Perdre un enfant est une épreuve douloureuse. Peter en sait quelque chose, lui dont le fils est décédé en 1999, alors qu’il n’avait pas encore 4 ans. Quelque part, quand on partage de semblables épreuves, on ne tient pas trop, par pudeur ou pour ne pas trop la faire peser aux autres, à les ressasser. Mais ces souffrances ne s’effacent jamais. Elles se cicatrisent. Au bout d’un temps certain. La meilleure thérapie c’est d’essayer de se reconstruire, en se (re)créant ou en se (re)fixant des objectifs. S’immerger dans une passion, par exemple. Pas pour oublier, mais pour vivre… ou survivre. Et Peter Walsh a recommencé à faire ce qu’il affectionne le plus : écrire des chansons. Mais il lui a fallu plusieurs années pour remonter la pente. Ainsi entre le remarquable « No song, no spell, no madrigal », son dernier opus (NDR : il est paru en 2015, voir chronique ici) et « Apart », se sont écoulées 17 longues années. Entre-temps, il a bien publié un single et un Ep, mais le reste s’est limité à la sortie de compilations. Ce dernier long playing, il l’a d’ailleurs dédié à son fils disparu. Et quelques chansons reviennent sur cet épisode douloureux. Il s’agit probablement également d’une forme de thérapie. D’ailleurs l’artiste n’avait plus tellement envie de revenir à la musique. Et c’est sous l’impulsion de quelques inconditionnels issus de l’Hexagone qu’il a repris le chemin des salles de concerts, et puis surtout du studio.
The Apartments est une formation australienne née en 1978. Peter Milton Walsh en est le fondateur. Et il en est devenu le seul membre permanent. C’est son projet. Ce natif de Brisbane a cependant émigré à Londres vers la mi-eighties, passé quelque temps à New York avant de revenir vivre dans son pays natal.
Mais revenons au sujet abordé dans l’intro. Peter y est particulièrement sensible ; surtout à cause de notre vécu…
Etre dans la fleur de l’âge, et tout particulièrement ce qu’on appelle l’ouragan des Twenties est un cadeau qui permet de connaître de nouvelles expériences. La vie et l’amour sont encore devant toi ; aussi, voir disparaître un enfant à l’âge de à 24 ans est une épreuve très difficile à vivre. Nous ne sommes pas programmés pour survivre à notre progéniture. Le grand romancier texan Cormac McCarthy a écrit dans son livre ‘All the Pretty Horses’ : ‘Gustavo m’a dit que celles ou ceux qui ont vécu une grande douleur ou la perte d’un être cher, sont unis par un lien particulier ; un principe qui a été démontré. Les liens les plus étroits que nous connaîtrons jamais sont ceux de la peine. La communauté la plus profonde de la douleur…’
Ton album « The Evening Visits… and Stays for Years » a été réédité l'année dernière. Et il inclut quelques bonus tracks. Était-ce ta volonté de les inclure ? Ou était-ce simplement une opération de marketing ?
Mike Sniper, le patron de Captured Tracks, insistait depuis près de trois ans pour que je réédite « The Evening Visits... » Je ne connaissais pas ce label, mais quand j’en ai causé à une amie, elle m’a indiqué que c’était le plus branché dans le milieu (NDR : Hippest label around) Et je lui ai rétorqué que c’était probablement les trois mots que je considérais comme les plus déprimants de la langue anglaise. Mais je ne me suis pas laissé abattre pour autant. En fait, je n’avais jamais pensé à opérer ce lifting, jusqu’à ce que cette firme me contacte. Mais si vous proposez une œuvre intemporelle au public, vous devez lui proposer le plus d’alternatives possibles. J’ai toujours adoré les démos que j’avais réalisées pour cet album ; et peu de monde connaissait les anecdotes qui se sont tramées derrière ces sessions. Ainsi, ces chansons laissées en chantier méritaient finalement de figurer sur cette réédition ; et le résultat m’a énormément plu. En outre, Robert Forster des Go-Betweens et Steven Schayer des Chills ont rédigé les notes du booklet. Et elles sont épatantes…
Sur « Swap place » on a l’impression que tu doutes de l’existence de Dieu. Mais y crois-tu ? Y as-tu cru un jour ? Que représente Dieu pour toi ? Est-ce Dieu qui a créé l’homme ou l’homme qui a créé Dieu. La religion n’est-elle pas devenue un facteur destructeur ? Plutôt que de religion ou de foi, ne devrions-nous pas parler davantage d'amour et de lumière ? Mais crois-tu à la vie après la mort ?
