C’était il y a deux ans, dans une review consacrée au festival Pukkelpop. Votre serviteur écrivait ceci: ‘La dernière journée du Pukkelpop commence en douceur par The Bony King Of Nowhere. Derrière cet étrange nom, se profile le jeune Gantois Bram Vanparys, grande promesse qui s’est révélée au public lors d’un concert de Devendra Banhart. Le jeune homme est ainsi sorti d’un relatif anonymat. Par la suite, il a remporté un concours rock (De Beloften), joué à l’occasion des défricheuses soirées Rock&Brol et figure à l’affiche du prestigieux festival Domino à l’Ancienne Belgique. Et croyez-nous, ce garçon ne va pas s’arrêter en si bon chemin.’ La preuve par neuf: à 22 ans Bram Van Parys sort “Alas My love”, un premier album prometteur qui confirme, en partie, son grand talent.
Tu es très jeune, mais il y a beaucoup de mélancolie dans ta musique et tes chansons abordent des thématiques sérieuses comme la mort (dans « Maria »). D’où te vient ce spleen?
Je ne sais pas… Prenons l’exemple de “Maria”: j’ai écrit la mélodie de cette chanson en une demi-heure. Les paroles m’ont pris dix minutes. Quand je l’ai composée, je n’avais pas du tout l’intention d’écrire à propos de la mort. C’est seulement un an plus tard que la signification du morceau est devenue claire pour moi: un homme est en train de mourir, il ne lui reste plus que quelques heures à vivre. La Vierge Marie lui apparaît et lui dit qu’il sera en sûreté dans les bras des anges: ‘Oh Lord, they have come. They took me high in heaven’… Une chose étrange est arrivée quand nous enregistrions “Maria” avec Koen (NDR : Gisen, producteur de “Alas My Love” et collaborateur d’An Pierlé). Je cherchais une nouvelle guitare pour la chanson et un jour j’en ai trouvé une très bonne et ancienne qui valait une petite fortune. Le type qui la vendait la cédait pour très peu d’argent. Je suis allé le voir en lui demandant pourquoi il bradait une aussi bonne guitare. Il m’a répondu qu’il était en train de mourir et qu’il n’en avait plus que pour quelques mois… J’étais abasourdi, je ne savais pas quoi dire… J’ai acheté la guitare, je l’ai amenée au studio et enregistré “Maria”. Après tous ces événements, tout est clair pour moi maintenant: il y a trois ans j’ai écrit cette chanson pour cet homme, en ignorant que j’allais le rencontrer deux ans plus tard…
Ta musique, ton nom de scène et ta voix doivent beaucoup à Radiohead. Est-ce que la bande à Thom Yorke est à l’origine de ta vocation pour la musique?
C’est seulement un des nombreux groupes qui m’ont incité à faire de la musique… il y en a vraiment trop pour tous les énumérer…
Tu mentionnes une autre influence dans ta bio, beaucoup plus originale: l’excellent chanteur brésilien Tom Zé. Qu’est-ce qui t’as le plus influencé dans sa musique? Ses travaux des années 60/70 ou son retour dans les années 90/2000?
Plutôt ce qu’il a accompli au cours des sixties et seventies. J’aime beaucoup la façon dont il arrange ses morceaux. Par exemple, il fait jouer un riff par quatre guitares différentes et chacune joue seulement certaines notes de ce riff. Il jongle ensuite avec la stéréo et le résultat est vraiment étrange… J’adore aussi les chœurs, les percussions bizarres qui traversent les titres et le son typique des années soixante! Tom Zé est le Léonard Cohen brésilien!
D’un autre côté, sur “Alas My Love” il n’y pas vraiment de chanson évoquant la musique de Tom Zé…
Ouais, peut-être que tu as raison, mais ça ne veut pas dire qu’il ne m’a pas influencé! J’ai aussi été marqué par les Beatles, mais il n’y a encore personne qui m’a dit que “Alas My Love” lui rappelle les Beatles. D’un autre côté, “Adrift” est, je pense, surtout inspiré par le mouvement ‘tropicalista’ (NDR : courant pop avant-gardiste brésilien des années 60) et même Ennio Morricone.
Justement, parlons d’“Adrift”. C’est un instrumental percussif surprenant sur ce cd. C’est aussi une bouffée d’air frais dans ta musique. Envisages-tu de développer cette approche sur ton prochain disque?
J’aime bien le son de ce morceau. Ce n’est pas vraiment une chanson, c’est un peu plus expérimental. Peut-être que le prochain album ressemblera à “Adrift” et “My Invasions”. Ce sont aussi les chansons les plus récentes. Je compare “Adrift” à la bande originale d’un film: quand je l’entends, je peux voir et sentir le désert. Les voix à la fin me font penser à un vieux train qui passe…
Ca t’intéresserait de composer la musique pour long ou court métrage ?
