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Swans

Comment devenir voyeur, si on ne parvient pas à s observer soi-même?

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Les interviews accordées par Michaël Gira sont plutôt rares. D'abord, il n'aime pas trop les journalistes, et puis essayer de lui tirer les vers du nez ressemble à un véritable parcours du combattant. Pas qu'il soit antipathique. Disons simplement que ses chansons constituent un patrimoine très personnel, plutôt secret, qu'il répugne à débattre. A charge de l'auditeur d'y trouver ses propres explications. Et lorsqu'il se sent quelque peu piégé, il manie alors l'humour comme Lagardère son fleuret. Mais avant de passer à cet entretien, plantons le décor: Gira, chapeau vissé sur la tête, lunettes solaires et boulon qu'il mâchonne machinalement ou rallume dès qu'il estime avoir marqué des points...

Pourquoi ce silence de trois longues années, et puis deux albums dans la foulée?

Nous avons pris tout notre temps. Nous avons quitté New York pour la Géorgie. Pour Atlanta très exactement. Onze albums en onze ans sans compter les tournées et les projets parallèles. J'en avais marre de ce rythme. Nous étions devenus incapables d'évaluer notre travail. Nous avions besoin de faire un break. Cependant, nous ne sommes pas restés totalement inactifs pendant trois ans, puisque nous nous sommes investis dans des projets alternatifs.

Que devient Skin?

Je recommencerai un jour cette expérience. Pas dans l'immédiat, puisque Skin est aujourd'hui sans maison de disques!

C'est la raison pour laquelle le projet n'a plus rien accouché de concret depuis si longtemps?

Plus rien depuis 1987. Non pardon, il a sorti un album en 1990. Et il en enregistrera un bientôt.

Que représente pour toi la "No wave" (NDR: mouvement musical, et même artistique, qui a secoué l'underground new-yorkais au début des eighties, et au sein duquel ont trempé, entre autres, Live Skull, UT, Sonic Youth et Swans) ?

Qu'est ce que c'est que ça? Du gel pour les cheveux? Je n'ai jamais entendu parler de ce mouvement!

Ni de Live Skull, je suppose?

On dirait le titre d'un film d'horreur!

Ou encore de Sonic Youth?

Qu'est ce que c'est que cette marque? Un test de grossesse? Non, je ne connais pas tous ces gens (NDR: Pouh, la mauvaise foi!)

Quelle différence y a-t-il entre Skin et Swans?

C'est juste un prétexte pour travailler. Je ne parviendrai jamais à comprendre tous ces groupes qui se contentent d'un album par an. Il y a tellement de créneaux à explorer! Que font-ils le reste du temps? Se droguer? Personnellement, je suis incapable de me croiser les bras. Je trouve toujours un prétexte pour ne pas rester inactif. C'est pourquoi j'ai gravé un album solo, entrepris le projet Skin, écrit un livre,... c'est ma manière de vivre. J'estime qu'il est essentiel de se remettre constamment en question...

A propos de ton livre, il est sorti en même temps que ton album solo? Est-ce une œuvre autobiographique?

"Drainland" est probablement l'album le plus personnel que j'ai commis à ce jour. J'ai repiqué des enregistrements de conversations établies entre Jarboe et moi-même. Je trouvais l'idée intéressante. Un peu dans l'esprit de "Qui a peur de Virgina Wolf ?". Il met en scène le portrait spontané et naturel de deux personnages qui vivent ensemble et surtout de la manière dont ils dialoguent... lorsqu'ils ont bu!

Pourquoi avoir choisi Rollins pour éditer ton livre?

Il ne l'a pas édité. Il l'a simplement publié. Je ne laisserai jamais quiconque éditer mon livre. Même pas le président Clinton! Mais le livre n'est pas encore sorti!

Que représentent Camus et Sartre dans l'écriture de Michaël Gira? Quels sont les auteurs qui t'inspirent?

Je n'ai pas lu ces auteurs depuis mon adolescence. Ils ne représentent pas grand-chose à mes yeux, à vrai dire. Je suis davantage influencé par la télévision et la publicité que par la littérature. Principalement la télévision...

On pourrait alors te considérer comme un chroniqueur cynique de la société contemporaine?

Un voyeur est quelqu'un qui s'installe à l'extérieur pour observer ce qui se passe à l'intérieur des gens. C'est ce que je suis, je suppose. Mais comment devenir voyeur, si on ne parvient pas à s'observer soi-même?

N'est-il pas dangereux de trouver la sérénité dans la tristesse? Ou est-ce simplement un moyen d'exorciser tes propres angoisses?

Tu me trouves triste?

Tes chansons le sont ?

Triste n'est pas l'adjectif adéquat. Je pense simplement que mes chansons reposent sur l'émotion. Quant à la sérénité, je doute la rencontrer un jour...

Dans "Mind/ Bloody/ Light/ Sound", tu dis: "l'éternité ne dure pas longtemps" As-tu peur de la mort? Crains-tu l'apocalypse?

Je suis incapable de répondre à une question pareille. Pose là plutôt au pape Jean-Paul II! (rires)... Salman Rushdie a peur de la mort. Pas moi! Je n'ai rien à ajouter sur un tel sujet. Chacun doit admettre son propre destin.

Pourquoi affirmer alors, dans "Telepathy", que "mon corps commence là où ma mémoire s'arrête..."?

Ce n'est pas moi qui affirme cela, c'est la chanson (NDR: ?!?!...). Je n'utilise pas la musique pour me confesser au monde! Crois-tu que Kurt Weill ou Braque parlent d'eux-mêmes dans leurs œuvres?

The Great Annihilator aurait tout aussi bien pu servir au titre d'un film qui met en scène Schwarzenegger. Est-ce une bonne métaphore?

Non, pas du tout! C'est un terme de physique. De cosmologie. Une théorie de Stephen Hawking selon laquelle l'univers s'est créé à partir de l'explosion d'un grand trou noir. Avec le temps, les molécules retournent dans l'espace; et lorsqu'elles atteignent l'état d'inertie, elles sont aspirées par ce vide, avec pour conséquence, une réversibilité du temps. Ce trou noir est appelé "The great annihilator". Je ne m'intéresse pas outre mesure à la science, mais je trouvais que l'image était belle (NDR: ?!?!)

Penses-tu que le temps soit liquide? Que tout est unité et vice-versa?

Tout est liquide. Le corps est liquide... Non honnêtement, je n'en sais rien. Je ne suis pas philosophe. Demande plutôt au Dalaï-Lama. Je ne suis qu'un solitaire qui tente de s'exprimer à travers des mots. Je chante un peu aussi. Est-il possible pour moi, comme pour toi de répondre à une question pareille sans risquer de pondre des âneries? Si j'y répondais, cela voudrait signifier que je sais tout. Or, je ne sais rien et c'est mieux ainsi. C'est pourquoi, je n'y répondrai pas. (NDR: n'était-ce pas une réponse de philosophe?)

Merci à Christophe Godfroid

(Version originale de l'interview parue dans le n° 39 - décembre 1995/janvier 1996 - de Mofo)

 

 

 

 

Kevin Ayers

Le psychédélisme? De la musique porno!

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Musicien aux talents multiples, parolier à l'humour sarcastique, à la nostalgie douce-amère, au goût prononcé pour toutes les formes de désuétude, de décadence, voire de 'non sens', cet adepte du psychédélisme sous sa forme la plus pure a réalisé un come-back très remarqué en 1992. Après plus de cinq années de silence, il est sorti de sa résidence dorée d'Ibiza pour graver un nouvel album "Still life with guitar". Et depuis, cet ex membre fondateur du Soft Machine a repris le chemin des tournées. La plupart du temps en duo... Rencontre d'un personnage mythique, à la personnalité fascinante qui pousse la gentillesse à nous accorder, comme Peter Hammill, son interview dans la langue de Molière et accepte d'évoquer un passé pourtant encore douloureux...

Avant de sortir "Still life with guitar", en 1992, tu es demeuré cinq ans sans donner signe de vie. Y-a-t-il une explication à ce long silence?

Pas vraiment ! Dans la vie on n'a parfois plus rien à dire. Lorsque tu composes, l'inspiration ne vient pas sur commande. Lorsque tu te réveilles le matin, tu es incapable de savoir si tu vas écrire quelque chose d'intéressant. Tu peux avoir l'intention de le faire. Travailler toute la journée et toute la nuit, mais sécher devant une feuille vierge. L'écriture n'est pas une discipline automatique. D'ailleurs, l'étincelle peut jaillir n'importe où, même aux toilettes... (rires)

"Still life with guitar" est donc un titre chargé de significations?

Oui, mais en anglais, il a un double sens. Il se traduit également par nature morte. Disons que c'est un équilibre entre les deux significations...

Un CD de Kevin Ayers est sorti voici deux ou trois mois. Je suppose qu'il ne s'agit pas d'un nouvel album? Pourquoi ne bénéficie-t-il d'aucune promo?

Ce n'est pas un nouvel album, mais une compilation qui inclut des sessions d'enregistrement 'live' réalisées pour l'émission radio de John Peel. C'était très intéressant. Mike Oldfield y a participé. On avait plein d'idées, et on a travaillé sans la moindre contrainte. Le problème de promo n'est pas de mon ressort. C'est effectivement ennuyeux, mais la distribution est hors de mon contrôle...

Je constate que Mike Oldfield répond toujours présent lorsque tu fais appel à lui. Est-ce que tu comptes encore reconduire la même équipe pour concocter ton prochain opus?

Ce serait difficile, puisque Olie Halsall n'est plus de ce monde. Je sais que sa disparition n'a pas fait grand bruit, mais elle était à l'image du personnage. Discret, énigmatique, il n'a jamais voulu suivre le chemin normal du rock'n roll. Il a toujours voulu côtoyer des gens bizarres comme moi, et il est parti sans faire de bruit. Mais tu peux demander à n'importe quel guitariste ce qu'ils pensent de lui, et tu recevras invariablement une réponse élogieuse à son sujet. Parce que c'était un personnage extraordinaire. Sa disparition m'a beaucoup affecté...

Sur "Still life with guitar", on a l'impression que tu concentres toute ton énergie sur les guitares acoustiques. Est-ce un nouveau credo ?

