‘Napalm Death’ : deux mots qui claquent de manière brutale. Cependant, au fil de ces trente-cinq dernières années, ils se sont vus attribuer, dans le monde du Metal, le symbole d’un groupe reconnu, respecté et admiré par un grand nombre pour ses explorations sonores, le plus souvent au sein des marges les plus violentes, sous les étendards punk-hardcoriens du Grindcore. Un style musical dont les Britanniques sont par ailleurs considérés comme les pères fondateurs. Rencontre avec un des leurs, le vocaliste Mark ‘Barney’ Greenway, pour aborder l’actualité du band, mais également la facette engagée de l’artiste.
Quelques badauds sont adossés sur la devanture de la salle mythique bruxelloise du Magasin 4, en attendant que le hangar ouvre ses portes. Le tour manager m’invite à y pénétrer et me demande de patienter près du comptoir d’entrée. Quelques minutes plus tard, la porte s’ouvre et, dans l’embrasure, apparaît Mark Greenway, mieux connu dans le milieu sous le pseudo de ‘Barney’. Et surtout, comme chanteur emblématique de Napalm Death, groupe de Grindcore qui impacte les esprits depuis plus de trois décennies. Il me fait signe de le rejoindre. J’entre donc à mon tour dans la pièce où sont installés, au centre, deux vieux canapés recouverts de couvertures. Le reste de la pièce est occupé par des lits ; certainement un endroit où se reposent les groupes avant de monter sur les planches. La lumière est plus que tamisée, mais petit à petit, je m’acclimate à la pénombre. Barney s’assied en face de votre serviteur. Il a presque la cinquantaine, mais en paraît 10 de moins. Il est vêtu d’un vieux t-shirt de couleur bleue et d’un pantalon noir. Ses cheveux sont quelque peu en désordre. Le genre de gars qu’on pourrait croiser en rue sans se retourner, et surtout sans jamais penser qu’il a tant influencé la scène musicale marquée du Triton.
Napalm Death appartient à cette catégorie de formations qui ne chôment pas ; il a ainsi publié dix-neuf elpees studio en trente-cinq ans d’existence. Le dernier en date, ‘Apex Predator – Easy Meat’, unanimement acclamé par la critique, est paru il y a un peu moins de deux ans. Les Britanniques auraient-ils quelque chose de neuf sous le coude à proposer ? « Non, mais on en parle… », explique Barney. « Encore rien de vraiment tangible : pas encore de répétitions ni de dates de studio. On en est juste au stade du bla bla ». Mais le nœud du problème, c’est surtout l’absence, depuis fin 2014, de Mitch Harris, le guitariste ? Il a pris ses distances pour des raisons familiales (NDR : depuis lors, il a été remplacé par celui de Corrupt Moral Altar, John Cooke). « Cette absence nous complique quand même l’existence » admet-il. « On ne sait pas encore vraiment comment on va résoudre le problème. On sait que les gens nous attendent, mais voilà… », poursuit-il, pensif.
Une absence, certes handicapante, mais qui n’en est pas encore à menacer la survie du combo. La recette miracle ? « Nous aimons toujours ce que nous faisons. Tout simplement ! C’est important, surtout après tant d’années. Je connais d’autres formations qui sont également sur la route depuis aussi longtemps, mais ne sont plus impliquées comme elles devraient l’être. Je ne veux absolument pas vivre une telle situation. J’aime vraiment ce projet. J’aime ce que nous abordons et l’autonomie que nous avons, progressivement, acquise… » Le quatuor serait donc prêt à rempiler pour les vingt prochaines années ? Cette question, l’artiste préfère ne pas se la poser et appréhender le futur en des termes plus courts. « Tu sais, chaque fois qu’on réalise un nouvel album, et surtout maintenant, c’est un peu comme si on arrivait à une fin. Pendant le processus d’écriture et d’enregistrement, on ne peut s’empêcher de penser que ce sera peut-être le dernier et qu’il doit donc nécessairement être le meilleur possible. Ce genre de questionnement peut faire peur, mais pour nous c’est le genre de truc qui nous motive », soutient Barney.
