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Les décibels de Chatte Royal…

Le premier elpee de Chatte Royal, « Mick Torres Plays Too Fucking Loud », paraîtra ce 8 mars 2024. Fondé en 2020 par Diego Di Vito, Dennis Vercauteren et François Hannecart, et rejoint par Téo Crommen en 2021, il compte deux Eps à son actif, « Septembre », en…

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Rock Werchter 2003 : samedi 28 juin

Samedi, journée du rock costaud. Les hostilités démarrent en trombe par les jeunes Hollandais de Krezip, peu connus de ce côté-ci de la frontière linguistique, mais de véritables stars en Flandres. Le public, déjà bien présent malgré l'heure matinale, leur réserve un bel accueil. Pourtant, rien de neuf sous le soleil du rock le plus mainstream : des morceaux gentiment heavy cèdent la place à des ballades, et ainsi de suite. Sur « I Would Stay », tube flamand d'il y a trois ans, les jeunes fans des premiers rangs reprennent les paroles en chœur : émouvant. A noter : la chanteuse s'appelle Jacqueline. Pas super glamour, mais comme elle a des gros seins, ça compense.

Festival flamand oblige, Werchter invite toujours les gloires provinciales du Limbourg et d'ailleurs. On a beau ne rien comprendre à l'accent West-Vlaams des rappeurs de 'T Hof van Commerce, il n'empêche qu'ils mettent un beau souk à chacune de leur apparition sur scène. Buzze, Flip Kowlier et DJ 4T4 n'auront donc eu aucun mal à faire bouger la plaine, à coup de « Kom Mor Ip » et de « Dikkenekke » festifs et malins. 4T4 balançant la sauce en mixant vieux hits de Dre et galettes persos, c'est toute la communauté néerlandophone qui était à la fête. « Buzze Buzze… Zonder Totetrekkerie, yo ! ».

Comprendra qui pourra, mais tant qu'à faire, mieux vaut ça que le vilain metal de Stone Sour, le groupe de Corey Taylor, chanteur des Slipknot. « I just woke up, I'm still drunk but I'm ready to have a really good time », grogne-t-il dans son micro : pas nous, plutôt dégoûtés par ses sales manières et sa gueule de serial killer. Il aurait mieux fait de garder son masque.

De l'autre côté, il y avait Janez Detd, sympathique quatuor de punk-rock du nord de la Flandre (encore). « Vier simpele jongens uit vier simpele dorpjes », mais dont la sympathie et l'humilité ont touché le public, qui leur a réservé un formidable accueil. Sans doute que Janez Detd n'en attendait pas tant, et nous non plus : on venait là en dilettante, on est parti enchantés, sûr d'avoir assisté là à l'un des concerts les plus chouettes de tout le festival. En même pas une heure, Janez Detd aura retourné la pyramide comme une crêpe avec ses mini-bombes à la Blink 182, « Raise Your Fist », « Anti-Anthem », « Beaver Fever », « Classe of 92 ». Quelle ambiance, mes amis ! Pendant tout le week-end, ce sera d'ailleurs sous la tente que se dérouleront les concerts les plus chauds et acclamés. Et celui-ci, assurément, en aura fait partie, à la grande satisfaction de Nikolas et de ses potes, qui, selon leurs propres dires, ont joué « le concert de leur vie ». Après deux années de galère (problèmes de cœur, de groupe, de matos, de maisons de disques), Janez Detd aura prouvé qu'il ne sert à rien de baisser les bras, mais au contraire de « lever le poing » et de continuer coûte que coûte. Une belle leçon de vie, traduite ici avec maestria par des riffs canons et des reprises furibardes (« Mala Vida », « Who's the King », « Take on Me », « Walk This Way » : la fête). A la fin, l'adrénaline au bord de l'explosion, Nikolas fera un bond de trois mètres ( !) de la scène jusqu'au public : un miracle qu'il ne s'écrase sur les barrières. Comme quoi, le bonheur donne des ailes. Impressionnant !

Succéder à telle claque ne devait pas être une mince affaire… C'était sans compter sur le talent des Saïan Supa Crew, cinq rappeurs de Paris qui manient la langue de Voltaire comme les Samurais leur épée – la référence au Wu Tang n'est pas tout à fait fortuite. Sans matos sur scène, juste leur micro et une bonne dose d'humour et d'énergie, les Saïan ont réussi à charmer un public pourtant majoritairement flamand, grâce à ces bons vieux « Everybody screaaaams ! » et « Raise your hands in the air ! », deux jaugeurs d'ambiance plutôt faciles mais toujours efficaces. Ca bouge, ça groove, SSC est dans la place : cinq voix, cinq flows, cinq fois plus de plaisir. Leurs textes, débités à la vitesse vv', parlent de ségrégation, de faits de société, mais aussi des filles, du rap et d'autres choses moins clichés. Le moment fort du concert : lorsqu'un des cinq rappeurs, seul sur scène, aura décliné ses talents de human box pendant 10 minutes, jusqu'à reprendre « Voodoo Chile » rien qu'avec la langue et par quelques contorsions buccales. Big up !

Xzibit en congé de l'Eminem Family, le voilà à nouveau sur nos terres venu botter le cul (« kick some ass ») des petites pépettes et des b-boys qui rêvent d'Amérique. « X to the mothafuckin' Z » ne fait pas dans la dentelle : son rap West Coast se la joue gros bras, même si ses histoires de fric, de drogue et de « drive boy shooting », ça n'impressionne personne. Pour lui faire plaisir, on fera donc semblant d'être apeuré par ses manières de gangster… Et on hochera la tête sur « Front 2 Back », « DNA », « Spit Shine » (de la BO de « 8 Mile »), « Bitch Please » et « Multiply ». Tous ces potes, 50 Cent, D12, Obie Trice, Dr Dre, bref le posse au blanc-bec Mathers : qu'ils viennent, on leur déroulera le tapis rouge. Qu'ils pensent seulement qu'ils sont les plus forts, en baise, en a-fonds (« Alkoholic »), en hip hop, en muscu, en gueule. Ca ne nous empêchera pas de croire que derrière un bar, à Bruxelles, n'importe quel mec les enterrerait après trois bières… Ouais ! ! ! Et on croise nos avant-bras sur « X », en pensant à la biture que se prendrait ce fier-à-bras s'il savait ce que « boire » veut dire. Va prendre tes pilules et parader dans tes clips de gros branleur : tu ne perds rien pour attendre.

« Wok'n'woll ! », dirait Sean Bateman (voir « The Rules of Attraction ») s'il voyait The Datsuns : quatre Néo-Zélandais qui singent AC/DC, The Stooges, Thin Lizzy et Motörhead avec une belle morgue, comme s'ils étaient tombés dans la marmite seventies quand ils étaient petits. Si Christian et Phil Datsun passeront en revue toutes les poses ridicules de l'histoire du hard rock (ne manquait plus que le solo de l'un sur les épaules de l'autre, façon Angus Young), Dolf, lui, gueulait comme un Richie Blackmore en pleine mue… « Like A Motherfucker From Hell ! ! ! » : yeah, « wok'n'woll ! ». Une heure de pure magie rock, blues, heavy : les Datsuns sont jeunes, et pourtant ils sonnent comme un bon vieux disque de Deep Purple. Le public était chaud, répondant au quart de tour à ces riffs sexy et ces appels à la luxure : « Lady », « Harmonic Generator », « What Would I Know », « In Love »,… En final, un « Freeze Sucker » d'anthologie, pendant lequel on pouvait voir sur scène les fantômes de Bon Scott et de Dave Alexander taper le bœuf à côté d'un Dolf survolté, qui finira par tout casser. The Datsuns ont beau être des anachronismes vivants, coincés dans une faille spatio-temporelle qui les fait croire qu'il n'y a plus eu de nouvelle (et meilleure) musique depuis « Back In Black », il faut dire qu'ils assurent. N'empêche, mieux vaut ne pas abuser de ce genre de spectacle un peu rétrograde : on finirait par se laisser pousser la moustache.

Les Queens of The Stone Age aiment Werchter, et ils nous le rendent bien : l'année dernière, Josh Homme et ses amis stoners avaient laissé bouche-bée la plupart des festivaliers, grâce à de nouveaux titres poids lourd, une technicité renversante, et surtout à la poigne monstrueuse de Dave Grohl, invité-surprise d'un concert aujourd'hui inscrit à tout jamais dans les annales du festival. Pour leur troisième passage à Werchter, les QOTSA n'avaient donc qu'à balancer leur rock costaud (mais finaud) sans faire de chichis : on serait là pour les applaudir, et lever du poing en remuant la tête – voilà du vrai « wok'n'woll », puissance mille. Malheureusement, il arrive parfois aux « meilleurs groupes rock live du monde » d'être fatigués, de céder à la routine, de se reposer sur leurs lauriers. C'était le sentiment qui planait lors de ce concert, même si un QOTSA en roue libre vaut toujours mieux que 10 Good Charlotte qui pètent la forme… Le public non plus n'était pas des plus réceptifs : en cause sans doute le soleil et le sommeil, et ce mix approximatif qui bourdonnait à nos oreilles. Mais on reste quand même subjugué par la voix terrible de Mark Lanegan (Aaaah, l'hénaurme « Song for the Dead »), et cette rythmique implacable qui fait toujours des étincelles : à la fin, un excellent « Regular John » revisité (de leur premier album) et un medley « No One Knows/Feel Good Hit of the Summer » finiront par réveiller la foule tétanisée. Un peu tard quand même pour pardonner, à la fois au groupe et au public, son manque d'enthousiasme…

Mais ce bon vieil Arno allait leur montrer ce que « réveiller les morts » veut dire, à tous ces jeunes ! Introduit sur scène par Lux Jansen (Studio Brussel) comme le « vrai Roi des Belges » (Le Prince Laurent était présent dans les backstages), Arno aura livré, comme d'habitude, un set habité et concis, privilégiant les ambiances éthyliques et électriques aux ballades romantiques (exception faite du très beau « Les Yeux de ma Mère »). Au démarrage assez bordélique, l'Ostendais se rattrapera joliment en enfilant tube sur tube, par un final grandiose (« Les Filles du Bord de Mer », « O La La La » et « Putain, Putain ») qui fera se déhancher toute la plaine. « Dank u Godverdomme » : au contraire des QOTSA, Arno n'aura pas failli à sa réputation d'entertainer bourru mais tellement sincère. Putain, putain, c'était vachement bien !