Non, puisque j'ai commencé dans ce style ; et finalement, c'est celui que je préfère. J'aime également la guitare électrique et les sonorités électroniques. Mais je trouve que la guitare sèche est plus humaine, plus chaude, plus naturelle. Si tu ne comprends pas le feeling de la guitare acoustique, tu ne comprendras jamais rien à la guitare. Si tu es incapable de tirer quelque chose d'intéressant d'une seule corde ou d'un seul accord, tu resteras toujours incapable de le faire avec cinq, dix ou quinze. C'est un feeling. Et le feeling naît avec la guitare acoustique...

Est-ce que joues encore de la basse?

Pas pour l'instant. Mais, c'est l'instrument que je préfère. Parce que je le considère comme le coeur de l'orchestre. Et que si tu veux jouer de la guitare, il est indispensable de connaître aussi la basse. Des tas de guitaristes pensent être capables de jouer de la basse, mais ils la traitent comme une guitare électrique. Or, il y a une différence fondamentale entre les deux instruments. J'aimerai bien encore en jouer. Mais je suis incapable de chanter en même temps. C'est à cause de ma manière de chanter. Parce que ma voix passe toujours à travers le rythme. Mais chanter sans relief ne m'intéresse pas. C'est pourquoi, j'ai besoin d'une base solide derrière moi. Jouer de la basse et chanter en même temps est une opération que je ne suis pas encore parvenue à réaliser.

Au début de ta carrière, tu étais fort impliqué dans la musique psychédélique. Quel regard portes-tu sur le retour de ce style dans les nineties. Sur ce que réalise Steve Hillage dans ce domaine avec The Orb? Et d'une manière générale sur l'évolution du rock?

Je n'ai pas eu l'occasion d'écouter The Orb. Je suis un jour tombé sur Steve occupé à triturer des samples de Jimi Hendrix. Cela lui a d'ailleurs causé des problèmes. Il m'a dit qu'il considérait ces manipulations comme de l'art. Qu'il travaillait comme un peintre qui choisissait ses couleurs avant de les appliquer sur une toile sonore. Une manière de voir les choses, mais que je ne partage pas. J'ajouterai même que je n'aime pas du tout ces tripotages. Je préfère choisir mes propres coloris... Le rock contemporain ne va pas très bien. Il existe bien sûr des exceptions, mais en général, il manque de passion, d'engagement. De plus aujourd'hui, comme il y a moins de choses à dire, le risque de se répéter est beaucoup plus grand. La musique la plus effective, la plus actuelle, est le rap. Elle est directe, véhicule des thèmes brûlants sur les problèmes rencontrés par la génération nouvelle. Mais c'est plus une musique à danser qu'à écouter. En plus, elle est plutôt morose. Attention, je n'ai pas dit qu'elle était mauvaise...

Kevin Coyne qualifiait le rap de blues du XXème siècle.

Une excellente image. Je partage entièrement son point de vue...

Et le psychédélisme?

De la musique porno. Elle s'est prostituée au graphisme. Je n'en ajouterai pas davantage. J'apprécie pourtant toujours l'énergie qu'elle manifeste. Elle est toujours vivante. Parce que la chose la plus importante dans la musique demeure l'énergie. Tu peux écouter une chanson avec des paroles banales, mais son énergie peut te transporter. Car le reste n'est plus que forme et style. Il n'y a plus rien de nouveau à se mettre sous la dent. Il faudra peut être attendre une invasion d'extraterrestres pour voir fleurir de nouvelles idées. Ce qui ne veut pas dire que je ne considère pas la musique comme positive.

Est-ce que tu croises encore Daevid Allen, Robert Wyatt et Mike Ratledge?

Daevid Allen, oui ! Nous avons effectué une tournée ensemble aux States. Nous nous sommes produits dans une vingtaine de petits clubs. Au départ, ce périple n'était pas très intéressant, mais la multiplication des sets nous a permis de nous y retrouver. Une expérience assez difficile à vivre, cependant. Parce que tu passes la plupart de ton temps dans un avion ou dans les aéroports. Robert Wyatt et Mike Ratledge? Aucune idée de ce qu'ils deviennent!

Tu as eu l'occasion de travailler avec Nico à plusieurs reprises, et notamment pour la confection de ton fameux elpee "The Confessions of Doctor Dream and other short stories". Quel sentiment as-tu éprouvé lors de sa disparition?

Cela devait arriver. Je n'ai rien à ajouter à ce propos. C'était dans la logique des choses...

Si tu en avais l'occasion, quelle période de ton existence changerait volontiers?

Mon éducation scolaire. J'ai suivi un enseignement militaire, strict. L'école était académiquement correcte, mais désastreuse au niveau du contact humain. Cette école était totalement homosexuelle. Sadique. Et pas seulement à cause des châtiments corporels infligés, mais à cause de l'attitude misogyne de son personnel. Les femmes étaient proscrites de l'établissement. Et lorsque je suis sorti de cette école, je ne savais pas ce qu'était une fille. Je ne parle pas au niveau de la sexualité, mais du contact humain. J'avais alors seize ans. Tu imagines le gâchis! Mon départ dans la vie, tu vois, n'était pas vraiment idéal...

Au bout de combien de temps, le soleil commence à te manquer, lorsque tu es en tournée?

Il existe différentes sortes de soleil. Le soleil de l'âme est certainement le plus important. Pas le soleil qui brille. Il ne doit pas toujours nécessairement briller dans le ciel, mais bien dans l'âme des gens...

Version originale de l'interview parue dans le n° 25 (juillet 1994) du magazine MOFO

 

 

 

 

 

 

Dig

Impossible de rester à Los Angeles sans se faire bouffer par le système...

Écrit par

Dig était présent au 'Pukkelpop' de Hasselt en août 1994. En une demi-heure, il est parvenu à mettre le public dans sa poche. Son premier album date pourtant de l'année dernière. Une oeuvre dont la texture mélodique se trame dans les fibres électriques les plus savoureuses des House of Love, My Bloody Valentine, Radiohead, Smashing Pumpkins, Pixies, Sugar et du psychédélisme floydien de Syd Barrett. Un opus aux textes torturés, sarcastiques, hallucinants. Pour mieux comprendre la nature de Dig, il était indispensable de rencontrer une des deux têtes pensantes de Dig. Scott Hackwith de préférence. Parce que chanteur, guitariste et compositeur, il est devenu en un temps record un producteur demandé...

Si je ne m'abuse, Dig est un groupe relativement jeune, puisqu'il s'est formé en 1993. Mais auparavant, quel était l'emploi du temps de ses musiciens?

Nous avons vécu au jour le jour, exercé de petits boulots journaliers, séjourné au sein de groupes sans importance. Affronté les aléas de l'existence. Acquis une certaine expérience de la vie. Personnellement, j'ai participé au tournage de plusieurs films comme acteur de second plan. Des choses finalement banales par rapport à ce que nous sommes occupés de vivre avec Dig.

Vous venez de San Diego, une ville située à la frontière mexicaine. Or, là-bas, il me semble que la musique qui y est pratiquée trempe essentiellement dans le 'tex mex'. Une explication?

Non, nous sommes originaires de Los Angeles. Mais nous avons vécu un certain temps à San Diego. Disons que la genèse du groupe lui appartient Ce qui explique pourquoi nous ne sommes pas des adeptes du 'tex mex'. En fait les circonstances ont voulu que le groupe se soit formé là-bas. Cela aurait pu être ailleurs, puisque nous voyageons énormément.

Exemple votre séjour prolongé à Boston?

Impossible de rester à Los Angeles sans se faire bouffer par le système. Un groupe qui y végète deux ans est systématiquement récupéré par le business. Tu sais, L.A. est encombré de clubs où il ne vaut mieux pas mettre les pieds. Ils sont à la solde de l'industrie musicale. Nous sommes allés à Boston pour y jouer nos premiers concerts. D'excellents souvenirs! Et avec le recul, je pense que c'était la meilleure solution pour préserver notre indépendance.

Tu aimes la scène de Boston? Pourtant j'ai lu que tu étais surtout attiré par la musique sudiste. Que représente le Paisley Underground pour Dig?

Oui, la scène de Boston nous branche. Les Pixies, Frank Black aujourd'hui, les Breeders, et tous ces groupes du Massachusetts comme Dinosaur Jr. Parce qu'ils ont exercé et exercent encore une influence considérable sur l'évolution du rock américain. La musique sudiste aussi. Aussi bien celle des seventies que des eighties. En particulier Lynyrd Skynyrd qui demeure encore et toujours à nos yeux un symbole. Le Paisley Underground? Ce n'est vraiment pas notre truc! Par contre, nous avons beaucoup de respect pour ce qu'a fait Hüsker Dü. Il a permis à la scène indépendante américaine de se forger une identité. Nous sommes également attirés par tous ces groupes de guitares qui ont fleuri en Grande-Bretagne, en pleine période noisy, comme Swervedriver et Ride...

Pourtant, en comptant trois solistes dans votre line up, nous serions plutôt tentés de croire que vous érigez un mur de guitare comme chez Band of Susans?

Non certainement pas un mur de guitares. Nous accordons trop d'importance à la texture et à la profondeur de nos lignes mélodiques. Hormis le nombre de guitaristes, nous n'avons aucun point commun avec Band of Susans et tous ces autres groupes new-yorkais.

Comment interpréter tes lyrics? Comme un message social? Un exercice de style surréaliste. Ou un épanchement d'ironie pure?

Je ne me considère pas comme un écrivain ou un poète. J'aborde des thèmes qui m'intéressent et surtout qui m'émeuvent. J'essaie de composer de bonnes chansons. En général, l'inspiration vient assez spontanément. Je me vois mal passer des heures à sécher devant une feuille vierge. Tout dépend de mon état d'esprit. Je ne pense cependant pas que mes textes adoptent un ton systématiquement ironique. Mais il est exact que je les aborde, en général, sous un angle humoristique. Quelquefois, je suis même le seul à comprendre mes propres plaisanteries... (rires)

Tu as produit le dernier album des Ramones. Une fameuse carte de visite, non?

Au départ, j'ai pensé que c'était une blague. Tu imagines toi produire les Ramones? D'autant plus que je n'ai pas de bagage technologique extraordinaire. Mais sincèrement, il n'a pas fallu beaucoup me pousser pour accepter. Pourtant, je n'ai compris le mobile de leur choix qu'au cours des sessions d'enregistrement. En fait, ils recherchaient tout simplement un dépaysement, tout en bénéficiant de bonnes conditions de travail. Prendre leur pied dans une ambiance très cool. C'est primordial pour eux! Ils sont beaucoup trop expérimentés pour recevoir des conseils. Finalement, n'importe qui aurait pu prendre ma place. Je pense que de plus en plus d'artistes essaieront de trouver des producteurs susceptibles de les ressourcer. C'est en tous cas mon point de vue.

