Fondé en 1978, au beau milieu de l’explosion punk, And Also The Trees est aujourd’hui considéré comme une formation culte. Un statut que le groupe s’est forgé en s’imposant une ligne de conduite, sans jamais se soucier du temps et des modes. Non seulement ses desseins romantiques, ténébreux, ruraux, gothiques, visionnaires, artistiques et typiquement insulaires font aujourd’hui des émules ; mais on se rend enfin compte qu’ils ont influencé une foule de groupes. Noisy pop, d'abord. Mais d'autres aussi. Du passé et du présent. Les deux leaders sont frères : Simon et Justin Huw Jones. Le premier est chanteur/lyriciste (poète aussi) et le second guitariste. Ce sont les seuls rescapés du line up originel. En 28 ans, la formation a enregistré dix albums, dont le dernier « (Listen for) the rag and bone man », vient de paraître. A l’issue de leur set remarquable, accordé à la Rotonde du Botanique, les deux frangins nous ont accordé un entretien…
Même si la formation ne s’est jamais souciée du temps et des modes, elle a toujours eu le souci d’évoluer. Progressivement, les synthés ont ainsi cédé leur place à de véritables instruments ; et puis, depuis l’arrivée de Ian Jenkins (préposé à la basse et à la double-basse), le jazz s’est immiscé dans leur univers sonore. Mais qui est ce Ian Jenkins ? Justin prend la parole : « C’est une bonne question. Nous avions besoin d’un bassiste. Steven Burrows est parti vivre aux States. Il y a 25 ans qu’il militait chez nous. Ce n’était donc pratiquement plus possible de travailler ensemble. D’un point de vue technique, il nous apporte encore son concours ; mais vu la situation, nous devions trouver une solution. Ian est ingénieur du son et bassiste. Il joue aussi de la double-basse. Il a également vécu dans la région où nous sommes nés. Et c’est important. Lorsque Steven a déménagé, j’ai pensé qu’il serait judicieux d’embrasser de nouvelles sonorités. D’introduire de nouveaux instruments. Et puis de les intégrer à notre nouvel album. On a ainsi abordé le problème de manière positive. Et ce concept est devenu l’essence du nouveau projet. » Simon clarifie : « Nous l’avions rencontré dans le cadre du festival Paléo. Vu que notre bassiste n’était plus disponible, nous devions trouver une alternative. Et comme il jouait de la double-basse, notre intérêt a été décuplé. » Oui mais pour interpréter les anciennes chansons alors ? Justin embraie : « Nous n’excluons pas notre ancien répertoire, mais nous nous sommes imposés un nouveau challenge en revisitant ces morceaux. Dans un autre style. Plus organique. En enregistrant sous une forme plus acoustique, on était épatés d’entendre les vibrations produites dans l’atmosphère par cette double-basse. L’esprit de Django Reinhardt était bien présent. Dans la musique, hein, pas les idées ! Et des instruments comme cette double-basse et l’accordéon s’y prêtent très bien. » Simon ajoute : « Il a appris les chansons que nous souhaitions. Pas toutes, mais celles auxquelles nous tenions »
‘(Listen) for the rag and bones man’ a été concocté dans un manoir quelque part dans le Herefordshire rural et il a été achevé une chapelle victorienne, à l’extrême est de Londres. Ce qui confirme que le groupe cherche toujours des endroits très spécifiques, souvent des monuments (églises, châteaux, etc.) pour enregistrer ; un peu comme s’il souhaitait constamment que ses enregistrement soient hantés par les endroits où ils étaient immortalisés. Simon commente : « La configuration des lieux est importante lorsqu’on crée de la musique. » Justin insiste : « On cherche à capturer l’émotion du son, là où on se trouve. De manière à lui apporter une nouvelle dimension. Pas toujours, mais parfois. Tu sais, on n’est pas allergique au studio, mais si on a l’opportunité de bosser au sein d’un environnement différent, le résultat peut être sublimé. Ce sont de petites choses, des subtilités, mais on s’en satisfait. » Par contre, on y retrouve toujours les mélopées très caractéristiques de la guitare de Justin. Et puis sa technique si particulière évoquant parfois celle d'un joueur de mandoline dont le son aurait été amplifié et réverbéré. Comme chez de nombreuses formations noisy pop. Justin s’étonne : « Si c’est vrai, je suis flatté. Mais je n’avais jamais entendu une telle réflexion… » Simon