C’est dans le cadre des Francoflies de Spa que Marie Warnant a eu la gentillesse de nous accorder cette interview. Soit ce 18 juillet 2014. Avant de se produire en concert. Notre entrevue se déroule à la cafétéria de l'Hôtel Radisson Blu Palace. L’artiste namuroise vient de publier son troisième opus, « Nyxtape » ; un disque dont elle partage l’écriture avec le bassiste d’Arsenal et d’Arno, Mirko Banovic. Mais pourquoi donc l’avoir intitulé « Nyxtape » ?
Marie : sur la pochette de l’album, on remarque la présence d’un chat qui a une drôle de tête : il a trois yeux et deux queues. 2 et 3, ce sont des chiffres importants pour moi. J'ai eu un frère jumeau. Parfois, je ne comprends pas comment on peut pleurer devant une émission de téléréalité et la détester en même temps. Il existe donc un côté doux et un autre très fort dans ma personnalité. Je peux tour à tour manifester ma joie ou ma mélancolie. Je peux me montrer audacieuse ou très réservée. Cette dualité, je l’assume et je l’aime bien aussi. J'ai besoin de travailler en duo. En compagnie de Mirko Banovic, par exemple ; même si j'écris des chansons toute seule. Ce sont les conséquences de mon passé, de mon histoire, et notamment parce que j’ai j'ai partagé le ventre de ma mère avec un frère jumeau. Je m’y retrouve, mais j'avais envie de dépasser cette dualité. De disposer d’un troisième oeil qui me conduit non pas de « Un à Dix » ou vers « Ritournelle », soit mes histoires de famille, mes joies et mes deuils, mais vers mon futur. Regarder droit devant moi et ouvrir une nouvelle page. C’est ce que symbolise le troisième œil de ce chat. Un chat un peu bizarre qui s'appelle Nyx. En réalité il s’agit de celui de mon graphiste, Sacha. Mais Nyx est également la déesse de la nuit dans la mythologie grecque. Quand j'ai vu ce chat et que j'ai entendu prononcer son nom, j’ai été interpellé. Il existe un aspect félin dans ma façon de vivre. J'aime beaucoup la nuit. Mes compos je les ai écrites en nocturne. Au calme, quand Bruxelles s'endort ou lorsque tout est paisible. ‘Tape’ se réfère aux K7 que j'utilise en live. Des K7 audio que je mixe pour créer un tapis sonore. 'Nyxtape' est un terme également très proche de 'Mix tape'. A l'époque, je réalisais beaucoup de 'mixtapes', soit des compiles de mes chansons préférées que je mettais sur une K7 audio. Je les j'écoutais en boucle et les rembobinais à l’aide un crayon. Bref, j’ai voulu adresser un petit clin d’œil, en même temps, à cette époque-là, à mon côté double, au chat et à la nuit.
Quand as-tu rencontré Mirko Banovic ?
Marie : Lors de la tournée destinée à promouvoir mon second album. Il m'avait accompagné. Nous nous étions produits aux Francos, sous le chapiteau. Mon batteur actuel participait déjà à l’aventure. On avait déjà partagé quelques dates dans le cadre de « Ritournelle ». On s'est ensuite revus lors d'un hommage à Gainsbourg d'abord, puis à Moustaki. Nous en avions déduit que nous partagions des sensibilités artistiques plutôt compatibles. Et on s’est promis de tenter une petite collaboration ensemble. D’abord pour un titre. Et au fil du temps, on a conclu qu’on pourrait aller au bout d’un album. De fil en aiguille, nous avons partagé la composition, l'arrangement et la réalisation. Ce disque on l’a réalisé à deux. Il m'a beaucoup aidé à progresser et a enrichi ma culture musicale. Il m’a fait écouter des tas de trucs qui ne collaient pas spécialement à ma musique. Il voyait des synergies où moi forcément je n'en voyais pas. C’est quelqu'un qui multiplie les projets aussi bien ambitieux que modestes. Un type passionné et généreux. Il ne se borne pas à ta notoriété pour entamer une collaboration. Que ce soit Arno, Arsenal, X, Y ou Z, son implication est identique…
D’une certaine manière, tu te lances dans l’expérimentation…
Marie : Est-ce vraiment de l'expérimentation ? Il est vrai que j’aime prendre des risques et aller vers l'inconnu. Mais tant que je peux me baser sur des acquis. J'ai réalisé mes deux premiers albums en compagnie de Vincent Liben, le guitariste de Mud Flow. Je pense que notre coopération commençait à s’essouffler et perdait de sa fraîcheur. J’ignore si c’est l’expérimentation que je recherche, mais plonger dans l'inconnu, c’est une volonté. Dans l'inconnu, je vais au-delà de mes limites et je prends de l’envergure. C'est un peu comme dans le monde du tennis, quand tu joues contre un adversaire plus fort que toi, tu deviens plus fort. C’est le fruit de ton expérimentation personnelle. Bien sûr, je déteste les productions lisses et passe-partout. Je privilégie l'originalité. Mais ce n’est pas toujours fructueux, car il faut que le public puisse accrocher. Cependant, être différente, me plaît…
Tu collabores encore avec Vincent Liben ?
