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Dendermonde à découvert !

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The Veils

Une voix insaisissable...

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En mai 2004, les Veils s'étaient produits à Bruxelles dans le cadre des Nuits du Botanique. Un excellent concert accordé dans le cadre de la sortie d'un tout premier album. Apparemment le leader, Finn Andrews, n'était pas trop satisfait de ses musiciens, puisque dans les semaines qui ont suivi, il les a tous virés. Ce qui lui a valu une image de type difficile, acariâtre et à la limite inabordable. Août dernier, la formation se produisait au Pukkelpop. Sous un tout nouveau line up. Et puis pour y présenter les nouvelles chansons de son second opus, « Nux Vomica ». L'occasion idéale pour un entretien à bâtons rompus. Encore qu'avant de le rencontrer, une certaine appréhension m'avait envahi : cet artiste serait introverti, peu bavard et fort peu intéressant à converser. Comme quoi les clichés ont la dent dure. Parce que Finn est un type fort intéressant. Un peu timide, mais d'une grande gentillesse, extrêmement sensible et surtout profond. Le tout, c'était simplement de poser les bonnes questions…

Le Strychnos nux-vomica est un arbre sempervirent originaire de l'Asie du sud-est. Il pousse dans des habitats ouverts et atteint habituellement la taille d'environ 25 mètres. Son écorce recèle des composés toxiques, dont la brucine. Mais les semences enserrées à l'intérieur des fruits de l'arbre produisent de la strychnine, un alcaloïde extrêmement toxique, dont on se sert en médecine. En homéopathie, ce remède est le plus prescrit de tous, le plus fréquent en raison de la masse de ses symptômes, et surtout parce que les affections qu'il guérit correspondent aux troubles fonctionnels les plus souvent rencontrés en médecine. En particulier, les troubles digestifs et la tension nerveuse. C'est une des médications les plus adaptées aux conditions de vie moderne, stressante et rapide. Avant de commencer notre entretien, je lui montre un tube de granulées de Nux Vomica 5CH. Finn a l'air un peu embarrassé : « En fait, je ne connais pas bien l'homéopathie. Je n'en ai qu'une vague idée. J'ai des amis qui se soignent par cette médecine. Je sais qu'il existe des choses qui marchent. Mais pour moi cela reste un mystère… » Alors pourquoi avoir choisi un tel nom pour son album ? Finn se justifie : « Au départ, c'était le titre d'une chanson. Mais elle collait bien au thème général du disque. Parce que cet arbre symbolise la contradiction : il est à la fois toxique et curatif… » Serions nous donc en présence d'un concept album ? Finn clarifie : « Mon premier album ('The Runnaway Found') était plus conceptuel. Enfin, son écriture. C'est-à-dire que je compose au cours d'une période assez brève. Mais il est vrai que lorsque je m'arrête, l'intervalle de pause est parfois très long. Aussi, on peut attribuer la notion de concept, à la phase assez courte au cours de laquelle j'écris. Même si elle est assez féconde. Maintenant, le terme concept n'est peut être pas le plus judicieux. Il est un peu trop prog à mon goût… » Finn passe autant de temps en Nouvelle-Zélande qu'en Angleterre. A croire qu'il compte deux esprits et deux domiciles. Finn raconte : « Il y a un peu des deux. En fait jusqu'à présent j'ai vécu autant de temps en Angleterre qu'en Nouvelle-Zélande. Et je ne me sens pas plus néo-zélandais qu'anglais. Mais cette situation provoque inévitablement un trouble. Qui s'estompe au fil du temps. Je n'ai pas pour autant une double personnalité… » Mais doit-il fuir aux Antipodes pour écrire ? La réponse fuse : « Pas forcément. Honnêtement, cela pourrait être n'importe où. Mais il est vrai qu'il existe moins de pression de l'autre côté du globe qu'en Grande-Bretagne où rien n'a changé depuis quatre ans. La pression est toujours la même. Evidemment on peut imaginer qu'à cause de cette pression on perd un peu de la qualité esthétique d'un album. Notamment lorsqu'on doit sortir des singles. Mais j'aime ce type de pression. Par contre, il est vrai que lorsque je me trouve en Nouvelle-Zélande, je ne dois pas trop me soucier de l'environnement ni du management. Il y est plus facile de s'isoler… »

‘Nux Vomica’ a été mis en forme par Nick Launey, un producteur notoire dont la carte de visite mentionne des collaborations aussi prestigieuses que Queen, le Jam, XTC, David Byrne, INXS, Silverchair, PIL, Talking Heads, Gang of Four ou Nick Cave. Ce qui méritait quelques explications, vu la carte de visite du personnage : « En fait, lorsque j'étais gosse, je jouais en compagnie de ses enfants. C'est un ami proche de mes parents. Et puis on s'est perdu de vue pendant une bonne dizaine d'années. A l'origine, je n'avais aucune connaissance du monde des studios. C'était très confus en moi-même. A un certain moment, je me suis rendu compte que ce job était trop compliqué pour moi ; et c'est Nick qui m'a mis en contact avec le label Rough Trade. C'est un type fantastique. Il a immédiatement perçu les problèmes que je rencontrais et les solutions qu'il fallait envisager. Son timing est parfait. Sa lecture musicale est extraordinaire. Il a une patience d'ange. Il a développé une véritable philosophie de travail. Ce qui explique pourquoi il est aussi apprécié par les artistes. La vie d'un groupe est faite de hauts et de bas. Certains groupes sont éphémères. Travailler sous sa houlette est sécurisant. Pourtant, il utilise très peu d'overdubs. Privilégie les prises 'live'. L'approche de son travail est à la fois vivante et organique. Il plus intéressé par la performance que par le travail sur un ordinateur. C'est un ingénieur du son incroyable ! »

Finn possède une voix assez particulière. Lors de ses chansons les plus blues, elle épouse parfois le timbre de feus Jeff voire Tim Buckley, son père. On a parfois l'impression qu'elle est hantée par un esprit vaudou. Peut-être celui de la Nouvelle-Orléans… Finn confesse : « Je vis un conflit intérieur avec ma voix. J'e l'ai travaillée pendant trois longues années dans ma chambre avant de la faire écouter à quelqu'un. Elle est très difficile à maîtriser. C'est une préoccupation constante. Une source d'inquiétude. Parfois cette situation me persécute. J'ai toujours peur qu'elle m'abuse. J'essaie de la comprendre et de la maîtriser. Mais elle et toujours imprévisible. Parfois je ne la reconnais même pas moi-même. J'ai toujours aimé les chanteurs qui ont de superbes organes. Des artistes comme Bing Crosby ou George Michael ont une belle voix naturelle, lisse. Ce n'est pas mon cas. Mais je me suis rendu compte que j'avais plutôt intérêt à tirer le meilleur parti de mes capacités plutôt que de me soucier de la sonorité de mes cordes vocales. J'apprécie tout particulièrement des chanteurs comme Van Morrison, Tom Waits, Dylan, Léonard Cohen. Mais ils n'ont pas nécessairement de jolies voix. Van Morrison peut-être davantage aujourd'hui. J'ai mis longtemps pour accepter mon propre timbre… »

Deux chansons du nouvel album parlent des difficultés rencontrées par Finn à l'école, en Angleterre. 'Jesus for the jugular', tout d'abord. « Au cours de mon adolescence, j'ai fréquenté une école chrétienne qui imposait des règles très strictes. Or à la maison, toute la famille - il y avait quatre enfants - baignait au sein d'un univers artistique. A cause de mes parents (NDR : Finn est le fils de Barry Andrews, claviériste d'XTC). Je n'ai pas du tout bien vécu cette expérience. Je pose un regard amer sur cette période et ne la porte pas du tout dans mon cœur… » 'Advice for young mother be', ensuite. A premier abord un clin d'œil aux Shirelles. Ensuite le single qui a bénéficié d'un clip vidéo assez amusant. Mais finalement une remise en cause du système d'éducation. Finn confirme : « Elle est complémentaire à la précédente. Le monde est bien moins malintentionné qu'on veut nous faire croire. Si vous appliquez tout ce que les profs vous racontent à l'école, vous foutez votre vie en l'air. En fait, c'est une chanson légère qui raconte des choses sérieuses… » A ce propos, qu'est ce qui est le plus important pour notre interlocuteur : le succès ou l'intemporalité de ses chansons ? Question difficile… « La première chose, c'est de poursuivre son chemin. Et dans un premier temps récolter du succès. Je ne crache pas dessus. C'est normal. Et puis tu vises le second objectif. Question difficile, en effet. Si vous pensez trop à ce type de question, vous oubliez d'écrire. Le rock compte plus de 60 ans d'existence. Avant de devenir intemporelle, une chanson a peut-être besoin d'un siècle. McCartney n'a toujours pas cessé de chanter. Et à mon avis, il n'est pas prêt de s'arrêter. C'est sa vie… »

En bref, les musiciens des Delays et des Veils sont des amis. Ils ont accompli de longues tournées ensemble, en bus. Il leur arrive de jammer, mais dans le car. Pas de projet à court terme de collaboration. Enfin, pas dans l'immédiat. Peut-être un peu plus tard. Une chose est sûre, ils s'apprécient beaucoup. Signé Elvis Costello, ‘Shipbuilding’ est une des compos préférées de Finn. La version interprétée par Robert Wyatt. Toujours à cause de la voix. Finn a un jour déclaré que la démocratie était faite pour les idiots. Pas de panique, c'était une blague. Il respecte le consensus démocratique ; mais en tant que leader il a le devoir de prendre les décisions finales. Parce qu'il discerne le déroulement des événements. Il a aussi tâté de la peinture. Mais faute de temps, il a abandonné. Ajoutant : « Le résultat n'était pas probant. Et puis j'ai commencé à m'intéresser à la musique dès l'âge de 13 ans. Et à en jouer… » Enfin, Finn envisage-t-il un jour de travailler en compagnie de son père ? Question délicate. « J'ai un peu bossé avec mon paternel. En fait, j'écoute surtout ses conseils. Si nous voulions collaborer ensemble, le projet exigerait une coordination très importante. Et puis non, je crois qu'on n'en a pas trop envie. On se côtoie ; mais on travaille séparément… » 

Merci à Vincent Devos 


Baxter Dury

Baxter s party

Écrit par

Dans la série fils de… Voici que se profile la progéniture d'une célèbre expression paternelle : " Sex & Drugs & Rock & Roll ". Baxter est le fils de Ian, illustre punk poliomyélitique. Pas de mystère sur le sujet. Reste à décliner l'allocution. Sexe ? Indéniablement, le fils à papa est sexy. " Mais là, je ne me suis plus changé depuis trois jours ", annonce-t-il atténué par une chaleur pesante. Nous étions en plein été, au cœur d'un parc bruxellois, forcément royal. Echappé d'une fête de mariage bien arrosée, Baxter a égaré ses bagages. Toujours déguisé en invité de la mariée, le garçon aborde une barbe naissante et essouffle son inimitable accent cockney sous la canicule ambiante. 'Ma chemise est bousillée par les tâches de vin. En plus, elle pue ! Heureusement que l'attaché de presse m'a filé ce superbe t-shirt (NDR : estampillé du sceau de Sons and Daughters).' Sexy mais dépravé. Drugs ? Pour les accrocs, ce sera difficile : la réponse se fait attendre. Rock'n'Roll ? En 2005, " Floor Show ", son deuxième album, propose une acceptation raffinée de la discipline : une quintessence du rock. Bienvenue pour le spectacle.

Difficile de se trimbaler avec une telle consanguinité, non ?

Avec " Floor Show ", je signe mon second album. Il s'agit donc du deuxième tour de piste de cette question. C'est étrange, car au fil des interviews, je me suis rendu compte que ces interrogations relatives à mon passé familial se sont instituées : c'est devenu une tradition ! Je ne décèle pourtant pas d'importance fondamentale à parler de mon père. En fait, c'est très frustrant de recouvrir le même sujet. Ma tête s'habitue à ressasser la même histoire et ces annales en deviennent familières. Mais malgré ça, je comprends que les gens s'interrogent : il est très difficile d'éviter la question, cette curiosité.

Au risque d'enfoncer le clou, dans vos souvenirs d'enfance, quelle était la principale différence entre votre mère et votre père, mis à part l'aspect biologique ?