On ne peut pas en dire autant de The Streets, alias Mike Skinner, dont le premier album, « Originate Pirate Material », révèle pourtant un talent hors du commun pour mettre en son l'Angleterre fish and chips. Comme à l'ABBOX en novembre dernier, Skinner aura déçu par sa nonchalance : se baladant sur scène comme s'il était à Knokke-le-Zoute (ce short de touriste !), le rappeur n'aura donné de lui-même (et de ses chansons) que le minimum syndical, accompagné d'un copain qui s'occupait des refrains mais dont la voix manquait de justesse. Sur « Geezers Need Excitement », cette association de malfaiteurs ressemblait presque à du Starsky et Hutch : un peu mous du genou, les deux compères roulaient des mécaniques mais en restaient aux préliminaires, laissant le batteur et le sampler faire tout le boulot, tandis qu'eux buvaient leur bière. « I can do more than Xzibit », se vantera Skinner pendant « Too Much Brandy » : d'accord, mais est-ce si difficile (relire plus haut) ? Heureusement, « Let's Push Things Forward » suivi de « It's Too Late » remettront les pendules à l'heure, prouvant à l'arraché que Skinner est moins plouc qu'il n'en a l'air (sur scène, tout au moins).

Le problème, quand on joue en même temps qu'une grosse tête d'affiche, est qu'au fur et à mesure de votre concert, tout le monde se barre : en plus d'être un peu mou, le concert de The Streets aura eu l'autre malchance de rivaliser avec celui de Metallica, dont c'est le grand retour après (plus ou moins) cinq ans d'absence. « Today is a great day to be alive », grogne James Hetfield en début de concert, avant de balancer un « Battery » d'une brutalité à faire peur : oui, Metallica is back, et ça va faire mal ! Un nouveau bassiste (le balèze Robert Trujillo, vu et entendu chez Suicidal Tendencies, puis chez Ozzy), un nouvel album (« St Anger », trash mais longuet), une nouvelle jeunesse : autant d'éléments qui augurait d'un concert solide, qu'on soit fan ou pas de ce metal carnassier qui vous prend aux tripes. Les quatre chevaliers de l'Apocalypse étaient très en forme : pas une minute de temps mort, sauf bien sûr sur « Nothing Else Matters », repris en cœur par des milliers de fans exultant (certains faisaient le pied de grue tout devant depuis 11h00 du matin !). Interprétant seulement deux nouveaux morceaux (« Frantic » et « St Anger »), Metallica préféra livrer un set best of, loin de toute contingence promotionnelle. Sans doute pour remercier les fans, toujours aussi fidèles et nombreux malgré le départ de Newsted et le bide de « Load » et « Reload ». Au programme, que des classiques, donc : « Master of Puppets », « Harvester of Sorrow », « Sanitarium », « From Whom the Bells Tolls », « Sad But True », « No Remorse », « Ride the Lightning », « Creeping Death », et en rappel « One » et « Enter Sandman » sur fond pyrotechnique, bref que du trash haute tenue, celui d'avant la période creuse (après le Black Album). Contents du formidable accueil de leurs fans belges, Hetfield, Hammett, Ulrich et Trujillo iront même saluer les premiers rangs après l'apothéose finale, de tapes amicales en distribution d'onglets pour les collectionneurs.

Pendant ce temps, le duo norvégien Royksopp terminait péniblement sa besogne, après une heure d'un set sans grande innovation (si ce n'est la reprise élégante du « Clocks » de Coldplay, chantée par une belle inconnue) : on avait déjà vu les deux amis plus inspirés, et surtout plus dansants. Il est temps pour eux de s'atteler à la suite de leur excellent « Melody AM », faute de quoi on se lassera vite de leurs apparitions multiples. Il est tard, et demain nous attend la dernière ligne droite. Alors que quelques traînards scandent le « One Nation Army » des White Stripes devenus en trois jours l'hymne du festival, nous rentrons au camping pour un gros dodo, qu'on espère bien réparateur.

Rock Werchter 2003 : vendredi 27 juin

Commencer la journée du vendredi par les Polyphonic Spree était une bonne idée : leur pop psychédélique de bazar met la pêche, et en plus c'est assez drôle. Imaginez 21 illuminés en robe blanche sautant dans tous les sens, possédés par une force cosmique digne des tribus sectaires les plus délirantes. Un peu comme si Raël et les Compagnons de la Chanson s'invitaient chez les Muppets, et déliraient sur du Mercury Rev en sniffant du poppers. Au milieu de ce joyeux fatras, un homme, Tim DeLaughter, le gourou qui mène tout ce beau monde à la baguette : c'est lui qui donne le « la », distribue les bonnes notes, bref joue le chef d'orchestre. « Good Morning ! ! ! », criera-t-il à maintes reprises, alors qu'il est 15h00… Sans doute que pour ces joyeux drilles, le temps n'a pas de prise : The Polyphonic Spree, c'est un peu la quatrième dimension du pop-rock le plus orchestral. On voudrait comprendre leur tintamarre, mais on reste coi, les pieds trop accrochés à la terre ferme. Eux s'en donnent en tout cas à cœur joie : ça pète dans tous les sens, ça n'a ni queue ni tête, à vrai dire c'est un peu gadget. Ce fatras de trompettes, de flûtes, de guitares, de voix, … DeLaughter ne sait pas où donner de la tête, perd parfois le contrôle de ses sbires extasiés ou qui feintent l'extase. Ces gens n'ont peut-être que rien de fantasque. Peut-être pointent-t-ils dans leur bureau du lundi au vendredi (sauf aujourd'hui). Peut-être ont-ils été « castés » par une maison de disque en mal de sensations fortes. A part lors de 2/3 morceaux (« It's The Sun » au début, « Soldier Girl » à la fin), la sauce n'aura pas vraiment pris du côté du public. « Too Much », diront certains. C'est clair que ça sent un peu l'arnaque, fashion oblige.

Tout autre chose avec la world music de Susheela Raman au Marquee : cette Londonienne d'origine indienne a gagné le Mercury Prize pour son premier album, « Salt Rain ». Elle revient aujourd'hui avec « Love Trap », même condensé épatant de world, d'électro, de folk et de pop. Ce multiculturalisme musical a le mérite de proposer autre chose que les sempiternels groupes de rock qui squattent en général l'affiche. Cette année, Werchter aura ainsi fait preuve d'un éclectisme surprenant, en programmant (enfin !) plus de hip hop et plus de world (reggae compris). Les points forts du concert : l'excellent « Bolo Bolo », l'enjoué « Love Trap », et puis ce solo de tablas d'Aref Durvesh, fidèle musicien de Susheela qui nous prit par la main, direction « la jungle indienne, ses plages de sable fin et ses couleurs chatoyantes ». Autre invité : un type de Guinée-Bissau, venu tout droit de Couleur Café pour nous chanter une petite histoire sympathique et remuante. Un beau concert, loin de tous les clichés qui collent à la world music, souvent confinée aux ambiances exotiques des bars à tapas et des magasins de meubles de la rue Haute.

Le cas Interpol est devenu une habitude dans ces colonnes : après le Pukkelpop, l'AB Club et l'ABBOX (voir les différentes reviews), les New-Yorkais étaient à nouveau de retour chez nous, pour ce qui ressemblait fort à une consécration. En un an, le quintette est passé du statut d'outsider de la nouvelle scène rock à celui de valeur sûre. L'accueil chaleureux du public amassé sous la pyramide en sera le plus beau témoignage. Malgré un son de batterie saturé pendant le premier quart d'heure, Interpol aura de nouveau prouvé qu'il est un des groupes les plus solides du revival post-punk/cold wave, à défaut d'être vraiment singulier. Il y a du Joy Division (« Roland », « Untitled »), du Smiths (« Say Hello to the Angels »), du Television sous cette chape de riffs éthérés et de rythmes plombés. Mais cette musique qui côtoie les anges se savoure mieux en club, dans une ambiance tamisée, et pas en plein après-midi devant 5000 personnes. Comme Black Rebel Motorcycle Club l'année passée, Interpol aura surtout convaincu par la manière forte : c'est le sort des groupes qui montent, dont la popularité (surtout francophone) oblige à jouer toujours plus fort et plus vite, parce qu'ils n'ont plus vraiment d'autre choix.

Depuis quelques mois, The Roots cartonne sur les ondes avec « The Seed (2.0) », une tuerie soul-hip hop signée en fait Cody ChesnuTT, dont le premier album (double !), « The Headphone Masterpiece », est un des chefs-d'œuvre oublié de ce début d'année.

Après leur passage remarqué à l'AB en avril dernier, la bande à ?uestlove prit d'assaut la Main Stage, devant l'indifférence quasi générale. C'est qu'en live, les Américains n'hésitent pas à noyer leurs morceaux dans d'interminables solos de basse (balèze Leonard Hubbard, dit « Hub ») et de batterie, comme si le P-Funk et Jimi Hendrix étaient toujours d'actualité. En tout, à peine 7 morceaux, dont les excellents « Next Movement » et « Water », et bien sûr « The Seed », seul véritable moment de communion avec le public. Pourtant, The Roots est une des rares formations cataloguées « hip hop » qui joue live avec des instruments, ce qui devrait contenter les amateurs de rock…

Mais il faut dire qu'au même moment se produisait Grandaddy au Marquee, ces cow-boys skaters à la pilosité effrayante, dont les complaintes country-space pop séduisent toujours autant de fidèles, malgré ce décevant « Sumday » depuis un mois dans les bacs. Heureusement, Grandaddy puisera aussi dans ses précédents albums (« Hewlett's Daughter », « The Crystal Lake », « Chartsengrafs » de « The Sophtware Slump », « AM 180 » et « Laughing Stock » de « Under the Western Freeway »), et puis ces images à l'arrière, c'était plutôt sympa. Quand le scarabée plante sa boule de caca sur une épine et qu'il se démène pour l'en faire sortir (« Microcosmos » ?), le suspense est à son comble : réussira, ne réussira pas ? Oui ! ! ! C'est l'ovation, le délire, au nez et (surtout) à la barbe de Jason Lytle et de ses gentlemen farmers.