L'intérieur de la pochette est illustré par différentes photographies d'un chien. Une raison particulière?

C'est mon chien. Un phénomène! Je lui ai consacré quelques lignes dans la chanson "Mothership". (NDR: il s'appelle Frampton, mais rien à voir avec Peter Frampton!).

Tu as un jour déclaré que les drogues étaient une partie de ta vie. Que simplement refuser en Amérique n'était pas concevable. Peux-tu préciser ta pensée?

J'ai eu recours aux drogues. Cette consommation faisait partie de mon existence. Mais il est difficile d'en parler pour tout le monde... Mes anciens amis et moi-même formions un cercle très fermé, décidé à fuir et à contester la triste réalité du monde. Il nous arrivait de fumer un joint au cours de ces réunions... Mais au fil du temps, tous ces potes ont trouvé du boulot, se sont mariés, ont eu des enfants, ont renoncé à ces rencontres. Personnellement, je ne me sens pas prêt à entrer dans ce monde d'adultes. Et si je devais m'y jeter, ce serait contre ma volonté...

(Version originale de l'interview parue dans le n° 27 - septembre 1994 - de Mofo)

Veruca Salt

Les cuisses féminines...

Écrit par

Veruca Salt est un quartet yankee (Chicago) drivé par deux filles, Louise Post et Nina Gordon. Un ensemble dont le succès a pris à la fois les médias, le public et même le groupe de vitesse. Un seul album à son actif. Mais très susceptible d'être découpé en hits potentiels. Pensez à "Seether" matraqué depuis quelques semaines sur toutes les ondes radiophoniques. La moitié du groupe, en l'occurrence Nina et son frère James, s'est pliée, et de bonne grâce, à l'épreuve de l'interview. Nina a fait ses études à Paris et les accorde volontiers dans la langue de Molière. Pour introduire le débat, je lui ai montré la version française du roman de Roald Dahl , "Charlie et la chocolaterie", et plus particulièrement le chapitre relatif à Veruca Salt, petite bourgeoise gâtée, pourrie par ses parents...

Nina : Veruca Salt, une petite fille gâtée par ses parents. C'est moi!

L'attitude du groupe s'inspire-t-elle de ce livre?

N. : Dans une certaine mesure. Pas seulement pace que mes parents m'ont accordé tout ce que je désirais. Mais à cause des projets qui germaient dans ma tête depuis mon enfance. Et rien n'aurait pu m'arrêter pour les concrétiser.

Tu sembles particulièrement fascinée par ton enfance?

N. : Tout à fait! Les chansons écrites pour cet album sont les premières à avoir été gravées sur un disque. Il était donc tout à fait normal qu'elles se rapportent à cette période de mon existence. Mais dans le futur, j'aborderai sans doute d'autres thèmes...

Toujours aussi autobiographiques?

N. : Pourquoi pas? C'est dans mon tempérament. Je ne me vois pas éplucher des situations politiques. Ce qui n'exclut pas une autre source d'inspiration. Mais pour l'instant, j'écris ce que je ressens. Mes compositions sont personnelles. J'imagine donc que quelque part, elles sont autobiographiques. Je compose des chansons pour moi-même. Pour mieux me connaître. Et, si elles répondent aux aspirations du public, c'est tant mieux. Mais je ne prétends pas interpeller l'humanité.

Ce qui explique pourquoi tu détestes les décortiquer?

N. : Absolument! Les paroles de mes chansons sont suffisamment explicites. Je ne vois donc aucune raison d'en rajouter. A la rigueur pour clarifier une idée plus abstraite, plus difficile à saisir. Mais pas analyser les émotions, les sentiments qui entrent dans sa préparation. C'est une pratique complètement absurde. Parce qu'elles ont été conçues suivant une trame poétique, pas analytique. Lorsque tu décortiques une chanson que tu aimes, tu la détruis. Je refuse de le faire, même pour d'autres artistes. Je laisse le soin aux autres, et en particulier aux journalistes de décrire ce qu'ils éprouvent en découvrant mes textes...

Le miroir de ton existence est-il très important?

James : Je le pense réellement!

N. : (embarrassée) Oui.

J. : Très important!

N. : C'est quelque chose de difficile à avouer. Car je donne l'impression d'être narcissique. Or, ce n'est pas vrai. J'ai des amis. Je suis capable d'échanger des idées. D'écouter les autres. De m'intéresser aux autres. De vivre en harmonie avec quelqu'un. Je ne suis pas tout à fait auto obsédée. Toute petite, je vivais dans mon propre monde. Lorsque je me regardais dans le miroir, j'imaginais des tas de fantasmes. Et cette attitude m'a permis de me libérer de moi-même, du monde clos au sein duquel je vivais. Il était très important pour moi de me découvrir dans un miroir, comme aujourd'hui de chanter ou d'écrire. Dans ma tendre enfance, j'étais épouvantée par l'orage. Et ma grand-mère m'a conseillé de crier le plus fort possible pour chasser ma peur. Et j'ai hurlé jusqu'à m'époumoner. J'en ai donc déduit que ce comportement avait du bon et pourrait me servir dans le futur. Notamment pour faire face à des situations difficiles auxquelles je serais confrontée. Une méthode que j'oublie de temps à autre. Mais que j'essaie de ne pas oublier. Parce que tu vois, une petite fille bien élevée, doit être douce, gentille, calme et surtout ne pas crier. Et j'ai compris qu'il était important pour moi de ne plus accepter ces valeurs éducatives préétablies. De me réaliser. De me fixer des objectifs. De les atteindre. De devenir forte.

Est ce que tu te sens souvent angoissée?

N. : Pas toujours. Lorsque j'ai écrit certaines chansons de cet album, j'étais angoissée. Mais aujourd'hui ma vie a changé. A l'époque, j'étais amoureuse d'un gars. C'était bien. Mais cette relation était devenue de plus en plus difficile à supporter. Je m'y suis complètement perdue. En écrivant ces chansons, j'ai accompli un effort pour me chercher, me retrouver. Et aujourd'hui, je découvre une vie tout à fait différente. Je suis la même personne, mais je suis beaucoup moins angoissée...

Penses-tu que pour l'instant, Veruca Salt est occupé de vivre un conte de fées?

N. : Mmmh! Oui et non! Oui parce que j'ai toujours rêvé de mener cette existence. De gagner ma vie par la musique. Parce qu'il y a souvent loin de la coupe aux lèvres. Et ce que nous vivons aujourd'hui peut être considéré comme un cadeau du ciel. Mais il ne faut pas croire que tout soit féerique. Nous travaillons énormément. Accomplissons sans arrêt des tournées. Une conjoncture beaucoup plus difficile à gérer. Mais je n'ai pas à me plaindre, car, ces événements, je les ai voulus. En fait, ce qui me chagrine le plus, c'est le temps qui me manque pour écrire. Car l'écriture, c'est ce que j'aime par dessus tout! Et je n'ai plus beaucoup de temps à y consacrer pour l'instant.

Une situation qui entraîne inévitablement des conflits. Sauf lorsqu'ils appartiennent à la nature d'un groupe comme Veruca Salt. Mais sont-ils propices à l'émulation?

J. : Les querelles appartiennent à la nature du groupe, c'est vrai!

N. : Mais on ne peut pas dire qu'elles soient idéales pour l'émulation. Au contraire. Lorsque tout le monde émet des avis divergents, il faut faire face à un véritable blocage. Parfois même pour des détails sans grande importance.

Mais qui prend la décision finale alors?

N. : En dernier recours Louise et moi. Parce que le coeur du groupe nous appartient. Enfin, nous recueillons toujours les opinions de James, de Steve, des managers, etc. Mais la décision finale nous revient.

Vous n'êtes pas effrayés par le succès foudroyant rencontré par le groupe?

N. : Absolument. Enfin, selon les circonstances. Parfois, je suis très sereine. Mais à d'autres moments, l'inquiétude m'envahit. Parce que ce mode de vie est difficile. Parce que j'ai peur d'être critiquée, d'être jugée. Par le public, par mes amis, par mes parents. Parce qu'il est difficile d'interpréter une composition devant une audience, des chansons que j'ai écrites pour moi-même et pour personne d'autre. De les dévoiler au public. C'est pourquoi, ce succès est à la fois devenu rêve et cauchemar...

Es-tu particulièrement sensible aux critiques émises par la presse?

N. : Plus aujourd'hui. Il y a six mois, je l'étais encore. Mais j'ai appris à relativiser les choses. Parce qu'il est impossible de croire tout ce qui est écrit à notre sujet. Même une critique favorable est une arme à double tranchant. Nous nous sentons flattés au fond de nous mêmes. Mais en même temps, nous sommes devenus conscients des dégâts que la douce euphorie peut nous causer.

Ne penses-tu pas que Veruca Salt soit arrivé au moment propice. C'est à dire dans une période où l'Amérique fait preuve d'un engouement considérable pour les ensembles rock féminins?

N. : Exactement! Nous l'avons compris en jouant dans les clubs de Chicago. Nous ressentions qu'il existait un besoin pour notre musique. Et que les médias voulaient nous pousser vers l'avant. Je ne sais pas trop pourquoi. De plus en plus de filles fondent des groupes de rock'n roll aux States. Et de plus en plus de monde souhaite voir des femmes dans le monde du rock. Mais j'ai toujours eu la foi dans mes chansons. Et j'imagine que dans n'importe quelle autre situation, elles auraient fini par obtenir du succès. Je sentais que le moment était opportun...

Sur votre dernier single, vous avez repris la composition la plus controversée des Pistols, "Bodies". Avec une idée derrière la tête ou simplement par goût personnel pour la chanson?

N. : C'était une idée de mon frère James. Il l'appréciait beaucoup et estimait que nous pouvions l'adapter dans une version très dure, très rock. Et puis, on s'est penché sur les lyrics, des textes un peu controversés. Drôles et ridicules à la fois. Comment peut on mépriser une femme parce qu'elle a eu recours à un avortement? Pourquoi la comparer à un monstre lorsqu'on ignore les raisons qui l'ont poussée à cet acte désespéré?