Evidemment, l'aspect biologique ! (Rires) Mais le vrai contraste entre mes parents se situe certainement au niveau artistique. Ma mère était presque dingue : une artiste, entièrement vouée à la peinture. Mon père, lui, était davantage tourné vers le bruit, la musique. C'est une différence essentielle. Mais ensemble, ils essayaient d'adopter une politique commune. Et cela pouvait fonctionner, car le rythme de vie de ces deux disciplines est finalement assez similaire.

Quelle est, à tes yeux, la principale différence entre " Len Parrot's Memorial Lift " et ton nouvel album ?

Cette fois, j'ai essayé d'évoluer vers un album aux contours plus pop. Je ne sais pas si c'était nécessairement un but en soi. Mais je pense avoir écouté tellement de musique pop que, soudainement, cela ma balancé dans la tranchée. Pourtant, cette pratique m'a toujours effrayé. Quand je composais une chanson résolument pop, je me sentais obligé de la détruire par le son, de la rendre sinistre. A l'origine, je me suis concentré sur l'écriture de véritables 'pop songs'. Au final, cet objectif se retrouve seulement en filigrane de mes chansons. Pour écrire une grande chanson pop, il faut être très malin. Et arriver à écrire une telle chanson n'est pas quelque chose de naturel, c'est une bénédiction ! Je ne connais pas grand monde capable de percer le mystère de la pop. Mais certains peuvent y parvenir, parfois de façon somptueuse.

Mais comment y parvenir ? Pour toi, que doit apporter une chanson pop au public ?

Elle doit transfigurer un caractère, une émotion personnelle et doit être guidée par des paroles qui créent un sens pour l'auditeur. Ce processus doit se faire sans effort. Le public ne peut le comprendre. Il doit juste tomber amoureux des mots qui sortent de la bouche du chanteur. C'est le pouvoir de la mélodie. La relation entre l'auteur d'une chanson pop et son auditoire ? Ce n'est ni une considération ni une expérience : c'est de la confiance, un accomplissement qui ne nécessite aucun effort. A 18 ans, Bob Dylan écrivait déjà des chansons majestueuses. La naissance d'une chanson pop revêt une dimension magique, presque spirituelle.

Ton album parle de gens étranges, drogués. Tes personnages sont complètement déboussolés. Où vas-tu puiser cette inspiration ?

Dans mon isolement le plus profond. Parfois, l'environnement londonien peut devenir très consistant. Certaines personnes ont un mode de vie tellement fou : les gens prennent des drogues, se demandent où ils sont, qui ils sont. Je crois que toutes les grandes villes européennes consomment des drogues. Mais particulièrement à Londres…

Serais-tu amateur de substances psychotiques ?

Evidemment. Il m'arrive parfois d'en prendre. Mais je ne cherche pas à mettre ma vie en danger. Je trouve cette conception là aberrante !

A l'écoute d'une chanson comme " Cocaine man ", on ne peut s'empêcher d'évoquer leur univers… Est-ce que tu aimes la musique du Velvet Undergound ?

J'aime ce groupe... Le rapprochement entre " Cocaine man " et " I'm Waiting for the Man " est possible. J'adore cette chanson. Mais en écrivant " Cocaine Man ", je n'avais aucune intention de m'en inspirer. En fait, chaque artiste a ses propres influences. Quand il commence à composer, à écrire des chansons, il essaie toujours de reproduire le travail d'un autre. Et ceux qui affirment le contraire sont des menteurs ! Cette chanson du Velvet Underground m'a beaucoup marqué, elle me rend heureux. Alors oui, je suis enchanté que vous rapprochiez une de mes chansons du répertoire du Velvet…

A l'écoute de ton disque, on a la sensation que tes chansons baignent dans une brume épaisse. Toutes les émotions traversent ce brouillard sur la pointe des pieds. Avec du recul, n'as-tu jamais songé à écrire des hymnes rock'n'roll écervelés ?

Ah… En fait, tout le temps ! J'ai toujours envie d'écrire des chansons hyper rock'n'roll. Quand tu composes, tu rêves d'évasion. Pour ma part, je devrai me lancer dans un nouveau 'side project' pour me concentrer davantage sur des chansons fortes, simples. Je pense que " Floor Show " est déjà plus rock'n'roll que " Len Parrot's Memorial Lift ". Derrière chacune de mes chansons, il y a un squelette rock'n'roll. Ensuite, c'est plus délicat, car je dois tout réaliser avec une guitare, une voix, etc. Ce n'est pas forcément évident. Souvent, tu as besoin de confiance, d'une attention extérieure pour te concentrer et réaliser ce type de chansons. Mais j'aimerai pouvoir simplifier les choses, les rendre très directes, composer une œuvre 'urgente'.

Tes chansons orneraient parfaitement l'univers cinématographique d'un film de Sofia Coppola (Virgin Suicides, Lost In Translation). T'intéresses-tu au cinéma ?

J'adore cette atmosphère, j'aimerai beaucoup participer à une telle expérience. Malheureusement, je n'ai pas l'impression d'être suffisamment populaire pour faire ce genre de choses... En fait, je n'attends qu'une seule chose : que quelqu'un vienne frapper à ma porte en me demandant de plancher sur son film !

Baxter, si tout devait s'arrêter à cet instant, quels souvenirs conserverais-tu de ta carrière musicale ?

Je recherche les moments clefs de ma carrière, ce n'est pas simple… D'ailleurs, cette question n'a rien de drôle ! Si ma carrière s'arrêtait là, je ne me vois vraiment pas m'établir, me poser derrière un bureau… Je ferai tout pour que ça change, j'en voudrai davantage : toujours plus.

La pochette du nouvel album est très sexy. Etait-ce un rêve d'habiller ton disque d'une femme nue ?

J'aime cette image. Ce n'était pas dans mes rêves, non ! Je perçois davantage cette pochette comme un message artistique. Elle ne montre rien : elle est très saine. Ici, personne ne peut pointer du doigt une vision pornographique… Ce serait complètement ridicule. C'est simplement une peinture et elle n'a rien de décadent.

Et pourquoi pas une bonne photo porno ?

Et bien… (Rires) J'aime la peinture, la beauté des courbes et tout ce qu'une fresque peut dégager. Ce que je veux dire, c'est que je ne recherchais pas forcément le besoin d'afficher une femme nue sur mon disque. Par contre, je ressentais le besoin de l'illustrer d'une œuvre que je trouve belle. Le but de cette pochette s'est donc d'afficher un beau dessin, une peinture originale. Ni plus ni moins. Derrière cette image, il n'y a rien de provocant. Sérieusement, vous trouvez ça choquant ? Cette peinture, c'est mon choix, je l'assume.

Et les autres décisions artistiques te reviennent-elles ? Le choix des singles, par exemple ?

Déjà pour la pochette, les gens de mon label (Rough Trade) aimaient l'idée, la controverse que ce dessin pouvait drainer. J'ai disposé de toute la latitude nécessaire pour réaliser ce deuxième album. En fait, Rough Trade correspond parfaitement à l'idée que je me fais d'une maison de disque. C'est vraiment là que je veux être. Ces gens sont des professionnels, ils ne cherchent jamais à interférer dans ton travail. Pour le choix du single " Lisa Said ", par exemple, nous en avons discuté et pris une décision de commun accord : rien n'est imposé. " Lisa Said ", une chanson étrange… elle ne me semble pas vraiment achevée. En fait, si je l'apprécie, c'est que je la trouve très frustrante. Le second single du disque sera " Francesca's Party ". J'adore également " Dirty Water ", le titre qui clôture le disque. Mais ce ne sera pas un single. Cette chanson est trop barrée !

Dans une de tes chansons, tu parles des " Young Gods ". Est-ce une référence au groupe, aux prémices de la musique industrielle ?

Franchement, pas du tout ! C'est un titre qui évoque l'homme, seul face à ses responsabilités. Un humain qui appose un regard critique sur sa personne, acceptant de reconnaître qu'il n'est plus aussi jeune qu'il ne le prétend. Ce titre est assez particulier. En fait, cette histoire est autobiographique. Vous savez quand on devient parent, la vie n'est plus du tout la même, l'angle devient tout à fait différent. En grandissant, j'ai continué de traîner mes rêves d'enfants. Mais ces rêves n'existent pas vraiment. En règle générale, je constate que les gens n'acceptent pas le changement, n'acceptent pas de regarder les choses en face. Souvent, ils préfèrent fuir une réalité qui leur échappe. " Young Gods " parle donc du changement, d'une prise de conscience, du sens des responsabilités.

Maintenant que tu as le sens des responsabilités, quels sont tes projets d'avenir ?

Sans déconner, j'aimerai vraiment travailler sur la bande originale d'un film. Et puis, enregistrer un très bon album dans les plus courts délais, ce ne serait pas mal non plus. Peut-être que les mélomanes apprécieront déjà " Floor Show ". Mais je veux vraiment parvenir à créer une musique qui dépasse toutes les espérances, un album meilleur encore. Très rapidement. Je veux accélérer le processus.

Jackson & His Computer Band

Electron libre

Écrit par

Comme tous les genres, la musique électronique évolue. Elle cherche sa voie, entre samples et beats frénétiques. Astucieuse ou vigoureuse, elle tend toujours à imposer son rythme. En France, au début des années 90, la mode électro convoitait les artistes assimilés à la « French touch », mouvement musical abstrait au sein duquel cohabitaient des artistes aux influences éloignées (Air, Daft Punk, Cassius, Stardust, Laurent Garnier, etc.). Quelques années plus tard, le passage au nouveau millénaire a amorcé un renouveau. Désormais la « French Touch » semble bien loin. La boule à facettes a tourné, l'électronique s'est décomplexée, modernisée. Enfant de cette nouvelle vague, Jackson Fourgeaud déconstruit les sons pour mieux les danser. Auteur d'un premier album (« Smash ») revigorant, l'esthète parisien s'est laissé accoster par Warp Records, le plus prestigieux des labels électroniques. Jackson & His Computer Band entraient ainsi dans la transe. Japon, Etats-Unis, Europe, le chemin des dance-floors s'ouvrait à lui, mais non sans mal : Jackson pose son computer et s'explique...  

Comment arrive-t-on à la musique électronique ? Est-ce un ras-le-bol des guitares ou un flux naturel ?

L'esthétique de la musique électronique m'a séduit. Quand ce style musical est apparu, nous n'avions aucun repère. Elle ne ressemblait à rien de connu. C'était une musique de fin du monde, en quelque sorte. Le fait d'être confronté à une musique où les balises n'étaient pas établies me plaisait. Déjà, elle ne me renvoyait pas à mes parents, à leurs goûts personnels. En ce sens, elle constituait une véritable mouvance générationnelle. Il s'agissait d'une véritable remise en question. Je suis né en 1979. Mais jusqu'au déclic 'électronique', je rejetais catégoriquement tous les sons issus d'une boîte à rythmes. Adolescent, je vibrais aux sons des seventies : les Rolling Stones, Pink Floyd, Jimmy Hendrix étaient mes modèles d'alors. A l'époque, le mot 'machine' était synonyme de 'mauvais'. Le jour où je me suis aperçu que l'essence de la musique n'était pas la virtuosité, j'ai changé mon fusil d'épaule. Ma conception des choses devait ainsi changer. J'ai donc rencontré des gens obnubilés par les musiques électroniques. En entendant leurs 'morceaux' pour la première fois, j'ai rigolé, commençant à les mépriser et leur soutenir qu'en moins d'une journée, je leur composerais un titre techno d'anthologie. A la maison, ma mère possédait un petit synthétiseur. Je me suis acharné dessus comme un forcené, fier d'apporter à mes nouveaux amis le fruit d'une journée de dur labeur. On l'a écouté ensemble. Après cette écoute, je suis devenu la risée de mes potes. Ça ne ressemblait à rien. Fâché, je suis rentré chez moi, bien décidé à m'y remettre... A partir de cet instant, j'ai commencé à travailler plus sérieusement, prenant soin de ne louper aucune 'rave party'.

Et comment débarque-t-on chez Warp Records ? Chose plutôt rare, d'ailleurs, pour un artiste français. Quel est le secret pour se faire une place au soleil de l'un des labels les plus influents dans la musique électronique ?

