop faire le forcing lors des tournées, pour y privilégier, notamment, le contact avec l’habitant. Tom clarifie : « Cet été je vais encore tourner avec lui. Non, mais pas de souci, je n’ai accepté que trois ou quatre dates. »
A propos de concert, votre serviteur avait eu l’occasion d’assister à un set d’Admiral Freebee, en 2005. Tom me demande : « C’était en trio ou dans un groupe avec deux ou trois guitaristes ? » C’était en compagnie d’un groupe. Il ajoute alors : « Et maintenant, c’est un nouveau line up, et il y a des cuivres. » Pour donner une coloration plus swing et r&b ? Comme sur ‘Do your duty’, un titre un peu festif, abordé dans l’esprit de la Nouvelle-Orléans ? « On va le jouer au Cactus (NDR: ce samedi 12 juillet 2014). Et la présence de cuivres nous entraîne un peu dans l’univers de la Nouvelle Orléans, un peu comme chez Dr. John. Tu connais la série télévisée américaine ’Treme’ ? Elle baigne dans ce climat musical louisianais… »
Tom chante, joue de la guitare et de l’harmonica. Or, en général, un harmoniciste est disciple d’un maître du jazz ou du blues. Tom avoue : « J’aime beaucoup le blues. Et ma référence est Little Walker. On va également se produire au festival de Peer, cette année. Pour y jouer du blues. Une majorité de compos de blues… »