C’est la dernière journée des Lokerse Feesten. 10 jours de folie ! Quoique souffrant des pieds, votre serviteur a envie de mordre sur sa chique. Et pour cause, Robert Plant est à l’affiche ; et puis en clôture, il y a Arsenal !
Groupe malien, Songhoy Blues pratique un blues/rock du désert, un peu comme Tinariwen. Mêlant instrumentation ethnique et électrique, sa musique vous prend aux tripes. Un premier elpee prometteur à son actif : « Music In Exile ». Ce quatuor appartient au peuple Songhaï, sis au nord du Mali. A l’origine, les frères Touré, Aliou (chant/guitare) et Garba (guitare), croisaient régulièrement Oumar et Nathanael, quelque part entre Tombouctou, Diré et Gao. Mais les événements se sont précipités lorsque le Nord Mali est tombé sous le joug de mercenaires islamistes décidés à imposer un pouvoir liberticide et interdire toute activité musicale. Les quatre musicos abandonnent alors leur communauté et émigrent vers la capitale, Bamako. C’est là qu’ils se retrouvent. Damon Albarn et Nick Zinner (gratteur chez Yeah Yeah Yeahs) les repèrent et produisent « Soubour », un single qui fait sensation en Europe, avant même qu’il ne soit reconnu à Bamako. Tout va alors très vite et le succès est au rendez-vous.
Un chapeau vissé sur le crâne, Aliou se distingue par ses pas de danse endiablés. Il est partout à la fois, et se montre à l’aise aussi bien à la gratte qu’au micro. La présence de leur hit « Soubour », dans la set list, est inévitable. « Petit Métier » est un petit message humanitaire. S’exprimant dans un français parfait, Aliou déclare que lors des guerres et des humiliations, chaque être humain doit vivre sa vie, cultiver sa terre, élever sa petite famille ou alors exercer son petit métier. Soixante minutes de prestation. Qui ont apporté un rayon de soleil dans les cœurs, alors que sur le Groote Kaai, les nuages s’amoncellent…
Changement de matériel très rapide, mais soundcheck qui tire en longueur pour l’artiste suivant, Stephen 'Ragga' Marley. Après avoir assisté au concert de Bob Marley, peu de temps avant son décès, on éprouve un certain bonheur, à voir et écouter sa descendance lorsqu’elle se produit sur les planches. Que ce soit Damian, Ziggy ou Ky-Mani, il est identique. Mais celui qui perpétue le mieux l'héritage musical de Bob, c’est Stephen. Il a un physique fort semblable et adopte les mêmes mimiques. Lorsqu’il monte sur l’estrade, il clame 'Rastafari is in this house'. Les esprits de Haile Selassie (NDR : le dernier empereur d’Ethiopie, décédé en 1975), alias Jah, et de Bob planent étrangement au dessus du Groote Kaai. Le « Babylon By Bus » du paternel opère un retour violent vers la fin des 70’s. « Kinky Reggae » est également issu de sa plume ; et Stephen l’adapte à sa propre sauce. Le tempo spécifique est bien balisé par la section rythmique basse/batterie. Nous ne sommes pas à Kingston, mais vu la présence d’aficionados coiffés de dreadlocks, fumant la ganja et agitant des drapeaux jamaïquains, du côté droit de l’estrade, on s’y croirait presque. Tout en chantant, les choristes arpentent les planches de long en large, parfois en sautillant. Avant d’attaquer son « No Cigarette Smoking (In My Room) », un titre issu de « Revelation, Part 1: The Root Of Life » (NDR : cet LP est paru en 2014), Stephen s’adresse à la foule. Il lui demande si tout va bien et lui rappelle qu’il est interdit de fumer. Des cigarettes, mais pas du chanvre. C’est un peu comme si l'hôpital se moquait de la charité. Et la set list ne négligera pas les standards signés par le patriarche Marley : « Is This Love», « Could You Be Loved », « Iron, Lion, Ziron» et « Buffalo Soldier »…
Le site est bourré comme un œuf pour accueillir l’ex-vocaliste de Led Zeppelin, le charismatique Robert Plant. Depuis la séparation du Zep, il a publié 10 albums solos, dont le dernier « Lullaby And... The Caeseless Roar », en 2014. Il va d’ailleurs puiser largement dans cet elpee lors du set. Sans oublier d’y insérer quelques morceaux concoctés par le célèbre dirigeable.
Depuis « Mighty ReArranger », un elpee paru en 2005, Plant enregistre en compagnie d’un backing group qu'il a baptisé The Sensational Space Shifters. Au sein du line up, figurent le guitariste Justin Adams (NDR : dans le passé, il a apporté son concours au combo touareg Tinariwen et à Peter Gabriel), également préposé au bendir, le claviériste John Baggott (NDR : c’est un proche de Massive Attack et de Portishead), le bassiste Billy Fuller (ses racines sont fondamentalement rock) et le drummer Dave Smith (formé à l'école de jazz). Adams et Baggott constituaient déjà la section rythmique en 2002, lors des sessions d’enregistrement de « Dreamland ». Sans oublier le violoniste (NDR : un virtuose !) gambien Juldeh Camara, qui se consacre également au peul et au ritti (violon à une corde) ainsi que le gratteur Skin Tyson, un personnage imposant, dont la barbe est aussi fleurie que celle de Billy gibbons (ZZ Top).