Le label est venu me chercher ! Vous voulez connaître l'histoire ? Au départ, un journaliste anglais a rédigé un article à mon sujet. Ensuite, il a mentionné mon nom auprès des représentants du label... Quelques jours plus tard, je devais recevoir un coup de téléphone et une proposition émanant de chez Warp. Je suis conscient d'être hébergé sur un label de grande qualité. Et force est d'admettre que de nombreux artistes signés chez eux ont eu une influence considérable sur ma musique.

Serais-tu tenté de colporter ta musique par le seul biais d'Internet ?

Je ne pense pas. L'objet physique me plaît : c'est une sorte de totem. Tout le processus de création est immatériel. Mais au final, c'est un objet qui fixe le résultat de ton travail. Ce principe est important. Ensuite, on peut mettre en avant toute une esthétique, une imagerie associée au format album. Par contre, il ne faut pas nier l'impact d'Internet. Le public peut, pour la première fois, établir un lien direct avec l'artiste. Il n'y a plus d'obstacle, plus de logistique entre les musiciens et les mélomanes. Là, c'est clairement une avancée...  De plus, cette évolution met en exergue le point fort de l'industrie du disque : les artistes. Jusqu'à maintenant, les artistes étaient planqués. Grâce aux nouvelles technologies, ils redeviennent les vrais protagonistes de l'industrie musicale. Aujourd'hui, tu peux même dialoguer avec les artistes grâce aux ordinateurs. Internet contribue ainsi à détruire certaines idées reçues. Vu le développement du réseau de l'information, rien n'est acquis : on n'est pas fatalement un musicien alternatif (underground) ou un artiste mainstream. Internet participe à brouiller les frontières. Sur le web, le génie se retrouve partout. Aussi bien dans une musique de stade que dans une musique complexe.

Ton premier album est sorti au milieu de l'année. Mais, auparavant, tu avais déjà lâché quelques singles. Pendant ce temps, le disque tardait à paraître. Comment expliques-tu ces longs délais d'attente ?

Je ne pense pas que je sois quelqu'un de 'désordonné' par nature. Cependant, quelque chose me poussait à évoluer à contre-courant, à défier les codes, les systèmes en place. En appréhendant les événements de cette façon, je me suis retrouvé livré à moi-même. Et un artiste lié à lui-même rencontre de nombreuses difficultés : des impératifs de temps, d'argent, d'organisation, etc. Du coup, mon disque a été livré dans le chaos le plus total. Je ne dormais plus depuis près d'une semaine, sans parvenir à achever cet album. Un de mes amis me payait un studio. Au bout d'un moment, il en a eu assez. Il m'a viré... Essentiellement pour une question de budget. Alors, je me suis promené, mon ordi sous le bras, à la recherche d'amplis : une véritable galère. C'est à moment-là que la maison de disques m'est à nouveau tombée dessus. Elle me pressait vraiment. J'ai encore essayé de les mener en bateau. Mais, après plus de deux ans de bobards, ce n'est plus passé. La maison de disques m'a donc annoncé la date définitive du mastering de l'album...

Et maintenant que l'album est disponible chez les disquaires, es-tu satisfait du résultat ? 

Je suis fier de la réaction des gens par rapport à ce disque. Je sais aussi que je ne pouvais pas en faire davantage. Ou peut-être que si. Mais alors, j'allais finir par me jeter dans la Seine. J'étais en train de devenir fou... Pour mon deuxième album, je ne veux plus me mettre dans ces états. C'est vraiment nul. Avec du recul, je considère cet affreux périple comme une fuite des responsabilités. Je refuse d'être ce mec là toute ma vie ! Dans ma carrière, ce premier album constituera sans doute une étape importante. Pour revenir au disque, j'espère qu'il existe plusieurs niveaux de lecture, que les gens écoutant l'album vivent la musique de façon différente. En espérant, aussi, que certaines personnes apprécient ce disque sans savoir pourquoi.

Quelles sont les étapes nécessaires dans ton processus créatif ?

C'est toujours une question d'équilibre et de contraintes. Peu à peu, j'ai cherché à enlever les contraintes. Il convient alors de trouver le juste équilibre entre ce qu'on a envie de faire et ce qu'on est capable de faire. Il est très difficile de trouver ce juste milieu. Au bout du compte, tout le monde a envie de se mettre devant un ordinateur et de mixer la somme de ses influences musicales. Mais en réalité, c'est moins drôle : après avoir samplé à souhait, on obtient un nouveau morceau. Et on se pose une question essentielle : est-ce qu'il me ressemble ? La mise en forme de mon premier album a été périlleuse : je m'endettais, je perdais mes potes, je ne me faisais plus confiance, etc. Aujourd'hui, tout est rentré dans l'ordre... Ou presque !

La légende raconte que tu as été mannequin... la pochette de ton album est très stylisée. Considères-tu que la musique électronique s'associe forcément à une certaine forme vestimentaire ?

Ah, cette légende ! A 18 ans, j'ai été mannequin pendant 6 mois. Après cet épisode, les gens ont pensé qu'il s'agissait de mon métier. Mais je n'ai jamais été mannequin professionnel. Pour la pochette, c'est une autre histoire. J'écoute énormément de musique, j'adore de nombreux artistes. En règle générale, je me tape de savoir comment s'habille le chanteur d'une chanson que j'apprécie. Par contre, il est incroyable de pouvoir s'identifier à la musique. C'est un phénomène très puissant. Il est certain que j'aimerai trouver un style vestimentaire qui colle à ma musique. Mais aujourd'hui, je n'ai pas l'impression de l'avoir trouvé. Quand la musique te donne envie de changer ta façon de vivre, de t'habiller, c'est qu'elle dégage un truc énorme. J'aime l'implication totale dans la musique.

Ta maman vient poser sa voix sur deux titres de l'album (« Utopia » et « Fast Life »). Alors, comment demande-t-on à sa mère de participer à un projet électro ?

Un jour, elle est venue manger à la maison. J'étais occupé de bosser sur « Utopia ». A la base, je souhaitais inviter une chorale pour chanter sur ce morceau. Je voulais y apporter un beat christique, un relent ecclésiastique, quelque chose de sacré. Dans les années 80, ma mère était chanteuse. Profitant de sa présence, je lui ai demandé de chanter, un peu comme dans une chorale. Et si c'était à refaire ? Je retourne directement dans les bras de ma mère !

The Black Keys

Les ingrédients d'une potion magique

Écrit par

Ils sont deux. Dan Auerbach pose sa voix derrière le micro et martyrise sa guitare. A ses côtés, Patrick Carney frappe ses fûts avec l'énergie du désespoir. Et, en substance, les Black Keys réinventent le blues par le prisme d'un rock'n'roll primaire et sauvage. En duo, ils font plus de raffut qu'une armée de Panzers mal huilée. Sous ces apparences abruptes, ces deux musiciens libèrent pourtant une musique simple, pure, délivrée de toutes contraintes techniques. Le nouvel album des Black Keys s'intitule « Magic Potion ». Même les druides en redemandent...   

Quand on opère une comparaison entre vos précédents albums et « Magic Potion », on a l'impression qu'un changement s'est opéré sur le son...

C'est difficile à dire. Notre objectif n'était pas de trouver un son différent. Comme toujours, c'est un flux naturel. Il n'y a que nous deux : la batterie de Patrick contre ma guitare. Fidèles à nos habitudes, nous nous sommes installés dans la cave. Nous y avons répété et travaillé pour aboutir à ces nouvelles chansons

D'un point de vue artistique, est-ce contraignant de jouer à deux sur disque et sur scène ?

Nous n'avons jamais perçu notre duo comme une contrainte. Sinon, nous aurions changé de métier ! Mais l'idée de s'entourer d'un troisième ou d'un quatrième musicien ne nous a jamais effleuré l'esprit. Le fait de travailler à deux nous permet de créer un son brutal, spontané.

Vos précédents albums étaient signés sur le label Fat Possum, antre du blues rock. Pour « Magic Potion », votre nouvel album, vous déménagez chez V2 Records.

Nous sommes très contents de travailler avec cette nouvelle équipe. Les choses sont plus simples à gérer. Nous arrivions en fin de contrat chez Fat Possum. En réalité, notre collaboration avec le label V2 n'est effective qu'en Europe. Aux Etats-Unis, c'est le label Nonesuch qui distribue notre disque.

Quelle serait votre définition exacte de « Magic Potion » ?

Cette potion magique est un nouveau départ pour notre humanité. A nos yeux, elle constitue un remède permettant d'annihiler les enfances malheureuses. La potion magique doit venir en aide aux enfants du monde entier, tous les jours, tout le temps. 

L'intitulé de votre nouvel album sous-entend-t-il que vous délivrez une sorte de potion magique musicale ?

Non, notre démarche n'est pas aussi prétentieuse... En réalité, « Magic Potion » trouve son origine dans les paroles d'une de nos nouvelles chansons. Elle est intitulée « Modern Times ».

Les paroles de « Modern Times » résument-elles votre propre conception des temps modernes ?

Oui, particulièrement les temps modernes de notre pays. Nous aimons les Etats-Unis. C'est notre patrie. Cependant, nous sommes convaincus que quelque chose est en train de nous échapper. Nous ne sommes plus d'accord avec l'Amérique actuelle. Sa politique n'a plus de sens. L'administration jette de la poudre aux yeux des électeurs et, dans leurs dos, elle défend des intérêts lucratifs, très éloignés des véritables besoins sociaux. Quand nous quittons le territoire américain, nous partons sur les routes pour jouer des concerts. On se produit partout dans le monde : en Asie, en Europe, etc. Et, loin de notre pays, on se rend compte qu'il ne ressemble pas du tout à notre terre natale, au pays que l'on voudrait aimer.  

Sur « Magic Potion », un de vos morceaux évoque un départ de Babylone (« Goodbye Babylon »). La vision de Babylone varie souvent dans les représentations collectives. Quel est le sens profond de Babylone pour les Black Keys ?

Nous ne défendons pas une vision unique de ce concept. Lors de l'écriture de « Goodbye Babylon », nous songions aux impacts néfastes de l'administration sur notre société. Aujourd'hui, l'Amérique peine à trouver une ligne de conduite crédible. Mais pour revenir à la notion de Babylone, il convient de souligner que ce nom possède différentes significations. Tout dépend de nos auditeurs. C'est à eux de lui donner un sens. Pour une partie du monde, Babylone représente le côté mercantile et déshumanisé d'une société occidentale pervertie. Pour d'autres personnes, cette ville antique symbolise la corruption et la décadence. Pour notre part, nous laissons une liberté d'interprétation à nos auditeurs. C'est mieux ainsi... 

Peut-on considérer « Magic Potion » comme le premier album politiquement engagé de votre carrière ?

« Magic Potion » n'est pas un album politique. Pour la bonne et simple raison que nous n'avions aucune visée politique en commençant à travailler sur ce disque. Les chansons sont venues naturellement, sans aucune arrière-pensée. En ce sens, il ne s'agit pas d'un album politique. 

Quelques semaines avant la sortie officielle de votre nouvel album, vous avez publié un hommage à Junior Kimbrough. Quels sont les mobiles de cette démarche ?

Nous respectons énormément ce monsieur. Nous sommes de grands fans de sa musique. Il est incontestablement un des piliers du blues. Nous nous intéressons à sa musique depuis longtemps. Un jour, nous écoutions ses chansons. On s'est regardé en se disant : 'Bien sûr, on doit rendre hommage à ces magnifiques compositions !' Junior Kimbrough nous a donné l'impulsion nécessaire pour créer, jouer de la musique.  

A la fin de cet hommage, intitulé « Chulahoma », l'auditeur a l'occasion de découvrir une plage sonore cachée. Il s'agit de la voix de la veuve de Junior Kimbrough.  Cette dernière vous félicite... Quelle a été votre réaction en écoutant ce message ?

Nous étions très fiers, vraiment excités. C'est un peu comme un aboutissement. Notre admiration pour Junior Kimbrough est grande. Alors, les compliments de son épouse, c'est quelque chose d'énorme. Ensuite, si nous avons décidé d'enregistrer cette intervention sur le disque, ce n'est pas pour nous prendre la grosse tête. Nous considérons simplement que ce message fait partie d'un ensemble, entièrement dédié à Junior Kimbrough.

Seriez-vous d'accord de dire que vous êtes les rénovateurs du blues ?

