Musiczine est un des premiers médias belges (et en tout cas, le premier site web) à publier une chronique du nouvel album de Roger Waters. Il sort officiellement dans deux jours. Nous avions déjà eu le privilège de participer à une pré-écoute chez Sony Music Belgium ; mais aujourd'hui, c'est le précieux cd que nous avons dans les mains.
Nous ne vous ferons pas l'injure de vous présenter Roger Waters, le fondateur et co-leader du légendaire Pink Floyd, actif en solo depuis 1985. Intitulée « Is This The Life We Really Want ? », la nouvelle production studio de l'artiste anglais est la première depuis « Amused To Death », parue il y a 25 ans.
Produit et mixé par Nigel Godrich (Radiohead, Beck,...), « Is This... » recèle 12 nouvelles compositions qui marquent clairement un retour à un certain classicisme 'floydien'. Exit les extravagances et les 'featurings' de stars (Eric Clapton, Jeff Beck) qui émaillaient les opus précédents. Place à des chansons plus calmes et davantage dépouillées.
« Smell The Roses », le premier titre dévoilé il y a déjà quelques semaines, évoquait déjà et irrémédiablement « Have A Cigar ». Les autres plages nous replongent avec bonheur dans les chapitres calmes de « Dark Side of The Moon », « The Wall » ou « Animals ». Les thèmes sont, on s'en doutait, à nouveau très engagés politiquement ; et en toile de fond on retrouve ce climat pré-apocalyptique au sein duquel l'artiste a forgé sa marque de fabrique.
Place maintenant à une chronique impressionniste des plages, rédigée dans le style ‘stream of consciousness’, cher à James Joyce.
Un tic-tac d'horloge ouvre la plaque... « Time », un des chefs-d'oeuvre du Floyd, nous traverse l’esprit. Waters déclame, en 'parlando', quelques phrases qu’il mélange à des samples de conversations. Cette intro dure une minute et demie.
La seconde plage. « Déjà Vu ». « Déjà entendue », vu qu'elle a également été publiée sur le web. La guitare acoustique et les premières notes nous replongent dans l'atmosphère d’une ballade lente digne de « Mother » (« The Wall »). Waters chante ‘If I had been God’ ou ‘If I were a drone’. Il exprime sa vision politique et sociale d'un monde qu'il aurait voulu meilleur. Puis il monte dans les tours et éructe toute sa hargne et sa douleur dans une explosion de missiles. Dans la grande tradition de ses folles diatribes 'walliennes'.
Le rythme ralentit encore quelque peu pour « The Last Refugee », une divagation sur le thème de l'enfant réfugié échoué sur la plage. Quelques extraits d'une radio ouvrent la voie à une lente mélopée enrichie par des paroles ici très poétiques. La compo enfle comme une vague de cordes et de synthés, pour retomber ensuite sur des cris de mouettes...
« Picture That ». Un rythme lancinant, répétitif, menaçant. Une basse pulse et un synthé cristallin scintille... Une batterie 'krautrock' lui sert d’écho... Ou plutôt « Echoes », tant la référence est insidieuse. Débarquent alors les choeurs féminins. L'habillage floydien est alors complet. ‘Wish You Were Here in Guantanamo Bay’ adresse un autre clin d'oeil au titre qui ouvrait ce fameux « Echoes ». Le morceau est puissant, progressif et surtout... excellent ! Sans doute la meilleure compo… jusqu'à présent!
Un loup hurle au loin. « Broken Bones » est tramé par une guitare acoustique à la tonalité rassurante. Mais, à nouveau, ce n'est qu'une douceur apparente. Waters déplore la direction adoptée par notre société après la seconde guerre mondiale. ‘Mistress Liberty, oh we abandoned thee...’ Waters est bien le digne successeur de Bob Dylan.
Après quelques fragments de bavardages, place au titre maître. Il déploie doucement ses harmonies subtiles en arpèges électriques. Un goût de Steven Wilson... Juste renvoi d'ascenseur... La répétition d’« Every time... » réveille en nous le souvenir du final d’« Eclipse » sur « Dark Side of The Moon » ; mais malheureusement, la piste n'atteint pas les sommets épiques de ce classique intemporel.
Des sonorités industrielles amorcent « Bird In A Gale ». Comme une machine à vapeur. Welcome to the machine ! Au-dessus de cette pulsion, Waters construit un univers sonore à nouveau parfaitement floydien, combinant la batterie robotique aux nappes de synthés analogiques (Oberheim!). Sa voix est ici criarde, incantatoire, pour ce qui ressemble fort à un règlement de compte sentimental, transcendé par une dimension sociale. Le final est étonnant : la pulsation mécanique prend de l'ampleur et l'ensemble devient hypnotique, hallucinant, et... BOUM : le son d'un jet passe juste au-dessus de nous et des voix soufflent un ‘wow !’ Saisissant ! Comme dans un film, en 'surround sound'...
Retour à une ambiance plus introspective pour « The Most Beautiful Girl ». Le piano mène le bal tout au long de cette lente et sombre évocation du destin tragique de la beauté, ponctuée de voix angéliques.
Un cigare ? Il « Smell The Roses », dont l'intro, la rythmique puissante et les riffs bluesy évoquent clairement « Have A Cigar ». Retour du tic-tac dans le break central avant le premier solo de guitare depuis le début ! Il est bref mais tant le son que le glissando devraient sans doute faire sourire David Gilmour ! L'imitation est bluffante, au bord de la caricature... Un esprit de revanche ? ‘Pink Floyd, c'est moi !’, semble vouloir affirmer Waters.
« Wait For Her » et « Oceans Apart » ouvrent des parenthèses paisibles avant la plage finale : « Part of Me Died », que l'on espère en apothéose. Mais c'est juste un final délivré en forme d'espoir. Sur une musique épurée, Waters rappelle que seul l'amour permet d'obscurcir la part sombre de l'être humain. ‘When I met you, that part of me died...’
A 73 ans, Roger Waters est parvenu à créer un véritable classique, qui a parfaitement sa place à côté des chefs-d'oeuvre de Pink Floyd. Les thèmes sont ambitieux, les compositions solides et les arrangements, subtils et très riches. Discrète mais efficace, la production de Nigel Godrich est mise au service de la musique. Waters est multimillionnaire ; il n'avait aucune obligation de graver cet opus ; il aurait pu se contenter de pomper la machine à nostalgie ad vitam... Non : il démontre ici sa vitalité et la constance de son inspiration. Keep shining, crazy diamond...
Pour commander l'album : voir ici
Pour écouter « Smell The Roses » : c’est là
Tracklist :
1. When We Were Young
2. Déjà Vu
3. The Last Refugee
4. Picture That
5. Broken Bones
6. Is This the Life We Really Want?
7. Bird in a Gale
8. The Most Beautiful Girl
9. Smell the Roses
10. Wait for Her
11. Oceans Apart
12. Part of Me Died
Line up :
Roger Waters – vocals, acoustic guitar, bass guitar
Nigel Godrich – keyboards, guitar, sound collages, arrangements
Gus Seyffert – guitar, keyboards, bass guitar
Jonathan Wilson – guitar, keyboards
Roger Joseph Manning, Jr. – keyboards
Lee Padroni – keyboards
Joey Waronker – drums
Jessica Wolfe – vocals
Holly Laessig – vocals