Pour ouvrir les Nuits Botaniques 2015, les organisateurs nous proposaient une nuit très électro au cours de laquelle allaient se produire des artistes en concert et des DJ sets, au sein de trois salles du Botanique : l'Orangerie, la Rotonde et le Grand Salon. Le point commun entre les artistes programmés : ‘Une vision forte de ce que la scène électronique bouillonnante a en stock cette année, et une personnalité musicale marquante qui les fait surgir de la multitude des productions actuelles’.
Dès minuit vingt, on se presse dans la Rotonde pour (re)découvrir Elizabeth Bernholz aka Gazelle Twin. Issue de Brighton, cette Anglaise s'était distinguée dès 2011, en publiant « The Entire City », une petite merveille de dark art-pop/synth-pop. On y identifiait l'influence de Kate Bush mais aussi du légendaire John Foxx, en compagnie duquel elle collabore. En 2014, changement de cap au profit d'une musique expérimentale, industrielle, voire bruitiste : c'est « Unflesh ». Dans la Rotonde, cet avatar est proposé sous la forme d'une Gazelle Twin habillée en jogging bleu électrique et affublée d'un bas nylon qui déforme son visage. Elle est accompagnée d'un acolyte aux commandes d'un contrôleur Ableton.
Qu'il s'agisse de « Guts », « Anti-Body » ou « The Belly of The Beast », la musique est sombre, déstructurée et la voix, trafiquée par de multiples effets. On pense surtout à The Knife / Fever Ray et à Björk mais aussi parfois à Pharmakon, tant la démarche est radicale et sans concession. Un concert que l'on prend comme un coup de poing en pleine face... Perso, surtout fan de son premier opus, je suis resté sur ma faim. J'attends impatiemment sa 3ème production qui, je l'espère, synthétisera les deux Gazelle Twin.
Direction le Grand Salon pour découvrir une des curiosités des Nuits Botaniques 2015 : Walter Hus. C'est lui qui interprétait le générique de fin du film « The Sound Of Belgium », une adaptation pour Orgue Decap du cultissime « Universal Nation » du producteur electro trance Push. L'Orgue Decap est un instrument inventé par W. Hus : il se compose de flûtes d'orgue et de différents instruments (percussions, accordéon,...), le tout est piloté par des automates programmables reliés à un ordinateur et un clavier. Ce soir, l'orgue de barbarie version 2.0 se la joue techno au travers d'une programmation qui fait la part belle aux rythmes modernes. L'étrange orchestre impose une ambiance unique, hypnotique. Le compositeur gantois accuse 56 ans mais semble s'amuser comme un petit fou. On est en plein surréalisme belge et... ça fait du bien. Courrez voir Walter Hus : il est ‘résident’ au Grand Salon pendant toute la durée des Nuits.
Un passage rapide par l’Orangerie pour voir Clark, un des artistes incontournables du label Warp. Attention, on parle ici de Chris Clark, pas de Dave Clarke, un autre DJ techno anglais notoire ! Agé à peine de 35 ans, Clark a gravé son septième elpee, fin de l'année dernière. En live, c'est de la techno de qualité, très mélodique, combinée à des touches noise, classical, ambient et post-rock. Le musicien se sert de ses machines derrière une table, et la scène est illuminée par les créations de l'artiste visuel Julian House, du label Ghostbox. Les beats sont compulsifs, adossés à des murailles sonores glacées d'où émanent des myriades de textures électroniques de toute beauté. L'ambiance générale est fascinante, assez 'dark' (à nouveau) : il y a un côté apocalyptique, 'dystopien' dans cette bande-son de fin du monde.
Forcé l’opérer des choix cornéliens, on quitte Clark pour retourner dans le Grand Salon, car... C.A.R. est au programme. C.A.R., acronyme de ‘Choosing Acronym Randomly’ (assurément un des noms de groupes les plus originaux), est le nouveau projet de la Franco-britannique Chloé Raunet (ex-Battant). Lumineux et radical, son premier disque, paru fin de l'année dernière sur Kill The DJ, a tout de suite impressionné. J'avais découvert son titre « Idle Eyes », grâce à mon cher collègue Pierre Sensurround, dans le cadre de notre émission WAVES, sur Radio Vibration. Mais c'est surtout le remix de ce titre par Roman Flügel qui m'avait impressionné, au point de le passer plusieurs fois lors de mes DJ sets. Je ne serai pas déçu par le show de C.A.R. Accompagnée par Thorbjorn Kolbrunarson aux claviers, Chloé Raunet propose un mélange subtil et glacé de pop synthétique eighties et de sonorités martiales. Ou si vous préférez, réalise la fusion entre l’inspiration berlinoise, baroque mais aussi ténébreuse et la légèreté pop aérienne et furtive. Affichant un look de tomboy synthétique, elle chante d’une voix fragile et nous réserve des moments intenses et envoûtants. Je réclame « Idle Eyes » et, quelques minutes plus tard, à l'entame du morceau, l'artiste se dirige vers votre serviteur pour lui faire un 'high five'. Sympa ! Très chouette concert !
Retour vers la Rotonde pour assister à la prestation de Blanck Mass, la moitié de Fuck Buttons. Projet solo de Benjamin John Power, Black Mass a publié un 2ème long playing sur l'excellente écurie Sacred Bones. On y retrouve ces élans épiques propres à Fuck Buttons, mais aussi des sonorités chaleureuses émanant de la techno nineties, des drones puissants laissant un espace considérable pour des sub basses envoûtantes. Les rythmiques quasi tribales font le reste. Le tout nous renvoie évidemment à cet indie post rock électronique qui est la marque de fabrique des Buttons. Et le public du Botanique ne s'est pas trompé, transformant la Rotonde en un dancefloor sous transe.
Plus tard, dans l'Orangerie, Helena Hauff, la productrice / DJ hanséatique (Hambourg !), nous a balancé une sélection de tracks puisée dans les sonorités EBM, wave et new beat des 80’s, qu'elle a confrontée à des productions plus récentes aux accents electro, acid et techno.
Malheureusement, vu l'heure tardive, nous n'avons pas pu voir Orphan Swords mais un vent favorable nous a signalé que sa prestation avait été en tous points remarquable. Pour rappel, ce duo belge exécute une techno abstraite et industrielle, au sein de laquelle on décèle des éléments de la scène noise électronique. On attend son prochain disque, publié sur l'excellent label français Desire Records.
Dans l'ensemble, cette nuit a été une vraie réussite. Seul bémol, les superpositions de concerts nous ont confrontés à des fameux dilemmes : il aurait peut-être fallu concentrer la programmation dans deux salles et permettre aux concerts de se succéder sans se concurrencer…
Néanmoins, très audacieuse, elle nous a permis de découvrir des artistes hors normes, passionnants et attachants. On notera avec plaisir que la dominante musicale était très noire, très 'dark', un cadre sonore idéal pour les hiboux nocturnes que nous sommes...
(Organisation : Botanique)