Nous ne sommes pas des rénovateurs conscients. Notre démarche ne consiste pas à réinsérer le blues dans un schéma contemporain. On se contente simplement de jouer la musique que nous sommes capables de jouer. D'ailleurs, je pense que notre musique relève davantage du rock'n'roll que du blues !

En juin dernier, vous avez ouvert les concerts de Radiohead sur leur tournée nord-américaine. Comment les fans de Radiohead ont-ils perçu votre musique ?

En entrant sur scène, on ne cherche pas à savoir si notre musique va plaire ou non au public. On se lance, on joue. Nous n'avons jamais eu peur de monter sur scène. Que ce soit devant dix personnes ou des milliers de fans en délire !

Lloyd Cole

L'âge adulte...

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Lorsqu'on évoque Lloyd Cole, on pense immédiatement à ses Commotions. Une formation responsable en 1984, d'un remarquable album intitulé « Rattlesnakes ». Un disque qui ne recèle que des classiques ! La suite de sa carrière ne rencontrera malheureusement plus jamais le même succès, nonobstant la sortie de l'un ou l'autre single d'excellente facture tels que « Brand new friend », « Lost weekend », « No blue skies », « Downtown », « She's a girl and I'm a man » ou encore « Sentimental fool ». Une carrière qu'il va poursuivre essentiellement en solitaire, nonobstant une nouvelle aventure - mais de brève durée - vécue en compagnie des Negatives. Ce qui ne l'empêchera pas de continuer à sortir des disques. Comme cet « Antidepressant », qui vient juste de paraître… Une bonne occasion de rencontrer ce chanteur littéraire à l'humour raffiné…

Lorsque la cote de popularité d'un artiste chute au fil du temps, il a le droit de se poser des questions. Le journaliste aussi. Le tout, c'est d'aborder le chapitre de la manière la plus élégante qui soit. Par exemple, pour Lloyd, en lui demandant si son tout premier album (NDR : « Rattlesnakes ») n'était pas trop parfait… « Trop parfait ? C'est comme si tu me disais que parce qu'une fille est trop belle, je n'ose l'aborder. Ni lui parler. De peur de me voir ramasser une veste. Non franchement, on a eu la chance d'enregistrer une œuvre de cette envergure. Et malgré le recul, je n'y changerai rien. Tu as déjà vu un album qui te rejette ? » En 2004, lors du vingtième anniversaire de l'enregistrement de ce fameux « Rattlesnakes », Lloyd et ses potes s'étaient réunis pour accomplir une tournée en Grande-Bretagne et en Irlande. L'idée d'une reformation ne lui trotterait pas dans la tête ? Et puis surtout celle de l'enregistrement d'un elpee, en leur compagnie ? Lloyd répond : « A cette époque, nous sommes entrés en studio pour immortaliser quelques sessions. Peut-être sortiront-elles un jour. En fait chacun d'entre eux exercent leurs propres activités. Donegan vient de remonter un groupe et il est occupé d'enregistrer. (NDR : c'est un scoop !) Neil et Blair collaborent régulièrement à l'enregistrement de mes chansons. Stephen (NDR : Irwin) n'est plus un musicien full time. Cette réunion était un événement sympa. Mais on n'avait vraiment pas envie de prolonger l'aventure. Merci. » La transition était donc belle pour demander des renseignements complémentaires relatifs à la confection de 'Anti-depressant', son nouvel opus. Ni l'advance cd, ni la bio ne fournissant la moindre indication à ce sujet. « En fait, toutes les infos figureront sur le livret de la pochette officielle. Les sessions d'enregistrement ont commencé en 2000 et se sont achevées mi 2006. La grande majorité a été accomplie dans mon studio en Angleterre. Seul. Les arrangements vocaux ont été ajoutés en fin de parcours. A Bath en Angleterre. Et dans les studios de Mick Glossop, sis au nord de Londres. A Shepherd Bush. De tous nouveaux locaux. Parmi les collaborateurs figurent Neil Clark des Commotions. Il joue de la guitare sur quelques chansons. C'est le personnage le plus notoire qui a participé à la confection de mon disque. Les arrangements de cordes ont été réalisés par un type qui habite à Londres, dans un magasin d'instruments de musique, près de chez moi. Il a fait un super boulot. C'est un certain Peter Boldon qui s'est chargé des parties de basse. Il milite au sein de son propre groupe. Je lui ai proposé de rejoindre ma formation, mais il termine pour l'instant un 3ème cycle d'études à l'université. Et il n'est pas disponible. Dave Derby et Jill Souboule, impliqués il y a encore peu de temps chez les Negatives, assurent les backing vocaux. Et la plupart de ces collaborations se sont opérées par e-mail… » L'enregistrement implique également des éléments électroniques. Une expérimentation que Lloyd avait développée sur un disque d'ambient instrumental, quelques années plus tôt, 'Plastic Wood'. Cette aventure lui aurait donc donné des idées… Lloyd clarifie : « Oui, probablement. J'ai dû m'inspirer quelque peu de ces expérimentations. Mais pas uniquement celles qui figurent sur cet album. Egalement celles qui m'ont permis d'établir une connexion entre musique acoustique et électronique. Exercices que j'avais déjà tentés auparavant… »

Lloyd a intitulé son album 'Anti-depressant'. C'est également le titre d'une des chansons de l'elpee. Se poserait-il des questions sur ce type de médication ? A la fois thérapeutique et addictive. D'autant plus que dans les lyrics, il clame 'Avec cette médecine, je me sens bien…' « En fait, dans cette chanson, je ne parle pas vraiment de dépendance. Elle raconte l'histoire d'un type qui se croit invisible parce que personne ne remarque sa présence. Et cette situation, au départ privilégiée, finit par devenir angoissante… » 'The young idealists' ouvre l'album. Cette compo aurait-elle une signification autobiographique ? D'autant plus qu'un jour, l'artiste a déclaré qu'il aimait l'idée de devenir, un jour, une pop star. Et à une autre occasion que sa motivation était, rétrospectivement, de devenir célèbre. Lloyd réagit : « Ma motivation était de devenir une pop star célèbre et pas seulement de devenir uniquement célèbre. Je voulais me produire sur scène. Enregistrer des disques. Des disques qui seraient appréciés. Pas nécessairement des disques qui récoltent du succès. Appréciés non pas pour l'attrait populaire de mes chansons. Mais je ne voulais pas composer des chansons que les gens n'entendent pas. Ma réponse vous semble étrange ? Le but était de trouver dans la célébrité la motivation d'écrire de meilleures chansons. Mais ce raisonnement n'est pas sain pour un jeune artiste. Aujourd'hui la motivation est différente. Parce que je suis passé à travers des périodes de succès et d'échecs. J'essaie simplement de réussir. Je ne fais pas de corrélation immédiate entre un bon album et un album à succès. Il y a de bons albums qui récoltent du succès et d'autres qui n'en ont pas… » Qui sont ces jeunes idéalistes alors ? « Tu sais, je n'écris pas seulement des chansons pour qu'on y trouve un sens. J'écris des chansons dont les caractéristiques principales reposent sur l'esthétisme. Je dispose parfois de beaucoup d'idées différentes à injecter dans mes chansons. Mais je dois aussi laisser une place pour l'instrumentation. Et c'est l'harmonisation entre les textes et la sonorité des instruments que je recherche. Et pas nécessairement un message. Je cherche à opérer un bon équilibre entre les mots et les sons. Entre le fond et la forme. Pour qu'ils soient agréables à l'oreille. C'est une forme de quête à l'esthétisme. Vous savez, que dans une même chanson des personnes différentes peuvent y trouver des significations différentes. Et c'est ce qui fait la beauté de la musique. J'essaie de concocter une chanson comme on fait une blague. Et il n'est pas étonnant que certaines personnes y perçoivent davantage que ce que je veux exprimer au départ… Vous me parlez d'idéalisme. Mais vous pouvez l'être à 15 ans comme à 75. Ce n'est pas spécifique à la jeunesse. Je l'espère. Je le pense. Le plus bel exemple procède des activistes. Lors des manifestations pacifiques, il y a plus de personnes adultes que de jeunes… » Dans le même ordre d'idées, Lloyd avait également déclaré, dans le passé, qu'il n'avait jamais été un rebelle. Qu'il était simplement un fan des rebelles. Partage-t-il encore la même philosophie aujourd'hui. « J'ai fait cette déclaration ? Alors, il y a bien longtemps. Dans la carrière que je mène, je réalise les albums que j'ai envie de faire. Pour un indépendant comme moi, je ne vois rien de rebelle là-dedans. Même si certains rebelles peuvent réaliser des projets intéressants. Mais la rébellion pour la rébellion, incarnée par un type comme Pete Doherty, est très juvénile. Stupide même. Finalement tu perds ton temps… »

Certaines chansons de « Anti-depressant » rappellent la période postcard d'Aztec Camera. Et je pense tout particulièrement à « Rolodex indicent » et « New York sunshine ». A cause de la sensibilité manifestée par les cordes de la guitare semi-acoustique, jouée en picking. Lloyd a l'air surpris : « Vraiment ? Non, non, pas du tout. Sincèrement je ne vois pas. A l'époque des Commotions, j'étais très branché par ce style de musique. Mais ne me dites pas que cette sensibilité resurgit. Là je suis pris par surprise. C'est une coïncidence…» Deux titres émargent à la country : 'Every song' et 'Travelling night'. Surtout la deuxième. Un peu dans le style de feu Johnny Cash. Lloyd acquiesce : « J'aurais aimé effectivement qu'il la chante. Le tempo est semblable, mais les arrangements sont différents. Et en plus il y a du synthé. Mais absolument. C'est même un compliment. » Plus délicat, 'How wrong can you be ?' me fait plutôt penser à Al Stewart, un folk singer qui avait récolté un certain succès au début des seventies. Lloyd ne semble pas surpris : « En fait, tu n'es pas la première personne qui me fait cette réflexion. Oui, c'est plausible. Non, cette réflexion ne m'embarrasse pas du tout. » Début de cette année Camera Obscura, une formation écossaise à enregistré la chanson 'Lloyd, I'm ready to be heartbroken', en réponse à son hit commis en 1984, 'Are you ready to be heartbroken'. Un hommage ? « Oui, oui, absolument. C'est une bonne chanson. Elle m'enchante. Tout à fait charmant. Il est sympa de se retrouver dans la chanson de quelqu'un d'autre. Ou même de voir l'une de tes compos reprise. L'important, c'est l'intention… » Deux mythes de la musique psychédélique sont décédés cette année : Syd Barrett et Arthur Lee. Quels sentiments éprouve-t-il face à la disparition de ces deux excentriques ? « Je possède des albums de Pink Floyd et de Syd Barrett ; mais je ne les écoute plus guère. Non, Barrett n'est pas une référence pour moi. Arthur Lee, davantage. J'ai même évoqué sa personne dans mes lyrics. Il a composé beaucoup de chansons d'amour. Je n'ai pas grand-chose à ajouter sur le sujet. » Et écoute-t-il encore T Rex et Television aujourd'hui, formations qui lui ont donné l'envie d'embrasser une carrière musicale ? « Lorsque je suis d'humeur, pourquoi pas ? Je m'étais procuré un enregistrement en public de Television, 'Live at the old Waldorf', il y a deux ans. Je viens seulement de l'écouter. Un enregistrement assez amusant. Au début le son n'est pas exceptionnel. Mais au fur et à mesure, il s'améliore et le set finit par devenir excellent. T Rex ? Occasionnellement. Pour l'instant je le fais découvrir à mon fils. » A ses débuts, Lloyd était largement influencé par la littérature, en particulier Norman Mailer et Truman Capote ; ainsi que le cinéma. Qu'en est-il aujourd'hui ? « Je demeure toujours émerveillé par ces écrivains qui rédigent des bouquins. Et je leur voue une grande admiration. Depuis que j'ai eu mes enfants, j'ai beaucoup moins de temps à consacrer au cinéma. En fait, je les accompagne voir des films de leur âge. Du style 'Les pirates des Caraïbes'. Plus de films adultes… »

Lloyd est né en Angleterre. A Buxton, très exactement. En 1961. A l'âge de 20 ans il s'est établi à Glasgow. En 1989, il s'est exilé au nord de New York. Il y a vécu quelques années avant de revenir vivre à Londres avec sa famille. L'interview se déroulant le 12 septembre, soit le lendemain du 5ème anniversaire de la destruction des tours jumelles, je n'ai pu m'empêcher de lui poser la question relative au sentiment éprouvé par les Américains depuis qu'ils ont vécu ce drame : « J'ai observé la réaction de ce peuple en tant que non Américain. Il est divisé sur la question. Il pense que l'Amérique domine le monde d'un point de vue militaire. Et chaque fois utilise son droit de veto en faveur d'Israël. Il faut savoir qu'aux States, la moitié de la population pense le contraire. C'est comme si on vivait dans deux pays différents. A cause de la fracture de la pensée. Malheureusement, je ne vois pas de développement positif là-bas, actuellement. Le problème est qu'il n'y a plus de gauche aux Etats-Unis. Il n'y a plus que la droite et l'extrême droite… »

Merci à Vincent Devos.