Le premier titre que j'ai choisi pour « No Song, no Spell, no Madrigal » est inspiré de la vue de la chapelle que j’avais depuis la fenêtre de l’hôpital. Et dans cette chapelle, j’y ai passé de longs moments. Il y avait un cahier dans lequel les gens pouvaient écrire leurs commentaires et prières. C'était un hôpital pour enfants et plusieurs de ces implorations et prières avaient été consignées par les parents d’enfants qui étaient condamnés. Souvent, ces parents y ajoutaient leurs mots pendant des mois ; avant que les lumières de l'espoir ne s’éteignent. Les prières étaient futiles, mais elles sont devenues particulièrement bouleversantes. « Swap Places » répond à ta question et à la question qu'elle pose également.
J'ai toujours aimé insérer des questions dans mes chansons, et même utiliser ce style interrogatif dans les titres. « Could I Hide Here (A Little While) ? » (‘Est-ce que je pourrais me cacher ici, un petit moment ?’), etc. Je ne sais pas si tu connais la chanson de Blind Willie Johnson, « Soul of Man » ? Et bien elle raconte : ‘Personne ne me le dira, mais réponds si tu peux. Je veux que quelqu'un me dise simplement qu’est-ce que l'âme d'un homme ?’
J'avais écouté quelques chansons gospel qui adoptaient un style questions/réponses ; et j’ai essayé d’adopter, pour « Swap Place » et « No Song, No Spell, No Madrigal », une formule qui y ressemble. Ou comme chez les Chi-Lites. Quoi qu'il en soit, c’était simplement une aubaine d’avoir écrit le morceau maître, « No Song, No Spell, No Madrigal », un mois avant d’enregistrer l’album, parce que ce titre est bien meilleur que « A View from Hospital Windows ».
Ed Kuepper, j'ai eu l'occasion de le rencontrer à deux reprises. Un artiste que j'apprécie beaucoup, même si aujourd'hui il est devenu un membre des Bad Seeds. Penses-tu qu’il a fait le bon choix ? Financièrement, certainement. Mais artistiquement ?
J'aime les Bad Seeds. Je pense que l’association entre Warren et Nick –Nick a toujours été un partenaire idéal– constitue une combinaison classique dans l’écriture. Et à chaque fois, ses interprétations sont profondément engagées. Peu importe si vous ne comprenez pas ce qu’il raconte, il s’exprime dans une langue universelle.
The Apartments est considéré comme un groupe qui joue de la pop de chambre. Un peu comme The Divine Comedy. Cette comparaison te semble-t-elle judicieuse ?
Je ne connais pas suffisamment The Divine Comedy, comme je le devrais. J’accepte l’idée que mon œuvre soit taxée de pop de chambre. C’est assez précis. J’ai toujours aimé les cordes et les cuivres ; et je les aimerais jusque mon dernier souffle. Comme tu le sais, la musique est faite de cycles ; et il faut avouer que j’adore la manière dont Dan Bejar (NDR : Destroyer, The New Pornographers) et Cass McCombs abordent les cordes pour reconstruire leur propre identité.
Certains médias ont décrit ta voix comme le chaînon manquant entre Peter Perrett et Edwyn Collins. Est-ce que ce commentaire te fait sourire ou te flatte ?
J’aime ces deux personnages personnellement et leur œuvre aussi. Pas sûr cependant que la comparaison tienne la route…
Tu as enregistré « No Song, No Spell, No Madrigal » au sein du studio de Wayne Connolly, le studio personnel d'AC/DC. Tu n’as pas flippé en voyant un tel matos ? Les sessions se sont-elles déroulées sans accroc ? De quoi causiez-vous lorsque vous n’enregistriez pas ?