On rigole, et pourtant la suite est à pleurer, à cause d'un type qui s'est mis dans la tête que faire du rock de djeunes allait lui valoir tous les honneurs, alors qu'on le connaissait pour ses prises de risques et ses délires d'égocentrique autiste. Tricky a vendu son âme au business, en préférant se fourvoyer dans une bouillie infâme de métal et de reprises cul-cul (« Lovecats » de Cure, « Dear God » d'XTC, sans parler de ce « You Don't Wanna » piqué au « Sweet Dreams » d'Eurythmics, quelle finesse !) que tenter d'encore nous surprendre, comme c'était toujours le cas lors de ses précédents faits d'armes (de « Maxinquaye » à « Juxtapose »). Et puis cette chanteuse, une fan qu'il a engagée après l'avoir vue dans les premiers rangs de ses concerts en Italie : une copie conforme de Martina, mais sans sa classe ni son assurance. A peine si elle sait quand et comment chanter : une vraie poupée sans personnalité, juste contente d'être sur scène avec son idole. Pffff… Tricky n'est plus que l'ombre de lui-même, comme sa musique, qui a gagné en violence ce qu'elle a perdu en charme et subtilité. Ca cogne, ça gigote, mais depuis quand pogote-t-on à un concert de Tricky ? Nous serions-nous trompés de scène ? Est-ce le syndrome Cypress Hill (plus de guitares, plus de bruit) qui gagne peu à peu tous les artistes trip hop de Bristol, après 3D voire Roni Size ? Ca déménage, certes mais ce n'est plus du Tricky : juste du rap-métal rouleau-compresseur qui mise sur l'efficacité, plus sur la sensibilité. Quelle désillusion ! Comme quoi fumer des joints à longueur de journée, ça vous grille les neurones plus vite qu'on ne le pense.

Après cet entubage splendidement marqueté (« Mon nouvel album va écraser toute la concurrence », a-t-on pu lire ailleurs : tu parles), Moby avait intérêt à nous remonter le moral. Facile quand on est comme lui une usine à tubes : suffit de jouer tout « Play » et quelques autres classiques techno-bobo, et c'est la « pérave ». Quelque chose, pourtant, nous turlupine : comme la Star'Ac et Milli Vanilli, Moby l'endive semble jouer en playback… A part les voix, tout semble préenregistré. Suffit d'appuyer sur… « Play » (ben tiens !), et c'est parti mon kiki pour un 'best of' lisse et sans accrocs, plein de bons sentiments et d'applaudissements ravis. Moby, en tout cas, pète toujours autant la forme : il court de gauche à droite, fait semblant d'un peu jouer de la guitare, puis fait semblant d'un peu pianoter sur son synthé ou de taper sur des tam-tams… C'est bien calibré pour plaire au plus grand nombre et aux concessionnaires Renault. Pour couronner le tout, une reprise de « Creep » chantonnée de sa voix chevrotante, de quoi avoir définitivement le public dans sa poche : ce comportement de fayot est d'une indigence rare. Heureusement, un petit « Feeling So Real » remettra les pendules à l'heure : ce classique acid un brin daté fait toujours plaisir à entendre. Décidément, Moby a du talent pour se faire aimer par (presque) tout le monde : les vieux, les jeunes, les ringards, les branchés, les rockeurs, les clubbers, les publicitaires, les anti-Bush (« Je suis une Américaine mais je pense que j'ai une idiote pour président »), les fans de Radiohead et les végétariens. Mais où reste Eminem ?

La nuit est déjà tombée sur le site quand Massive Attack entre en scène ou plutôt 3D et ses musiciens au look d'androïdes, genre T-1000 dans la Matrice. D'entrée, « Future Proof » plombe l'ambiance : c'est glacial et sans reliefs, ça fout le bourdon en même pas trois minutes. La voix de 3D est à peine audible, noyée dans les reverbs et les basses menaçantes… Derrière lui, un écran géant affiche des données qui nous concernent : « Vrijdag 27 juli, Werchter, België, 100th Window »… Pendant tout le concert, nos yeux resteront rivés à cet écran pixellisé d'une sophistication renversante ($$$) : toutes ces informations nationales défilant à vive allure (+ l'Irak)… Massive Attack aurait-il consulté pour ce concert un spécialiste du Ministère de l'Intérieur ? Heureusement qu'il y avait cela pour nous distraire, parce que la musique, elle, était franchement insipide. Après la débâcle Tricky, le somnifère Massive Attack : décidément, cette journée aura été celle des désillusions bristoliennes. A peine aura-t-on vu Daddy G et Horace Andy, qui avaient eux aussi l'air de s'ennuyer ferme. Quant à Debbie Miller et Dot Allison, elles n'auront pas non plus fait remonter la température. Même « Unfinished Sympathy », « Teardrop », « Safe From Harm », pourtant des classiques, sonnaient faux dans cette ambiance frigorifiée. On vous a déjà dit ce qu'on pensait de « 100th Window » (voir chronique) : ce concert en sera la triste confirmation. Quand même : tout cela fout un peu les boules. Allez vite au lit, et qu'on oublie tout ça !

 

Rock Werchter 2003 : jeudi 26 juin

4 jours, 53 groupes : pour sa trentième édition, on peut dire que le festival de Werchter a su mettre les petits plats dans les grands. A un tel point que le Beach Rock a même dû annuler son édition, faute de têtes d'affiche… toutes présentes sur le terrain gazonné d'Herman Schueremans, devenu imbattable en organisation de concerts. Cette surenchère pourrait à terme éclipser toute concurrence, et faire de plus en plus mal au portefeuille. Le prix du combi-ticket-4 jours à 108 euros, sans compter le camping (14 euros !), n'a pourtant pas freiné les amateurs de rock, puisque Werchter était déjà complet un mois avant son coup d'envoi… Avec ses 280.000 spectateurs et son affiche maousse costo, Werchter s'impose donc une fois pour toutes comme l'événement rock qu'il ne fallait pas rater. On y était, on a vu, on l'a vécu. Résumé de quatre jours de folie musicale, avec nos tops et nos flops.

21h45 : tandis que des milliers de festivaliers sont encore coincés dans les embouteillages ou agglutinés tel du bétail devant les portes étroites de l'entrée principale, les premières notes de « Hunter » retentissent sur la Main Stage, devant un parterre de fans attentifs. Affublée d'une paire de lauriers verts qui lui donnent l'air d'une femme-nénuphar, Björk fait déjà mouche. Suivent « Pagan Poetry » et « Joga », alors que des feux d'artifice déchirent le ciel et provoquent les premiers frissons. Voilà qui commence bien ! Malheureusement le plaisir fût de courte durée, et ces feux de Bengale fendant les nuages, devinrent rapidement … des pétards mouillés. En cause : ces morceaux de « Vespertine » sans rythme ni fantaisie, qui s'enlisent dans un magma de bleeps agaçants et de loops somnifères. A force de trop vouloir prendre le taureau pop par les cornes, l'Islandaise oublie l'élément essentiel qui faisait tout le charme de ses précédents albums : ce mariage détonant entre mélodies sucrées et avant-garde précieuse, refrains fédérateurs et souci de l'expérience. Ici, la recherche a trop pris le pas sur l'évidence : ne reste plus que la réflexion, rarement synonyme d'exaltation. « Cocoon », « Heirloom », « An Echo, A Stain » : du vent, qui fait tourner sa couronne de nénuphar, mais pas notre tête… Quant aux trois nouveaux morceaux divulgués presque avec gêne tant ils manquent de consistance, ils n'augurent pas du meilleur… A la fin, Björk reprendra quand même ses esprits, le temps d'un mini-best of bien trop court pour lui pardonner ses errements du côté obscur de l'electronica la plus chiante. « Hyperballad » (feux d'artifices), « Bachelorette », « Pluto » et « Human Behaviour » (feux d'artifice) : c'est peu quand on connaît le répertoire de la dame. Et puis tous ces pétards qui cassaient nos oreilles durant les seuls moments où ce concert valait la peine : c'est bien joli, mais on n'est pas à Disneyland.