Marie : Non, plus pour l’instant. Nous avons eu Vincent et moi une coopération aussi bien artistique qu’amicale. Il est resté un ami. Mais j'avais besoin de me renouveler. Quand j'ai rencontré Vincent pour enregistrer mon premier album, il militait chez Mud Flow. Sa musique baignait dans une ambiance très rock'n'roll. Progressivement, il s’est converti à la chanson française (NDLR : il a depuis remonté Mud Flow !). J’y étais déjà et je souhaitais explorer un créneau plus alternatif. Donc nous ne pouvions plus nous apporter grand-chose. Mais vu son talent, je pense que Vincent m'écrira encore des chansons.
Hormis Mirko, quels sont les musiciens qui t'ont suivi dans l'aventure ?
Marie : D’abord Laurens Smagghe. Il a pas mal bossé pour Sharko et Sioen. Il a rejoint Arno maintenant. Puis Tom Goethals, l’ex-guitariste du groupe gantois Barbie Bangkok, une formation très électrique. Pour le son, j’ai retrouvé mon vieil ami Erwin Autrique qui avait mis en forme mon second album. On s'est retrouvé pour deux titres avant de finaliser le disque. Et il était presque terminé, lorsque Mirko et moi avons adapté un titre de Tom Jobim que j’appréciais beaucoup. Un dernier petit cadeau avant de passer à la gravure. En tournée, gravite pas mal de monde, qui ne monte pas nécessairement sur les planches. Dont l’ingé-son. Son rôle est essentiel. Aussi bien pour les musiciens que lorsque je me produis seule en ‘live’. J’ai conservé une formule en solitaire ; mais j’ai quand même besoin de mon technicien. C'est une petite famille.
Une artiste francophone qui récolte du succès en Flandre, ce n’est pas fréquent ?
Marie : En fait, c’est parce qu’en Flandre, on ne m’a pas enfermé dans un tiroir. Je débarque en affichant une certaine fraîcheur. Je joue en compagnie de musiciens flamands. La sonorité de ma musique est plus proche de ce qu’on écoute dans le Nord du pays, que de la chanson française au sens le plus strict du terme. Certaines personnes cultivent des apriorismes. Surtout à partir du moment où tu sors un troisième album. Et vous snobent. D’autres sont plus ouvertes, et font l’effort de vous écouter. De vous diffuser. J’ai pris le risque de me renouveler. Et on ne prend même pas la peine de le vérifier. Ce n’est pas très juste. Pourquoi mes chansons passent-elle plus souvent sur les radios néerlandophones que francophones ? C’est parce qu’en Flandre, on évalue la Marie Warnant actuelle, pas celle vue et entendue il y a 10 ans, en formule acoustique. Il existe une véritable ouverture d'esprit dans le Nord du pays.