réagit : « En fait, c’est ce que Bernard Trontin des Young Gods m’a également raconté. Il abonde dans ce sens… » Un musicien en compagnie duquel Simon a bossé l’an dernier, pour concocter un opus en duo intitulé ‘November’. Simon confesse : « Je vis aujourd’hui à Genève. C’est en fréquentant le même disquaire qu’on me l’a présenté. On a un peu discuté. En fait, il projetait d’enregistrer un album en invitant, un vocaliste, par chanson. Et apparemment, j’étais sur la liste, même si au moment même, il ne me l’a pas avoué. Je n’avais guère confiance pour participer à un tel projet. A ce jour, je n’avais jamais travaillé avec d’autres musiciens que ceux des Trees. Et finalement, j’ai été très surpris et même enchanté du résultat. Les sessions se sont très bien déroulées. On a reçu d’excellentes critiques. C’est très différent de ce qu’on fait au sein du groupe. La musique est plus légère, plus ambient, spatiale même. Expérimentale. C’est un gars très intéressant qui connaît bien son job. Il est prolifique et s’investit beaucoup dans la musique instrumentale et les bandes sonores de films… » Mais le fait de s’être établi en Suisse, n’est-ce pas parce que les arbres y sont plus verts qu’ailleurs ? (rires) Justin remet les pendules à l’heure : « On est toujours basé en Angleterre, dans notre région du Worcestershire. Steven est donc parti vivre en Floride et n’a pas participé à la confection du dernier album… » Et Simon d’ajouter : « Je réside à Genève, mais pour écrire et enregistrer, je retourne au pays ; ce sont nos racines… » D’ailleurs, John Peel a un jour déclaré qu’And Also The Trees était trop anglais pour les Anglais. Ce qui méritait une explication. (silence…) Simon se décide enfin à prendre la parole : « Je comprends ce qu’il a voulu dire. » Et Justin en remet une couche : « Moi aussi. On a grandi avec lui. C’était un personnage très influent dans le domaine de la musique, en Grande-Bretagne. Lorsque nous avions 13/14 ans, nous écoutions ses émissions radio, tous les jours. C’était en pleine période punk, puis cold wave, avec Joy Division, The Cure, etc. Il est devenu une figure emblématique. Il n’aimait pas trop ce que nous faisions, mais nous respectait. Il s’est montré très correct à notre égard, en nous avouant que notre musique n’était pas sa tasse de thé, mais que si nous la faisions, il fallait continuer à bien la faire. Nous ne nous sommes pas produits en Angleterre pendant 15 ans. Jusqu’au mois dernier. En fait, si vous donnez un concert à Londres, vous l’accordez devant un parterre multiculturel. Mais j’admets qu’aujourd’hui, beaucoup de compatriotes commencent à s’intéresser à nous. On devient une curiosité. Nous avons très longtemps été victimes de préjugés. » Simon donne son explication : « Notre ‘anglitude’ est quelque chose d’exotique pour les Anglais. En 15 ans, la société à changé, a évolué. Finalement on est plus anglais que les Anglais. Comme nous ne nous sommes pas montrés pendant très longtemps, ils ne peuvent pas être réceptifs à notre musique. Le public ne se reconnaît pas en nous, comme groupe anglo-saxon, et il ne peut pas trouver notre musique attrayante, puisqu’il ne la voit pas… »
Le groupe avoue une multitude d’influences qui ont évoluées au fil du temps. Des Stooges au Velvet Underground, en passant par Love, John Barry, Morricone, Johnny Cash, Scott Walker. Au début. Jusqu’à des références plus récentes comme Bowie, Roxy Music ou Kraftwerk. Mais l’esprit de leur œuvre, pas les détails. Simon acquiesce : « Absolument. Faut pas se leurrer, quoiqu’on en dise, on cherche toujours des références. Et cela fait partie de la créativité. Pas comme ligne de conduite, mais pour en appréhender la nouveauté. Et c’est la raison pour laquelle on va au théâtre, au cinéma ou qu’on écoute des disques. C’est ce qui permet de nous faire avancer. Nous avons les oreilles et les yeux toujours grands ouverts ; et si on trouve une idée fort intéressante, on la place dans notre escarcelle, et on la laisse mûrir »