Il est 23h30, et la plaine est bondée : l'ambiance commence à surchauffer. Le problème, quand on commence directement avec une tête d'affiche, c'est le temps d'acclimatation : quasi nul. Voilà sans doute l'une des raisons de la distraction du public lors du concert de Björk, sans compter que ses morceaux casse-tête se digèrent mal en apéro. Avec Radiohead, les choses prendront une toute autre tournure. Attendus à chaque apparition comme les messies depuis le raz-de-marée OK Computer, les cinq d'Oxford n'auront pas failli à leur réputation de groupe rock le plus important de ces dix dernières années. Avec un nouvel album en poche, le très beau « Hail To The Thief », Thom Yorke et sa bande n'avaient qu'à se baisser pour ramasser les louanges d'un public depuis longtemps acquis à sa cause. Il est presque minuit, le groupe arrive sur scène. Les deux guitaristes Jonny Greenwood et Ed O'Brien entament un combat de tambours hypnotiques, les faisant résonner dans toute la plaine devant 70.000 personnes silencieuses. C'est « There There », premier single de « Hail To The Thief ». Le son est limpide. Thom Yorke s'installe devant son micro, concentré. C'est parti pour 1h30 d'un concert grandiose, sans temps morts, parfait de bout en bout. « 2+2=5 » voit les Anglais revenir à un son plus brut, comme à l'époque de « The Bends », toutes guitares dehors, avec un Thom possédé qui hurle à la lune. Puis c'est la première accalmie : « Morning Bell » de « Kid A », et le bluesy « Talk Show Host », que l'on retrouve sur la BO de « Romeo + Juliet »… Après seulement quatre chansons, l'impression générale est déjà plus que positive : Radiohead maîtrise à la perfection son répertoire, en s'autorisant quelques dérapages et variantes qui prouvent son ouverture et sa volonté de prendre des risques. Peu de groupes pop-rock ont cette stature. Cette envie de ruer dans les brancards tout en restant fidèles à cette idée de la chanson pop. Björk, es-tu là ? Et puis Thom Yorke sourit ! Rarement l'a-t-on vu si content d'être là : il paraît que le groupe a lui-même demandé à Schueremans de pouvoir jouer à Werchter… « Lucky » confirme notre bonheur, et le leur, puis c'est « Kid A » et l'agité « National Anthem », avant un cataclysmique « The Gloaming », dont les bleeps énervés marqueront la fin d'une première partie irréprochable. Parce qu'ensuite ça se calme, avec les superbes « Sail to the Moon » et «  Where I End and You Begin ». Derrière son piano, Thom, comme un poisson dans l'eau, donne quelques directives à ses quatre compères : on voit qui est le chef, même si Radiohead semble être l'un des (trop) rares groupes à fonctionner vraiment en démocratie. Accroché à sa guitare tel un marin à son mât en pleine tempête, Ed O'Brien tisse le squelette rythmique du morceau, aidé par la frappe subtile de Phil Selway et la basse ronronnante de Colin Greenwood, toujours en retrait (34 ans ce jour-là !). Quant à Jonny Greenwood, s'il ne tricote pas son manche, c'est qu'il triture ses Ondes Martenot, ses vieux transistors et son laptop, en bonne cheville ouvrière du groupe, spécialiste des tâches ardues et des bruits en tous genres. L'ambiance, quasi-religieuse pendant ces deux slows radioactifs d'une beauté imparable, s'embrase avec les classiques « Fake Plastic Trees » et « Just », puis se détend lors d'un « Go To Sleep » raisonnable et d'un « I Might Be Wrong » routinier. « Paranoid Android » remet le feu aux poudres : voilà une chanson incroyable, aux tiroirs dans lesquels on pioche sans cesse, sûr d'y découvrir encore de nouvelles merveilles. L'atmosphère, électrique et survoltée, prend à la gorge. Radiohead n'a jamais si bien joué, et Thom n'a jamais autant souri… « Idiotheque », « Everything in it's Right Place » : que ceux qui faisaient la moue à l'écoute de « Kid A » et d'« Amnesiac » fassent leur mea culpa ! Un concert d'une qualité pareille oblige les indécis à revoir leur copie : va falloir se faire une raison ! Et ce n'est pas « Exit Music (For a Film) » qui nous fera dire le contraire : quelle claque ! En rappel, les lancinants « Sit Down, Stand Up » et « Pyramid Song » prolongeront notre plaisir, avant l'apothéose « Karma Police » et son refrain repris en cœur par 70.000 fans, seuls avec Thom Yorke, exultant comme un gamin. « For a minute there, I lost myself ». Le temps, suspendu pendant 1h30, reprend peu à peu ses droits, et nous notre esprit. On n'est que jeudi, et déjà on est sûr d'une chose : la prestation brillante de Radiohead restera dans les annales du festival ; et on voit mal qui pourrait les détrôner durant ces quatre jours.

Pas Underworld en tout cas, qu'on a connu plus convaincants: il y a dix mois au Pukkelpop, Karl Hyde et Rick Smith avaient mis le feu à Kiewit. Ici, ce n'était pas la forme olympique, même s'il faut avouer qu'Underworld en festival, cela reste l'occasion rêvée de jumper les bras en l'air. Le set débuta en douceur par « Rez », « Cowgirl » et « Pearls Girl », puis le duo accéléra la cadence (« Two Months Off », « Dinosaur Adventure 3D »), avant le climax « King Of Snake » et bien sûr « Born Slippy », l'un des rares classiques électro à mettre tout le monde d'accord, rockeurs et clubbers, fans de boum-boum et fidèles de James Hetfield. Karl Hyde bondit toujours sur scène comme un faux djeune qui boit du jus de tomates, et Smith s'affaire toujours à la besogne informatique (surtout depuis le départ de Darren Emerson), mais à part ça, pointaient chez les deux compères une certaine fatigue. Ce n'est pas sérieux quand on a 40 ans... Un peu mou donc, même lors de l'explosif « Moaner », leur morceau pourtant le plus éprouvant pour les guiboles. Sur la fin, on est donc parti dormir, tandis que retentissaient en rappel les premières notes du relaxant « Jumbo », comme si Underworld avait compris que seuls nous importaient maintenant la douceur des bras de Morphée. Zzzz (et ce n'est que le début).

Les Nuits Botanique 2003 : du 17 au 28 septembre

Sur les marches descendant vers le parc verdoyant du Botanique, des centaines de badauds mélomanes tapent la discute en attendant que ça commence. A leur droite, les grandes serres, une tente censée, par la transparence de ses parois, donner une vue imprenable sur l'architecture du bâtiment. A peine les plus petits pourront y admirer, de l'intérieur, un bas de mur un peu crade, et les autres la cité administrative, juste en face du boulevard. Le son est infâme, mais l'ambiance est souvent à la fête. Dans les couloirs, entre le Musée et l'Orangerie, c'est aussi l'affluence. Cette année, les Nuits Bota auront donc fait le plein, malgré une programmation assez (trop ?) pointue et un déficit évident de têtes d'affiche. De ces 11 nuits chaudes et amicales, voici quelques souvenirs totalement subjectifs. En avant la musique !

Le premier jour, il y avait tout d'abord Sharko, songwriter atypique qui n'hésite jamais à mouiller sa culotte pour donner à son public des concerts mémorables. Pour la présentation de son nouvel album, « Sharko III », David Bartholomée s'était donc dit qu'il fallait faire quelque chose de spécial. Au programme : des ballons tombant du ciel, des cabrioles, du karaoké, une jolie casquette de policier, des amis (Black Nielson, la première partie, du pop-rock honnête) reprenant en cœur « It's a sad sad planet » d'Evil Superstars, le bain de foule habituel, et surtout, de bonnes chansons servies avec panache et bonne humeur, à défaut de perfectionnisme. C'est que Sharko n'est pas taillé dans le bois avec lequel on fait des flûtes : la routine, il connaît pas, et ses chansons sur scène ne sont jamais les mêmes. Ca change tout le temps, parce que Sharko n'aime pas s'ennuyer, clown au cœur léger (parfois triste) qui prend sa musique à bras le corps mais refuse de la servir pré-mâchée. C'est parfois bancal, mais ça fait partie du show : notre ami ne reste jamais en place, et sa tête fourmille d'idées qui donnent envie de le suivre en tournée comme un con de groupie. « Spotlite », « Excellent », « President » sont en tout cas des hits, qu'on espère bientôt téléchargeables sur notre gsm, pour frimer à la cour de récré…

Moins drôle mais quand même pas mal : les Mancuniens (applaudissements !) de I Am Kloot. Il y a deux ans nouveaux fers de lance de la vague « New Acoustic Movement », John, Andy et Peter reviennent avec un nouvel album éponyme, qui s'il ne devrait pas déclencher un raz-de-marée médiatique, plaira aux amateurs de chansons pop-folk bien troussées. C'est sans prétention, il n'y a pas de solos de guitares à la Darkness, mais faudra faire avec… En concert, c'est charmant : sans se prendre la tête mais blaguant de bon cœur comme trois étudiants un peu attardés, Andy, Peter et John s'appliquent joliment à leur interprétation de « To You », « Morning Rain », « Twist » et « Dark Star », petits hits de l'époque qu'on se remémore avec plaisir, comme une vieille copine qu'on aurait perdue de vue. Les nouveaux morceaux, « From Your Favourite Sky », « Cuckoo », « Life In A Day », ne piqueront sans doute pas la pole position aux White Stripes et aux Strokes dans le cœur des midinettes fashion victims, mais qui s'en soucie ? I Am Kloot n'est ni glamour ni tendance, mais tient quand même bien la route parce que ses pneus sont rodés et son volant équipé d'un air bag.

Au lieu de faire des métaphores sportives à deux balles comme Sharko [voir l'interview], passons au jour suivant : Davide Balula, NLF3 Trio et Tim Keegan, une petite soirée sympa placée sous le signe des musiques passerelles, entre folk, jazz et électro. Davide Balula fait partie d'une petite confrérie électronique en passe d'acquérir une reconnaissance des plus méritées : Active Suspension, label parisien au catalogue impeccable, lointain cousin d'Acuarela, Anticon et Planet Mu, où comment mélanger les genres en évitant le gloubi boulga prétentieux. Pour vous faire une idée, une compile indispensable : « Active Suspension vs. Clapping Music (NDR : un autre label, en fait plus ou moins le même) », qui réunit des gens comme TTC, Encre, Colleen, dDamage, Domotic, Hypo, Odot Lamm et bien d'autres. Davide Balula pratique un folk drakien passé à la moulinette électronique, parsemé de cris d'oiseaux, de souffles lascifs et de silences même pas gênants. C'est beau et délicat, et tout à fait singulier. Le public, clairsemé mais attentif, réservera d'ailleurs à notre ami chanteur (murmureur) et guitariste (accompagné d'un préposé aux machines) un accueil des plus chaleureux, jusqu'à réclamer un « bis »… Rendez-vous était pris pour le lendemain, aux Halles Saint-Géry, pour un petit concert improvisé totalement foireux mais d'une générosité folle.

La suite avec un autre label, Prohibited, puisque les trois zigues de NLF3 Trio en sont les patrons, mais font aussi de la musique. Et quelle musique ! Du rock (post, kraut), du jazz, de l'électro, tout ça à la fois, la transe en plus. C'est dans cet interstice, et celui de l'impro, que le trio évolue, avec grâce et concentration, comme si Faust, Tortoise et Ravi Coltrane s'étaient tous retrouvés à la Rotonde du Bota, sans rire.

Quant à Tim Keegan, leader des méconnus Departure Lounge, il aura clôturé la soirée dans une ambiance délétère (il était tard, et le public encore moins nombreux), rajoutant au charme de ses chansons pop-folk composées sur un nuage. Au programme, quelques classiques de son groupe et beaucoup de nouvelles chansons (à paraître sur son prochain album solo), dont une ode à la pomme de terre de toute beauté, qui nous ferait presque culpabiliser de manger des frites.

A noter également qu'en raison du manque de public venu voir Jay Alanski et Fred Poulet, il était permis de passer de la Rotonde au Musée. L'électro parisienne d'Alanski est prétentieuse et stérile.

Quant à Fred Poulet, il aura bien plu (du moins au début) : ses chansons pleines de jeux de mots rappellent Gainsbourg, Fersen, Thiéfaine et Kat Onoma. Ca fait beaucoup, mais c'est tellement gratifiant d'étaler sa culture… Un peu comme Poulet d'ailleurs, qui s'amuse avec les mots mais n'évitera pas la blague de mauvais goût (« J'aime bien Bruxelles, c'est comme à Paris : il y a plein d'Arabes »)… Euh! Oui, ben, euh!… Froid. A la fin, il réclame un rappel pour « faire un triomphe ». Sympa, le gars. Dommage qu'il n'y avait que 30 personnes. Et pas d'« Arabes ».