Compliqué la vie d'artiste, en Belgique…
Qu’as-tu privilégié sur ce troisième opus, la musique ou les textes
Marie : Plutôt la musique. J'ai terminé la tournée « Ritournelle » en acoustique. J'étais assise pour gratter ma sèche. Et je rêvais être debout armé d’une guitare électrique. J'ai pensé d'abord à la scène. Mais surtout Mirko. Il y privilégie d’ailleurs le groove. Mais ce n’était pas une mince affaire de coller des textes en français sur ce style musical. En anglais, on peut chanter, à peu de choses près, la même phrase pendant trois minutes et demie. Et le texte est cohérent. Si je dis : ‘It's Raining Again’. Ok, ça sonne bien. Mais répéter ‘Il pleut, il pleut, il pleut’ ne tient pas la route. En tous cas, j'avais toujours les mélodies en tête. Puis il y a fallu mettre les textes. Certains sont nés assez rapidement. Pour d’autres, l’inspiration s’est révélée plus laborieuse…
Finalement « Nyxtape », c’est une exploration de la mythologie grecque ou une projection dans le futur ?
Marie : Je dirais plutôt un voyage vers le futur. La mythologie grecque se limite au chat et à la déesse de la nuit... Mon tempérament est tourné vers l'avant et le troisième oeil de ce chat regarde bien devant lui. Ni à gauche, ni à droite, ni derrière. Et pour la suite, j’en ai déjà prévu un quatrième…
Donc, tu as d'autres projets en chantier.
Marie : Oui, effectivement. Un duo en compagnie d’Akro (NDR : un ex-Starflam) qui m'a invité lors des sessions de son nouvel album. Il paraîtra en mars 2015 et sera canon. Il m’a proposé d’interpréter un hymne qui rend hommage aux femmes ; et je suis très honorée d’avoir participé à une plage de son futur cd. C’est un fameux personnage ; et j’ai été ravie de le rencontrer…
As-tu encore le temps d’écouter les disques d’autres artistes ? Si oui, quels sont ceux qui t’ont le plus influencé ?
Marie : Avant de rentrer en studio, j’ai beaucoup écouté Arto Lindsay. Moins de chanson française, comme avant d’enregistrer « Ritournelle ». J’écoute de la musique un peu barrée. Pas toujours immédiate et rarement commerciale. Je suis fan de David Byrne. Quand on entre la première fois dans son univers, on ressent une impression un peu bizarre. Mais dès que tu y pénètres, tu y restes. Je pense que je me retrouve un peu dans sa philosophie. Lorsque tu plonges dans mon album, tant la première que la seconde fois, tu es un peu surpris. C’est un peu comme lors de ton premier baiser. Ce n'est pas toujours canon. Il faut prendre son temps… David Byrne a apporté sa collaboration à Anne Clark et Saint-Vincent, une guitariste exceptionnelle. Damon Albarn est aussi quelqu’un que je respecte. Outre Blur et son projet solo, il a apporté son concours à de multiples artistes, dont Bobby Womack. Je suis fasciné par ce type de personnage qui ne s’enferme pas dans un carcan, refuse qu’on l’y enferme, voyage et développe des projets en compagnie de blacks ou d'autres ethnies. Pour moi, c'est une véritable liberté artistique. Toucher le public et lui plaire par cette création authentique.
Quel est le dernier concert auquel tu as assisté qui t’as le plus marqué ?
Marie : Celui de David Byrne et Saint-Vincent. C’était au Bozar de Bruxelles. Un concert à la fois classe et très chic. Sinon, lorsque Timber Timbre s’est produit dans le cadre des Ardentes. Un spectacle énorme et sexy. C'est un crooner. J'ai beaucoup écouté son disque, mais j’ignorais à quoi il ressemblait. Je n’avais pas encore mis de visage sur son nom. Et j’ai été très étonné de le découvrir en chair et en os. J’imaginais Taylor Kirk, de couleur noire. J’adore leur musique. Mais de nouveau, elle n’est pas immédiate. Il faut un certain temps avant qu’elle vous ne vous apprivoise…
Pour terminer cette interview, on aimerait connaître les trois albums que tu considères comme essentiels ?
Marie : Tout d’abord « Everyday Robots » de Damon Albarn. Ensuite le « The Bravest Man In The Universe » de Bobby Womack. Il est fabuleux. Enfin, une œuvre de Frank Sinatra ou de Nate King Cole, parce qu’elles sont classiques et intemporelles. Et surtout empreintes de romantisme. Or, je suis très sensible au romantisme…