Wayne était absolument la personne adéquate pour travailler et je dois remercier mon épouse qui m’a rappelé que Wayne m’avait aidé quand je recherchais un guitariste afin de partir en tournée à travers l’Europe, en 2012. C’est à partir de ce moment que nous avons fait plus ample connaissance. Je doute que l’album ait pu se réaliser sans lui. L’‘Alberts’, c’est juste le studio au sein duquel il bossait ; et bien que mon choix puisse choquer, je n’ai jamais eu l’intention de sonner comme AC/DC.
Tu as déclaré un jour : ‘Je crois au souvenir comme une manière d’honorer la mémoire de ceux qu’on a perdus’. Pour toi, il n’y a pas de bons souvenirs ?
Rilke a dit : ‘Peut-être que créer quelque chose n’est rien d’autre qu’un acte de souvenir profond’ ; et peut-être avait-il raison. Quand je lis mes textes, ils devraient être, par certains côtés, un fleuve de mémoire ; mais alors je les lis comme un étranger en pensant ‘Quelqu’un a écrit ces chansons… c’est quelqu’un qui me ressemblait. Où est-il maintenant ? Il est parti.’
Tu as aussi déclaré : le sens des chansons, c’est que les gens y perçoivent leur propre vie. Est-ce une ligne directrice dans ton écriture ?
Ce que je veux dire, c’est : peu importe qui les a écrites, même si elles comptent plus d’une centaine d’années. Les gens se reflètent dans les miennes et me confient cette impression au fil du temps. Ainsi, je disparais de la chanson.
D’après ce que j’ai pu lire, Scott Walker, Dusty Springfield et Bob Dylan constituent quelque part des références incontournables pour toi. Les as-tu rencontrés, un jour ? Ou ne souhaites-tu pas les croiser pour ne pas briser le mythe ?
Je n'ai jamais rencontré une idole. Dusty, j’aurais bien aimé ; mais franchement, je ne ressens aucun besoin de les croiser. Les connaître pour leur œuvre, me paraît plus que suffisant et parfois, il est préférable de s’arrêter là. Truffaut répétait qu'il préférait être connu par son travail que pour lui-même ; et je le comprends. Je me rappelle à quel point j’ai été déçu d’apprendre que Bob Dylan, lors du mariage de son frère, s'était entretenu avec quelques invités pour parler de son portefeuille d'actions. Et ensuite j'ai lu comment lui et Harry Dean Stanton avaient fait du jogging sur le plateau de ‘Pat Garrett et Billy the Kid’. Entre les investissements et le jogging, et bien c’était juste le TMI (NDR : TMI = Too Much Information).
Tu as également déclaré : ‘Le chaos menace quand l'amour apparaît. Tu ne crois pas à l'amour ? Même universel ?
Non, je n’ai jamais fait cette déclaration. Je n'ai rien contre le chaos, il m’a appris beaucoup. En outre, l'amour est souvent chaos et parfois c'est juste le chaos le plus beau. Quelquefois, des chanteurs plus jeunes sollicitent mon avis ; et je considère que je suis probablement la personne la moins qualifiée pour obtenir n’importe quel conseil. Je leur dis toujours : ‘Tombe amoureux, de préférence en faisant le mauvais choix. Ce sont des expériences dont on a davantage besoin’.
À une certaine époque, on a décrit les Go-Betweens comme le jour et The Apartments comme la nuit. Ne penses-tu pas qu’on pourrait écrire une fable sur la colombe et le hibou.
Mais alors, qui serait le hibou sage ?
Leur attitude au sage enseigne
Qu'il faut en ce monde qu'il craigne
Le tumulte et le mouvement.
(‘Les Hiboux’, Charles Baudelaire)
Merci à Vincent Devos et à Louise (Microcultures) pour sa persévérance.
(Photos : Anastasia Konstantelos 2015)