La grande salle de la Maison de la Culture était presque pleine pour accueillir An Pierlé et son White Velvet. Pas vraiment un endroit adapté pour un concert de pop ou de rock, vu sa configuration en gradins et ses chaises (davantage destinée aux spectacles de théâtre, de cinéma ou de variétés et surtout de musique classique), mais finalement jugé très confortable par la majorité du public présent au cours de soirée, un public constitué pour la majorité de trentenaires, de quadragénaires et même de quinquas. En avril 2002, l’artiste s’était produite dans la petite salle devant un parterre réunissant essentiellement des jeunes. Depuis, elle a quand même commis un opus en compagnie d’un orchestre symphonique ("Live Jet set with Orchestra") et l’an dernier, « An Pierlé & White Velvet ». Il était donc fort intéressant de la revoir, sous un nouvel angle…
En première partie, Allan Muller s’est fendu d’un set d’une demi-heure. Muller n’est pas un néophyte, puisqu’en 1994, il militait chez Metal Molly, une formation belge responsable de trois albums. En 2003, il a également transité par Satellite City, un groupe dont les deux elpees sont passés inaperçus. Il a sorti, en mars dernier, un opus solo intitulé « Resting My Case ». Allan chante en s’accompagnant d’une gratte acoustique électrifiée. Il possède une belle voix dont les inflexions peuvent rappeler Mark Eitzel, mais en plus optimiste. Il entame son concert par la cover d’« Accident will happens » d’Elvis Costello, et embraie par plusieurs compos de son opus solo. C’est sympa, c’est frais, mais trente minutes suffisent amplement. A revoir dans un local de plus petite taille. Un club ou un bar, par exemple…
Cinq minutes plus tard, An Pielé et son White Velvet montent sur les planches sous les applaudissements. An est vêtue d’une robe noire signée Sonia Rykiel. Ample mais mi-courte. De couleur noire. Elle est d’ailleurs tout de noir vêtue, y compris les collants. Elle se dirige immédiatement vers son piano sis à gauche de la scène et s’assied sur son traditionnel ballon ergonomique transparent. Les musiciens sont disposés de manière assez curieuse. En escalier. De droite à gauche, Koen Gisen le guitariste et pilier du groupe (c’est également le compagnon d’An). Au même niveau, le drummer. Il a une très longue chevelure qui lui couvre la quasi-intégralité du dos. Face à lui : un minimum de toms et une cymbale. Dans ses mains deux baguettes. Il joue debout. Un peu plus haut, le bassiste ; épisodiquement, il redescend s’asseoir pour jouer du violoncelle. On monte encore d’un cran où se cache presque Tom Wolf, préposé au laptop, à la sèche et aux backing vocaux. Un des deux musiciens de tournée. Le second, Dominique Vantomme trônant à sa droite derrière ses claviers, lorsqu’il ne vient pas remplacer Pierlé aux ivoires –après avoir pris soin de remplacer le ballon par un tabouret– lorsqu’An se consacre exclusivement au micro. Et manifestement si elle arrache une dose phénoménale de sensibilité de son piano, Dominique est un surdoué.
La première chanson nous plonge dans une atmosphère jazzyfiante, languissante, proche même d’un Robert Wyatt, s’il n’y avait les chœurs très mâles en fin de parcours. Pour « Good year », les claviers se font vintage alors qu’An chante avec un peu de reverb dans la voix. Une voix superbe, ample, sensuelle, dont le timbre peut osciller de Kate Bush à Tori Amos en passant par Hope Sandoval et Tanya Donnelly (NDR : à moins que ce ne soit Kristin Hersh). Les compos oscillent entre morceaux empreints de quiétude, d’intimisme (lorsqu’elle s’assied sur le bord du podium), parfois même dramatiques (« It’s got to be me » surtout !) et titres plus pêchus. Tout en y manifestant tantôt de l’émotion, de l’énergie, du charme ou de l’humour. Beaucoup d’humour même, notamment lorsqu’elle propose comme remède à nos problèmes de sexualité ou de kilos superflus d’acheter son cd à l’issue du spectacle. Ou lors du rappel, lorsqu’à l’instar d’une Liza Minnelli, elle passe la main ou le pied derrière le rideau, avant de réapparaître hilare. Mais revenons-en au contenu du show. On épinglera ainsi un « How does it feel », au cours duquel claviers atmosphériques et riffs de guitares ‘reverb’ tissent une trame presque floydienne circa « Echoes ». Sans oublier ce morceau assez insolite partagé entre An et Peter. Ce dernier joue sur le dossier d’une chaise pendant qu’An chante en s’accompagnant aux ivoires. Elle taxera même ce passage de numéro de cirque. « Jupiter », moment choisi par An pour siffloter. Le légèrement reggae « Tower » qui se mue lors du final en chaos organisé, presque psychédélique. L’accordéon, elle ne l’empoignera que pour interpréter « Not the end ». On ne l’entend presque pas, mais à cet instant sa longue silhouette et son piano à bretelles se déploient comme un éventail. Le charleston « Any time you live ». Elle en profite alors pour se livrer à quelques petits pas de claquettes. Et puis deux nouvelles chansons. En final, elle demande au public de se lever pour faire un peu la fête. Et, enfin, survolté il acclame et participe en frappant généreusement dans les mains à sa reprise du « C’est comme ça » des Rita Mitsuko. Elle arpente alors toute la largeur du podium, en tournoyant sur elle-même.
Les applaudissements sont nourris et après avoir passé le pied, puis la main derrière le rideau, An revient s’installer derrière son piano. Au grand complet son team la suit comme son ombre. Et ils se lancent dans une remarquable version du « It’s a shame » de Talk Talk. La formation s’éclipse, mais le public en demande encore. Ce sera une adaptation en français du « Anytime you leave ». Nouvelle ovation et remerciements de l’équipe qui bras-dessus, bras-dessous vient saluer une dernière fois le public. Pas de « Sing song Sally » dans le tracklisting de ce set, mais une chouette soirée au cours de laquelle tout le monde s’en est retourné ravi. Une chose est sûre, en ‘live’, bien soutenue par son Velours Blanc, An Pierlé prend une toute autre dimension, sans pour autant attraper la grosse tête. Et cela méritait d’être souligné.