Sophia

Les doutes étranges de Robin Proper-Sheppard...

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Robin Proper-Sheppard est un type hyper sympa, fort intéressant, mais particulièrement torturé. Pas toujours très sûr de lui, non plus. Ce qui peut paraître paradoxal, lorsqu'on connaît l'œuvre de feu God Machine, de Sophia et puis la qualité des prestations 'live' que son groupe est capable d'accorder. Après avoir terminé l'enregistrement de son nouvel album, 'Technology won't save us', il craignait la réaction du public et même de la presse. A un tel point que trois semaines avant la sortie officielle du disque, il n'avait toujours rien organisé : ni promo, ni planning de tournée. En fait, c'est à travers les interviews que Robin parvient à dissiper ses doutes et ses incertitudes. Et pourtant, son nouvel opus est tout à fait remarquable. Robin confirme le profil inattendu de sa personnalité…

« Oui, c'est exact. Après avoir sorti cet album, j'étais dans l'incertitude la plus totale. Encore plus que pour les autres. J'étais envahi par le stress et l'anxiété. Et le fait d'en parler avec la presse me rassure. Un ami journaliste m'a un jour confié que dans mes lyrics je m'exprimais beaucoup en noir ou en blanc. Pourtant, rien n'est jamais tout noir ou tout blanc. Je n'avais jamais pensé à ça. En acquérant de la maturité, j'accepte que les choses soient bien plus nuancées… » Encore que dans la chanson 'Pace', il déclare 'Nous ne pouvons changer le monde'. Robin s'explique : « J'ignore si c'est une bonne ou une mauvaise chose. Si on ne peut le changer, il faut l'accepter. A partir du moment où tu acceptes les choses telles qu'elles sont, tu dois t'y faire. Ou alors, il y a moyen d'améliorer les choses. Pourquoi accepter ce qui est perfectible ? Tu vois ce que je veux dire ? En général, je ne suis pas quelqu'un de très positif, mais cette chanson l'est… » Alors, finalement, ce 'Technology won't save us' est un vivier de messages ? Rien que le titre de l'opus y fait penser. Robin réagit : « Je n'en sais trop rien. Beaucoup de gens me le disent. Fondamentalement non. Je ne pense pas que ce que je fais aujourd'hui soit tellement différent. Même si c'est à la fois différent et pas différent (NDR :?!?!?) D'abord, je n'étais pas convaincu encore être capable d'enregistrer un nouvel album. » Oui mais pourquoi la technologie ne peut pas nous sauver ? Robin répond : « Tu connais le récit de cette chanson ? C'est un faits-divers authentique. Un père et un fils travaillaient sur la plage. Puis soudain, le temps a changé. Le vent s'est levé, le brouillard est tombé et la marée est montée. Résultat, ils ne retrouvaient plus leur chemin. Le père disposait d'un portable et a contacté les services de secours qui se trouvaient à une centaine de mètres. Ces derniers entendaient le bruit de la mer dans le récepteur, ils étaient tout proches, mais ils ne parvenaient pas à les localiser. Le gamin était même grimpé sur les épaules de son père. Mais malheureusement, ils se sont noyés. Donc la technologie n'a pas permis de les sauver. Maintenant, il faut comprendre cet événement au sens spirituel. On sait que la technologie épargne, prolonge des vies. Simplifie les procédures. Enfin on l'imagine, car cette forme de simplification les rend aussi plus compliquées. Je veux dire que l'excès de technologie rend les gens plus dépendants, moins intelligents, incapables de réfléchir voire de réagir… »

Cette compo est instrumentale, construite sous la forme d'un crescendo. Comme lors d'une symphonie moderne au cours de laquelle Robin se muerait, en quelque sorte, en chef d'orchestre. En 2001, il avait d'ailleurs réalisé ce type de projet lors des 'Nachten'. Robin précise : « Avec un quatuor à cordes. En fait, il aurait fallu beaucoup plus de musiciens : au moins huit pour les cordes et quatre aux cuivres. Et une tournée plus conséquente. Mais cette expérience était formidable. Je me souviens même que le public avait souhaité un 'happy birthday' à ma fille. Le fait de réaliser un projet et d'être surpris du résultat suscite un sentiment très fort au fond de toi-même. De très positif. Mais je ne sais pas si je serai encore capable d'accomplir un projet pareil dans le futur. Je me vois d'ailleurs difficilement le reproduire. C'est unique en son genre. Un mélange entre l'œuvre, l'auditeur et le compositeur. Trois éléments en même temps. En symbiose… Je rêve vraiment d'incarner un personnage créé de toutes pièces. J'apprécie tout particulièrement m'asseoir et contempler mon œuvre, plutôt que de communiquer en empoignant une guitare et en commençant à chanter. Sortir de moi-même et me regarder. C'est une forme d'autosatisfaction qui me permet d'atteindre l'extase. C'est la musique qui m'aide à transcender mes émotions. Et à cet instant, j'en suis le témoin… Je ne connais pas assez la musique pour jouer au chef d'orchestre ; et d'ailleurs je ne m'habille pas en queue de pie et ne porte pas de nœud papillon. Et pour moi, la baguette, ce serait plutôt le drumkit. Mais cette chanson m'a tellement pris de temps. Et en particulier pour les arrangements de cordes et de cuivres. C'est un processus d'écriture par essai et erreur au cours duquel je me dis, ça c'est trop joyeux, ça c'est trop triste. Il est très long. Mais je voudrais le voir exécuter sur scène. Certaines personnes me demandent si je ne vais pas concocter un disque symphonique ou exclusivement instrumental. Mais mon écriture vient de manière naturelle. Sans forcer. Enfin, je veux dire les mots. Le gros boulot est venu de la phase instrumentale. Or, les mots viennent de la musique et pas l'inverse. C'est la musique qui engendre le texte. Une chanson comme 'Lost' est née tout naturellement. Je n'ai même pas dû me forcer pour l'écrire. Idem pour 'Big city rot'. Mais c'est parfois tellement difficile d'expliquer d'où la muse vient. Et je dois accepter cette situation… »

'Birds' est probablement la chanson la plus sophistiquée du nouvel album. Les arrangements me font même parfois penser à ceux utilisés par Neil Hannon chez Divine Comedy. Robin réagit : « Je ne connais pas The Divine Comedy. Je me souviens du travail nécessité pour les cuivres, lors des sessions d'enregistrements de l'album. Il y avait un type d'harmonie que je souhaitais développer en leur compagnie. Et on s'est parfaitement compris pour le réaliser. Maintenant, j'estime que mon style de songwriting est très simple. Et je ne cherche jamais à en remettre une couche. Cela ne sert à rien. Par rapport aux albums précédents, j'ai eu un mal fou à me remettre à bosser. Je traversais une crise de confiance. Je ne savais pas du tout où j'allais. Mais dès que je suis passé à travers, c'est un peu comme si la nature avait repris ses droits. J'ai fait appel au même type d'instrumentation que lors de l'album précédent. Mais, il est vrai que la genèse de ce disque est assez étrange. Et dans cette étrangeté, je n'étais pas sûr que le public allait s'y retrouver. Je sais que ma réaction peut paraître étonnante lorsqu'on sait que je suis dans le métier depuis une quinzaine d'années. De nombreuses personnes m'ont déclaré que c'était le meilleur album de Sophia, à ce jour. Je le pense. Enfin, je l'espère. C'est vraiment étrange… »

Deux autres plage, 'P1/P2' et 'Lost (she believed in angels)' réverbèrent des sonorités de guitare rappelant les Chameleons et House of Love. Serait-ce une coïncidence ? Robin admet : « Tout à fait d'accord. Mais ce qui est amusant à ce propos, c'est qu'à l'écoute de ces chansons j'étais anxieux parce que je pensais qu'elles semblaient un peu trop destinées au 'stadiums rock'. A cause des grosses guitares. Et j'ai posé la question à mes amis. Ils m'ont rassuré en m'expliquant que ce type de chanson relevait de ma créativité et puis collait bien au groupe. Mais franchement, j'ai beaucoup hésité avant de les inclure sur le disque. » Le dernier de l'opus, 'Theme for the Mary Queen' est encore plus noisy. Depuis God Machine, Robin ne s'était plus autant lâché. Enfin chez Sophia. Car, il a également monté un groupe parallèle : The Ma(r)y Queens (NDR : cherchez l'erreur !) Une formation qui ne lésine pas sur l'électricité. Robin confesse : « A début de cette année, j'ai accompli une tournée acoustique. Et le groupe Vito m'accompagnait pour assurer le supporting act. A la fin du set, on interprétait quelques chansons ensemble. Simplement pour prendre notre pied. Ce type de musique fait partie de mon univers. Elle me sert en quelque sorte de soupape. Quand il y a trop de pression. Et finalement, je me suis dit pourquoi je ne reproduirai pas cela avec Sophia ? Je n'allais quand même pas me renier. Et puis merde après tout, j'ai aussi le droit de prendre mon pied. De faire ce que j'ai envie de faire…» D'ailleurs, Robin écoute toujours du punk issu des sixties. Et en particulier les Electric Prunes ou encore les 13th Floor Elevators. Celui des eighties aussi. Ajoutant : « Il est incroyable que cette musique se régénère tous les 20 ans et refait surface… »

Puisqu'il nous parle de Vito, formation qui a rejoint son label The Flower Shop Recordings, il était intéressant de savoir quels sont les artistes qui figurent aujourd'hui dans son écurie : « Vito, un groupe de Cardiff. Copenhagen. Ils vont faire un break maintenant. En fait, ils doivent récupérer, car il y a deux jours on s'est réuni et ils ont un peu trop carburé (rires). Gamine. Il y a aussi des artistes qui travaillent encore avec moi, mais il n'est pas sûr qu'ils continuent. Mais il y en a d'autres. Dont je tairai les noms. Des trucs épatants. Tu comprends mieux pourquoi, la confection d'un nouvel album de Sophia nécessite autant de temps, maintenant… »

'Twilight at the hotel Moskow' est un autre instrumental. Une assez jolie compo qui n'évoque pas le souvenir d'un voyage en Russie, mais en Serbie. A Belgrade, très exactement. Au cours duquel il avait logé à l'hôtel Moskow. « J'y ai accompli une croisière sur le Danube. C'est une chanson étrange traversée de différents courants : bohème, country, jazz, etc. Mais aussi un mélange d'émotions. Une chanson vraiment représentative d'une manière étrangement abstraite du concept Sophia. »

Merci à Vincent Devos.

 

Nerina Pallot

Le feu sacré

Écrit par

On est forcément suspect quand on est branché 'pop rock' et qu'on cartonne en radio et dans les charts ? Sans doute, oui. Et pourtant, il existe parfois de vraies qualités derrière les frais minois jetés en pâture sur MTV. Tiens, prenez Nerina Pallot, dont le « Everybody's Gone To War » a fait un carton magistral il y a peu : il semble évident que la fille a autre chose en tête que la prochaine plage sur laquelle elle ira se vautrer en compagnie de son nouveau boy-friend, après avoir pris le soin de faire passer le message aux paparazzis du coin… De père franco-anglais et de mère indienne, la (très) jolie Nerina manie même l'humour avec beaucoup d'à propos, comme pour le clip de son hit planétaire, vraiment bien taillé ! Cela ne marche pas toujours, notez…

J'ai sorti un premier CD, « Dear Frustrated Superstar », en 2001. Mais aujourd'hui, quand je repense au titre de cet album, j'ai honte ! J'ai voulu faire de l'humour mais je crois que personne n'a compris, à part moi !

