Parmi les membres originels de Genesis, Steven Richard Hackett est le seul qui maintient vivant le souvenir de la période dorée, de 1970 à 1977, au cours de laquelle le groupe légendaire a sorti 8 albums considérés comme des chefs d'œuvre. Au fil de son impressionnante carrière, le Londonien –aujourd’hui âgé de 74 ans– s’est forgé un style fluide, éthéré et hyper-mélodique, reconnaissable entre mille. Ce soir, il établit ses quartiers à l'Ancienne Belgique, à Bruxelles, pour présenter un nouveau spectacle solo, imaginé d’après l'album culte de Genesis : “The Lamb Lies Down on Broadway”...
C'est le deuxième concert de cette tournée. Il fait suite au coup d'envoi donné hier, au Grand Rex, à Paris. Vêtu très simplement de noir, il n'arbore pas, pour une fois, son inséparable écharpe en velours rouge. Il est, comme d’habitude, d'un abord très discret, voire timide. On le sait, Steve Hackett ne porte pas de masque de renard ni de costumes à motifs fleuris ; ce n'est pas Peter Gabriel ! Toute l'émotion est concentrée sur la musique et sa sublime Les Paul, dont il tire des sons cristallins, d'une beauté quasi-mystique.
La première partie du show constitue, en quelque sorte, un ‘panaché’, au cours duquel il aligne une sélection de titres de son répertoire solo. Après un faux départ, causé par une erreur de branchement de sa guitare, commentée avec humour par Steve Hackett (‘false start !), le band ouvre le bal en interprétant trois morceaux de son nouvel LP, “The Circus and The Nightwhale”. “People of The Smoke”, “Circo Inferno” et “The Passing Clouds” confirment le spectre musical, très large, embrassé par ce ‘concept album’ semi-autobiographique. Première surprise, Steve assure, en personne, les parties vocales, alors que les paroles sont signées par son épouse (NDR : depuis 2011), Joanna Lehmann-Hackett. Sur “The Passing Clouds”, on est emporté, pour la première fois, par ces longues envolées de guitare qui portent la griffe du ‘génésien’.
Au moment de “The Devil's Cathedral”, solennel et sombre à souhait, on découvre les musiciens du groupe, ses fidèles ‘acolytes... de voyage’ (hum...) Au chant principal, l'Américain Nad Sylvan (Agent of Mercy) ; à la basse, le Suédois Ronald Reingold ; à la flûte, au saxophone et à la clarinette, Rob Townsend ; aux claviers, Roger King et à la batterie, Craig Blundell, qui milite également au sein du backing group de Steven Wilson.
Grâce à ces musicos d'exception, on se délecte de petites perles comme “Every Day”, extrait du meilleur opus d'Hackett, “Spectral Mornings”, paru en 1979. En même temps, Hackett adresse un clin d'œil musical à Beethoven (La 9e “An Die Freude”) dans le thème principal du morceau et on s'envole à nouveau sur les ailes de la Les Paul lors du solo final.
“Spectral Mornings” traite de la vie après la mort et il ne faut pas oublier que ce thème traverse l'œuvre de l'Anglais. ‘A l'époque, en parler revenait à être traité de hippie’, ironise Hackett ; ajoutant ‘Aujourd'hui, la science s'est emparée du sujet et parle de phénomènes quantiques...’ Tiens, tiens, Sir Hackett serait-il également intéressé par les thématiques liées à l'élévation de conscience ?
“Camino Royale” embraie. Remontant à 1983, cette compo –précédée par un époustouflant solo de basse, au cours duquel Jonas Reingold glisse des références à Bach (la Suite N° 1 en sol majeur pour violoncelle) et à Jimi Hendrix' ("Voodoo Child”)– est rehaussée ici par une étonnante ‘jam session’ carrément jazzy. La séquence se termine par la dernière partie, instrumentale, de “Shadow of the Hierophant”, la plage titulaire du premier opus solo de l'artiste, sorti en 1975. Comme à chaque fois que l'on assiste à l'interprétation de l’hypnotique “Shadow...”, on est scotché par la beauté de la ligne mélodique et par l'incroyable montée en puissance, culminant dans une apothéose assourdissante. Un grand moment !
Après une courte pause, place au plat de résistance du spectacle et à ‘la nostalgie’, comme le précise Hackett dans un français presque parfait. Focus sur “The Lamb Lies Down on Broadway”, l'album ‘new-yorkais’ de Genesis. Paru en 1974, il constitue un des plus grands succès critiques, artistiques et commerciaux de la formation de rock progressif, mais sera le dernier réalisé en compagnie de Peter Gabriel.