La plupart des compos du Plant post Led Zep sont essentiellement sculptées dans le folk britannique, la country et la world. Quant aux titres de son ex-band mythique, il en propose des versions très personnelles. Une prise de risque qui mérite qu’on lui tire notre chapeau.
Une toile est tendue à l’arrière de l’estrade. Y est représentée la pochette du dernier long playing. Agressif, multicolore, le light show se focalise sur Bob. Tant son visage que sa silhouette. Agé de 66 balais, sa voix n’est plus aussi perçante. Mais il maîtrise parfaitement son timbre et ses inflexions. Une technique qui lui permet d’adapter la musique à son organe vocal.
Parmi les plages de son dernier opus, on épinglera « Rainbow », une chouette ballade dont les lyrics sont inspirés par un poème de William Morris, intitulé « Love Is Enough ». Puis « Turn In Up », un morceau qui agrège parfaitement percussions orientales et riffs métalliques. Plant prétend que « Crawling King Snake » est une nouvelle chanson, alors qu’il s’agit d’un vieux delta blues issu des années 20, un standard repris notamment par les Doors et John Lee Hooker. Autre traditionnel, mais célébré dans la région des Appalaches, « Little Maggy » est un blues qui intègre parfaitement les sonorités orientales dispensées par le bendir et le ritti. Parmi les titres issus de l’époque de The Hammer of Gods, il nous réserve « Bron-Yr-Aur Stomp » (III) au cours duquel il souffle dans son harmo, « The Lemon Song », « Black Dog », « Dazed And Confused » et l’incontournable « Whole Lotta Love ». Des titres qu’il interprète dans leur intégralité ou en partie.
Lors du rappel, il attaque un medley à 6 voix : « Satan Your Kingdom Must Come Down/In My Time Of Dying ». Un pot-pourri qu’il avait déjà proposé, trois ans plus tôt, flanqué de The Band Of Joy, à Lokeren. Au bout de 90 minutes de show, il nous accorde une dernière cover du Led Zep, « Rock and Roll » (IV). Et la version est vraiment d'anthologie… Du tout, tout grand Plant !
Arsenal clôt les festivités. Il squatte la plupart des festivals, en Belgique. Il a célébré ses 15 années d'existence à l'Ancienne Belgique de Bruxelles, qu’il est parvenu à remplir six fois ! Et il aurait pu le peupler à 15 reprises, sans aucun problème. Le band anversois est drivé par un duo : John Roan (chant/guitare) et Hendrik Willemyns (synthés/machines). Ils sont soutenus par deux chanteuses particulièrement sexy, Léonie Gysel et Charlotte Adigéry. Mais également par le percussionniste David Donnat (Suarez), le bassiste Mirko Banovic (Arno), le second gratteur Bruno Fevery et le drummer Dirk Loos. C’est déjà la dixième fois que le band se produit dans le cadre des Lokerse Feesten. Et cet événement se fête dignement.
En toile de fond, une toile est tendue, sur laquelle défilent des images de mer bleue azur, des forêts profondes ou encore celles du film « Furu », titre éponyme du dernier elpee, paru l’an dernier. Pour marquer les esprits, le combo a décidé de nous en mettre plein la vue à l’aide de son light show. Géraldine, l'épouse de John, est dans la fosse ; et on se demande si elle n’est pas la véritable star de la soirée, tant elle était sollicitée par la foule environnante.
David, le dernier arrivé, a bien intégré le line up. Efficaces, ses percus dynamisent les compos. Charlotte assure également sa part du show, tout en s’affirmant de plus en plus comme la seconde chanteuse. Une belle complicité s'est instaurée entre les deux vocalistes féminines. Et grâce à leurs déhanchements ravageurs et leurs pas de danse africains, il mettent le public masculin dans leur poche, en deux temps trois mouvements. La fée danoise (Iles Féroé) Lydmor (NDR : elle vient de publier un album prometteur, intitulé « Y ») rejoint le combo à deux reprises, pour épauler John, au chant. Diabolique, sa chorégraphie communique une forme de mystère aux morceaux. A travers les extraits de leurs 5 long playings (« Oyebo Soul », « Outsides », « Lotuk », « Lokemo » et « Furu »), Arsenal nous entraîne au cœur de 5 continents. Depuis l'Afrique (les percus et les textes en dialecte local) à l'Amérique du Sud (le Brésil pour ses rythmes latino), en passant par l'Asie (Inde, Chine, Japon) et l'Europe (la Scandinavie). Pour les avoir vécus à de nombreuses reprises, les concerts d’Arsenal sont chaque fois différents ; intenses, ils ne négligent jamais l’aspect émotionnel. C'est sans doute la raison pour laquelle votre serviteur est devenu accro au combo. Une belle clôture pour cette édition remarquable des Lokersen Feesten…
Arsenal + Robert Plant And The Sensational Spaces Shifters + Stephen 'Ragga' Marley + Songhoy Blues
(Organisation: Lokerse Feesten)
(Voir aussi notre section photos ici)