Le titre de votre album a été emprunté à une ligne de "You shook me all night long" d'AC/DC. Mais les "American Thighs symbolisent à mon avis une image de l'Amérique et de ses spectacles avec ses majorettes et ses pom pom girls. Une autre explication?

N. : D'abord, ce titre est extrait de cette chanson d'AC/DC. Ensuite, il évoque les cuisses féminines. Une partie du corps très complexe chez la femme. Elles ne sont jamais satisfaites de leurs fesses, de leur cul. Jamais (rires). C'est une réaction à la fois triste et frustrante, voire misérable. Moi-même, je suis victime de ce complexe. Pourtant, il est totalement ridicule. Mais nous ne pouvons y échapper. Parce que la société nous a inculqué des critères de minceur, de sveltesse et de séduction...

Si les Pixies n'avaient pas existés?

N. : Mon écriture en souffrirait beaucoup. Je serai privée de références indispensables pour écrire et pour élaborer les mélodies. En particulier dans le domaine de la progression des cordes. J'ai beaucoup écouté les Pixies au cours de mon adolescence. J'ai toujours adoré leur musique. Je pense vraiment que Charles Thompson (NDR : alias Black Francis) est un génie. Il a enregistré cinq albums extraordinaires...

 

 

 

 

 

 

Todd Rundgren

Mon ordinateur est un ami

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Personnage emblématique du rock progressif des seventies, producteur qui a bâti sa réputation au cours des eighties, Rundgren a toujours été en avance sur son époque. Sans doute un peu trop. Car hormis son expérience Utopia, ses albums n'ont jamais rencontré qu'un succès confidentiel. Aujourd'hui, il s'est transformé en porte-parole du nouveau procédé de lecture du compact disc interactif. Une nouvelle technologie qui vous accorde la liberté de moduler à l'infini (ou presque!) une même composition, suivant vos goûts ou votre humeur. C'est en tout cas ce qu'il nous a expliqué lors de la démonstration accordée à Gand et démontré à travers son album "No World Order", totalement conçu pour le nouveau procédé CDI. A l'issue de cette conférence, il nous a accordé cette interview...

Tu as un jour déclaré que dans le futur, il y aurait de plus en plus d'horizons musicaux à explorer, de plus en plus de nouvelles idées à développer. Or la plupart des artistes issus de ta génération affirment purement et simplement le contraire. Que le rock et la pop d'aujourd'hui sont atteints de revivalisme aigu. Qu'en penses-tu?

D'une certaine manière, je partage ce point de vue. Cela ne m'empêche pas de penser que nous sommes très loin d'avoir épuisé le potentiel de la connaissance humaine, et de croire fermement que la musique populaire contemporaine dispose encore et toujours d'un énorme potentiel créatif. J'admets que ceux qui se contentent de sampler leur prochain ou de piquer systématiquement des sonorités à gauche et à droite font le lit du revivalisme. Les musiciens se sont souvent rendus coupables de répétition. En voulant remettre les idées du passé au goût du jour. Le style d'écriture est devenu trop formel. Il faut l'admettre. Ce problème existe également dans les autres formes d'art. L'originalité vit hors de la norme. Il faut se donner la peine de gratter un peu la couche de vernis pour la découvrir. Depuis mes débuts, j'ai toujours essayé de trouver les moyens pour la mettre en évidence. Etancher la soif des nouvelles idées par la technologie.

Oui, mais la technologie, n'est-elle pas le fossoyeur du rock'n roll?

La commercialisation est le plus grand fossoyeur du rock'n roll. La technologie est une abstraction. L'électrification de la guitare est une innovation par rapport à son utilisation acoustique. L'important, c'est d'y maintenir le degré d'émotion. Mon computer est mon ami. Pour d'autres personnes, il est un ennemi. Il m'aide à créer. D'une certaine manière, c'est une forme de relation privilégiée. J'ai toujours essayé d'estomper la distinction entre l'aspect technologique et la forme émotionnelle de la musique. Mais la plupart des artistes ne comprennent pas le milieu au sein duquel ils travaillent. Ils s'y sentent mal à l'aise. Pourtant, il est beaucoup plus facile d'obtenir un résultat tangible, si tu tires parti au maximum du potentiel d'un studio.

Penses-tu qu'en disposant d'un CDI, monsieur 'Tout le monde' peut devenir producteur?

Je ne vends pas de la créativité. Je propose une expérience au sein de laquelle l'auditeur est impliqué. Il est dangereux de faire croire au détenteur d'un tel lecteur qu'il concocte sa propre création. Créer est beaucoup plus complexe. Je ne crois pas, d'ailleurs, que chaque utilisateur souhaite devenir un producteur. J'imagine mal que le premier venu soit capable de composer une chanson, de la jouer, de la chanter, de la sculpter. Il faut d'abord connaître son métier, et puis tenir compte de l'attitude individuelle du créateur ; une attitude qui n'est pas nécessairement la même chez tous les compositeurs, et encore moins chez l'auditeur.

Pour bénéficier des vertus du CDI, il est indispensable de se procurer un lecteur approprié. N'est-ce pas un peu pousser à la consommation?

Euh!... Il faut placer cette invention dans un contexte à plus long terme. Si j'avais été uniquement l'objet d'un projet lucratif, je n'aurais certainement pas accepté la proposition de Philipps. Mais il faut rester réaliste. D'un côté, je mène des expérimentations technologiques. De l'autre, il y a un énorme marché qui se pointe à l'horizon. Pas seulement dans le domaine de la musique, mais aussi et surtout de la vidéo. Avec ses spécificités techniques et éthiques. Quel sera le meilleur matériel? Qui emportera le marché? Personne ne peut encore le dire. Mais ce sont des choses qui ne me concernent pas. Mon rôle se limite à la création et à la recherche.

Dans cette nébuleuse interactive, que devient Todd Rundgren? Un musicien, un compositeur, un concepteur ou un producteur?

J'ai toujours voulu varier les disciplines. Malgré mon intérêt pour la technologie de pointe, je joue toujours de la guitare acoustique. Lorsque j'en ai le loisir. Et je ne pense pas que ce soit un problème pour moi de multiplier les fonctions. Pour deux raisons. La première procède de ma volonté à ne pas être pris au piège du business. La seconde? J'ai oublié... (rires)... Je déteste toujours faire la même chose. Si je ne pouvais explorer qu'une seule corde de mon arc, je me sentirais frustré...

Comme producteur, tu as travaillé avec des artistes comme les New York Dolls, Patti Smith et Psychedelic Furs. Est-ce que ce style musical te touche encore?

Pourquoi pas? Mais ces groupes appartiennent au passé. Mes goûts sont en constante évolution. Je m'intéresse à de multiples formes de musique contemporaine. J'aime Beck. Son attitude. Et puis également des ensembles obscurs dont personne n'a probablement jamais entendu parler ici. Des formations qui apportent quelque chose à la musique. Mais en vérité, je ne m'intéresse pas tellement aux musiciens, mais plutôt aux sonorités qu'ils parviennent à développer. Il existe, par exemple, un groupe qui répond au nom de Life. Je déteste son dernier album, à l'exception d'un seul fragment que j'estime remarquable. Mes goûts sont très variés et paradoxaux. Le rap me branche également. Je pense à Public Enemy. Aux messages sociaux qu'il colporte. A son débit rythmique sonique. A sa liberté de langage. J'ai beaucoup synthétisé cette forme musicale...

Tu as également produit les deux albums du groupe Pursuit of Happiness. Un très chouette groupe canadien que je crains être disparu depuis quelque temps.

Il a enregistré un troisième opus. Mais celui-ci a été produit par un grand producteur de heavy metal. L'entreprise a cependant complètement foiré. Dommage! Mais le groupe existe toujours. Il est constitué de musiciens formidables capables d'écrire de remarquables chansons et de graver de superbes disques. Il possède ce petit quelque chose qui vous fait craquer. Difficile à expliquer, d'ailleurs. J'aimerais travailler à nouveau pour eux. Qui sait? Peut-être dans le futur!...

En 1991, tu as mis fin à une longue collaboration avec Warner Music. Que s'est-il passé?

C'est un problème spécifique au business musical. Je n'étais probablement plus en odeur de sainteté. Ou alors trop vieux. Surtout, je ne vendais plus assez de disques à leurs yeux. Le label a toujours espéré que je ferais un come-back comparable au succès rencontré début des seventies. Mais cette idée n'a jamais été un but pour moi. Aussi, comme il existe de nouveaux et jeunes talents qui montent. Plus dociles, potentiellement plus rentables... Enfin, au bout de près de vingt ans chez la même firme de disques, cette solution me semblait un aboutissement normal. Et, c'était sans doute mieux ainsi. Je n'avais plus à justifier mes ambitions computarisées. Et j'ai les mains libres pour entreprendre ce que je fais aujourd'hui. Mon CDI en est la plus belle démonstration.

Version originale de l'interview parue dans le n° 28 (novembre 94) du magazine MOFO

 

 

Ian McNabb

Un peu comme si j'étais parti en week-end avec la femme de Neil Young?

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Ian McNabb, c'est l'ancien chanteur compositeur d'Icicle Works, groupe liverpuldien né au début des eighties, responsable de petites perles pop comme "Birds fly", "Love is a wonderful colour" et "In the cauldron of love". Depuis la séparation du groupe, soit en 88, il tente un come back en solo. Mais jusqu'il y a peu, il faut avouer qu'il ne s'était guère montré à la hauteur de son talent. Voici quelques mois une idée saugrenue lui a traversé l'esprit: pourquoi ne pas demander au Crazy Horse de participer à l'enregistrement de son nouvel album? Et figurez-vous que le mythique combo de Neil Young a accepté la proposition. Si bien que son "Head like a rock" a pris une coloration électrique tout à fait inattendue, très intense, et puis surtout savoureusement garage. Rencontrer Ian Mc Nabb? C'est un véritable plaisir! Un chouette gars, humble, chaleureux, enthousiaste et très lucide...

J'ignore combien d'interviews tu as accordées cet après-midi, mais quelle est la question qui t'a été le plus souvent posée? Y donnes-tu toujours la même réponse?