Tu as donc pris un départ un peu loupé et les choses se sont compliquées…

Je me suis plantée sur différents points pour ce disque. Ce qui m'a permis d'acquérir une certaine expérience de manière à ne plus reproduire les mêmes travers par la suite, mais bon... Au niveau business, les événements ne se sont pas trop bien déroulés non plus puisque ma firme de disques de l'époque (Polydor) et moi avons rompu le contrat signé. Je suis donc repartie à zéro, ou presque, et j'ai donc repris des études, tout en continuant à écrire des chansons.

Pour un second album qui est sorti quatre ans après. C'est long…

Peut être, oui, mais j'avais envie de faire quelque chose de franchement bien. « Fires » est sorti sur mon propre label et on ne disposait que d'un budget modeste octroyé par la société d'édition qui a toujours travaillé avec moi (NDR : Nerina a même du hypothéquer sa maison pour payer une partie des frais). On a fait le tour des potes pour enregistrer l'album. Il est sorti, initialement, début 2005. Trois singles en ont été extraits et ils ont, au moins, attiré l'attention. Mais quand il est re-sorti l'album, début de cette année, le label 14Th Floor Records (qui est aussi celui de Damien Rice) a décidé de le remasteriser et de changer quelques arrangements.

Formule gagnante puisque l'album a cartonné !

Oui. « Everybody's Gone To War » a été relancé par le clip, et l'opération a marché. Les télés et les radios ont accroché et, à partir de là, tout s'est précipité (NDR : le single a été Top 14 en Angleterre et l'album est devenu disque d'or).

« Fires » affiche de belles qualités mélodiques. Tu voulais vraiment les mettre en évidence ?

Pour moi, il n'y a pas de bonne chanson, même bardée de guitares, sans une bonne mélodie à la base. Je suis, effectivement, très pointilleuse à ce propos.

« Fires » a été produit par des gens qui ont bossé avec Prince, Tori Amos ou les Smashing Pumpkins. Est-ce pour favoriser la diversité ?

J'estime important de bosser en compagnie de gens qui ont du métier et qui savent te faire progresser tout en prenant le soin de ne rien dénaturer. C'est ce qui s'est produit. Lorsque les événements de déroulent de cette manière, c'est forcément profitable.

Apparemment, tu joues de différents instruments depuis un bout de temps ?

J'ai suivi des cours de violon et de piano quand j'étais gosse. Je me suis achetée une guitare quand à l'âge de onze ans. Lorsque j'ai vraiment commencé à pouvoir en jouer, j'écoutais Bon Jovi et j'admirais ce qu'il faisait alors. Il a enregistré des trucs incroyables ! « Livin' On A Prayer », j'adore ! 

Ton sujet de prédilection pour les textes ?

Il n'y en a pas un qui soit inévitable mais je suis très concernée par les relations entre les êtres humains. Elles m'interpellent !

 

 

 

Scritti Politti

Le Robin des Bois de la pop...

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On ne peut pas dire que Green Gartside soit un artiste prolifique. En près de trente ans de carrière, il n'a commis qu'un petite vingtaine de singles, quelques Eps et 5 albums  Soit un elpee tous les cinq ou six ans. Son précédent opus, "Anomie & Bonhomie", remonte d'ailleurs à 1999. Il y a bien  eu la sortie d'"Early" l'an dernier, mais il s'agissait d'un compile consacrée aux premiers singles de Scritti Politti. Faut dire que Green connaît des petits problèmes de santé depuis 1980. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles il ne se produisait plus sur scène. Mais apparemment, il a retrouvé la forme, puisqu'il a enregistré un nouvel album (« White bread Black beer), vient de jouer six concerts en Angleterre et a pratiquement bouclé toutes les dates de sa prochaine tournée. En outre, après 24 ans d'infidélité, il a décidé de retourner chez Rough Trade. Une multitude de sujets qui alimenteront cette longue conversation…

Tout d'abord le come-back chez Rough Trade, qu'on pourrait assimiler à un retour aux sources. Green confirme : « Oui, c'est comme rentrer à la maison. J'ai quitté le Pays de Galles. Je suis parti aux States en 1983. Et j'ai signé pour une major qui m'a demandé de faire des talk shows. Le label payait pour passer mes disques à la radio. Mais dans mon contrat, il m'était interdit de jouer en 'live'. C'était une situation bizarre, mais surtout frustrante. Et elle finit par détruire ton âme. Tu comprends mieux pourquoi aujourd'hui je hais toute cette industrie du disque. C'est de la merde… surtout aux Etats-Unis. Et je suis donc revenu chez Rough Trade, un label dont j'ai retrouvé le même esprit qu'en 1978. Ils ont un tout petit bureau et comptent une quarantaine d'artistes dans leur catalogue. C'est fabuleux de travailler pour une telle équipe ! » Pour partir en tournée, Green a décidé d'engager des musiciens qui n'avaient jamais joué de manière professionnelle dans le passé. Ce qui méritait une explication. « C'est un choix. Je ne souhaitais pas me produire en compagnie de musiciens professionnels. J'ai enregistré mon disque seul. Je suis la seule personne à jouer dessus. Je ne suis pas un bon musicien. Pourtant, il aurait été plus facile pour moi de faire appel à des virtuoses issus de Los Angeles. Mais si j'avais embrassé cette optique, je n'aurais pas été en phase avec le choix de vie pour lequel j'ai opté aujourd'hui. Je vis à l'Est de Londres. Dans une communauté. En fait tous les gens que j'ai recrutés pour mon groupe sont issus du même pub que je fréquente. Le drummer vient d'avoir 21 ans. La bassiste est la tenancière du bar. Dans le passé elle avait un peu joué sur la guitare de son frère, mais elle n'avait jamais sévi au sein d'un véritable groupe. J'ai un jour invité toute cette équipe chez moi, et je leur ai proposé le challenge. Ils ont accepté. Le musicien le plus expérimenté est le claviériste. Il a 30 ans. Et il se débrouille plutôt bien. Il est aussi le plus efficace. C'est en quelque sorte un retour à cette mentalité entretenue par Rough Trade où les musiciens sont copains. Et s'ils ne sont pas des instrumentistes extraordinaires, leur esprit est fantastique. C'est ce que je voulais… » Mais est-il possible de prôner le DIY, lorsqu'on est perfectionniste comme Gartside ? « Tu touches là aux deux aspects de ma personnalité. D'un côté le perfectionniste et de l'autre l'autocritique. En fait, je n'ai pas beaucoup d'estime de moi-même. Je ne suis pas à l'aise dans ce que j'entreprends. J'essaie toujours d'améliorer ce que je réalise. Et je ne suis jamais totalement satisfait. Lorsque j'étais aux States, je voulais en imposer parce que j'avais un complexe d'infériorité par rapport à ces musiciens que je côtoyais. Et je n'ai pas du tout envie de mettre la pression sur les gens, aujourd'hui. Tu peux avoir l'impression que le son de mon disque soit rudimentaire, DIY. Et ce n'est pas étonnant que ces traces soient encore présentes. Il n'existe pas de problème interne pour décider de faire telle ou telle chose. Donc oui, c'est très DIY… »

'White bread Brown beer' est donc le titre du nouvel album de Scritti Politti. Traduisez du pain blanc et de la bière brune. Le message est-il symbolique ? Green confesse : « En fait, ce titre est inspiré de mon régime. Je suis devenu accro au pain blanc et à la bière brune. Là où j'habite, dans l'East End de Londres, je me rends tous les jours à la même boulangerie pour acheter mon pain blanc. Et tous les jours je me dis que je vais manger des fruits au petit déjeuner et me mettre à boire de l'eau. Mais au bout du compte, je commence toujours par manger du pain blanc le matin et finit ma journée au pub à boire de la Guinness. Et entre le pain blanc et la bière brune, j'ai enregistré ce disque. D'un autre côté, le pain blanc est également une réflexion péjorative utilisée par les musiciens noirs. Aux States, quand je proposais une idée, ils la repoussaient ; parce qu'ils ne voulaient pas de ce pain blanc qui les ramenaient à la culture anglo-saxonne. A la white pop music ! » Les chansons du dernier album sont plus lentes, plus climatiques que dans le passé. Pourquoi une telle approche atmosphérique de sa musique? "En fait, j'ai enregistré deux fois plus de chansons qu'il n'y a sur l'album. Et dans le lot, il y avait également des compos uptempo. Jeff, le boss de Rough Trade est une des rares personnes dont je respecte les conseils. J'adore les soli de guitare. Il y en avait. Mais Jeff a orienté les choix du tracklisting. Chaque fois qu'il entendait la guitare, il faisait la moue. Et les compos les plus dynamiques impliquaient de la guitare. Par conséquent… Mais cette sélection ne m'a pas dérangé… »

Green Gartside possède des goûts très éclectiques, depuis la prog au punk, en passant par le hip, hop, le trip hop, le r&b, le jazz, le reggae, l'électronique, la soul, le folk, le disco, la pop, le funk  et j'en passe. Et il apprécie aussi bien Robert Wyatt, Gang Of Four, Public Enemy, Simon & Gardfunkel, Sly Stone, Miles Davies, Kraftwerk, Michael Jackson, The Beatles, Quincy Jones ou encore Elvis Costello. Il a d'ailleurs un jour déclaré que les frontières entre les différents types de musiques étaient totalement artificielles. Explications : « Oui, je confirme mon point de vue. Toutes ces catégories sont conventionnelles. Elles ne m'intéressent pas. La création est bien plus importante que la forme. Je ne nie pas les différences stylistiques ou mélodiques, mais tous ces genres évoluent dans un même espace pop/rock. J'adore le hip hop, même si on ne le ressent pas tellement dans ma musique. J'ai chanté sur toutes les chansons du premier album de RUN-D.M.C. N'est-ce pas la plus belle preuve, non ? Le jour où je mettrais un terme à mes activités musicales, j'irais m'installer dans mon cottage au Pays de Galles. Et il ne serait pas étonnant que je m'y fasse livrer des disques en import. Dont certains de hip hop… » Gartside apprécie l'improvisation dans la musique. Il faut croire qu'il s'agit d'un héritage issu d'une période au cours de laquelle il était encore fasciné par des artistes comme Wyatt, Hatfield & The North ou encore Henry Cow. « A une certaine époque, l'improvisation avait beaucoup d'importance dans mes prestations 'live'. C'était avant que je ne rencontre des problèmes de santé. Je tournais alors en compagnie de Gang of Four, Joy Division, Echo & The Bunnymen. J'ai eu une attaque sur scène et j'ai été hospitalisé. Depuis, c'est un exercice que j'ai quelque peu délaissé. En ce qui concerne la prog, c'est une veine que je dois encore explorer. J'espère y parvenir un jour. Même à l'âge de 80 ans. En pleine déferlante punk, j'étais aux études. Et je faisais de la promo pour Henry Cow. J'avais même hébergé le groupe. Le drummer m'avait alors déclaré que le punk, c'était de la merde. Et puis, j'ai enregistré mes premiers disques. Qui étaient plutôt punk. C'était une période fantastique. On lisait énormément. On prenait des trucs… On a alors investi une centaine de £ pour sortir notre premier album. Et on avait mentionné nos coordonnées sur la pochette afin que le public puisse nous communiquer ses impressions. Il y a des gens qui sont venus jusque chez nous. Certains venaient même de France ! » Green est également très sensible au jazz. Et son approche de cette musique est tout à fait déconcertante. « Pour ma part le jazz vient d'un autre monde. Je l'ai toujours ressenti comme une musique pleine d'âme et de profondeur. A contrario la musique pop est plus futile. Ce qui ne m'empêche pas de mettre les deux styles sur le même pied. Il n'existe aucune raison valable de dire que l'un ou l'autre soit meilleur que l'autre... »