De toute façon, ce n'est pas bien de se battre : on est ici pour faire la fête. Parfois, c'est dur : y a personne, le son est pourri (les Grandes Serres) ou la musique n'est pas très dansante. C'était le cas, vendredi, d'Oval/So, Jan Jelinek, Pole et Four Tet. L'électro au laptop, en live, n'est jamais très marrante : il n'y a rien à voir si ce n'est un type scrutant son Apple en fronçant les sourcils. Pas très rock'n'roll. Pourquoi ne pas utiliser une souris lançant des lasers ou un écran géant avec des femmes à poils ou des déguisements ridicules ? Jan Jelinek, c'est bien : un peu dub, à la Pole. Le problème chez ces types, c'est qu'on aime bien leur musique mais on ne sait pas trop quoi en dire.

Markus Popp, lui, avait au moins ramené une copine, Eriko Toyoda, une Japonaise à la voix fluette mais charmante, genre Tujiko Noriko. A deux (So), ils viennent de sortir un bel album éponyme, pop dans l'attitude. Alors que son électro abrupte sous le nom d'Oval peut parfois laisser poindre un certain ennui (l'expérimental passe mal en live), en compagnie de Toyada l'Allemand se lâche et perd ses tics de bidouilleur un peu snobinard. Oval/So : c'est joli et mélodieux, même si sur scène cela reste encore un peu hésitant.

Heureusement, il y avait Kieran Hebden alias Four Tet, dont le set carré et boombastic nous aura permis, enfin, de nous dérouiller les jambes. Beaucoup moins subtil que sur disque (l'excellent « Rounds »), Four Tet balance la sauce sans faire le précieux. D'accord, c'est parfois facile (ces beats poids lourd), mais à minuit, après trois heures de laptoperies statiques, on ne demande pas son reste et on danse, « to the underground ».

Samedi, on passe au rock. Noyés sous une chape de bruit compacté et malmenés par le son de leurs instruments qui leur ricochent sur la gueule, les Américains de The Sights n'auront pas eu la tâche facile. Il est 20h00 tapantes, et le rock garage prend ses quartiers dans les Grandes Serres, alors que dehors tout le monde boit des bières. The Sights, c'est efficace, mais mineur : des groupes de garage au look chevelu tendance Mick Jagger il y a trente piges, on en a déjà vu défiler ces deux dernières années (des Soledad Brothers à Vue). N'empêche que c'est un bon hors-d'œuvre, avant Guided By Voices et Spiritualized.

Il y a avait aussi Mew, cinq types qui font du My Bloody Valentine pour les jeunes. L'incroyable : le chanteur, à la voix de castrat. Sur disque, on aurait juré que c'était une fille. Ben non. Reste que ces mecs font de la musique sympathique, à défaut d'autre chose. Le raccourci « Kevin Shields » est peut-être grossier, mais écouté du fond de la tente, où ça sonne vilainement aux tympans (cette acoustique !), on reste un peu coi.

Idem pour Guided By Voices, malgré la pêche de Pollard. Beaucoup de chansons, beaucoup de tubes, mais que personne ne connaît. On a beau les avoir vu dans un clip des Strokes, qui ne jurent paraît-il que par eux, on ne peut s'empêcher d'être triste. Parce qu'ils méritent eux aussi leur part du gâteau. Pollard est un mélodiste hors pair, qui gâche parfois son talent. A trop écrire. A trop vouloir tirer de plans sur la comète. A trop s'épancher sur des albums fourre-tout qui auraient pu être terribles deux fois plus courts. Ce type est un stakhanoviste de la guitare et du refrain pop-rock qui tue, et pourtant il pointe au bureau de chômage du music business. Triste. Jason Pierce, lui, vend plus de disques, même si la grande époque, celle de « Ladies and Gentlemen… », est bel et bien révolue.

On se souvient d'un concert des Spiritualized à l'Orangerie, aux Nuits, il y a six ans. Fantastique. Des gens tombant dans les pommes. Pas d'évanouissement cette fois : juste quelques bonnes chansons (dont « Come Together » en ouverture, « I think I'm in love »), mais sans psychédélisme. Jason Pierce est maintenant un type sevré, recyclé dans le gospel et buvant de l'eau ferrugineuse. Assis dans un coin, il faisait même un peu pitié. Le nouvel album, « Amazing Grace », n'est pourtant pas mauvais. Plus calme. Plus réservé. Toujours illuminé, mais d'une lumière filtrant non plus par l'entrebâillement des Portes de la Perception, mais d'une porte d'église. A confesse, le Jason ! Ses fidèles, en plus, étaient mal debout : c'est que le sol n'est pas droit, et tout poussiéreux. L'année prochaine, il faudra remédier à ce problème, qui donne mal au dos et donne trop de boulot de cirage.

Dimanche, rebelote : cette fois, on a mis nos baskets les plus pourries pour aller voir Broadcast et Peaches. La musique feutrée et paysagiste de Broadcast aurait sans doute été mieux lotie à l'Orangerie : dans les Serres, la voix de Trish Keenan perdait de sa délicate saveur, et de son mystère. Et le reste, forcément, d'en pâtir. Résultat : le grand concert qu'on espérait n'eut pas lieu, et l'on se retrouva à boire des bières à l'extérieur en attendant que notre désespoir se tasse. « Haha Sound », s'intitule le dernier (et excellent) album de Broadcast. Pour l'occasion, on le rebaptisera « Caca Sound », même si ce n'est pas drôle…

De toute façon, c'était surtout pour Peaches qu'on était là, parce que la voir en concert est une expérience limite mais inoubliable. Peaches respire le sexe. Elle cultive l'ambiguïté (homo, hétéro, bi ?). Les hommes l'aiment pour ses longues jambes et ses poses suggestives. Les femmes aussi. C'est la reine du « queer » : qu'on soit gay ou pas, homme ou femme, on est troublé par Peaches. Seule sur scène, elle prend pourtant toute la place. Une véritable entertainer, qui sait comment séduire son public, et le mettre à genoux. La musique : des riffs de guitares, des beats, une structure rythmique des plus binaires. Et des cris félins, qui suintent la testostérone, la cyprine et les phéromones. Parfois, deux femmes à (fausse) barbe (et faux pénis) l'accompagnent dans ses ébats électro-rock, la ligotant, la caressant, la provoquant. C'est du chiqué, mais ça se regarde (et s'écoute) quand même avec plaisir. Peaches magnétise tous les regards, même si beaucoup sont là pour la performance, pas pour la musique. Pourtant, des titres comme « Shake Your Dix », « I U She » et « Stuff Me Up » sont de véritables bombes (sexuelles). Sur « Kick It », Peaches chante même avec Iggy Pop, présent presque pour de vrai, sur un écran derrière elle. Un sacré show, sacrément chaud. A la suite, un dj-set d'Unkle, efficace mais pas très fédérateur. C'est qu'après Peaches, tous nos sens étaient en compote. Ouah, où est la sortie ?

Moins sexe, Das Pop : les tenues de joueurs de tennis seventies ont l'air pourtant de plaire aux filles, puisque Das Pop est un des rares groupes belges à posséder une base solide de groupies, toutes mignonnes dans leur T-shirt « I Love »… Il faut dire que les Gantois, sur scène, assurent pas mal : depuis Werchter, ils ont fait d'énormes progrès, et leur show est réglé comme du papier à musique. La setlist est donc toujours la même (jusqu'à la cover d'« Abracadabra » du Steve Miller Band, qui clôture chacun de leurs concerts), et pourtant cela reste percutant. Les Das Pop sont mésestimés par beaucoup de gens, parce qu'ils sont trop « clean », parce que leur pop est soi-disant inoffensive, parce qu'ils ressemblent à un boys band éprouvette sponsorisé par Bjorn Borg. Des ragots pulvérisés par des prestations impeccables, comme celle-ci et tant d'autres.

On ne peut pas en dire autant des Fun Lovin' Criminals, qui courent après l'inspiration depuis leur excellent premier fait d'armes il y a plus de sept ans (« Come Find Yourself »). De cette pièce maîtresse, quelques reliques auront été jetées en pâture à un public plutôt clairsemé (« Scooby Snacks », forcément, « King of New York »,…). Les New-yorkais, aujourd'hui, tronçonnent dans le bois punk-rock le plus vulgaire : de ce qui plaisait chez eux avant (ce mélange des genres, rock, soul, rap, funk) ne subsistent que des traces, en pointillé. Les FLC vivent et jouent dans la certitude que tout leur est acquis. Mais à force de trop s'imaginer que le public suit, bientôt il n'y aura plus personne. A ce moment-là, Huey et ses deux potes ressembleront un peu au Pumpkin du film de Scorsese : de gros pantins bien cons, jouant leur musique sans saveur devant un grand poster mural sur lequel serait reproduit, dans les moindres détails, un public chaleureux et réceptif, applaudissant à tout rompre leurs idoles de toujours. Brrrr.

Dernier jour, dimanche : un peu de hip hop décomplexé et d'électro pour chiennes de gardes. Hanin Elias est la copine d'Alec Empire. Déjà tout un programme. Comme son ami (amant ?), elle aime faire du bruit. Son dernier album, « No Games No Fun », casse un peu les oreilles mais peut s'écouter quand on est fâché. Sur scène, la diablesse joue aux ingénues, coincée dans sa petite robe de bal et lançant sourires et clins d'œil aux mâles de la salle. Elle est toute petite, Hanin Elias, mais elle n'aime pas qu'on la sous-estime. Elle le gueule, d'ailleurs, tandis que derrière elle, des images sanguinolentes sont projetées, de Takashi Miike à ses propres clips, petits films gore de série Z. Il n'empêche qu'elle a beau sortir ses griffes, elle ne nous fait pas vraiment peur. Au contraire on regarde ses crises d'un air détaché, comme un père accompagnant sa petite fille à un concert de Marilyn Manson.