Excellente entrée en matière! Il est exact que la plupart des interviews ressassent les mêmes questions. Et ce n'est pas toujours très rigolo. Au fil du temps, tu ressembles à un automate (NDR: il remue la mâchoire comme un automate). Aussi, j'essaie de traiter une même question, posée par différents interlocuteurs, sous un angle différent. J'exécute en quelque sorte un exercice de style. Une attitude qui me permet d'échapper à une certaine lassitude. Ah oui, j'y arrive! Le sujet le plus régulièrement soulevé concerne la collaboration du Crazy Horse de Neil Young pour l'enregistrement de mon album.

Tu t'attends donc à ce que j'aborde cette question?

C'est tout à fait naturel!

Comment t'es-tu débrouillé pour décrocher le concours du Crazy Horse?

Tout simplement en leur demandant. En vingt-six ans, personne n'y avait jamais pensé, à l'exception de Neil Young. Et pourtant, ils ne me connaissaient pas. Je leur avais envoyé le CD "Truth & Beauty", mais ils l'avaient égaré. Ils ignoraient totalement ce que j'allais leur proposer. On n'a pas tellement discuté. Juste le temps de brancher les guitares aux amplis et de jouer quelques accords. Le courant est passé instantanément entre nous. Ce qui explique pourquoi ils ont accepté de se mouiller au projet.

Comment se sont déroulées les sessions d'enregistrement?

Au départ, j'étais un peu impressionné de devoir me frotter à des artistes aussi prestigieux. Toute la crème de Los Angeles y était. Et puis surtout Billy Talbot et Ralph Molina. Ce sont de véritables pros qui ne laissent rien au hasard. Lorsqu'ils prennent les choses en mains, on se sent emporté comme dans un tourbillon. Je dois avouer que parfois, j'ai été quelque peu dépassé par les événements. Mais au bout du compte je suis enchanté du résultat. Tu sais, c'est un peu comme si un rêve d'enfance venait de se réaliser. Je reste un grand admirateur de Neil Young, je ne m'en cache pas...

Quel sentiment as-tu éprouvé en te substituant à Neil?

Je n'ai jamais voulu prendre la place de Neil! Ce serait présomptueux de ma part! Et cela n'a jamais été dans mon intention. Je souhaitais simplement inoculer à mes chansons cette sonorité si particulière, si électrique. Et à mes yeux, seul le Crazy Horse pouvait me le procurer. Pourtant, au départ, Neil n'était pas tellement ravi de voir son groupe collaborer avec un autre musicien que lui. Il avait l'impression d'être trahi. Un peu comme si j'étais parti en week-end avec sa femme. Mais pour Billy et Ralph, Neil avait bien eu des aventures avec d'autres formations. Alors pourquoi pas eux?

Comme l'an dernier, lorsque Neil a tourné avec Booker T and the MG'S?

Figure-toi que ce périple ne s'est jamais achevé. Neil n'était pas tellement satisfait des prestations, et il a abandonné le projet bien avant le milieu de la tournée. Neil est un personnage très sensible, mais également exigeant, tant pour lui-même que pour les autres...

Où en est l'idée de tourner 'live' en compagnie du Crazy Horse?

Nous avons accordé quatre dates en Angleterre. A Liverpool, à Manchester, à Londres et au festival de Glastonbury. Pour la suite, tout dépendra du succès de l'album. S'il marche très fort, une tournée mondiale pourrait être envisagée. Mais cette décision est indépendante de ma volonté.

Pourquoi avoir choisi la marionnette Reginald Prickpuss pour orner la pochette de "Head like a rock"?

Nous cherchions une idée originale pour l'illustrer. Pas une banale reproduction ou une photographie sclérosée. Mais quelque chose qui frappe l'imagination. Et le hasard a encore bien fait les choses, puisque nous sommes tombés sur cette marionnette ventriloque en feuilletant des magazines. Nous avons trouvé l'idée originale et surtout très amusante (il mime, louche et grimace en même temps, déclenchant un grand éclat de rires). Il donne aussi une petite idée du climat qui a régné tout au long des séances d'enregistrement. Et puis, certaines pochettes exercent un certain magnétisme, une certaine attraction. On ne parvient pas toujours bien à en comprendre la raison. Celle-ci tranche en tous cas avec les tronches d'enterrement des photos de groupes proposées habituellement. Elle saute immédiatement aux yeux. Et pour cristalliser l'image de Reginald dans l'esprit des gens, nous avons tourné un clip en compagnie de la marionnette...

Es-tu autobiographe?

Tu vises sans doute les chansons "Fire inside my soul" et "Child inside a father". J'accorde une certaine place aux expériences vécues dans mon écriture. Mais ce n'est pas systématique. A travers ces deux titres, j'ai voulu résumer en quelques flashes les moments les plus marquants de mon existence. Mais je laisse également ma plume voguer au gré de mes rêves les plus inaccessibles. L'être humain traverse pour l'instant une histoire chargée de tant d'événements tristes. Je ne sui pas John Lennon! Lorsque les Beatles se sont séparés, il était devenu exclusivement autobiographe. Une attitude qui l'a rendu hermétique au monde contemporain. C'est trop introspectif. Cette source d'inspiration n'est pas idéale!...

Les States semblent toujours te fasciner. Dans le passé, il t'est arrivé de prendre un accent yankee pour interpréter l'une ou l'autre chanson. Pour enregistrer "Head like a rock", tu t'es exclusivement entouré de backing vocaux américains. Pourtant, tu es issu de Liverpool, fief des Beatles. N'es-tu pas occupé de renier tes origines?

Je ne vois franchement personne susceptible d'arriver à la cheville des Beatles. Leurs harmonies vocales étaient tout à fait exceptionnelles. Même en solo, ni George, Paul, Ringo ou John, ne sont parvenus à retrouver cette magie. Et je ne parle pas des groupes comme Squeeze, Tears For Fears ou des Australiens Crowded House qui ne sont que de pâles imitateurs. Parmi les chansons des Fab Four, "I wanna hold your hand" et "Magical Mystery Tour" demeurent à mes yeux les plus belles. Pas que je sois indifférent aux autres. Mais ce sont celles que je préfère. Ma musique, je la veux dans l'air du temps, actuelle. C'est peut-être la raison pour laquelle je suis attiré par tout ce qui se fait au States. Et puis, je souhaitais bénéficier de choeurs gospel sur certaines de mes chansons; or, et c'est chez les artistes noirs américains que tu trouves les choristes les plus talentueux.

Que penses-tu du "Best of Icicles Works" concocté par Beggars Banquet? Quels sont aujourd'hui les rapports que tu entretiens avec les musiciens du défunt combo?

Le label m'avait demandé l'autorisation de sortir cette compilation. Je ne m'y suis pas opposé, mais je ne me suis pas tellement soucié du contenu de ce recueil. Finalement, j'ai peut-être eu tort de ne pas m'impliquer davantage dans la sélection des titres, car ce disque ne reflète pas exactement ce qu'Icicle Works a réalisé de meilleur. Ce qui n'a pas empêché le CD de bien se vendre. Mais ce n'est certainement pas un "best of". J'envisage d'ailleurs d'en sortir un plus conforme à la réalité, un disque qui permettrait au public de se faire une idée plus exacte de l'histoire du groupe... Lorsque la formation s'est séparée, nous ne pouvions plus nous voir en peinture. On se regardait comme des chiens de faïence. Mais le temps a cicatrisé les blessures. Et il nous arrive à nouveau de nous rencontrer. De prendre un verre, de discuter, de rigoler ensemble. C'est à peine si on se souvient encore du motif de la discorde qui a entraîné la disparition du groupe. Mais je n'aime pas trop fouiller dans le passé. Je préfère aller de l'avant. Je n'ai que trente-trois ans, et je pense sincèrement avoir acquis suffisamment d'expérience pour enfin pouvoir me réaliser. Je ne me suis jamais senti aussi proche du sommet de mon art...

Version originale de l'interview parue dans le n° 26 de septembre 94 du magazine Mofo

 

Pulp

Notre public est probablement le plus sexy de la planète...

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Vous avez certainement déjà eu l'occasion d'écouter le hit "Do you remember the first time?", une chanson qui figurera sans doute parmi les meilleurs singles de l'année. Elle est reprise sur un album de la même veine, "His'n Hers". Pourtant, avant de connaître ce succès foudroyant, la formation de Sheffield a végété dans la zone crépusculaire de l'underground pendant plus de dix ans. Comment comprendre que la presse britannique se soit mise soudainement à lui porter un tel crédit. Pourquoi ce groupe est-il passé du jour au lendemain de l'anonymat à l'aube de la célébrité. C'est le guitariste Russell Senior qui a bien voulu essayer de nous donner une explication à ce phénomène...

Si mes souvenirs sont exacts, Pulp était un quatuor à l'origine. A quel moment Candida est-elle venue rejoindre le groupe?

En mille neuf cent quatre-vingt trois. Enfin Candida et moi-même, puisque auparavant, la formation était composée d'autres musiciens. Seul Jarvis est là depuis le début.

Pourquoi cette longue interruption entre 87 et 91? Qu'avez-vous fait au cours de cette période?

Il n'y a pas eu d'interruption, mais nous avons vécu des moments difficiles. Nous avions enregistré un album, "Separations", mais Fire Records n'a pas voulu le sortir. Nous étions dans l'expectative. Alors nous en avons enregistré un second le mois suivant. Mais il n'a pas reçu davantage d'écho. Nous avons alors décidé de cesser de nous produire en concert. Nous nous sommes en quelque sorte croisés les bras en attendant que le label veuille bien changer de fusil d'épaule. Mais au bout de trois ans, la firme de disques ne voulait plus entendre parler de ce disque. Alors nous avons changé de label. Voilà l'explication. Cette période creuse nous a cependant permis de nous remettre en question, d'assimiler de nouvelles références. Un peu plus 'dance', mais pas trop. De repartir sur de nouvelles bases. (NDR: "Separations" est finalement sorti sur "Fire Records" en 1992).

Mais comment expliquer le soudain intérêt manifesté par le public, et par la presse pour Pulp alors?

Sans doute parce que les temps et les modes changent. Au milieu des eighties, nous étions mal compris, même détestés. Le public de cette décennie dénonçait le culte du vedettariat, et les artistes qui essayaient d'atteindre un statut de pop star, comme nous souhaitions le devenir, lui paraissait stupide. Il préférait les choses anonymes. Dès les nineties, il s'intéresse davantage aux personnalités, et c'est très bien pour nous. Notre profil est davantage taillé pour l'époque actuelle. "His'n hers" est un peu comme si c'était notre premier opus. Parce qu'il a bénéficié de conditions idéales pour être enregistré. Et parce qu'il correspond à la somme de nos sensibilités.