‘(Listen) for the rag and bones man’ est le titre de leur nouvel album, un titre qui s’inspirerait d’un épisode de l’enfance des frères Jones. Autrefois, dans leur patelin, un marchand itinérant –qu’on appelait alors chez nous marchand de loques– récupérait, outre les vieux papiers, les vieilles ferrailles et les chiffons usagés, mais aussi des os, afin de fabriquer un type de porcelaine, qu’on appelait ‘porcelaine de cendres d’os’. Il passait dans la rue en conduisant une carriole tirée par un cheval et en criant ‘chiffons et os’. Effrayé, Simon allait se cacher avant même qu’il passe devant sa maison ; et il ne l’a jamais vu. Ce serait l’explication la plus plausible… Mais derrière ce titre, n’y a-t-il pas un message écologique ? Simon répond : « Non, pas vraiment (il réfléchit). Allez, avouons, il pourrait l’être. Pour couper court, il est ouvert à toute interprétation. Le titre provient d’un rêve. Il n’a pas de lien direct avec la musique. Mais quand on y regarde de plus près, il recèle une foule de significations différentes. Et plus il y en a, plus cette situation nous plaît ; car elle ouvre de nouvelles perspectives. Et si tu as compris ce message, j’en suis flatté ; tu viens d’ajouter un élément à ma propre compréhension. » L’artwork de la pochette est superbe. Il a été réalisé par le photographe français, Jérôme Sevrette (http://photographique.js.free.fr). Comment cette collaboration est-elle née ? Simon répond : « On l’a rencontré la nuit dernière. (NDR : !?!?!?) En fait, j’ai découvert le site du photographe sur Internet. J’ai trouvé le travail absolument superbe. Et plus le temps passait, plus on se rendait compte qu’on avait besoin d’une image pour la pochette. Finalement, il nous a communiqué les dates de son exposition. On est alors tombé sous le charme de cette image, et on en a conclu qu’elle correspondait à notre projet. On lui a donc demandé l’autorisation. Il a été très honoré de notre démarche. Mais on ne l’a rencontré qu’hier. Son travail est absolument remarquable. Il relève de la technologie, mais si le résultat est bon, je n’ai rien contre. Je considère donc que c’est un artiste créatif. »
Leur musique est d’ailleurs souvent considérée comme filmique et visionnaire ; mais n’essaie-t-elle pas de filmer les rêves d’AATT ? C’est tout à fait évident sur ‘Rive droite’ et ‘The Sarcen’s head’, deux compos qui figurent sur leur nouvel opus. Mais aussi sur ‘Domed’, la chanson qui ouvre l’elpee. Encore qu’ici, en lisant les lyrics, on a l’impression de vivre ce film comme un esprit qui vient de se détacher de son corps et flotte au-dessus de paysages imaginaires. Une vision du passage entre la vie et la mort, peut-être ? Simon se défend : « C’est possible. Je n’ai pas pensé à cela. Elle est aussi ouverte à interprétation. (Il réfléchit). Si vous pensez à un esprit qui traverse votre vie, oui. On naît et on meurt. Je ne suis pas en désaccord… » Et les textes de ‘The beautiful silence’ pourraient ainsi traduire la recherche, non pas d’un paradis perdu, mais inconnu… Simon semble interpellé : « L’est-ce ? Je ne sais pas si c’est le paradis. Non, je ne crois pas… » (NDR : au paradis ?) La chanson ‘The way the land lies’, raconte l’histoire d’un vieil homme qui revient dans son village, 30 ans après l’avoir quitté. Et il le regarde avec les yeux du passé… Ce pourrait être Simon, dans trois décennies, revenu voir Inkberrow. Simon réplique : « J’ai une propension à ne pas écrire de textes autobiographiques. Ce que tu racontes pourrait être vrai, pour toi aussi… » Compo étrange, sanglante même, ‘The legend of Mucklow’ ne tire pas son inspiration des contes et légendes celtiques, mais anglo-saxons. Simon y tient tout particulièrement et précise : « Cette histoire vient de l’endroit d’où on vient… » Par contre ‘Candace’ est une compo inspirée de William Faulkner. Simon ne s’en cache pas. « Tu sais, j’ai un peu honte d’avouer que je viens de découvrir Faulkner. ‘Candace’ est un personnage du roman ‘The sound and the fury’ (NDR : ‘Le bruit et la fureur’). J’ai toujours eu l’image de cette fille consentante (NDR : il fait ici manifestement référence à Quentin qu'un amour incestueux lie à Candace. Quentin se suicidera à Harvard pendant que répudiée par son mari elle confiera sa fille –prénommée Quentin en hommage au frère disparu– à ses parents…) » On pourrait encore s’étendre pendant des heures sur les lyrics de Simon, dont la poésie est d’une telle beauté, que même Robert Smith, un de ses fervents admirateurs, a un jour déclaré en être jaloux. C’est un beau compliment.
Merci à Vincent Devos