En redécouvrant l'elpee en live, on est frappé par l'incroyable richesse de ce disque, tant au niveau des mélodies que dans les harmonies et les textures sonores. L'ambiance est plus sombre que sur les œuvres précédentes du groupe ; certainement à cause des dissensions régnant entre les musiciens et de leurs problèmes familiaux. Mais, par-dessus tout, cette musique est d'une incroyable force. Ce soir, Steve a troqué sa Les Paul Gold pour une autre Les Paul, noire celle-ci, au son plus brillant, plus tranchant. Et Craig Blundell propose un jeu de batterie qui, dans les moments les plus intenses, casse littéralement la baraque.
Ce “Best of The Lamb” recèle clairement les meilleures plages du double-album. D'abord, la plage titulaire, suivie de “Fly on a Windshield”, “Broadway Melody of 1974” et “Hairless Heart” ; mais le point culminant est atteint par “Carpet Crawlers”, une sublime chanson qui donne, encore aujourd'hui, la chair de poule. “The Chamber of 32 Doors”, “Lilywhite Lilith”, “The Lamia” et “it” complètent cette convaincante évocation. Seul regret : l'absence des diapositives qui magnifiaient ‘le show’ lors de la tournée de 1974-75 et que certaines formations de covers utilisent lors de leurs concerts. Dommage mais, comme déjà souligné auparavant, pour Steve Hackett, seule la musique compte.
Au moment où l'on croit le set terminé, le combo nous gratifie de 3 extraits de “Selling England by The Pound”, le long playing qui précède “The Lamb”. Au début de "Dancing With The Moonlit Knight", les fans entonnent la mélodie hyper connue : ‘Can You Tell Me Where My Country Lies...’ Pendant le break instrumental, on redécouvre l'exceptionnelle technique de Hackett, qui est un des inventeurs du 'finger tapping'. Popularisée par Eddie Van Halen, elle consiste à venir frapper le manche à l’aide des doigts, en hammer-on/pull-off pour dispenser des séquences très rapides de notes. Hackett a élaboré cette méthode en regardant des jazzmen (surtout Emmett Chapman, le créateur du 'Stick'). Le tout premier 'finger-tap' figure probablement dans l'intro de "The Return Of The Giant Hogweed", paru sur "Nursery Cryme", en 1971 !! A noter que feu Eddie Van Halen confesse avoir également été inspiré par la technique de Jimmy Page. Sur ce même morceau, décidément légendaire, Steve Hackett utilise aussi le ‘sweep picking’, qui consiste à faire glisser très rapidement l'onglet au travers de plusieurs cordes de haut en bas et de bas en haut, une technique popularisée par Yngwie Malmsteen...
Mais refermons cette parenthèse musicologique car, “The Cinema Show” nous attend. Un morceau époustouflant grâce aux arpèges de guitare à 12 cordes et, surtout, au long solo de claviers créé par Tony Banks, qui constitue le moment de gloire de la soirée pour Roger King. A l'issue de “Aisle of Plenty”, les musiciens viennent tous à l'avant du podium pour remercier le public et... pour souhaiter un joyeux anniversaire à Rob Townshend.
Comme il fallait s’y attendre, “Firth of Fifth” amorce la partie rappel du concert. Un moment vraiment magique ! Ce tour de force musical est illuminé par un solo d'anthologie à la gratte, d'une beauté déchirante. Au moment de la célèbre note qui reste perchée sur un long 'sustain', le spectre de Carlos Santana se met à planer.
La partie finale du set rayonne autour de “Los Endos”, le brûlot extrait de “A Trick of The Tail”. Craig Blundell nous réserve un extraordinaire solo de drums en intro, et un passage de “Slogans” (1980) est inséré dans le morceau, à mi-parcours. Quand le rappel prend fin, l'ambiance est indescriptible. On a l'impression que l'AB va exploser. Le public réclame un second ‘encore’, mais en vain, car les lumières se rallument.
On quitte l'AB la tête remplie d'une musique magnifique et on remercie Steve Hackett d’avoir donné une seconde vie à la période la plus inspirée de Genesis. Ce soir, on aura tous chanté ‘And The Band... Lies Down... On Bru-u-ussels...’
Setlist :
People of the Smoke
Circo Inferno
These Passing Clouds
The Devil's Cathedral
Every Day
A Tower Struck Down
Basic Instincts
Camino Royale
Shadow of the Hierophant (closing section only)
Set 2 :
The Lamb Lies Down on Broadway
Fly on a Windshield
Broadway Melody of 1974
Hairless Heart
Carpet Crawlers
The Chamber of 32 Doors
Lilywhite Lilith
The Lamia
it
Dancing With the Moonlit Knight
The Cinema Show
Aisle of Plenty
Encore :
Firth of Fifth
Los Endos (1st half; introduced first by a drum solo)
Slogans
Los Endos (2nd half)
(Organisation : Ancienne Belgique + Live Nation)