La suite n'avait rien à voir : d'abord Buck 65, Canadien qui fait du rap à la Tom Waits, bref qui braille d'une voix caverneuse des trucs marrants sur des beats costauds, puis l'incroyable Sage Francis, dont le flow et la hargne laissent pantois. Avec ses airs de bûcheron famélique, Sage Francis fait un peu peur. D'autant qu'il parle de choses stupéfiantes, avec ou sans beats, notamment d'Apocalypse et de la planète Mars. En primeur, il aura dévoilé quelques morceaux de son nouveau projet, Non Prophets, sur Lex. Voilà deux artistes qui font du hip hop inventif et jouissif, intelligent et festif, sans tomber dans les travers de leurs collègues d'MTV, qui ne sont assurément pas du même monde… (G.E.)

Le retour de Tuxedo Moon en live ! Il y a vingt ans que les plus fidèles aficionados attendaient cet instant. C'est d'ailleurs ce qu'une spectatrice clamera plusieurs fois au cours de leur set. Pourtant certains musiciens du groupe s'étaient déjà réunis, épisodiquement, pour travailler ou retravailler l'un ou l'autre projet. Et puis, il ne faut pas oublier, qu'à une certaine époque, ils vivaient tous à Bruxelles. Mais si Blaine Reininger, Steven Brown, Peter Principle et Luc Van Lieshout sont bien au poste, Winston Tong a décliné l'invitation. Et le public semble connaisseur, car lorsque la formation monte sur scène, il le réclame. En vain, puisque ce seront Blaine et Steven qui assureront les parties vocales. Blaine s'est coupé les cheveux. Il ressemble de plus en plus à Willy Deville. Il dialogue avec le public entre chaque morceau, et n'a pas perdu son sens de l'humour si particulier. Enfin, s'il se réserve toujours le violon avec une dextérité et un feeling contagieux, il assure également les parties de guitare. Des six cordes très électrifiées qu'il entraîne parfois dans le psychédélisme. Peter libère de sa basse des sonorités pulsantes, palpitantes, un peu comme s'il était le cœur de l'ensemble. Steven passe alternativement des claviers à la clarinette, tout en alliant sobriété et efficacité, pendant que Luc cuivre le tout de sa trompette (parfois bouchée) aux accents jazzyfiants très prononcés. Et le tout évolue au gré de cette boîte à rythmes si particulière, presque mystérieuse mais toujours aussi envoûtante. Bruce Geduldig est bien sûr de la partie. Mais s'il joue toujours sur les effets d'ombre et de lumière, la danse et l'expression théâtrale ont pratiquement disparu de la circulation. Bref, maintenant venons-en au concert. Tuxedo Moon y a présenté son nouvel album (NDR : il devrait sortir au printemps prochain). Des titres d'excellente facture, mais qui vu leur complexité n'accrochent pas immédiatement. Normal pour une musique dont la démarche est volontairement intellectuelle. Ce sont donc les standards qui ont fait vibrer le plus la salle (« Desire », « Waltz », « St John », « In the manner of speaking », et un « Egypt » au cours duquel Luc est passé à l'harmonica) atteignant même des moments d'intensité exaltants. Bref, du bonheur ! Deux rappels ont ainsi ponctué un tout grand moment des Nuits Botanique. Et tant pis pour celles ou ceux qui n'y étaient pas… (BD)

Des Nuits, qui, encore une fois, se terminent en beauté, malgré le froid des derniers jours, malgré la concurrence (les autres salles de concert), malgré la banqueroute de certaines programmations (notamment celle avec « rinôçérôse » au Cirque Royal, déménagée au… Musée). A l'année prochaine, comme d'habitude ? (G.E.)

 

D Hiver Rock 2002 : dimanche 22 décembre

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50 personnes pour assister au set d'Au Coin de La Rue, c'était quand même un peu vide. Les absents ont eu tort. Le trio franco-belge (deux Français et un Belge) expérimente une formule de rock/théâtre très au point, mais qui laisse paradoxalement une large place à l'improvisation. Beaucoup d'humour. De métier, aussi. Pas pour rien qu'il parvient à déplacer la plupart des spectateurs de leur siège vers le devant la scène. Pour s'y asseoir sur le plancher des vaches. Trois excellents vocalistes très complémentaires. Dont les harmonies vocales évoquent tantôt les Frères Jacques, tantôt les Négresses Vertes. Trois instrumentistes (un contrebassiste, un guitariste et un clarinettiste/accordéoniste) qui ne craignent pas de tutoyer tous les styles musicaux. C'est vrai qu'il y a un petit côté hybride dans la musique du combo. Une rencontre entre toutes les cultures qui peuplent l'Hexagone. Avec un sens de la fête, de la répartie, et du spectacle auquel le public est invité à participer (NDR : et participe). Franchement, les absents ont eu tort. Car leur spectacle m'a permis de passer un bon moment. Ce n'est pas non plus à négliger !

 

D Hiver Rock 2002 : samedi 21 décembre

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450 personnes le vendredi pour les concerts de Raspoutitsa de Mud Flow et de Yel. On peut affirmer qu'il s'agissait d'un succès. Raspoutitsa ? C'est le groupe né des cendres de Larsen Lupin. Une formation tournaisienne qui a troqué le grunge contre du prog rock. Et je dois avouer que nonobstant le côté un peu revivaliste de leur musique, elle est plutôt bien jouée. Les musiciens sont irréprochables, excellents même, et se complètent comme des vieux briscards. Les ombres d'un Ange et de l'Archange (NDR : Gabriel ?) se mettent même à planer. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes s'il n'y avait la voix de Mathieu. Elle ne colle décidément pas à la musique. Et pourtant, elle est capable de changer d'octave. Ah oui, et les textes. A ses débuts le King Crimson avait eu recours à un parolier. Ne rigolez pas, dans le style, si le groupe parvient à progresser, il va devenir le chouchou de Marc Isaye. Et à l'issue de leur prestation, je n'étais pas le seul à partager ce point de vue…

Mud Flow ? Je ne connaissais que leur premier album. Très pop. Très clean. Très mélodique. Très radio. Quelle n'a pas été ma surprise d'assister à un set ravageur et sauvage, sans pour autant que le groupe ne néglige l'aspect mélodique des compositions. Le quatuor bruxellois nous en a mis plein la vue. Pas étonnant qu'il multiplie les clins d'œil à Placebo à Hüsker Dü, dEus, House of Love et aux Scabs. Et les oreilles, bien évidemment. Son chanteur possède le charisme d'un véritable showman. Le band possède le format international, c'est une évidence.  Et franchement, s'il passe près de chez vous, ne le manquez sous aucun prétexte…

Yel est une valeur sûre du rock belge et francophone, en particulier. Normal, puisque les chansons sont interprétées dans la langue de Molière. Partout où le combo se produit il fait l'unanimité. Il ne lui manque pas grand-chose pour monter d'une division. Sur scène, son style se révèle quand même moins britpop. Enfin, c'est ce que la presse avait décrétée à l'issue de l'écoute de son premier opus (NDR : désolé je suis dans l'incapacité d'apporter mon grain de sel, puisque la promo n'est pas arrivée jusque Musiczine…). Moins britpop et plus passionnel. Dans l'esprit de Noir Désir et d'Aston Villa. Les deux ensemble. Le groupe permet aussi à Claudia, la chanteuse de Starving, de partager l'interprétation d'une compo. Avec beaucoup de bonheur, il faut le reconnaître. En final, Yel montre qu'il est aussi capable de tâter du psychédélisme. Et puis en rappel, il a le bon goût de se libérer sous une forme de punk branché sur un numéro de Téléphone piqué chez lez Pixies.

 

D Hiver Rock 2002 : vendredi 20 décembre

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Dyonisos ayant déclaré forfait, la Maison de la Culture de Tournai avait donc décidé de monter un mini festival regroupant 6 groupes en trois jours. C'est à dire Major Deluxe et Morning Star le jeudi 20 décembre, Raspoutistsa, Mud Flow et Yel le vendredi, et enfin Au Coin de La Rue le samedi. Et il faut reconnaître qu'hormis le samedi, le public a répondu présent.

Major Deluxe et Morning Star à la même affiche se comprenait aisément, puisque les deux formations tournent, depuis quelque temps, ensemble. Et que la plupart des musiciens de Major Deluxe servent de backing group à Morning Star. Enfin pour la tournée. Drivé par le chanteur/compositeur/guitariste tournaisien Sébastien Carbonelle, Major Deluxe aligne la bagatelle de 8 musiciens. Sur scène. Dont un trompettiste et une violoniste. Un line up renforcé épisodiquement par une fanfare de quatre cuivres. Le concept est original. Ce n'est pas tout à fait de l'easy listening. Ni tout à fait de la prog pompée dans la Canterbury School (NDR : pensez à Caravan). Et pas davantage du néo prop pop à la sauce Beta Band. Peut-être un peu des trois ! Le seul hic, c'est que l'osmose entre les différents musiciens ne se produit que trop rarement. Bref, la mayonnaise sonore ne prend pas. Elle reste à l'état d'ébauche. Manque de répétition ? Probable ! C'est une certitude dans le chef de la fanfare, qui n'a jamais si bien porté son nom. Et puis, je pense que pour optimaliser ce concept, il aurait fallu un ingénieur du son balaise. Ou alors deux ou trois complémentaires. 29 curseurs ouverts, faut pas non plus demander l'impossible ! Par contre, je suis convaincu qu'en studio, le groupe aura davantage le temps et la patience de tout bien mettre en place. C'est tout le mal que je leur souhaite…

Auteur d'un premier elpee plutôt bien ficelé (« In place in the dust »), Morning Star peut compter en la personne de Jesse D Vernon, sur un chanteur/compositeur particulièrement talentueux. Un gars de Bristol qui a des planches (NDR : au propre comme au figuré !). Avant de fonder Morning Star, il avait sévi au sein des Moonflowers. Pour la circonstance, son orchestre réunit la plupart des musiciens de Major Deluxe, dont Sébastien à la seconde guitare, une clarinettiste, la bassiste de Mellon Gallia… et parfois aussi la mini fanfare ( ?!?!?!). Objectif : frotter, mixer, confronter les genres, les styles, tisser minutieusement des lignes mélodiques, avant de les laisser s'effilocher au gré de l'inspiration, en prenant bien soin d'en capturer les moments les plus intenses… Malheureusement, si Jesse tire facilement son épingle de jeu, les moments d'intensité sont beaucoup trop rares pour véritablement envoûter. Encore une fois, le manque de communion entre les musiciens y est pour quelque chose…

 

Rock Werchter 2002 : dimanche 30 juin

Si l'affiche du dimanche semblait au premier abord la moins intéressante, ce fût pourtant la journée des chouettes découvertes et des excellentes confirmations. Passons le rock amerloque des Hollandais de Kane et les refrains poussifs de Zornik, notre Muse national, pour se pencher sur un cas d'exception : Hawksley Workman. Dandy décadent mimant Roxy Music sur fond de Jeff Buckley, le Canadien au sourire carnassier aura confirmé tout le bien qu'on pensait de lui depuis sa première apparition en terre wallonne il y a plus d'un an, au Salon de Silly. Théâtral mais jamais ridicule, Hawksley Workman restera l'une des révélations de ce TW 2002, rugissant comme un lion lorsque les guitares lourdingues de Zornik viendront parasiter ses chansons de cabaret glam. Qu'à cela ne tienne, lui et ses potes (notamment Mister Lonely, sorte de Ray Manzarek mâtiné de Kurt Weill) auront tenu le public en haleine pendant une petite heure – cela méritait bien une belle ovation.