Qui sont très éclectiques!

Absolument! Dans une même chanson, nous parvenons à incorporer une multitude d'influences. Les cinq personnes qui composent le groupe possèdent des goûts musicaux différents. Et c'est cette fusion d'affinités différentes qui procure à Pulp ce style si particulier, si original même...

A vos débuts, Sheffield était un peu considéré comme le berceau de la musique synthétique, avec en face industrielle une école dirigée par Cabaret Voltaire, et en face pop des ensembles comme Human League et Heaven 17. N'avez-vous jamais imaginé suivre leur exemple pour obtenir quelque peu de succès?

Non, non! Nous aimions Human League et Heaven 17, et je suppose que d'une certaine manière, nous nous sommes inspirés des mêmes sources synthé-pop. Nous sommes même encore aujourd'hui parfois comparés à Human League. Mais je pense que Sheffield était davantage réputé pour ses groupes industriels. Cabaret Voltaire en tête évidemment. Les usines de construction métalliques forgent l'environnement de cette cité. Et la cacophonie urbaine en est son pain quotidien. Tu comprends donc mieux pourquoi tant de groupes ont adhéré à ce courant industriel. Personnellement, j'ai joué dans Test Department. Des claviers. Mais finalement, je me suis dit que j'aurais pu également reproduire le même bruit dans une manufacture. Et j'ai cherché un autre groupe. Capable de jouer des chansons à la structure mélodique. M'évader de ce contexte abrutissant. C'est pourquoi je suis atterri chez Pulp...

Est-ce la raison pour laquelle vos textes abordent les thèmes du travail, du shopping, de la TV, de la sexualité, des choses de la vie en général, quoi? Cherchez-vous à dénoncer l'absurdité de la condition humaine ou la considérez-vous comme une réalité sinistre, une comédie noire?

Nos lyrics ne sont pas aussi sombres. Nous ne nous prenons pas aussi au sérieux. Nous ne nous prétendons pas des artistes. Pour composer ses textes, Jarvis regarde simplement autour de lui. Il observe les gens qu'il connaît et qu'il côtoie. Il en brosse le portrait à travers leurs aventures et mésaventures. Pas avec un réalisme austère, mais en abordant les événements tragiques, bouleversants, d'une manière humoristique...

Pulp est-il devenu le groupe le plus sexy de Grande Bretagne? N'êtes-vous pas, tout comme The Auteurs et Suede, occupés de faire revivre le glam pop de T Rex?

J'ai déjà entendu parler de cette histoire? Et je l'ai finalement trouvée très amusante. Tu sais, j'ai souvent partagé la chambre d'hôtel avec Jarvis. Et le matin, lorsqu'il se lève, il n'est pas vraiment un sex symbol. Et je ne pense pas qu'il prétendrait l'être. Mais pour la scène, il se métamorphose. Il le devient. Il est élégant, flatteur, séduisant, et se crée beaucoup d'ami(e)s... Cette situation nous permet de rencontrer des tas de jolies filles. Le public est sensible à cette forme de sensualité, car elle est très accessible. Ce n'est ni Dieu, ni une des sept merveilles du monde, mais simplement un être humain qui essaie de se montrer sous son plus beau jour. Et n'importe qui pourrait le devenir. Jarvis exerce sans doute un rôle de modèle pour notre audience. Une audience qui est probablement la plus sexy de la planète... J'aime beaucoup Suede et The Auteurs, mais nous ne partageons pas les mêmes influences. Suede est beaucoup plus rock. Et je ne me sens pas davantage symboliser un groupe de glam pop. Et surtout pas inspiré de Marc Bolan! Mon Dieu! Je sui effrayé rien que de l'entendre dire. Nous essayons d'éviter de reproduire tous ces clichés revivalistes. Nous n'y avons jamais accordé le moindre crédit. Nous nous considérons comme un groupe progressif, moderne. Et je préfère être comparé à des formations telles que Suede et The Auteurs qu'à T Rex ou à des tas d'autres formations. Au moins, si la musique est différente, l'attitude est tout à fait similaire...

Sous la férule du bassiste Steve, Pulp a tourné un film consacré au thème de la perte de la virginité. Un court métrage inspiré par le single "Do you remember the first time?". Est-ce un documentaire entrecoupé d'interviews ou une leçon d'éducation sexuelle?

(rires): C'est un documentaire entrecoupé d'interviews susceptible de servir de leçon d'éducation sexuelle. En fait, nous avons recueilli les propos de différentes personnes sur leur vie sexuelle. En Europe, ce type de reportage n'aurait guère d'impact. Mais en Grande Bretagne, la notoriété des personnes interrogées suscite un grand intérêt auprès du public.

Quel est ton fruit préféré ?

Le fruit de la passion. Des fruits exotiques. Les nouveaux fruits qui arrivent sur le marché. Le pommorello (?). Ceux que nous ne connaissons pas encore et que nous allons découvrir. Nous adorons varier les goûts. Déguster un fruit est à la fois délicieux et sensuel. Cet acte symbolise la musique de Pulp...

Version originale de l'interview parue dans le n° 26 du magazine Mofo de septembre 94.

 

 

Front 242

Le succès, c est ce qui peut arriver de pire.

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Front 242 est à un tournant de son existence. Période difficile à négocier, parce qu'elle se situe au moment ou il entreprend des expérimentations audacieuses. Comme celle qu'il vient de mener en compagnie du groupe new-yorkais Spill. Une situation qui ne fait pas que des heureux, et qui inévitablement entraîne des dissensions au sein de cette institution nationale. Malgré la contestation, Patrick Codenys et Daniel B ont décidé de faire front! La survie du groupe en dépend. Nous avons recueilli, pour vous, les confidences du second nommé...

Comment c'est déroulé la dernière tournée Lollapalooza?

Couci-couça. Alternant des temps forts et des temps plus faibles. Côté ambiance, nous n'avons pas eu à nous plaindre. Mais si on aborde l'aspect musical, l'optique est différente. Nous avons rencontré des problèmes. Techniques surtout. Nous ne sommes pas un groupe de festival. Tout le monde a pourtant fait le maximum, mais le changement de line-up nous a joué de vilains tours.

Qui est la nouvelle chanteuse?

Ce n'est pas une nouvelle chanteuse! Nous l'avons engagée pour participer à notre album "Off", mais nous ignorons toujours si nous allons poursuivre cette expérience. Elle joue en fait dans un trio new-yorkais que nous aidons : Spill. Le compositeur/percussionniste Eran Westvood participe d'ailleurs à notre tournée.

Comment êtes-vous entrés en contact avec ce groupe?

Un hasard! Après avoir donné un concert à New York, nous sommes sortis en boite. La chanteuse nous a glissé une cassette. Nous l'avons écoutée. Elle nous a plue. Nous les avons contactés. Et depuis, nous avons sympathisé.

Comment Richard a t-il réagi à son éviction du groupe?

Pas très bien! Mais il faudrait plutôt lui demander. Cela ne s'accepte pas de gaieté de coeur. C'est humain! Se sentir évincé? Je crois qu'il n'y a que lui qui puisse le croire. Il n'a aucune raison de se sentir écarté du groupe. Nous avons simplement voulu expérimenter une formule différente. Par exemple, mixer en "live" ne m'intéresse plus. J'ai fixé mes limites. Je ne me sens pourtant pas exclu parce que j'ai demandé d'engager un technicien pour me remplacer. Il faut savoir relativiser les événements. Le timbre vocal d'un homme est différent de celui d'une femme. Le chanteur ne va pas improviser une petite voix haute, un falsetto quoi! Lorsque tu souhaites incorporer une voix féminine, tu fixes ton choix sur une chanteuse. L'inverse aurait d'ailleurs pu se produire, si nous avions toujours fonctionné avec une chanteuse. Probablement, qu'à un certain moment, nous aurions senti le besoin de nous tourner vers un chanteur. Je pense que cette expérience traduit un besoin d'explorer de nouveaux paysages sonores...

Etes-vous toujours aussi enthousiastes pour vous produire 'live'?

Personnellement, je n'ai jamais été enthousiaste pour me produire en public. Parce que je suis trop difficile. Le degré de qualité atteint 'live' est toujours insuffisant. Donc ne me satisfait pas. Mais demande plutôt à tous ceux qui assistent à nos concerts ce qu'ils en pensent. Parce que moi, je ne serai jamais content.

Le succès engendre-t-il chez Front 242 une plus grande liberté d'action ou provoque-t-il une accumulation de contraintes? N'existe-t-il pas un risque de tomber dans l'autosatisfaction?

Le succès, c'est ce qui peut arriver de pire. Il exige une grande force de caractère, susceptible de surmonter les épreuves. Parce qu'il entrave la liberté d'expression. Aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur du groupe. La pression des labels s'accentue. Celle des fans aussi, freinant alors l'évolution de notre création. Je m'en suis plaint récemment. Un type nous a menacés de nous dynamiter si nous nous présentions avec une chanteuse sur scène! Une partie de notre public ne souhaite pas que nous progressions. Il veut que nous reproduisions "Headhunter" ou "Welcome" jusque la fin des temps. Dans ces conditions, je préfère décrocher...

La musique électronique n'est-elle pas au bout du rouleau?

Le monde a évolué. Front aussi. La musique typiquement électronique pratiquée, voici dix ans, n'a plus aucun avenir. La musique hybride bien! Hybride parce qu'elle n'exclut rien. Ni les guitares, ni les drums, ni les samplings.

Un peu à la manière des Young Gods?

En général, j'évite de donner mon avis sur les autres groupes. Pour les Young Gods, c'est un peu différent. Je n'aime pas tout ce qu'ils font, mais leur démarche me plaît beaucoup. Leur musique est pourtant sous-estimée. C'est peut-être un peu de leur faute. Parce qu'ils ne cherchent pas à occuper la place qu'ils méritent. Front est probablement dans le même cas. Je reconnais qu'il existe un parallèle entre les deux groupes dans la manière de concevoir la musique. Avec un résultat différent, c'est vrai! Mais des problèmes identiques. Sur scène par exemple. Nous devons absolument trouver une solution. Et je pense que si, ni les Young Gods, ni Front ne parviennent pas à donner une nouvelle impulsion à cette musique, nous allons déboucher sur une impasse. C'est la raison pour laquelle nous avons expérimenté une nouvelle chanteuse et mené des collaborations avec d'autres artistes. La tentative peut avorter. Mais elle mérite d'être vécue. J'estime d'ailleurs que ces expérimentations mèneront à une porte de sortie. Mais ce n'est plus le moment de tergiverser!...