Mais ce n’est pas parce que la longévité de Napalm Death pourrait en faire pâlir plus d’un qu’il ne fréquente plus que les arènes et les stades. Loin de là. Le vocaliste reste à ce sujet très modeste : « Il n’a jamais été question de bétonner un plan de carrière et de miser uniquement sur de grosses dates. Notre motivation est dictée par ceux qui se bougent pour venir nous voir. Et peu importe si elles sont plus petites… » Il s’arrête, réfléchit, avant de reprendre : « Et puis, tu sais, je ne me fais pas d’illusion : Napalm Death a toujours été un noisy fucking band. Il faut être réaliste, on n’est absolument pas taillé pour jouer dans des amphithéâtres ! Je ne voudrais, au final, pas militer au sein d’un groupe plus grand… et qui finirait, d’une façon ou d’une autre, par disparaître dans l’espace de ses propres attentes… »
L’histoire de la musique a de plus déjà démontré que les stades n’étaient pas toujours remplis par les groupes les plus talentueux. Par contre, ce dont Napalm Death peut se targuer, c’est d’avoir acquis une solide notoriété dans le milieu ; ce dernier lui attribuant notamment la paternité du Grindcore. « C’est évidemment sympa à entendre », dit-il en souriant, « Mais ce n’est pas un compliment sur lequel on se repose. Si on veut rester bon, on doit continuer d’évoluer. Par exemple, en enregistrant des albums qui rencontrent nos aspirations. Mais tout en ne perdant pas de vue ce qui représente l’essence même du band. La musique de Napalm Death est avant tout du rentre-dedans très rapide. On a toujours refusé de se reposer uniquement sur notre réputation, on doit être proactif ! », explique-t-il avec entrain. Du rentre-dedans très rapide, quatre mots qui ne pourraient pas mieux coller au style de la formation. Mais quelle définition le parrain du Grind donne-t-il au mot ‘extrême’ ? « C’est large… très large ! Au niveau musical, ce terme peut se traduire par une volonté de ne pas se conformer, de ne pas rentrer dans les standards de la production. En règle générale, le monde de la musique dicte ce qui doit être ‘adéquat’, selon ses propres critères. Mais le spectre sonore est si important, si large, qu’il est nécessaire de pouvoir tout exploiter, en ce y compris les parties rarement explorées. Si lors de sessions, tu es derrière le desk et tu vois que ça crache… que ça crache délibérément… et que le producteur te dit : mais bon sang, qu’est ce que tu fous ?! C’est qu’on est dans le bon, c’est à ce moment-là que nous devenons extrêmes ! », raconte-t-il en rigolant.
Mais hormis la musique, Barney est également un personnage très engagé. Il n’est pas rare qu’il exprime ses opinions, que ce soit à propos de la misère rencontrée quotidiennement par les réfugiés, de la séparation indispensable entre l’Etat et les institutions religieuses, du droit des animaux ou encore à travers ses coups de gueule qui dénoncent l’occupation des territoires palestiniens. « Perso, j’estime que la politique, c’est d’abord comment se comporter en tant que femme ou homme et tenter de percevoir ce que fait actuellement l’humanité. Je grossis le trait, mais c’est aussi comprendre pourquoi un individu qui appartient à tel camp ou vit d’un côté ou l’autre de l’océan n’a plus le droit d’être appelé ‘être humain’. Même si je sais que c’est enraciné au plus profond de l’homme d’avoir un comportement exclusif », justifie-t-il, avant de poursuivre : « A mon humble avis, je suis seulement un être humain et j’essaie simplement de faire passer quelques idées. Après, tu peux évidemment me reprocher d’être de gauche ; mais c’est vrai, et j’ai un certain background. J’ai besoin d’exprimer ce que je pense. Si, au final, on veut rendre ce monde meilleur, il faudra faire beaucoup d’efforts. A commencer par des gens ordinaires comme toi et moi, pour comprendre et tout mettre en œuvre afin de développer l’égalité entre les individus, sauvegarder la dignité et le bonheur de chacune et chacun ».
C’est également dans cet état d’esprit que Barney, en 2015, avait écrit au Président indonésien, fan du groupe (!), afin de lui demander de gracier trois Anglais condamnés à mort pour détention de drogue. Une situation dont le chanteur se souvient particulièrement bien : « Auparavant j’étais engagé dans une organisation de défense des droits de l’homme, en Australie. C’est via cette association que j’ai été informé de la menace de mort qui pesait sur la tête de trois Britanniques. Or l’un d’eux était également fan de Napalm Death. En outre, le Président d’Indonésie apprécie également notre musique… Je lui ai donc fait savoir que j’étais un opposant convaincu à la peine capitale. Et puis, j’avais ouï dire qu’il était un dirigeant réfléchi ; ce qui n’a pas toujours été le cas là-bas… J’ai donc voulu débattre avec lui des raisons du maintien de la peine de mort ; ce qui, à mes yeux, a toujours plus ressemblé à un recul de civilisation qu’autre chose… » Et même si cette interpellation n’a finalement pas permis d’annuler leur condamnation à mort, le chanteur affiche un certain optimisme : « Au moins, pour le futur, mon intervention a permis une certaine ouverture. Ce n’était malheureusement pas la première fois que j’intervenais pour abolir cette sentence. Mais je tiendrai toujours le même discours : qu’elle émane d’un État ou de n’importe quelle autre organisation, personne n’a le droit d’envoyer quelqu’un à la mort ».
Ce déni de justice, ce n’est qu’un exemple parmi tant d’autres de sources qui nourrissent continuellement les textes de Barney, chez Napalm Death. « Quand on lit nos lyrics, on pourrait parfois penser que nos paroles sont déprimantes. Mais c’est tout le contraire ! Ce qui est vraiment déprimant, c’est quand on retourne en arrière. Ce serait tellement facile de se dire : OK, je vis en Angleterre ; c’est un pays relativement calme où rien de grave ne se passe vraiment… Mais non ! Ce n’est pas ma vision des événements. » Barney met sa main sur mon épaule et se confie : « Par exemple, toi, je ne te vois pas comme un Belge, mais un être humain, en compagnie duquel je prends plaisir à parler. Pour moi, l’origine ou la nationalité sont loin d’être des facteurs prépondérants… Comme je milite au sein d’un groupe, mes idées peuvent bénéficier d’un certain écho… En fait, je me considère comme un internationaliste. »
Il s’arrête, sourit, et conclut : « Et puis, même si je ne participais pas une telle aventure, je pense que j’agirais de toute façon de la même manière ! »
(Interview réalisée à Bruxelles, au Magasin 4, le 25 septembre 2016).