Les ex-Quicksand de Rival Schools avaient donc du pain sur la planche après cette tornade venue du froid : pas de problème, leur emocore aura rempli sa mission de divertissement public, grâce à quelques mélodies bien ficelées (« Used For Glue », leur hit) et des riffs malins et accrocheurs ? La pop musclée serait-elle en train de signer la mort du nu-métal ? A en écouter les albums de ces Américains, et ceux de Weezer, Hundred Reasons, The Vines,… il y a fort à parier que les casquettes rouges et les T-shirts Adidas se retrouvent bientôt dans les bacs à soldes.

Loin d'être un rapper de Prisunic, Michael Franti était fort attendu depuis son carton l'année passée au Pukkelpop. Rebelote : l'anti-mondialiste de la musique black aura de nouveau foutu un beau souk, transformant la plaine en giga-fête, ses « Sometimes », « Rock The Nation » et « People In The Middle » dynamitant l'ambiance à coups de bras en l'air et de refrains repris en chœur. Sur « Power To The Peaceful », Louise Rhodes, la chanteuse de Lamb, viendra même pousser la chansonnette, exhortant le public à reprendre les paroles. « We can bomb the world to pieces, but we can't bomb the world to peace » : voilà en quelques mots toute l'idéologie de Franti, pourfendeur des laissés-pour-compte et défenseur de la paix sur terre. Spearhead : une autre façon de manifester contre la haine et l'indifférence.

Après un quart d'heure de retard en raison d'une panne de sampler, les fous furieux de Millionaire auront prouvé encore une fois qu'ils sont nos meilleurs représentants sur scène : sexy et bombastic, les perles de leur album « Outside The Simian Flock » prennent leur véritavble envol sur scène, à l'image des gesticulations très Who (encore) du chanteur Tim Vanhamel (déjà présent deux jours plus tôt en renfort chez dEUS).

A côté de tant d'énergie, la prestation d'Heather Nova faisait bien pâle figure. A choisir parmi ces femmes qui embellissent le rock, autant jeter son dévolu sur Lamb, la délicatesse de Louise Rhodes n'étant plus à prouver. Comme d'habitude, le concert fut parfait, du classique « Gorecki » à ce splendide « I Cry », avec Michael Franti en guest-star. Un sans faute, même si le chapiteau aurait davantage collé à l'ambiance intimiste et fragile dégagée par le trip-hop de Lamb et sa chanteuse de charme.

Après tant de finesse et de classe, les Anglais de Coldplay avaient intérêt à se surpasser : c'était sans compter sur la solidité mélodique de leurs chansons et le charisme de Chris Martin. A quelques semaines de la sortie de leur deuxième album (« A Rush Of Blood In The Head »), les Britanniques ont joliment confirmé leur statut de dignes successeurs de U2 (rayon slows et tubes qui arrachent). Avec un « Everything's Not Lost » d'anthologie et un « In My Place » en beau final (le nouveau single, déjà dans tous les cœurs), Coldplay aura livré un bon concert, certes sans grosses surprises mais parfaitement maîtrisé : vainqueurs du trophée « meilleur espoir » il y a deux ans, les voilà bien partis pour gagner celui de « meilleure confirmation » pour 2002, à l'heure ou Radiohead, Oasis et Blur semblent perdus dans les limbes fumeuses du rock d'Outre-Manche.

Reste Faithless, tête d'affiche pompière mais fédératrice, avec lequel TW se sera terminé en beauté, ses hymnes boum-boum à deux notes ayant rempli leur rôle de catalyseur d'ambiance de fin de soirée (et de festival). A voir le public jumper comme un seul homme sur « God Is A DJ » et « We Come 1 », on se dit que la techno-rock de Prodigy et des Chemicals a pris de l'embonpoint auprès des jeunes, lui préférant maintenant les beats simplets de Rollo, Sister Bliss et Maurice Van Engelen. « This is my church, this is where I heal my hurts », prêche Maxi Jazz sur « God Is A DJ » : la plaine de Werchter transformée en terrain de prière techno pour des milliers de fidèles dévoués à la musique – voilà une image qui restera dans les mémoires, et un bel épilogue pour ces trois jours de fête sensationnels. Amen.

 

Rock Werchter 2002 : samedi 29 juin

Venus de la baie de San Francisco, Hoobastank n'a pas fait bouger les foules, malgré son rock aiguisé mais bien trop prévisible. Malgré leur hit « Crawling In The Dark », on se dit que le métal venu d'Outre-Atlantique commence sérieusement à battre de l'aile – même Incubus, leurs voisins de palier, commencent à virer A-Ha…

Plus sympa, le hip-hop hollandais de Brainpower inaugura la pyramide sous les meilleurs auspices, mais c'est du côté du gothique qu'il faudra aller chercher les premiers vrais émois du festival, du moins au niveau de l'applaudimètre.

Pourtant, il y a quelques mois, Within Temptation n'était connu que des aficionados des colliers cloutés et des dentiers de vampire. Du métal gothique à Werchter ? En tout cas le public semblait ravi, réservant une ovation à Sharon den Adel, chanteuse électrifiante à la voix de soprano et au look de Comtesse Bathory. « Ice Queen » et « Mother Earth », en boucle sur toutes les radios flamandes, ont donc fait un tabac : on se serait presque cru au Graspop.

Rien à voir avec Ed Harcourt et son folk-rock à la Elliot Smith : Werchter est bien le festival de toutes les musiques, et c'est tant mieux. Pour beaucoup, ce fût la découverte du festival ; son album « Here Be Monsters » est d'ailleurs « een aanrader », comme diraient nos amis Flamands, en (très) grande majorité pendant ces trois jours de fête.

Sauf que la fête prend parfois des allures de recueillement - avec la néo-country de Lambchop et le rock ombragé de Madrugada par exemple -, bien que beaucoup profiteront de ces quelques moments de volupté pour dormir ou se remplir la panse. C'est qu'arrivent les gros morceaux rock du festival : Queens Of The Stone Age, Bush et Rammstein.

En plein milieu d'après-midi, le stoner des QOTSA tape dur, comme le soleil, d'autant qu'à la batterie, c'est Dave Grohl lui-même qui cogne. Au finish, une heure de métal lourd et costaud, d'une technicité incroyable : rarement le rock n'aura aussi bien porté son nom. Les morceaux de leur nouvel album à paraître, « Songs For The Deaf », auront en tout cas sonné tout le monde : ces gras-là assurent grave, et ce n'est pas l'ex-Screaming Trees Mark Lanegan (invité sur une chanson) qui viendra dire le contraire. Avec un telle formation, les QOTSA semblent être à leur zénith, et nous avec. Une vraie claque !

Le contraire de Bush, en somme. Autant Nick Oliveri et Joshua Homme composent de sacrées tapes rock'n'roll, autant Gavin Rossdale n'arrive pas à se débarrasser de cette étiquette de bellâtre néo-grunge qui lui colle  à la peau depuis des lustres. « Everything Zen », « Machinehead », « Glycerine », autant de tubes FM qui feraient retourner Kurt Cobain dans sa tombe - bref au niveau originalité, c'est la quille. Même leur reprise de « The One I Love » de REM, en hommage au bassiste des Who, tombe à plat…

Pour l'inventivité, mieux vaut aller voir du côté de Cornelius, le groupe du japonais Keigo Oyamada. Ses fusions improbables d'easy-listening electro, de rock ardu et de surf-pop sixties en a surpris plus d'un, des frères Dewaele au chanteur de Das Pop, tous au premier rang. Après les Allemands, les Japonais à Werchter : tout cela sent fort la pelouse et le ballon rond.

Balle au centre, nous disions-vous justement à propos des Notwist, cette fois-ci sur le banc de touche mais remplacés à l'attaque par leurs compatriotes sidérurgistes de Rammstein. Fort attendus par tous, les teutons pyromanes auront mis le feu à la plaine, au propre comme au figuré : leurs tubes métallos balancés à la chaîne sur une rythmique d'enfer, Till et ses copains mineurs (+ Dr Maboul) ont montré que le métal, même en allemand, continue parfois à transpirer l'émotion derrière ses riffs martiaux et ses cris gutturaux. Car Rammstein, quoi qu'on en dise, est un groupe romantique : les mélodies surnagent toujours derrière le martèlement des guitares et de la batterie, et les paroles évoquent davantage des jolies bluettes que des atrocités death ou black (NDR : cochez la mauvaise réponse). Certes, voir des milliers de jeunes gens lever le poing en criant « Du Hast » ou « Bück Dich » sur du métal hurlé par un mastodonte en haillons pourrait faire penser aux Jeunesses hitlériennes… Mais c'est parodier pour mieux condamner : Rammstein n'est pas un groupe de nazillons se passant les films de Leni Riefenstahl en boucle, non. C'est même le groupe de métal le plus novateur et entertainer (ce show pyrotechnique !) de ces dernières années. Ich Will !