En soulevant des thèmes comme la manipulation, le stress, l'individualisme, la surinformation, la pollution, n'êtes-vous pas occupés de faire le procès de la société contemporaine?

Pas seulement la société contemporaine. L'histoire nous a prouvé et le futur nous démontrera qu'elle recèle davantage d'aspects négatifs que positifs. Chaque individu doit se battre pour se faire une petite place au soleil. Pour y trouver son petit bonheur. C'est un combat permanent, impitoyable que mène l'homme depuis sa naissance...

Tu ne sembles pas tellement optimiste à l'égard du futur de l'humanité. Est-ce la raison pour laquelle on vous a reproché de défendre des idées d'extrême droite?

Il serait nécessaire de recommencer le processus d'éducation de ceux qui se trompent de cible. Nous n'avons jamais prononcé, ni suggéré de discours semblable. Nous avons dû, même, nous justifier récemment. Ce qui ne devrait jamais se produire dans la vie de quelqu'un. Il est malsain de devoir se justifier lorsqu'une critique est dénuée de tout fondement. Il existe des individus chez qui je pourrais facilement coller une étiquette d'extrême droite ou d'extrême gauche, parce que leur discours reflète une doctrine bien précise. Mais ce n'est pas parce que tu incorpores deux ou trois collages dans une demi-heure de musique que tu en adoptes l'idéologie. Il est indispensable de dépasser les idées préconçues. D'essayer de comprendre la personnalité des autres avant de les juger. La culture devient de plus en plus superficielle; et le pire, c'est que certains médias entretiennent cette situation. Il est plus facile de coller une étiquette sur le dos de quelqu'un que d'essayer de nuancer une opinion ou de comprendre la véritable nature d'un être humain. Tant au niveau politique que musical.

Est-ce que Front est un produit de consommation recyclable?

Oui, je le pense. Je suis étonné que nous ne soyons pas samplés plus souvent. Prodigy nous l'a demandé. Il n'y avait aucune raison de refuser. D'abord, parce que nous n'avons jamais refusé l'opportunité de puiser dans notre répertoire. Et puis nous apprécions sa démarche.

Vous n'avez jamais eu l'idée de composer la musique d'un film?

Nous l'avons souvent proclamé. Mais j'ai l'impression que personne ne nous écoute. N'importe quoi! Même si cette bande sonore n'est pas destinée à un film de science fiction. Tu sais, mon rêve le plus secret serait de sonoriser une œuvre de Peter Greenaway... Mais apparemment cet univers semble plutôt hermétique...

Lors d'un concert, la prestation est interrompue par une panne de courant.
a) vous empoignez des guitares acoustiques, et vous improvisez un set folk.
b) vous entamez des vocalises a capella.
c) vous vous barrez, furieux, et on ne vous voit plus de la soirée.
d) vous persuadez le public d'organiser une émeute.
e) vous filez droit sur la cabine, et tentez de réparer les circuits défaillants.

Une aventure qui nous est déjà arrivée! Mon sequencer continue néanmoins de fonctionner, parce qu'il est alimenté par une batterie... Nous n'improvisons certainement pas un set acoustique. Nous ne sommes pas furieux, sauf si après avoir prévenu l'organisateur de cette défaillance survenue lors du soundcheck, elle se répète au moment du concert. Mais en général, nous attendons patiemment la suite des événements. Et si l'incident perdure, nous plions bagages. C'est un cas de force majeure! Je nous vois mal entamer un exercice a capella (rires)!

Version originale de l'interview parue dans le n° 17 (novembre 93) du magazine MOFO

 

 

 

 

 

 

Ed Kuepper

Il y a encore une vie après les Saints....

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Lorsque les Saints se sont séparés en 1986, toute l'attention des médias s'est focalisée sur Chris Bailey, chanteur compositeur à l'existence tumultueuse, mais au talent incontestable. Pourtant, Chris s'est enfoncé dans la médiocrité, alors que son guitariste, devenu aussi chanteur par la force des choses, a renversé la vapeur à son avantage. Après un bref intermède chez les extravagants Laughing Clowns, Ed Kuepper va se révéler un auteur prolifique, épinglant en moins de cinq années une flopée d'albums aussi savoureux les uns que les autres. En 1992, il nous a ainsi gratifiés de deux superbes oeuvres, deux disques immédiatement suivis par autant de tournées. La dernière, qui transitait par la Belgique voici quelques semaines, nous a permis de rencontrer ce très sympathique Australien, beaucoup plus loquace lorsqu'il s'agit de causer de son pays natal que pour dévoiler les arcanes du passé...

La scène rock australienne a connu un essor remarquable voici trois ou quatre ans. Aujourd'hui, le phénomène semble s'être quelque peu estompé. Comment expliques-tu cette accalmie?

Je n'en sais strictement rien. Je suis australien, mais je n'ai rien à voir avec la scène australienne. Je n'y ai d'ailleurs jamais porté grand intérêt. Je suis trop absorbé par mon travail pour analyser les turbulences qui agitent le monde musical. Je me consacre uniquement à ma création; il est donc difficile, pour moi, de répondre à cette question...

Des groupes tels que les Triffids, Wreckery, Died Pretty et des artistes comme Grant Mc Lennan et Louis Tillet ne t'intéressent donc pas tellement?

Mwoui! Louis Tillet est quand même un excellent musicien et il récolte un succès appréciable en Australie. En fait, j'aime un tas de styles différents issus d'époques différentes... les Easybeats, les Only Ones, Heart & Soul, les Blue Jays, les Box Tops; pas nécessairement des artistes australiens...

A propos des Box Tops, un journaliste britannique a écrit récemment que tu incarnais l'Alex Chilton des nineties. Est-ce un compliment?

J'apprécie les Box Tops, mais je n'ai pas grand-chose de commun avec Alex Chilton. D'abord ses sources d'inspiration varient totalement des miennes. Il avait recours à diverses drogues pour développer les différentes perspectives de sa composition. Ce n'est pas mon cas. Je n'ai pas besoin de consommer des stupéfiants pour trouver l'inspiration. Sans quoi, c'est sans doute un compliment...

Ce qui ne t'empêche pas d'être prolifique. Mais n'as-tu jamais eu l'idée d'écrire pour d'autres musiciens?

Cette idée ne m'a jamais effleuré l'esprit. Mes chansons sont parfois interprétées, mais je ne compose pas spécifiquement pour les autres. Je me limite à Ed Kuepper et à ses deux groupes.

Deux groupes? Pourquoi deux groupes?

Pour bénéficier d'une plus grande marge de manœuvre dans la création et dans l'interprétation. Ces deux formations me permettent également d'emprunter des directions musicales différentes. Et puis, sur scène, il m'est toujours loisible de concevoir des versions différentes d'une même chanson, suivant qu'elle est jouée en compagnie des Aints ou des New Imperialists. C'est d'ailleurs en compagnie de ce dernier groupe que je viens d'accomplir ma dernière tournée européenne.

N'est-ce pas troublant de baptiser son groupe The Aints lorsqu'on a appartenu aux Saints? Aurais-tu la nostalgie du passé?

Pas du tout! C'est le genre de fantaisie dont je raffole. Romantique oui, mais pas nostalgique. Et n'imagine surtout pas que ce romantisme se limite à une certaine forme de littérature ou de poésie. Il est dans mon tempérament et influe sur ma façon de composer.

Lorsque les Saints ont décidé de mettre un terme à leur existence, un tas de rumeurs a circulé sur les mobiles de cette séparation, mais aucun ne nous a convaincus. Quelle était la véritable raison de ce split?

Nous devenions sans doute trop vieux pour continuer à jouer ensemble. Nos divergences musicales s'étaient amplifiées au fil du temps. Il était donc préférable de nous séparer. C'est un peu comme un joueur de football qui ne parvient plus à exprimer son talent parce qu'il végète dans la même équipe depuis trop longtemps. Et puis en quittant les Saints, j'ai pu explorer de nouveaux horizons, musicaux bien sûr, mais aussi sur notre planète...

As-tu tu encore des contacts avec Chris Bailey? Que penses-tu de son dernier album?

Je le vois épisodiquement. Je n'ai pas eu l'occasion de découvrir son dernier disque, mais bien le pénultième...

Tes albums précédents étaient plutôt minimalistes, "Black Ticket Day" semble davantage façonné dans le rythm'n blues des seventies; le dernier titre du CD, "Walked thin wires", éveillant même certaines affinités avec le son "Tamla Motown" dispensé par Rare Earth sur "Get Ready". Pourquoi?

Je suis plutôt surpris par cette réflexion. Si le rythm'n blues me fascine, je ne pense pas qu'il soit un élément fondamental de ma musique. Si certaines compositions de "Black Ticket Day" flirtent avec le rythm'n blues, c'est tout à fait involontaire de ma part. Ce n'est pas mon objectif. Enfin, "Black Ticket Day" n'est pas plus ou moins minimaliste que les albums précédents. Il s'inscrit dans la suite logique de mon ouvrage. C'est un pas en avant par rapport à "Honey's Steel Gold", et un de plus sur "Today Wonder". Le flux est naturel.

Te sens-tu concerné par la question d'intégration des autochtones en Australie? Penses-tu que ce sujet puisse être mis en parallèle avec la situation des Indiens en Amérique? Est-ce que Yothu Yindi symbolise le combat ethnique des aborigènes?

C'est un problème, effectivement. Mais je doute fort que les aborigènes souhaitent s'intégrer. Ils aspirent à plus d'indépendance. Je ne vois d'ailleurs pas l'utilité de les intégrer dans la société moderne. Ils sont protégés par la législation australienne et sont capables de se débrouiller sans nous. Ils pourraient même fonder leur propre état. La Nouvelle Zélande rencontre les mêmes difficultés avec ses indigènes. Il faut bien comprendre que ces peuplades ont été arrachées à leur culture. C'est vrai que transposé dans une autre époque, la question des Indiens d'Amérique peut être comparable... Yothu Yindi est un groupe de danse folklorique qui a trouvé dans la pop l'occasion de véhiculer des idées indépendantistees à travers le monde. Quant à savoir s'il représente le combat ethnique des aborigènes, c'est une autre histoire...