Hmmm, bizarre… chaque fois que je réponds à une question, la question suivante est dans ma réponse précédente! En tout cas oui, c’est quelque chose que j’aimerais réaliser. Je n’écrirais pas des chansons à proprement parler, mais plutôt des vignettes sonores… dans le style d’“Adrift”!
Qui est ton réalisateur favori?
J’aimerais disposer de plus de temps pour regarder des films… Mais j’aime beaucoup David Lynch, Sergio Leone, Oliver Stone…
La presse a beaucoup parlé de toi avant que tu sortes ce disque. Les Inrocks ont écrit que ‘la Belgique avait trouvé son Devendra Banhart’ et Le Soir a consacré des articles élogieux sur ta musique. Comment as-tu géré la pression et l’attention des labels qui t’on courtisé?
C’était très flatteur bien sûr, mais à l’époque je n’étais pas prêt à enregistrer un album complet. Je savais que mes chansons n’étaient pas encore assez bonnes pour être gravées sur disque. Je disais à tout le monde d’attendre encore deux ans. Maintenant il est terminé et je peux finalement dire qu’il est très bon. Ca valait le coup d’attendre!
A propos de Devendra Banhart, on dirait que son influence sur ta musique est beaucoup moins palpable que dans le passé. Tu n’écoutes plus ses disques?
Aaaah, tu as remarqué! C’est vrai. J’aime toujours la musique de Devendra Banhart ; mais aujourd’hui, je préfère me tourner vers les ‘maîtres’: les Beatles, Moondog, Tom Waits, Leonard Cohen, Tom Zé, les Stones, Karen Dalton, etc.! J’estime plus intéressant de me pencher sur la manière dont ces gens écrivaient, arrangeaient et produisaient leurs compositions. Pour l’album, Koen a uniquement utilisé du vieux matériel (micros, préamplis). Le son d’“Alas My Love” est sombre, et on n’a retravaillé aucune compo. Quand une guitare enregistrée était un peu désaccordée, fausse, on s’en foutait et on ne touchait plus à rien. Même chose pour les batteries: si une prise n’était pas tout à fait dans la mesure, on la laissait telle quelle. Tant que le groove était bon, c’est ce qui était important. Si tu écoutes un classique comme “Sympathy for the Devil”, les percussions ne sont pas vraiment dans le temps, mais putain qu’est ce que ça groove! Et est-ce que quelqu’un trouve quelque chose à y redire? Je ne pense pas…
Je t’ai vu plusieurs fois en concert ces dernières années. A chaque fois, j’étais surpris de constater que les membres du groupe avaient changé. Est-il difficile de trouver de bons musiciens ou tout simplement des collaborateurs motivés pour la musique?
Tout d’abord, ce n’est pas facile de travailler avec moi! Je me braque vraiment sur tous les détails… Mais surtout, comme tu dis, il est très difficile de rencontrer les bonnes personnes. J’avais deux choix: engager des professionnels et tuer le feeling dans ma musique ou alors dénicher des jeunes qui avaient envie de travailler. Et par là je veux dire vraiment travailler, pas juste s’amuser ou passer le temps. J’ai bien entendu choisi la seconde option, mais c’était la plus difficile à mettre en place! Le plus dur était de leur expliquer l’atmosphère et le type de groove que j’essayais d’obtenir. Quand tu écoutes le cd, tu te rends compte qu’il y a plein de détails, plus que tu n’en imagines. Obtenir la même atmosphère sur scène était vraiment très difficile. On a dû répéter deux mois pour seulement apprendre tous les arrangements du disque. Et je dois avouer qu’on n’a pas rigolé tous les jours… on a même failli en pleurer! Mais maintenant on vient d’accorder deux concerts sold out à l’Ancienne Belgique et au Vooruit ; et on a pris notre pied. On n’en revenait pas. Les spectateurs ont partagé notre bonheur également, et c’est dans ces circonstances que tu comprends pourquoi tu as choisi ce métier!
A quel type de formation peut-on s’attendre sur scène alors?
En gros, des guitares acoustiques et électriques, une batterie, des claviers, une basse mais on a recours à davantage d’instruments en ‘live’, peut-être trop : une orgue, un Rhodes, un piano acoustique, un synthé, beaucoup de percussions, un ukulélé, d’autres guitares, un xylophone… Ah oui j’oublie: il y aura aussi des tas de chœurs!
Imaginons qu’une radio t’invite à reprendre en studio un morceau des Beatles? Ils te proposent d’interpréter un de ces trois titres : “I’m only sleeping”, “Eleanor Rigby” ou “Good Night”. Lequel choisis-tu?
“Good Night” est la plus belle des trois mais en même temps c’est la plus compliquée… Ca serait un bon challenge mais j’aurai besoin de mon groupe alors. Pourquoi tu demandes? Il faut qu’on commence à répéter?!
Comment imagines-tu ta situation, dans dix ans? Reconverti dans un boulot classique, toujours impliqué dans la musique intimiste ou alors embarqué dans une aventure noise-rock psychédélique, dans un groupe?
Toujours dans la musique! Mais je n’ai pas la moindre idée du style…