Sur le nouvel opus de Scritti Politti, quelques titres demandent quelques éclaircissements. Tout d'abord 'Snow in the sun', dont les chœurs rappellent manifestement Queen. Serait-ce un clin d'œil à l'histoire de ce groupe britannique ? « A première vue j'ai pas trop remarqué… Ah oui, effectivement ! En fait j'adore construire des harmonies vocales à partir d'un multi-pistes. Tout gosse j'adorais les Beach Boys. Et quand tu disposes d'un studio à la maison, c'est un jeu d'enfant… » Ben oui, les Beach Boys constituent une référence majeure pour Green. Suffit d'écouter les harmonies a cappella de 'Mrs. Hugues' pour s'en convaincre. « La BBC m'a consacré un reportage et m'a demandé de me rendre où je voulais. On est donc parti à New York. Je leur ai montré les clubs hip hop de 78. On a rencontré les rappers en compagnie desquels j'avais travaillé. As-tu lu 'Heroes and Vilains' ? La véritable histoire des Beach Boys. Je te conseille vivement de le lire… Dans le premier chapitre, l'auteur nous parle de la mort de Dennis Wilson. La fin de sa vie fut pour lui un véritable calvaire. Il était rongé par l'alcool et la drogue. Il habitait dans un bar à Malibu. Le type qui l'hébergeait – un certain Jay – lui offrait à boire et à manger… J'ai donc amené l'équipe qui réalisait ce film dans ce bar… Maintenant, on a beau être fan des Beach Boys, ce n'est pas une raison pour tomber dans le pastiche… » La sonorité de la guitare rencontrée tout au long de la composition 'Dr Abernathy' évoque le 'Sgt Peppers' des Beatles. Un disque considéré par Green comme un album culte ! Pas difficile d'imaginer que cette chanson adresse délibérément un clin d'œil aux Fab Four. « De toute évidence. A 7 ou 8 ans, j'étais déjà abonné au magazine 'The Enemy'. J'ai grandi au sein d'un environnement pop. Et j'étais âgé de 16 ans lorsque j'ai entendu 'Sgt Pepper's' pour la première fois. A cette époque, je vivais dans une banlieue ouvrière. De ma fenêtre, le paysage se résumait aux charbonnages et aux usines. Et j'avais apposé la pochette de cet album à la fenêtre de ma chambre pour qu'on la remarque. Dans l'espoir que quelqu'un frappe à ma porte pour me dire que lui aussi était tombé sous le charme des quatre de Liverpool ; et en particulier de ce disque… » La dernière chanson qui figure sur l'album 'White bread black beer' est également la plus contagieuse. Une compo qui pourrait être traduite en single. Mais qu'en pense notre interlocuteur ? « C'est une bonne petite chanson ; mais je ne pense pas qu'elle pourrait sortir en single. En fait, cette compo recèle des lyrics assez utopiques. Je m'explique. J'ai grandi au sein d'un environnement de gauche. Et si la maxime est passée de mode, cette chanson fait allusion à Robin des Bois. Un personnage légendaire qui pourrait un jour remplacer le Roi dans un royaume où tout serait partagé. La compo évoque la recherche de la vérité et de la justice pour tous ; même si d'un point de vue intellectuel, les idées sont passées de mode. En fait je parle ici de relativisme. Ce qui est vrai ici ne l'est pas nécessairement ailleurs. La vérité est donc contextuelle. Et s'il n'existe pas de vérité, il n'y a pas de justice. C'est quelque chose qui m'interpelle. La société d'aujourd'hui ne prône plus que l'hyper individualisme. Le concept de Robin des Bois consiste à prendre les richesses à les redistribuer. Partager les richesses du monde. Il y a un concept héroïque, derrière cette vision utopique… » Green s'inspire beaucoup des bouquins qu'il lit et des idées philosophiques qu'il défend. Il a lu Marx et Gramsci. Pas pour rien que Robert Wyatt figure parmi ses amis. Maintenant, il faut imaginer que chaque fois qu'ils se rencontrent, leurs discussions vont au bout de la nuit. « Oh oui ; et même au-delà. C'est encore un pur. Sa vision du communisme n'a jamais été altérée. Dernièrement je lui ai encore prêté deux bouquins qui traitent des ambitions du marxisme. Et lors de notre prochaine rencontre, il y aura matière à discussion… »

Paradoxal, mais Green Gartside n'écoute jamais sa propre musique. Ou très rarement. « C'est exact. Dernièrement, j'ai accordé une interview à Amsterdam. J'ai joué quatre titres de mon album en studio. Et c'est la première fois que je les entendais. Et c'est aussi une première de devoir les réécouter, car je suis forcé de les enseigner aux musiciens du nouveau groupe que je viens de monter. Mais en général, je n'écoute pas mes propres chansons… » Green possède un falsetto très particulier, qui ne correspond pas à sa personnalité. Un peu comme s'il était hanté par un autre personnage. « Ma voix est éthérée, aérienne, un peu irréelle. On me répète souvent que je ne chante pas comme je parle. Qu'on dirait que ce n'est pas ma voix. C'est peut-être aussi parce que je n'aime pas qui je suis. J'ai une perception imaginaire de mon moi… »

Merci à Vincent Devos

Willard Grant Conspiracy

La géographie interne..

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Depuis que Paul Austin a quitté le navire, Willard Grand Conspiracy n'a plus qu'un seul maître à bord : Robert Fisher. Ce qui lui permet, au fil de son inspiration, de recruter une multitude de musiciens différents. Pourtant, depuis l'enregistrement de « Regard the end », le pénultième opus, le line up semble s'être plus ou moins stabilisé. En outre, à l'instar de ce précédent elpee, les morceaux de base de « Let it roll », le tout dernier, ont de nouveau été concoctés aux studios Metro de Ljubljana, en Slovénie. Ce qui méritait une explication de la part de Robert, le leader de ce groupe, devenu culte auprès des aficionados de folk et d'americana.

Et manifestement, Robert adore cette ville. Il confirme : « C'est une très belle ville sise entre l'Italie et l'Allemagne. J'y compte des amis là-bas. Et puis on y trouve un studio de classe internationale. En fait, à cette époque nous étions en tournée et nous avons voulu immortaliser les prises dans cet esprit. Nous ressentions très fort le sentiment d'appartenir à un groupe. En profitant de toute l'alchimie du 'live' ! Donc notre démarche était tout à fait justifiée. Et manifestement nous sommes contents de l'avoir effectuée, car le résultat est à la hauteur de nos espérances… » Maintenant, il faut se demander si tous les musiciens qui ont participé à cette aventure vont contribuer à la nouvelle tournée du Willard Grant Conspiracy. Surtout quand on connaît les fluctuations permanentes de personnel en son sein. La réponse de Bob fuse : « Oui, ils participeront à ce nouveau périple. En fait, on ne peut pas dire qu'il y a de nouvelles têtes sur cet album. Jason Victor est le membre le plus récent. Les personnes qui ne connaissent que la discographie de Willard Grant Conspiracy pensent souvent que le line up est chaque fois différent. Mais il est quasi identique depuis au moins 6 ans. Et je peux te confirmer que toute cette équipe sera au grand complet lors de la tournée qui se déroulera en avril et en mai. » Enfin, ceux qui ont participé à la confection de ce nouvel opus, mais probablement pas les musiciens de studio qui ont apporté la touche finale lors des arrangements ; et je pense tout particulièrement au trompettiste de Lambchop, Dennis Cronin. Robert précise : « Deux des musiciens de Lambchop jouent avec nous. Ce sont des amis. Lamchop est un groupe que j'apprécie beaucoup. Leur approche des lyrics est comparable à celle de David Thomas. C'est ce qu'on appelle le 'stream of consciousness' (NDR : James Joyce et Virginia Woolf ont abordé de manière systématique et sous la forme d'un monologue intérieur les rapports entre pensée et langage à travers cette nouvelle façon de raconter des histoires). Je trouve cette formule fort intéressante, même si elle est parfois difficile à décrypter. Il y a parfois des idées très tranchées dans un texte, puis d'autres qui s'insinuent. Mais lorsqu'on réunit touts ces éléments, le résultat s'avère, la plupart du temps, impressionnant. D'autant plus que Lambchop est un collectif énorme qui tient la route depuis très longtemps… » Parler de Lambchop sans évoquer Sophia aurait été réducteur. Mais manifestement, Robert ne connaît pas grand-chose de la bande à Robin Propper Sheppard. « Un tas de personnes m'ont déjà dit qu'on devrait un jour se produire ensemble. Et que cette rencontre serait fructueuse. Pourquoi pas ? De toutes manières, si ça arrive, c'est parce que cela devait arriver… »

'Let it roll', le titre maître du nouvel album de W.G.C. est une chanson humaniste antimilitariste inspirée par un document issu de la guerre de Sécession. Pourquoi avoir écrit une semblable chanson aujourd'hui ? Robert argumente : « Il me semble que c'était une décision judicieuse. Je ne crois pas qu'il y ait un bon ou un mauvais moment pour écrire une chanson antimilitariste qui véhicule un message humaniste. Mais je pense que les meilleures 'protest songs' sont des chansons qui ne sont pas nécessairement liées à la politique ou au conflit lui-même. Elles ont plutôt enracinées dans l'aspect humaniste des choses ; c'est-à-dire tout ce qui nous relie ensemble. Ce qui me permet d'affirmer que quelle que soit votre propre vision politique, on peut s'identifier à la chanson. Par contre, lorsqu'on aborde un point de vue politique spécifique, automatiquement on coupe en deux le potentiel auditeur. Une moitié des gens ne vont pas être attentifs au message, parce qu'il est trop ciblé. Par contre, dans le cas présent, par rapport au conflit, à son coût et aux hommes qui y participent, j'espère que cette manière de voir les choses illuminera les consciences et amènera les gens à penser aux motifs véritables du conflit. Et parfois les raisons ne sont pas aussi évidentes qu'on pourrait l'imaginer… » Mais ce ‘Let it roll’ implique également le mot 'roll' comme dans rock'n roll. Est-ce également parce que ce nouvel elpee est plus électrique, plus live ? Notre interlocuteur réplique : « Nous interprétons aussi bien des compos calmes que des titres puissants. Tu sais, j'ignore quand le phénomène s'est produit ; mais à une certaine époque, les responsables du marketing international ont pris le contrôle du monde culturel. Et leur approche réductrice s'est progressivement transformée en une vision unique. Que ce soit dans le domaine du disque, du livre ou du film. Au cours des sixties, un album du Band pouvait aussi bien alterner des chansons calmes et des fragments plus rock. Quelque part, je suis fier de pouvoir encore jouir de cette liberté. Et mon nouvel album en est la démonstration la plus éloquente. » En embrayant sur le Band, 'Let it roll' épingle une cover de Dylan, 'Ballad of a thin man'. Il ne faut pas être devin pour comprendre qu'il s'agit d'un hommage à Zimmerman. Robert confirme. « En fait l'an dernier on m'a demandé de participer à la confection d'‘Uncut’, un tribute album consacré à Dylan, à l'occasion du 40ème anniversaire de la sortie de ‘Highway 61 revisited’. Et nous avons choisi ‘Ballad of a thin man’. Cet épisode s'est produit pendant l'enregistrement de 'Let it roll'. En Slovénie. Le mag voulait l'avoir rapidement. Et lorsque nous nous sommes rendu compte que le résultat était probant, on a décidé de la jouer en concert. C'est vrai que je suis très satisfait de cette version. Je pense que c'est un bel hommage à Dylan. D'ailleurs quand il la joue, elle est toujours différente. J'ai voulu accentuer l'aspect cauchemardesque de la chanson. Enfin, j'espère qu'on ne s'est pas trompé en choisissant d'interpréter cette cover… »

Au cours des seventies, Robert a écrit de la prose et de la poésie pour de petites publications de presse. Il faut croire que cet épisode de la vie lui a donné l'envie de passer à l'écriture de chansons. Il admet : « A une certaine époque de ma vie, j'ai conclu que la poésie n'était pas quelque chose que je recherchais en termes de moyen d'expression. Parce qu'elle n'était plus un moyen de communication populaire. Dans les 70's les poètes s'écrivaient, parce qu'il n'y avait plus de public pour les lire. Mais en tant qu'écrivain, j'étais plus intéressé par l'aspect du récit que par la structure poétique. Ce sont des récits qui sont suffisamment fidèles à ma propre expérience et à mes propres observations. Mais en même temps je les conçois d'un point de vue suffisamment fictionnel pour permettre aux gens d'investir ces chansons avec leur propre expérience. De façon à leur permettre de se réapproprier la chanson. Finalement le rock permet de toucher davantage de monde et d'une manière bien plus efficace que la poésie. Le fait de passer de l'écriture de la poésie à l'écriture de la chanson est donc tout à fait cohérent dans la démarche… » Son approche de la musique est donc conduite par les lyrics. Mais dans la tradition de la musique folk, compose-t-il les textes avant la musique ? Il reprend : « Les lyrics sont écrits sous la forme d'un récit. La musique est une réponse émotionnelle et un soutien pour l'histoire. Mais le moteur interne de la musique est plutôt de type narratif. Si vous voulez examiner la partie émotionnelle de la chanson, vous pouvez, bien entendu, la trouver dans la musique ; mais vous allez y relever des indices plus explicites à l'écoute du texte. Ce qui permet à l'auditeur d'intégrer la chanson sur plusieurs niveaux. Tu peux mettre un disque dans le lecteur de ta voiture et te concentrer sur la conduite ; mais quand tu écoutes ce disque chez toi de manière intensive, tu accèdes à d'autres niveaux… »