L'Australie est un pays fascinant, peuplé d'animaux étranges tels que les émeus et les kangourous, traversé de paysages merveilleux et entouré de profondeurs sous-marines abyssales. Bref, un univers idyllique que bon nombre de voyageurs rêvent de découvrir un jour. Est-ce que ces attributs constituent un motif de fierté pour toi ou considères-tu ces caractéristiques comme quelque chose de banal?

J'aime mon pays, mais je ne suis pas un nationaliste. Son environnement est fragile, et les Australiens mettent tout en œuvre pour le préserver. Ce pays est beaucoup plus vaste que les USA. Mais le territoire n'est occupé que par 10 % de sa surface. Le reste est la propriété du désert. Les habitants sont très attentifs à la sauvegarde des zones vertes. C'est essentiel pour maintenir l'équilibre écologique du pays. C'est un endroit unique, et j'espère y vivre le plus longtemps possible...

L'Antarctique n'est pas tellement éloignée de l'Australie. Plus personne n'ignore que son sol regorge de richesses naturelles. Ne crains-tu pas que dans un futur proche, ce site ne devienne un nouveau Far West, avec les risques de pollution incontrôlable auxquels l'Australie n'est que très peu confrontée aujourd'hui?

C'est un réel danger pour l'Océanie, et j'y réfléchis souvent. Tout notre continent est exposé à ces risques, et en particulier la Nouvelle Zélande et Tahiti. Il est d'ailleurs à craindre que les excès ne soient commis par ceux qui pratiquent les essais atomiques dans le sud du Pacifique. La plupart de ces pays détiennent déjà des droits territoriaux sur l'Antarctique; et au vu de leurs antécédents, je serai très étonné qu'ils se soucient des nuisances écologiques. Je regrette qu'il n'y ait pas suffisamment de monde qui soit sensibilisé par la question. Si les grandes puissances étaient victimes de graves préjudices causés par des expériences nucléaires, elles réagiraient différemment...

(Version originale de l'interview parue dans le n° 9 - janvier 93 - de Mofo)

 

The Smashing Pumpkins

La versatilité des formations actuelles me donne le vertige...

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Kurt Cobain, leader de Nirvana, vient de déclarer que sans l'avènement de son trio, des tas de groupes yankees, et en particulier le quatuor de Chicago Smashing Pumpkins, n'auraient jamais eu droit au chapitre. Pourtant, James Iha (prononcez "I-A", sans quoi vous déclencherez l'hilarité du personnage) déclare n'avoir aucune affinité avec cette vague métallique qui déferle sur Seattle. C'est d'ailleurs, probablement le seul moment où cet excellent guitariste, mais également brillant 'chèvrechoutiste', s'est montré formel au cours de notre entretien. Alors, Smashing Pumpkins : corruptible ou incorruptible? Et le deuxième album : grunge ou pas grunge?

L'accouchement de votre deuxième opus, "Siamese Dream" m'a semblé particulièrement douloureux. Pourtant en engageant Butch Vig pour le produire, vous auriez dû ne rencontrer aucun problème?

Nous n'avons éprouvé aucune difficulté pour l'enregistrer. Mais il est exact que sa confection a nécessité quatre mois et demi. Ce qui peut paraître assez long. En fait, nous travaillons assez lentement ; et, pour la circonstance, avions décidé de prendre tout notre temps. Avant de nous intéresser à l'album, nous avons préféré sortir un premier single, puis un deuxième single. C'est la raison pour laquelle nous avons choisi Butch Vig à la production. C'est un gars très cool, et son concours nous a permis d'œuvrer dans les meilleures conditions.

En choisissant "Siamese Dream" comme titre de votre elpee, souhaitiez-vous transmettre un message d'espoir à tout ceux qui souffrent?

D'une certaine manière. Je suis incapable de dire pourquoi (NDR: ou plus exactement, il ne souhaite pas s'étendre sur le sujet), mais il reflète des concepts plus optimistes, plus visionnaires. Ce qui n'était pas le cas pour "Gish", davantage dominé par des thèmes douloureux, désenchantés...

N'est-ce pas trop dangereux de naviguer entre réalisme et fantaisie?

N'exagérons rien! Il existe des groupes beaucoup plus réalistes que Smashing Pumpkins. Rage Against The Machine, par exemple. Et toute la panoplie de rappers qui sévissent aujourd'hui aux States. Je ne pense pas que nous soyons davantage des fantaisistes. Nos chansons ne sont pas peuplées de lutins, de travestis et de clowns, que je sache...

Etes-vous froissés lorsque les médias vous taxent de 'grunge'? Le succès récolté par Nirvana et Pearl Jam ne vous étonne-t-il pas?

Irrités certainement! Hormis la concentration d'électricité qui émane des guitares, nous n'avons rien en commun avec ces groupes qui se réclament du 'grunge'. Notre conception de la composition et de l'écriture est totalement différente. Nous ne jouons pas de la même manière. Et notre portefeuille n'est pas aussi garni que celui des membres de Nirvana ou de Pearl Jam (rires). Nous reflétons notre propre image et n'accepterons jamais de nous aligner sur une mode quelconque. Ce qui explique pourquoi nous sommes agacés, lorsqu'on pratique une standardisation des valeurs musicales américaines. Le succès de Nirvana et de Pearl Jam? Il s'explique facilement! En fait, le heavy metal est toujours très prisé aux States. Il est d'ailleurs le seul créneau musical à pouvoir concurrencer la 'dance' et le monde creux de la pop FM. Pour te faire une idée, pense à Bryan Adams! Ceux qui n'appartiennent pas à ces familles vivent dans l'underground, et rencontrent, en général, plus de crédit à l'étranger... Bref, Nirvana s'est contenté de reproduire les nombreux clichés du heavy metal en y injectant une dose d'agressivité supérieure. Un signe des temps qui ne trompe pas. Puisque le succès s'est répandu comme une traînée de poudre. Et pour sortir de leur marginalité, de nombreux groupes, s'y sont engouffrés. Pearl Jam et des tas d'autres. De Seattle, bien sûr, mais également d'ailleurs.

Est-il exact que Smashing Pumpkins est davantage séduit par la musique britannique que par la musique américaine? Et qu'il préfère les artistes du passé à ceux d'aujourd'hui?

Nous n'avons pas d'exclusive, et apprécions autant les groupes américains que les groupes britanniques. La musique du passé que celle d'aujourd'hui. Personnellement, j'estime d'ailleurs qu'il existe pour l'instant, de meilleures formations aux States qu'aux Iles Britanniques. Plus originales. Plus extrêmes. Et si j'ai un petit faible pour le monde ses seventies, celui d'ELO, des Eagles et de Gram Parsons en particulier, je ne rejette pas les ensembles contemporains. Come et Sweverdriver me plaisent beaucoup. Mais la versatilité des formations actuelles me donne le vertige. Elles disparaissent parfois aussi vite qu'elles ne sont apparues. Difficile de s'y retrouver. C'est peut-être la raison pour laquelle je préfère me réfugier dans les valeurs du passé. Mais j'admets qu'il faut laisser le temps à la nouvelle génération d'écrire son histoire...

Vous avez un jour déclaré qu'il était hors de question de vous exhiber hors de contrôle, sur scène, comme Iggy Pop. Etes-vous des adversaires de la consommation de drogue ou d'alcool?

Question à la fois amusante et pertinente! En général, nous conservons la tête froide en toutes circonstances ; mais il arrive, pas très souvent il est vrai, que nous perdions notre self control. Sans avoir recours aux drogues ou à l'alcool, il faut le préciser!

N'est-il pas difficile de vivre à Chicago, deuxième capitale culturelle, mais également deuxième capitale du crime aux U.S.A.?

Chicago ne diffère pas tellement des autres métropoles américaines. Dans le domaine de la criminalité, il existe d'ailleurs des villes bien plus irrespirables. Il existe suffisamment d'espace pour y vivre paisiblement. Le crime ne vous attend pas à chaque coin de rue. Il faut simplement savoir où mettre, et où ne pas mettre les pieds. La population est bien renseignée à ce sujet, et évite de fréquenter ces endroits mal famés...

Pourquoi comparez-vous l'Amérique à un cauchemar 'orwellien'?

Parce que les différents pouvoirs qui se sont succédé y ont fait le lit de la corruption. On a beau remplacer le président, le gouvernement, rien ne change. Le capital tire toutes les ficelles de la société et place ses hommes politiques et ses fonctionnaires d'administration pour le faire fructifier... L'argent ne manque pas aux Etats-Unis, mais il va dans la poche de ceux qui en ont le moins besoin ou dans celle des gangsters. Le taux de hold-up y est d'ailleurs particulièrement élevé. Un constat pas très moral, mais très réaliste! Pourtant, je ne pense pas que l'Amérique soit le pays le plus corrompu. Ailleurs, c'est parfois pire...

Cette situation entraîne inévitablement une recrudescence de la violence?

La violence n'existe pas plus aux States qu'ailleurs! Elle est surtout présente à la TV. Et la communauté internationale imagine qu'elle est notre pain quotidien. C'est faux! Ces excès ne se produisent que dans les bas fonds de certaines grosses villes. La plupart des autres cités sont très peu touchées par ce phénomène. Cette idée n'est qu'un stéréotype monté de toutes pièces à l'étranger, et surtout en Europe.

Est-ce que Smashing Pumpkins est un groupe ambitieux?

Qu'est-ce que tu entends par ambitieux? Devenir des stars? Non, ce n'est pas notre truc! Nous voulons vivre notre aventure, au sein de ce groupe, le plus longtemps possible. Enregistrer de bons albums. Nous produire plus souvent 'live'. Se faire une petite place dans le panthéon de l'histoire du rock. Mais surtout pas comme U2. Bono est tellement devenu imbu de lui même et se prend tellement au sérieux, qu'il en devient grotesque...

Tu ne crois pas que la musique puisse changer le monde?

Non! Je pense qu'elle influe sur le comportement des gens. Mais il est abusif de penser qu'elle puisse changer la face du monde. Aujourd'hui, c'est trop demander à des artistes, qui vivent au jour le jour, de s'intéresser à la fois à leur propre existence et aux questions humanitaires. Ce style de personnage s'est éteint avec John Lennon et Bob Marley...

(Version originale de l'interview parue dans le n° 16 - octobre 1993 - de Mofo)