Quant aux Red Hot Chili Peppers, c'est le groupe le plus mature de sa génération : s'étant fait connaître pour leur fusion funk-rock-métal au début des années 90, ils sont devenus de véritables stars de stades, à classer parmi les U2, REM et Metallica et quelques autres. Pourtant, leur dernier album, « Californication », brillait davantage par des ballades que par des tubes à la « Give It Away » : preuve que les Californiens et leur public ont mûri ensemble, pour le meilleur (le nouvel album, « By The Way »). C'est que depuis le retour de John Frusciante, mélodiste prodige, le groupe semble plus inspiré (et plus soudé) que jamais : en témoignent ces quelques nouveaux morceaux joués ici de mains de maîtres, sans aucun doute des classiques en devenir, tout comme ces « Scar Tissue », « Around The World » et « Road Trippin' » rentrés au panthéon des ballades rock qui tuent. En rappel, « Under The Bridge » finira d'achever un public de toute manière séduit d'avance, et ce malgré le volume sonore parfois trop faible – la house de Roger Sanchez dérangeant alors le fan transi, connaissant par cœur les paroles de ses idoles.

 

Rock Werchter 2002 : vendredi 28 juin

Trois jours, plus de 50 groupes, 200.000 spectateurs : Werchter 2002 a tenu toutes ses promesses de plus grand festival rock de notre plat pays. La surenchère constante de ces dernières années étant devenue chose commune, c'est donc avec enthousiasme et détermination que le fan de musique planta sa tente igloo en pleine campagne de Brabant flamand, n'oubliant pas d'acheter des boules quiès et de remplir son frigo box avant le début de la grand messe. C'est qu'à 90 euros le combi-ticket, autant prendre ses dispositions : le "W" de TW ne veut pas dire Woodstock ; "It's not a free concert", malgré la bière gratuite pour 20 gobelets vides ramassés.

.calibre, justement, milite pour un monde plus juste, où tous les laissés-pour-compte auraient leur place (bref à moindre prix), où le métal noir jaune rouge aurait droit à davantage de reconnaissance. C'est que depuis Channel Zero, notre pays n'a plus vibré aux sons des guitares rêches… Heureusement, voilà .calibre et son nu-métal propre sur lui mais jamais ridicule. Avec leurs invectives bien corsées entre Limp Bizkit et Rage Against The Machine, les 4 métalleux auront ainsi séduit le public, certes encore épars et distrait à cette heure, mais lui rappelant cette époque où Franky D.S.V.D. et ses sbires faisaient office de réveil matin pour tous les festivaliers.

Au même moment sous la pyramide, The Notwist enfilait ses perles electro-rock sur notre corde sensible. Dommage que le son, très approximatif, gâcha notre fête : la voix de Markus Acher étouffée, la ligne de basse grésillante et le laptop en berne sur "Pick Up The Phone", le concert vira presque au mauvais rêve, tout juste sauvé par un "Pilot" magnifique en final. N'empêche, ce n'est pas terrible pour une première qualification des Allemands en finale de notre plus vieux festival… Mais la partie ne fait que commencer : avec Rammstein en renfort le lendemain, la balle est au centre.

Mais elle est vite en touche avec les Dropkick Murphys, auxquels l'ambiance graveleuse des matchs de fin de matinée (World Cup oblige) va comme un gant de keeper. Supporters d'un punk-rock sentant la Guinness, ces lads fans des Sex Pistols et de Ian Dury mélangent leurs riffs à la cornemuse, transformant les airs traditionnels d'Angleterre en hymnes de stades pour hooligans au cerveau ramolli.

Mieux vaut se vautrer dans le rock psyché des Black Rebel Motorcycle Club, trio costaud de garage baggy à la croisée du MC5 et des Stone Roses. "Whatever Happened to My Rock'n'roll ?" braillent-ils toutes guitares dehors, comme en réaction à ces rockers en kilt qui continuent leurs pitreries sur la main stage. Avec "Love Burns" et "Red Eyes And Tears", la réponse semble en tout cas évidente : il n'est pas mort étouffé sous des hectolitres de pinte, bien au contraire… Il suffit de rester sous cette tente en ce vendredi nuageux, pour s'en rendre compte. Car après les BRMC, il y a les White Stripes et Sonic Youth : autant les premiers séduisent par leur simplicité binaire à toute épreuve (une guitare-une batterie), autant les seconds font (toujours) preuve de maestria bruitiste. Le contraste est frappant mais prouve bien que le rock  est encore là, du plus simpliste au plus alambiqué, et que Werchter s'en est toujours fait l'étendard du plus tapageur.

Les White Stripes étaient sans doute le groupe le plus attendu du festival. Erigés hype de l'année 2001 avec les Strokes, les deux White eurent donc fort à faire pour préserver leur aura de groupe (déjà) culte auprès des festivaliers friands de crowdsurfing et de beats soutenus. Pari gagné, puisque leurs comptines blues enfiévrées se parent sur scène de la plus belle des couleurs – le rouge, symbole de fougue et d'énergie, que les deux ex-mari et femme (une rumeur) ont à revendre. Certes parfois lassant (on a vite compris leur recette miracle), le rock des White Stripes impressionne par son immédiateté et sa fraîcheur.

Moins directs mais tout aussi fougueux, les Sonic Youth étaient eux aussi attendus au tournant : il y  avait en effet belle lurette que ces as du manche trafiqué ne nous avaient plus impressionnés, coincés entre leurs derniers albums expérimentaux (un riff = une heure) et ceux "officiels", de moins en moins convaincants. En débutant leur concert par "Bull In The Heather", le ton est donné : retour aux sources soniques du songwriting, aux couplets-refrains pleins de tensions et de décharges électriques. Sans doute que l'arrivée de Jim O'Rourke au sein du groupe a permis aux New-Yorkais de redescendre sur terre et de nous livrer ce tout nouveau "Murray Street", un album mélodieux (voire classique), pour beaucoup le meilleur depuis "Experimental Jet Set, Trash And No Star". Le concert sera d'ailleurs surtout centré sur cet album, du single "The Empty Page" à ce "Rain On Tin" plutôt pop dédié à John Entwistle, bassiste des Who tout juste décédé. Ajoutez à cela des classiques comme "Drunken Butterfly" ou "Kool Thing", et vous aurez compris que Sonic Youth n'a décidément rien perdu de sa jeunesse.

Ah ! Les jeunes ! Venus par milliers pour bien pogoter, ils n'en oublient pas pour autant leurs classiques. En réservant un triomphe à ce vieux coquin d'Arno, le public se montra "magnifique" (en français dans le texte), comme notre Ostendais préféré, en pleine forme en ce début de soirée. Cela faisait presque 20 ans qu'Arno n'avait plus foulé les planches de TW – à l'époque avec TC Matic. Un tel come-back se devait donc d'être à la hauteur, et il le fût : en alternant nouvelles compos ("Je veux nager"), vieux tubes ("Putain Putain", "Olalala",…) et reprises imparables ("Les filles du bord de mer"), Arno mit le feu. "Merci Godverdomme", dira-t-il à la fin de cette heure intense, ému par l'accueil du public. Mais c'est qu'il le vaut bien, notre rocker national !

Le rock belge a encore d'autres idoles : dEUS. Depuis deux ans sans nouvelles, le public était impatient de revoir le groupe de Tom Barman sur scène, là où il a toujours été le meilleur. Le chanteur trop occupé à préparer son premier film et les autres partagés entre leurs projets respectifs (Vive La Fête, Millionaire,…), ce n'est pourtant pas pour demain que dEus donnera une suite au sublime "The Ideal Crash"… Mais peu importe, puisque l'essentiel pour l'instant se trouvait ici, à Werchter, sur la main stage. Dès les premières ondulations de "Via", la plaine s'enflamme, mais le son, trop brouillon, en refroidira rapidement plus d'un. La première partie du concert oscillera ainsi entre le tiède ("Roses") et le passablement raté ("Little Arithmetics"), mais un "Suds and Soda" ravageur remettra les pendules à l'heure. S'ensuit une heure d'un concert pro et au son bien meilleur, avec un Tom Barman bien remonté, qui avoue avec ironie "en avoir marre des ballades ». Un nouveau morceau, sombre et rock (cette ligne de basse !) viendra d'ailleurs confirmer ses dires, même si on sait que Tom est un grand romantique… « No more loud music », donc…

Et les bpm çà compte ? Parce que Luke Slater en a plein sa besace, bien que son dernier album, « Alright On Top », sonne très electro eighties. Avec le chanteur de The Aloof en guest et un son plus léché, fini les étiquettes techno trop réductrices : Luke peut se vanter d'avoir désormais plusieurs cordes à son arc. Putassier le Slater ? Que nenni : son electro comme sa techno feraient danser les plus récalcitrants, et tant pis si c'est à la mode,

Question fashion, Praga Khan assure : pourtant sa techno de kermesse est aussi fine et digeste qu'un cornet de croustillons. Big in Japan avec ses Lords of Acid et ses poupées gonflables, Maurice Van Engelen a pourtant du mouron à se faire : dans le monde de la mode le vent tourne vite, comme la chenille de la Foire du Midi.

Il est déjà minuit et les Chemical Brothers livrent un bon mix de leurs trois derniers albums, en tout cas bien meilleur qu'il y a deux ans. Du bestial « It Began in Africa » au fabuleux « Private Psychedelic Reel » (leur final habituel), Tom Rowlands et Ed Simons restent les maîtres d'une techno tourbillonnante, plus proche dans son esprit de l'acide rock des années 70, que des beats pompiers de Praga Khan. En prêchant le mélange des genres, les frères chimiques sont le meilleur antidote aux muscles ankylosés et aux mâchoires crispées.

« All is in the mix », insisteraient même les Dewaele de Soulwax – encore des frères -, devenus les rois de l'éclectisme sous le pseudo de Too Many Dj's. Leur marque de fabrique : entrelacer deux hits aux antipodes pour en faire une seule bombe de dance-floor,  sorte d'hybride inclassable réconciliant tous les gen(re)s, du rocker au techno-freak. Un exemple ? « No Fun » des Stooges avec « Push It » des TLC ou « Smell Like Teen Spirit » de Nirvana avec « Bootylicious » de Destiny's Child. Sacrement jouissifs, ces « bootleg » ou « bastard pop » ont le grand mérite de mettre tout le monde d'accord, faisant ainsi de ces « Fucking Dewaele » les dignes successeurs des inventeurs de la house et du disco … et surtout, des preuves vivantes que les a priori et les étiquettes sont réservés aux imbéciles – tous les autres se défoulant sur la piste extérieure de la pyramide.