Après avoir séjourné quelques années à Boston, Robert est retourné vivre en Californie. Dans une région caractérisée par des paysages extrêmes : la montagne, la mer, le désert n'y sont ainsi séparés que de quelques kilomètres. Cette nature a influencé et influence toujours son inspiration. Aussi bien les textes que la musique. Robert admet : « Je suis né en Californie. Vous savez, la géographie, l'endroit où vous vivez a beaucoup d'influence sur ce que vous écrivez, même si l'auditeur n'en a pas conscience. Tout cela fait partie de votre processus interne. Votre géographie externe devient votre géographie interne. » Et la honte ainsi que la culpabilité sont des aspects de la géographie interne de Robert. En quelque sorte, le monstre dort toujours au plus profond de son âme. « Ce sont des montagnes émotionnelles, si vous me permettez l'analogie. Ces émotions sont des choses difficiles à contourner. Elles ne tiennent pas compte de la raison. Difficile de l'éviter. Et à cause de cela, vous commettez pas mal d'erreurs. Personnellement, j'ignore si ce choix était conscient ou inconscient. Quoique aujourd'hui je répondrai par l'affirmative. Très jeune déjà, je me soignais en consommant de l'alcool et de la drogue. Pour affronter les sentiments qui me rongeaient. Les peurs et les angoisses font partie de nos expériences. Je ne parle pas à contrecœur de la drogue ou de l'alcool, mais je ne suis pas enthousiaste de dévoiler mon vécu. Parce que cela signifierait que j'élève mes épreuves à un degré de romantisme. Or mon témoignage n'apporterait rien à autrui. Et je ne pense pas que ma propre expérience soit plus intéressante que celle de quelqu'un d'autre qui serait passé à travers. Tout ce volet confidentiel de mon existence, je le réserve à mes proches et à ma famille… »

De confession baptiste, Robert est fasciné par la foi qui soulève les montagnes. Mais il ne parle pas ici nécessairement de religion. Il s'explique : « La religion n'a pas la même signification pour tout le monde. Malheureusement comme n'importe quelle structure de pouvoir, elle peut être pervertie. C'est la nature propre de l'être humain. Quand j'évoque la foi, il ne faut pas nécessairement comprendre Eglise et religion. Mais plutôt la foi envers votre prochain. La foi envers vous-même. La capacité d'aller d'un point à un autre. La foi dans le sens de l'humanité qui est plus grand que n'importe quel élément de cette humanité (NDR : la foi serait donc plus grande que l'ensemble des éléments qui la constitue). Ces composants de foi sont vraiment très intéressants. On parle beaucoup moins de foi aujourd'hui que dans les années 50 et 60. Par contre le Dalaï Lama n'a jamais eu autant de succès. En fait il y a une demande de spiritualité émanant de la population. Ce qui démontre que notre société a créé un vide… »

Des nouvelles quand même de Paul Austin, l'ex comparse de Robert, et de son groupe Transmissionary Six. « Il a enregistré un nouvel album qui devrait sortir en août prochain ». Et puis de Barn Burning, une formation dont il avait produit le premier album. « Ce sont des amis. Ils sont issus de Rhode Island. Anthony Loffredio est un excellent compositeur. Un type remarquable, ambitieux. Il brûle d'un feu intense. C'est un futur grand groupe et j'espère qu'il va bientôt trouver une maison de disques. Ils ont deux albums à leur actif et leur deuxième vient de sortir. Il mérite vraiment la reconnaissance… »

Robert s'est rasé la barbe tout récemment. Il justifie sa décision : « Il y a 15 jours, j'étais en Australie. Il faisait 48° et l'air comptait 90% d'humidité. Il était impossible de continuer à porter la barbe dans ces conditions. Mais elle va repousser ; car la barbe repousse constamment. Et puis je suis un peu fainéant. Après m'être rasé pendant une semaine, je commence à en avoir marre. Et n'ayez crainte, elle va repousser… » On connaît Robert comme chanteur, guitariste, producteur et compositeur. Mais aussi comme manager et comptable. Cependant, peu de peu de monde sait qu'il est également agent immobilier. Il concède : « Oui, je sais que ce job intrigue les gens. Pour jouer la musique que j'aime, j'ai besoin d'argent. Et la musique ne m'en rapporte pas suffisamment. Je dois aussi gagner ma vie pour disposer d'un logement. Je ne pense pas que ce soit un mauvais choix. Parce que les groupes qui vivent de leur production sont souvent coupés de la réalité du monde. Et ce n'est pas nécessairement l'idéal. Je ne me plains pas, je donne simplement mon avis sur la question. Vous savez, le fait d'accorder une interview est une preuve de reconnaissance ; mais cela n'enlève rien au fait que je suis content de rentrer à la maison après ma journée de travail. Quand je serai chez moi mercredi prochain, j'irai au bureau. C'est une bonne nouvelle… »

Merci à Vincent Devos

 

 

 

Grizzly Bear

Reprendre du poil de la bête

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Entre folk et pop, chorales et orchestrations symphoniques, l'ombre de ce gros nounours new-yorkais se dévoile. En provenance du district de Brooklyn, il y a quelques mois que les quatre musiciens de Grizzly Bear traversent le monde pour propager leur bonne nouvelle. Aussi, le samedi 11 novembre, l'équipée fait-elle étape à Bruxelles. Ce soir-là, comme toujours, le concert  du quatuor est magnifique. Encore une fois, on frôle le rêve éveillé. Mais dès le lendemain, le désenchantement supplante l'émerveillement. En cause, la réception d'un communiqué officiel du label hébergeant le groupe : 'Les Américains de Grizzly Bear ont été contraints d'annuler le restant de la tournée européenne. En effet, dans la nuit de samedi à dimanche des malfaiteurs ont dérobé l'entièreté de leur matériel entreposé dans leur véhicule, garé à quelques pas de leur hôtel bruxellois.' Dans ces conditions, il y a fort à parier qu'ils se souviendront longtemps de leur passage en Belgique. Pas pour de bonnes raisons, certes. Mais ils s'en souviendront. Aujourd'hui, Grizzly Bear doit retrouver des instruments et repartir de l'avant... Récit d'une rencontre antérieure à cette étrange péripétie.

Le grand public connaît encore mal Grizzly Bear. Pouvez-vous nous retracer votre histoire, vos premiers ébats musicaux ?

Trois ans auparavant, seul dans sa chambre, Edward a réalisé quelques enregistrements sur le logiciel Pro Tools. A l'origine, il se faisait plaisir, ne défendant aucune ambition mercantile. Ses chansons étaient pour lui, tout simplement. Une petite structure indépendante a finalement décidé du publier son travail. C'est à partir de ce moment que l'idée de former un groupe a commencé à germer dans son esprit. Nous sommes donc arrivés à ses côtés pour défendre ce premier album artisanal  (« Horn of Plenty ») sur scène. Mais, en concert, la texture sonore des chansons était fort différente. Nos représentations scéniques ont largement contribué à l'évolution du projet. Cette première tournée a donc engendré les bases d'une nouvelle direction artistique pour le groupe. A partir de là, chacun a contribué aux avancées du projet. Après avoir défendu ce premier album, nous avons entrepris l'enregistrement de « Yellow House » en commençant à travailler sur nos divers apports. En écoutant les deux albums, on peut aisément percevoir les deux facettes de la formation : le Grizzly Bear solo et le groupe Grizzly Bear.     

Sur scène, jouez-vous encore les morceaux de « Horn of Plenty », votre premier cd ?

Nous jouons toujours ces chansons sur scène. Mais, musicalement, on s'éloigne considérablement des versions proposées par ce premier album. A la base, ce disque était le projet personnel d’Edward. Finalement, c'est devenu sa principale obsession. Personne ne l'a vraiment poussé à former un groupe. Mais la volonté de donner vie à sa musique était très forte. Désormais, chez Grizzly Bear, chacun apporte son savoir-faire. Toutes les chansons d'Edward traitent de sujets intimes. Mais étrangement, ses textes nous parlent également. Chaque membre du groupe ressent ainsi une implication personnelle au niveau du message véhiculé par une chanson. 

Sur ce deuxième album, Grizzly Bear s'est mué en une belle chorale expérimentale. D'où vous vient cette sensibilité ?

Quand Edward a commencé à travailler sur les bases du premier album, il expérimentait énormément. A la base, il est surtout un chanteur ou un vocaliste, c'est sans doute le terme le plus approprié... Il a grandi dans une famille au sein de laquelle la musique tenait une place essentielle. Pourtant, il n'a jamais vraiment étudié la musique. Mais il baignait dans un univers musical permanent. Alors voilà, on retrouve peut-être dans nos structures des couches sonores entendues chez les Beach Boys ou Van Dyke Parks. Nous avons toujours été fascinés par ce genre d'orchestration. Nous aimons enjoliver la pop. Grâce à la technique du 'multi-tracking', Grizzly Bear prend des allures d'orchestre. On cherche à accumuler les couches sonores : six ou sept parties de guitare, trois parties au piano, trois parties à la batterie, etc.

Chaque écoute de votre dernier album permet de déceler de nouvelles subtilités, des détails harmoniques passés inaperçus quelques minutes auparavant ? Est-ce la conséquence d'une approche musicale maniaque et méticuleuse ? 

Lors de la production de « Yellow House », nous avons accordé une importance démesurée à des questions de détail. Nous étions vraiment impliqués dans l'objet de notre création. Certaines personnes nous ont pris pour des fous, des détraqués. Nous étions réellement obsédés par le moindre détail touchant aux structures de nos chansons. Ce qui explique en grande partie le sentiment ressenti à l'écoute du disque. Cette recherche sur le son constitue certainement une des clefs de ce nouvel album.

Comment décririez-vous votre style musical ? Certains journalistes vous collent une étiquette de formation folk. Quelle est votre vision des choses ?

Pour définir notre musique, le terme 'pop orchestrale' peut convenir. Nous avons une assise tournée vers le jazz. D'ailleurs, notre batteur, Christopher Bear (NDR : aucun lien avec le Grizzly !), est un musicien talentueux dans le domaine du 'free jazz'. La musique de Gil Evans nous impressionne également. Dans ses compositions, les arrangements sont naturels. C'est une musique précise, complexe mais cela n'entache en rien son accessibilité, son côté humain. D'autres éléments viennent aussi enrichir le spectre musical de Grizzly Bear. Parlons donc de 'pop orchestrale' !

Vous êtes originaires de New York, de Brooklyn précisément. C'est une métropole cosmopolite, extrêmement vivante, toujours en mouvement. Pensez-vous que cette atmosphère particulière a des répercussions sur votre musique ?

Sans doute, oui... En même temps, c'est une influence abstraite, quelque chose de difficile à cerner. A New York, les habitants sont quotidiennement exposés à la culture, à la musique. A chaque instant, il y a une ouverture sur l'art, sur le monde, des choses à apprendre. A force de tourner à travers le monde, on commence à apprécier cette facette de New York. Cette multiculturalité est très rare, très difficile à trouver dans d'autres villes. 

Cependant, vous avez décidé d'enregistrer votre album en dehors de New York...

Le disque a été enregistré à Boston, dans la maison de la mère d'Edward. En fait, cette maison, c'est la 'Yellow House' de son enfance. Dans le livret qui accompagne le disque, on trouve des photos d'une vieille bicoque. Il s'agit d'une représentation. Ce n'est pas la maison en question. La 'Yellow House' était beaucoup plus belle ! Nous sommes restés là-bas pendant un mois. Notre budget était trop limité pour passer autant de temps en studio... Pour revenir sur la potentialité d'influences externes sur notre musique, il est certain que cette maison a généré une atmosphère particulière, jouant incontestablement sur les ambiances sonores du nouvel album.