The Chills est une formation néo-zélandaise qui a participé activement à l’épanouissement de la scène pop/rock de Dunedin, incarnée par le label Flying Nun. A l’instar de The Clean, JPS Experience, Tall Dwarfs, The Bats, Able Tasmans et consorts… The Chills c’est avant tout Martin Phillipps qui drive la formation depuis 34 longues années, même si son aventure a été marquée par quelques interruptions. Et il doit avoir consommé plus d’une vingtaine de ‘line up’ depuis la naissance de son band. En 2013, il avait gravé un elpee live, « Somewhere beautiful ». Car son dernier opus studio, « Sunburnt », remonte déjà à 1996. Depuis, le band n’a sorti que des Eps, des compiles et des singles, dont « Molten gold », l’an dernier. Et bonne surprise, il va publier un véritable nouvel album, pour fin 2014, début 2015. Dans le cadre du festival Boomtown, le quintet nous a réservé cinq chansons écrites récemment, en ‘live’. Martin nous en parle…
« Nous venons de terminer l’enregistrement de l’album, juste avant d’entamer la tournée. Et quand elle sera achevée, on va s’occuper de la promo. Il devrait paraître vers la Noël. Ou au plus tard, début de l’an prochain. Il s’intitulera ‘Silver Bullets’ et synthétise un peu tout ce que les Chills ont réalisé à ce jour. Et nous en sommes fiers… »
Les Chills on connu, au cours de leur histoire, une succession impressionnante de line up. Alors pourquoi ne pas penser à écrire un bouquin sur ce parcours ? Martin tempère : « Je signale quand même que le bassiste et le batteur participent à l’aventure depuis 1999. Qu’Erica nous a rejoints, il y a 9 ans, et Oli, le claviériste, en 2008. En fait, c’est le premier chapitre de l’histoire des Chills qui a vu transiter bon nombre de musiciens. Et la plupart de ceux qui nous ont quittés ne pouvaient pas faire carrière dans ce métier. Il n’y a jamais eu ni friction, ni colère. Ils sont souvent partis de leur plein gré, et à mon grand regret. »
Quand on parle de Chills, on ne peut évidemment pas passer sous silence le label néo-zélandais Flying Nun. Une écurie qui a donné naissance à The Clean, The Bats, Tall Dwarfs, JPS Experience, Able Tasmans, les Verlaines, David Kilgour et encore bien d’autres. Un label indépendant qui était finalement plutôt bien distribué en Europe, et notamment via Semaphore aux Pays-bas, jusque le moitié des 90’s. Et quand ces distributeurs on fermé boutique, le Vieux Continent a été sevré de cette scène antipodale. Notre interlocuteur confirme : « Entre 87 et 90, nous nous étions établis à Londres. Et c’est vrai que Flying Nun disposait de plusieurs excellents relais en Europe. Pas des grosses boîtes, mais surtout de petites structures efficaces. Hitch-Hyke Records en Grèce, Rough Trade en Angleterre, etc. Les ventes n’étaient pas exceptionnelles, mais honnêtes. La disparition de tous ces petits satellites a coïncidé avec un certain essoufflement de la scène néo-zélandaise. Aujourd’hui, Flying Nun a repris du poil de la bête. Et héberge à nouveau de très bons groupes et artistes… » J’en profite pour lui parler de Connan Mockasin, qui m’avait avoué ne pas connaître la scène de Dunedin. Il embraie : « Je suis aujourd’hui âgé de 51 ans ; et vu l’explosion de la scène musicale, je ne parviens plus à suivre. Et en Nouvelle-Zélande, cette vague est aussi conséquente. La plupart des groupes ou artistes n’ont même pas besoin de label, puisqu’ils traitent tout par Internet. Ils s’adressent directement à leurs fans. Cependant, Flying Nun jouit toujours d’une fameuse réputation. Et pas mal de monde leur font confiance. J’en suis ravi… Connan Mockasin, je ne le connais pas personnellement, mais deux membres de mon band, bien. En fait, l’histoire de la musique pop et rock n’intéresse plus beaucoup les jeunes. Ils ont grandi dans un monde où on entend de la musique éphémère. Ceux qui signent chez Flying Nun apprécient plutôt celle qui est authentique, intemporelle. Ils la respectent également. Et ne se contentent pas de la reproduire… » Pour en revenir à Flying Nun, une des causes principales de son succès serait dû aux femmes. Ce qui méritait des éclaircissements. « Chez Flying Nun, toutes les formations devaient impliquer au moins une fille. Et à cette époque, c’était quand même un phénomène particulier. Oui bien sûr, Patti Smith, Kim Gordon (NDR : la chanteuse/bassiste de feu Sonic Youth) et quelques autres étaient devenues des icônes du rock. Des situations que ces artistes féminines estimaient normales. Mais elles ne réalisaient pas que dans d’autres parties du monde, ce n’était pas du tout considéré comme normal… »
On a souvent établi un parallèle entre la scène de Dunedin et celle dite ‘postcard’ (Orange Juice, Aztec Camera, The Pastels, Joseph K, et même les Go-Betweens, un duo australien émigré en Ecosse). Comment expliquer ce phénomène ? Martin clarifie : « Cette synchronisation de mouvements identiques qui naissent à des endroits opposés de la planète est dû à l’essoufflement du post punk. Il fallait trouver une alternative, un nouvel élan. Roger Shepherd, le fondateur de Flying Nun était un grand fan de postcard. Et un des premiers singles paru sur son écurie est un disque de postcard. Il y en a même eu plusieurs. Donc il est en quelque sorte le détonateur de cette situation. Même les artistes adoptaient un look similaire. C’est dire ! »
