Pas d’homonyme ce soir sur les planches du Vooruit. C’est bien à Gand que l’immense acteur (« The Player », « Short-Cuts », « Mystic River »…), réalisateur et scénariste (« Bob Roberts », « Dead Man Walking »…) américain a finalement décidé de poser ses guitares. Une escale surprenante, entre Paris et Londres, au cours de laquelle le grand enfant de 52 ans s’est amusé à réaliser son rêve de gamin : jouer de la musique. Une occasion rêvée pour tout cinéphile fanatique de croiser le comédien sans devoir se farcir la montée des marches à Cannes. Pourtant, l’assistance était peu nombreuse ! Les absents auraient-ils écouté le premier long playing de Tim et son orchestre ? Visiblement, les âmes présentes s’étaient plutôt déplacées pour apercevoir l’acteur oscarisé que pour l’écouter murmurer. Une jonchée de zooms sur le parterre et les éclats incessants des flashs en témoignent amplement.
L’incursion de Tim Robbins dans le monde musical ne bouscule absolument rien. Dans la composition comme dans l’interprétation, le ton général reste neutre. Le charisme naturel sur grand écran s’efface, curieusement, sur scène. La voix est monocorde, les intermèdes introvertis. La prestation nous livre un americana sans aspérité et un country-folk maladroitement rabâchés. Imprégnés, tous deux, d’une profonde nostalgie de la musique américaine en col bleu. Quant aux lyrics, ils évoquent davantage de frêles poésies adolescentes dessinant les contours d’une Amérique paumée. Un folk politique, truffé de clichés, qui nous parlerait des Etats-Unis contemporains.
Globalement, Tim Robbins and the Rogues Gallery Band vont livrer un set exsangue, paisiblement sous influence. Une influence décuplée. Exercice d’égo où la star du box office prendrait les formes d’un homme juke-box pour chanter ses idoles. Principale victime : Bruce Springsteen. Omniprésent. L’ersatz de la voix du ‘Boss’ voile la majorité des titres (« Book of Josie », « Toledo Girl », « Lightning Calls The Dawn »...) Certes, les idoles qu’il incarne (Steve Earle, Bob Dylan…) ne sont pas particulièrement touchées d’une voix divine ; mais elles brillent cependant par le caractère, la gravité et la chaleur. Malgré le soutien d’une équipe de musiciens d’élite (Kate St John, Leo Abrahams, Roger Eno, Rory McFarlane…), le ‘jeune’ mélomane souffre encore, manifestement, d’une carence de personnalité musicale.
Les sept musiciens se révèlent enfin plus inspirés lors des diverses covers. Instants où le grand cinéaste décide d’affronter les grands noms de la musique. Dès lors, le combo étasunien arpente agilement les chemins tortueux tracés par « All The World Is Green » de Tom Waits, ose une version negro spiritual sur le « If I Should Fall From Grace » de The Pogues et clôture le spectacle par « What A Little Moonlight Can Do » de Billie Holliday. Rien de transcendant en soi mais la sélection de versions audacieuses redonne quelques couleurs à une performance bien trop pâle.
Epinglons finalement « Folsom Prison Blues ». Une reprise de Johnny Cash dont l’enthousiasme et la passion éclipsent un cadre général décidément trop linéaire et souvent démago. Un morceau qui recèle une introduction lugubre transpercée par une voix déchirée tissant une véritable atmosphère avant de sombrer dans un final rockabilly excité (NDR : moment particulièrement apprécié par de nombreux sexagénaires –et plus ! – présents dans l’assistance. Ça bouge ! La salle danse, les têtes virevoltent, les hanches se balancent, les genoux tremblent. Ô doux souvenirs de notre enfance !
La maladresse du débutant, la timidité sur scène touchent indéniablement. Le musicien, lui, ne parvient jamais vraiment à convaincre.
Vraisemblablement victime du syndrome d’ubiquité touchant une multitude de personnalités publiques qui pensent que leur talent s’accorde à toute forme artistique, l’acteur américain a emprunté, trop rapidement, des chemins qu’il ne maîtrise pas encore.
La performance laisse songeur. Et, soudain, nous sommes pris de vertige. Comme devant un miroir dont l’image réfléchie mystérieusement s’inverse, la carrière musicale de Tim Robbins reflète dangereusement celle, cinématographique, de David Bowie.
(Organisation Vooruit)