Les Go-Betweens et les Chills étaient très proches. Tant musicalement qu’humainement. Martin acquiesce : « J’aimais beaucoup leur musique. Elle était excellente. On a souvent joué à la même affiche. C’était de bons amis. Nous étions assez proches. Grant (NDR : McLennan est décédé en 2006) me manque beaucoup. C’est une histoire triste. Ils bossaient énormément. Il ne collaient pas à la mode, mais cherchaient à composer de bonnes chansons. Et les deux groupes manifestaient énormément de respect l’un vis-à-vis de l’autre… »
Martin a un jour affirmé que la mélancolie était au cœur de sa création, qu’elle reflétait l’environnement de la Nouvelle-Zélande. S’il était né en Australie, aurait-elle été différente ? Il réagit : « Enormément. Il y a plus ou moins 3 000 km entre les deux terres. Et les mentalités y sont très différentes. D’une certaine manière on pourrait affirmer que la Nouvelle-Zélande est plus européenne et l’Australie plus américaine. Le peuple indigène, constitué de Maoris, n’a jamais été sous le joug de la colonisation britannique. Cette culture est demeurée très importante. En Australie, les aborigènes ont été pratiquement tous assimilés. Et la civilisation indigène a pratiquement disparue. Chez nous, nous avons conservé une grande proximité avec le peuple Maori. L’art de planter, par exemple. » Martin a pourtant vécu quelque temps en Australie. « J’y suis allé souvent. Pour la simple et bonne raison qu’on y gagne mieux sa vie. Tu as de meilleures perspectives d’avenir. Mais le racisme est omniprésent. Pire qu’en Afrique du Sud. »
Le Velvet Underground, Wire et les Beach Boys seraient, selon certains médias, les références majeures des Chills. Un journaliste a même écrit que Martin était le Brian Wilson du post punk. Ce qui fait sourire notre interlocuteur. « Il ne faut pas exagérer quand même. Je suis bien un fan de Brian Wilson. Mes bases musicales sont très rudimentaires, pour ne pas dire pauvres. Je suis seulement apte à interpréter mes morceaux pour les maintenir à flots. Lui, il avait la musique dans la tête. Il était capable de créer des harmonies, des mélodies et des structures renversantes, étranges, au sein d’une même chanson. Pense à ‘Good vibration’, ‘Cabin essence’ ou ‘Heroes and Villains’. Et je remercie Brian Wilson pour tout ce qu’il a fait, mais je n’arrive pas à sa cheville… » En ce qui concerne Wire, je lui signale que sur son plus gros hit ‘Pink Frost’, j’y ressens une même sensibilité mélodique que sur ‘The 15th’, et que le quatuor londonien avait intitulé son premier elpee ‘Pink Flag’, devenu depuis le nom de leur label. Bref, pas mal de concordances… « C’est une coïncidence. Je n’écoute pas Wire. Je connais seulement leur chanson ‘I’m the fly’. A cette époque, je découvrais le psychédélisme garage issu des sixties. Scott Walker. Tim Buckley, le Velvet Underground, MC5… Pas vraiment la musique britannique. Ce n’est que plus tard que je m’y suis intéressée, mais pas au début des 80’s. Par contre, un des courants importants qui m’a marqué est certainement le krautrock de Can, Kraftwerk et Amon Düül 2. Pas que j’ai essayé de les copier, mais ils ont eu une influence sur mon écriture. Le but n’était pas de sonner comme eux, mais d’y puiser des sources. C’est beaucoup plus sain. Avant de trouver sa propre voie… »
Il considère Kris Knox comme un maître. Et il le reconnaît : « Oui, il incarne la plus grande inspiration dans ma vie. Il y a longtemps que je me soucie de savoir ce qu’il pense de moi. Comme si c’était mon père. Pour l’instant, il n’est pas en bonne santé. Il a été victime d’une attaque cérébrale. Il ne peut plus parler, mais son cerveau fonctionne encore. Il fait encore de la musique, mais il ne s’exprime plus très bien. Il hurle. C’est très douloureux de l’entendre… » Martin a également vécu de graves problèmes de santé. Il est atteint de l’hépatite C. « Heureusement, depuis quelques années, mon état de santé s’améliore. Bien sûr, à court terme, j’ignore comment cette pathologie va évoluer ; mais pour l’instant, l’important est de se sentir bien pour sa tournée… »
The Chills est aujourd’hui considéré comme un groupe culte. Et des tas de formations, dont les Shins, Panda Bear, I’m Barcelona ou John & Bjorn, ont repris certains de leurs titres. Martin réagit instantanément : « Non, non, je ne veux pas faire l’objet d’une vénération. Nous sommes arrivés, tout simplement, au bon endroit, au bon moment. Les fans des Chills sont des gens sympas. Et il en existe pas mal autour du monde. Ce nombre ne cesse, en outre, de croître. Certaines personnes de mon âge ont grandi avec notre musique ; et ils viennent assister à nos concerts. Mais on y rencontre également bon nombre de jeunes. Dont les parents écoutaient notre musique. Ou qui l’ont découverte à travers d’autres groupes. Il était donc judicieux de revenir en Europe pour constater l’évolution de notre popularité. Et manifestement on est sur la bonne voie. Elle décolle à nouveau… Pas mal de formations ont repris nos chansons ; et c’est un signe qu’on revient dans le parcours. Fin des nineties, je sentais que le groupe périclitait ; mais la tendance s’est depuis inversée. Beaucoup d’artistes écoutent de nouveau les Chills et nous remercient. John & Bjorn ont adapté deux de nos compos. C’est épatant. Car manifestement, de nouvelles oreilles sont attentives à notre musique… »
Merci à Vincent Devos